PEUT-ON MODIFIER LES COMPORTEMENTS PAR L'ÉDUCATION, LA FORMATION, L'INFORMATION ET LA SENSIBILISATION ?

M. Didier Mulnet, université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand, Laboratoire Acté. Je tiens tout d'abord à vous signaler que j'ai choisi de ne pas répondre à la question posée exactement dans l'ordre suggéré par l'intitulé.

Par ailleurs j'ai tenté de médiatiser les concepts scientifiques qui sous-tendent mes réponses, au risque de dénaturer ces dernières, de les rendre caricaturales, voire provocatrices.

Sans vouloir nier l'importance des connaissances, qui plus est des savoirs, je voudrais attirer votre attention sur le fait que les connaissances ne représentent qu'une toute petite partie d'un ensemble beaucoup plus vaste. Ainsi, informer ne permet absolument pas de modifier les comportements, ou tout du moins très rarement. Les exemples relatifs au tabac, à la sécurité, à la consommation sont suffisamment parlants à cet égard pour nous en convaincre.

Pourquoi ? Parce que la connaissance n'est qu'un élément parmi d'autres. Métaphoriquement, apporter une connaissance reviendrait à mettre une boule de neige sur un iceberg ; or l'important se situe dans la partie immergée. C'est là toute la question de l'implicite, celle des représentations sociales. Quand on ne s'intéresse qu'à la partie superficielle, cela n'a évidemment pas grand effet. Prendre en compte les différentes formes de climatoscepticisme, les nouveaux modes de vie, nécessite d'autres approches.

Est-ce en sensibilisant que l'on modifie les comportements ? Sensibiliser revient à s'intéresser aux deux premières étapes d'un cycle qui en compte six. Cela permet de passer de la pré-contemplation à la contemplation, de se faire plaisir en convainquant des convaincus ; mais cela demeure à un niveau basique et la personne sensibilisée n'est pas encore prête à s'engager.

Pour atteindre le niveau de la préparation - dans lequel la personne est prête à s'engager - puis de l'action, il faut mobiliser d'autres méthodes et théories, comme les théories de l'engagement ou les techniques de manipulation telles que celles développées par Joule et Beauvois. Cela peut également conduire à utiliser des techniques comme les modèles (« frames ») de modification, directement issus des modèles de dépendance. On traite une dépendance au pétrole comme on traiterait une dépendance à certaines drogues.

Les étapes les plus difficiles à franchir dans la démarche de sensibilisation sont assurément les deux dernières. En effet, maintenir des comportements, les stabiliser, signifie s'ancrer dans la société et avec le politique. Cela suppose que la personne qui forme change de statut et de stratégie et renvoie au danger du comportementalisme : si l'on se trompe dès le départ, on fait n'importe quoi.

Qu'est-ce qu'éduquer ? Cela consiste fondamentalement à adopter une vision systémique. Il n'est plus possible aujourd'hui d'aborder la question de l'énergie en envisageant les seuls aspects de production ou de consommation. Il faut élargir la réflexion aux problèmes d'énergie grise, aux liens entre les divers éléments en jeu.

Il convient également de développer une vision non seulement prospective, tenant compte des changements de rythme, de l'imprévisibilité, mais aussi collective, visant à articuler compétences individuelles et collectives.

La responsabilité et l'éthique ont, par ailleurs, un rôle majeur à jouer dans ce cadre, l'idée étant d'exercer sa responsabilité dans les différents champs du développement durable, à son niveau. Il ne faut pas nier l'importance des petits gestes.

Le problème des changements est plus ardu à aborder car cela nécessite l'identification et la prise en compte des différents types de changements (subis ou choisis, perceptibles ou non, réversibles ou non, etc .) et pose la question de la nature des changements (amélioration, atténuation, adaptation ou transformation).

Former, c'est entrer dans une spirale d'évolution. Cela nécessite du temps et mobilise des savoirs nécessaires pour en gérer simultanément toutes les dimensions.

À quoi cela sert-il d'éduquer ? Cela sert à ouvrir et reformuler des sujets, à gagner du temps dans cette spirale dans laquelle l'évolution de la société va plus vite que l'éducation.

S'oppose toutefois à ce mouvement la contrainte majeure de l'innovation pédagogique : les vieux outils, les vieilles méthodes ne sauraient permettre de s'adapter aux enjeux éducatifs actuels et à venir.

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