QUEL AVENIR POUR LE STOCKAGE DE L'ÉNERGIE ?

M. Paul Lucchese, CEA, président de l'Association européenne de recherche sur l'hydrogène. La thématique du stockage de l'énergie n'est pas nouvelle, mais est renouvelée aujourd'hui par la problématique du stockage de l'énergie à partir des énergies renouvelables variables, qui émergent fortement depuis une dizaine d'années. De nombreux rapports, nationaux et internationaux, sont régulièrement produits sur ce sujet. Un rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) a, par exemple, montré cette année tout l'intérêt du stockage de l'énergie. Dans les scénarios énergétiques de l'ANCRE et de l'Ademe, apparaît également la nécessité, dans les futurs systèmes énergétiques, de stocker l'énergie.

Pourquoi ? La première raison, évidente, est que la part croissante d'énergies renouvelables variables ou intermittentes dans le mix énergétique, avec un décalage flagrant entre l'offre et la demande, va conduire à trouver des solutions pour permettre une adéquation entre ces deux aspects. Une étude publiée par l'Ademe voici deux ans a, par exemple, montré que, à l'horizon 2030, on pourrait avoir un excès d'énergies renouvelables intermittentes de l'ordre de 75 TWh.

J'aimerais également souligner une autre dimension, assez peu souvent mentionnée - bien que présente dans la loi sur la transition énergétique - qui est le transfert d'une partie de la gouvernance de l'énergie aux territoires. La maille géographique réduite dans laquelle va être géré, au moins en partie, le système énergétique impose plus nettement le recours au stockage et permet de créer des chaînes de valeur locales.

Le stockage de l'énergie n'est pas la seule voie pour optimiser le système énergétique, constitué d'une part importante d'énergies renouvelables. Il convient de citer également le développement des réseaux de transport, y compris au niveau européen, et bien sûr, à l'échelon local, les réseaux de distribution (« smart grids ») et l'apport des technologies numériques.

La loi sur la transition énergétique, parue en août 2015, reconnaît l'importance du stockage. Elle demande d'ailleurs à la Commission de régulation de l'énergie (CRE), au sein du Programme pluriannuel de l'énergie (PPE), de prévoir une place pour les opérateurs de stockage. Elle introduit en outre la notion d'interaction entre les réseaux d'électricité, de gaz et de chaleur. Elle encourage enfin la recherche sur le stockage.

J'aimerais mettre particulièrement l'accent sur l'article 121 de cette loi, qui donne spécifiquement un rôle au stockage des énergies renouvelables par l'hydrogène et demande notamment au Gouvernement de proposer un plan, avec un focus important sur les modèles économiques.

Dans ce domaine, la recherche et développement est essentielle, tant en recherche fondamentale qu'incrémentale. En matière de batteries, par exemple, ou de piles à combustible, il existe encore bien des progrès à accomplir pour réduire les coûts, diminuer les quantités de matériaux nobles et intégrer la notion de recyclage. Parallèlement, l'annonce, par Tesla ou par un constructeur chinois, d'usines géantes de production de batteries, va conduire, par effet de série, à en diminuer le coût. Une étude récente de la Deutsche Bank indiquait ainsi que l'on pourrait, à l'horizon 2020, passer d'un coût de quatorze centimes par kWh à un coût de deux centimes. Si ce chiffre était avéré, il changerait la donne du système énergétique, puisque l'ajout de deux centimes pour le stockage remettrait en cause les problématiques des réseaux de distribution et de transport.

J'aimerais également souligner combien, dans un contexte de complexification des systèmes énergétiques, les démonstrations sont importantes. Or elles sont encore, pour les îlots urbains et les villes, balbutiantes. Il faut donc soutenir leur développement.

Le troisième point, mentionné dans la loi ainsi que dans tous les rapports, concerne le manque criant de modèles économiques sur le stockage, visant à éclairer la décision publique et à établir un cadre de marché stable. Le système dit « power to power » renvoie ainsi au stockage par batterie ou par tout autre système par lequel on stocke l'électricité pour la refournir au réseau. On a, dans ce cadre, spécifiquement pour l'hydrogène, une ouverture beaucoup plus grande, puisque la molécule d'hydrogène peut servir à bien d'autres choses qu'à refaire de l'électricité. Il y a donc, là aussi, grandement besoin de modèles économiques, inexistants à l'heure actuelle.

Il faut enfin adapter les cadres réglementaire, tarifaire et normatif, et intégrer l'aspect sociétal.

Tout cela doit s'inscrire dans un cadre européen, où il convient de s'interroger sur l'aspect industriel. Pour ce qui est des batteries par exemple, j'ai cité le cas de méga usines aux États-Unis d'Amérique et en Chine. Que fait l'Europe ? Cela doit-il passer par une alliance franco-allemande ? Ces questions méritent d'être soulevées.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je souhaiterais, avant de passer la parole à nos collègues de la deuxième table ronde, remercier tout particulièrement Mme Ana Isabel Mariño Ortega, sénatrice et présidente de la Commission de l'environnement et du changement climatique du Sénat espagnol, et M. Christian Bataille, qui est l'un des piliers de l'Office parlementaire, aux travaux duquel il contribue depuis 1988, notamment dans le domaine des questions énergétiques.

DEUXIÈME TABLE RONDE :
LES INNOVATIONS PERMETTANT DE NOURRIR L'HUMANITÉ
TOUT EN RÉDUISANT LES ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE

Présidence de M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l'OPECST, et de M. Paul Rübig, membre du Parlement européen, président du Science and Technology Options Assessment ( STOA )

M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l'OPECST, président de l' EPTA pour 2015. En guise de brève introduction, je rappellerai que des gigatonnes de carbone sont présentes partout dans la biosphère, dans les océans principalement, mais aussi dans les sols, les forêts, la biomasse.

Cette table ronde a pour objet de s'interroger sur la question de savoir si l'on est capable de réguler cette biomasse, dans des endroits où elle peut être stockée.

M. Paul Rübig. Cette réunion est très importante à nos yeux. Nous constatons en effet que le monde avance et que nous sommes à la pointe des technologies ; reste à trouver la manière de développer les meilleures solutions pour l'avenir. De toute évidence, la question de savoir comment nourrir le monde est cruciale.

Le Parlement européen dispose de plus de vingt comités, dont le STOA , composé de vingt-cinq parlementaires issus de différentes disciplines. Notre activité première consiste à voir comment envisager l'ensemble des questions liées à la mobilité, pour les générations à venir, jusqu'aux années 2050.

Nous avons tous entendu parler des progrès dans l'éclairage urbain, du programme Galilée ou des projets de voitures sans chauffeur, qui pourraient rouler très vite tout en réduisant la consommation de carburant de plus de 20 %. Nous disposons ainsi d'une gamme considérable de technologies permettant d'envisager des avancées intéressantes.

Il est important, dans ce contexte, de considérer les ressources de façon durable, à la lumière des énergies renouvelables. De quoi avons-nous besoin pour produire suffisamment d'aliments ? Qu'en est-il de la ressource en eau ?

Les ressources des forêts sont largement utilisées, parfois à outrance. Des récoltes autrefois destinées aux animaux sont aujourd'hui employées pour produire de l'énergie. Cela soulève de nombreux questionnements. Ces récoltes doivent-elles se retrouver dans nos assiettes ou dans le réservoir de nos voitures ? Tout cela joue un rôle important pour le public.

L'activité du STOA concerne en outre les technologies de l'information et de la communication. Comment faire en sorte que notre réseau soit résistant aux cyber-attaques ? Ces questions émergent et je pense qu'il convient en la matière de se demander s'il est vrai que ces technologies sont en train de fusionner avec l'infrastructure énergétique (de transport, de stockage, etc .). Que pouvons-nous faire en termes de modes de stockage ?

La production d'énergie relève, par ailleurs, du niveau national. Les bonnes pratiques peuvent être instillées par l'Europe, mais cela dépend essentiellement des différents États. Dans ce contexte, l'Union européenne doit procéder à des vérifications objectives et voir comment le stockage peut être organisé, d'une petite batterie issue des nanotechnologies jusqu'aux plus grands moyens de stockage. L'algorithme utilisé actuellement permet de passer du monde du réel à une réalité virtuelle. Tout est construit dans un espace virtuel, entraînant de nouveaux modes de communication et de nouveaux comportements. Cela pose évidemment la question de ce que nous considérons comme « la vie parfaite ».

L'industrie pharmaceutique utilise, par exemple, le CO 2 pour faire pousser les plantes plus rapidement. Mais il existe aussi des aspects négatifs. Il convient donc d'appréhender précisément les impacts de ces différentes démarches et utilisations.

À partir de 2020, il faudra une Europe efficace en ressources. La question se posera aussi à l'échelle internationale. Tout cela m'évoque la prochaine Conférence de Paris, qui nous semble essentielle dans la mesure où elle abordera ces questions sous un angle mondial.

Je vous remercie encore d'avoir organisé cette rencontre, dont les thématiques font très largement écho à nos activités.

M. Bruno Sido. L'équation posée par cette deuxième table ronde est simple : sera-t-il possible de nourrir une humanité toujours plus nombreuse en émettant moins de gaz à effet de serre pour produire la nourriture nécessaire ?

Une telle équation ne décrit toutefois pas le problème posé dans toute son ampleur, car si l'on donnait la priorité à la production de nourriture en laissant croître l'émission des gaz à effet de serre, alors cette augmentation mettrait en péril la production elle-même.

Je vous rappelle que l'agriculture est actuellement à l'origine de 10 % à 15 % des émissions de gaz à effet de serre.

Étant moi-même exploitant agricole, je suis bien placé pour savoir qu'il s'agit là d'un domaine dans lequel on sait s'adapter en innovant. L'augmentation de la production agricole reposait jusqu'à présent sur l'accroissement des intrants. Il faudra dorénavant continuer à produire toujours plus, tout en réduisant les apports externes d'origine industrielle, cette tension devant être surmontée en accordant une large place à l'innovation.

Permettez-moi d'illustrer mon propos par l'exemple de l'extension des rizières. Le riz pourrait constituer une part extrêmement importante de la production agricole future, mais il se trouve que les rizières dégagent du méthane, puissant gaz à effet de serre. En réalité, ce gaz est soixante fois plus émissif que le dioxyde de carbone, qui accapare pourtant l'attention. Les émissions de gaz à effet de serre s'emballeraient, ainsi que l'aggravation des phénomènes climatiques associés. La ressource en eau en pâtirait. L'océan, principal puits de carbone, en serait affecté.

Je regrette à ce propos que le rôle de l'océan et sa contribution essentielle à la nourriture de l'humanité ne figure pas en meilleure place au programme de cette table ronde, les ressources halieutiques qu'il recèle étant plus que précieuses et déjà en raréfaction du fait de la surpêche, comme l'a fort bien mis en évidence le rapport, en 2008, de notre ancien collègue, le sénateur Marcel-Pierre Cléach, sur « L'apport de la recherche à l'évaluation des ressources halieutiques et à la gestion des pêches ».

Ces ressources ne doivent, en outre, pas pâtir d'un océan à l'équilibre perturbé non seulement par les changements climatiques, mais aussi par la pollution, ainsi que l'a rappelé le sénateur Roland Courteau, vice-président de l'Office, dans son rapport de 2011 sur « La pollution en Méditerranée ».

Ces problématiques ont, par ailleurs, été abordées récemment par l'OPECST via des auditions publiques sur les recherches dans le domaine de l'environnement, en juillet 2014, la filière semencière en janvier 2015, et les données massives (ou « big data ») dans l'agriculture, en juillet 2015.

Pour autant, il ne s'agit pas là pour l'OPECST d'un sujet de préoccupation récent. Ainsi, des analyses fort pertinentes figuraient déjà, en 2006, dans le rapport produit au nom de l'Office par les sénateurs Pierre Laffitte et Claude Saunier sur « Les apports de la science et de la technologie au développement durable », mais aussi dans le rapport, en 2003, du sénateur Gérard Miquel sur « La qualité de l'eau et de l'assainissement » et surtout dans l'étude réalisée en 2002 par le sénateur Marcel Deneux sur « L'évaluation de l'ampleur des changements climatiques à l'horizon 2025, 2050 et 2100 ».

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