II. PLANIFIER UNE CONCURRENCE LOYALE AU SEIN DE L'UNION

A. ÉTABLIR DES RÈGLES COMMUNES POUR LES RESSOURCES HUMAINES

1. Mettre fin aux faux indépendants et autres emplois « atypiques »

Le Comité économique et social européen s'est saisi du sujet il y a deux ans, lorsqu'il a écrit dans son avis « La politique extérieure de l'UE dans le domaine de l'aviation », adopté le 17 avril 2013 : « Il importe que les compagnies aériennes qui desservent l'Europe se conforment aux règles et règlements de l'OIT. » Autant dire que ces règles sont parfois bafouées, d'après le Comité.

Celui-ci est revenu à la charge en septembre 2015, pour observer, dans son avis « Une politique européenne intégrée de l'aviation » : « Le CESE insiste auprès de la Commission pour qu'elle veille à ce que des règles et des normes internationales comparables soient appliquées aux concurrents de l'UE et des pays tiers. Il s'agit notamment d'encourager l'application, au niveau international, de principes de concurrence loyale ainsi que des conventions fondamentales de l'OIT . »

Surtout, son avis « Dumping social dans l'aviation civile », lui aussi adopté en septembre 2015, met en avant un arrêt rendu le 4 décembre 2014 par la Cour de justice de l'Union européenne 8 ( * ) pour souligner que des prestataires de services présentés comme des travailleurs indépendants peuvent se trouver dans une situation comparable à celle de travailleurs salariés, une situation que la juridiction au fond peut et doit vérifier. Fort logiquement, le Comité demande que l'Union européenne adopte une définition commune du « travailleur salarié » et du « travailleur indépendant ».

Le sujet est d'importance pour la loyauté de la concurrence entre compagnies traditionnelles et compagnies low cost au sein de l'Union européenne. Traiter ce thème ouvre également un difficile chantier juridique, car la notion cardinale de « base d'affectation » est parfois d'application délicate, singulièrement lorsque les membres d'équipage sont réputés « travailleurs indépendants ». Il convient donc d'introduire en droit de l'Union « des règles spécifiques pour les travailleurs très mobiles ». 9 ( * )

À juste titre, le Comité économique et social européen appuie l'action des partenaires sociaux, puisqu'il mentionne explicitement la déclaration conjointe adoptée le 5 juin 2014 par le groupe de travail sur le personnel navigant, pour dénoncer « les évolutions récentes qui menacent gravement le modèle social européen, l'emploi et la concurrence équitable sur le marché de l'aviation » et propose des changements concrets de législation.

Faisant suite à la déclaration du 5 juin 2014, la déclaration conjointe des mêmes partenaires en date du 13 février 2015 demande que soient lancées « des discussions sur un cadre au secteur de l'aviation en vue d'établir des conditions de concurrence équitable au niveau mondial ».

Le groupe de travail souscrit à l'approche et aux analyses rappelées ci-dessus. Ses membres estiment que la Convention du travail maritime
- adoptée à Genève le 7 février 2006 dans le cadre de l'Organisation internationale du travail et entrée en vigueur le 20 août 2013 - fournit une référence intellectuellement intéressante, puisque son objectif consiste à promouvoir « des conditions de travail et de vie décente s » pour des personnes dont le travail est avant tout caractérisé par la mobilité. En outre, bien que les conditions atypiques d'emploi mises en cause relèvent principalement de l'Union européenne, des opérateurs basés hors de l'Union peuvent également porter haut le drapeau de la créativité en ce domaine. Ainsi, la compagnie Norwegian Air International a créé une filiale établie en Irlande afin d'embaucher du personnel de cabine et du personnel navigant domicilié en Thaïlande, avec des contrats de travail singapouriens 10 ( * ) afin de relier les États-Unis depuis Londres ! La Commission européenne n'y a pas vu malice, elle qui a déploré le refus opposé par les États-Unis, pourtant fondé sur l'article 17 bis de l'accord Ciel ouvert qui protège les normes sociales existantes.

Le groupe de travail souhaite que tout opérateur de transports aériens voulant opérer au départ d'États membres, soit tenu de respecter les règles d'emploi, de rémunération et de protection sociale en vigueur sur le territoire de l'Union européenne.

2. Les employés ne doivent plus financer leurs employeurs

Il peut sembler invraisemblable que l'employeur soit rémunéré par ses employés. Telle est pourtant une partie de la réalité dans les relations que certaines compagnies low cost entretiennent avec le personnel navigant ou le personnel de cabine.

Ainsi, les hôtesses et stewards doivent parfois payer à leur futur employeur le coût de la formation d'adaptation à l'emploi dispensée par celui-ci à ces nouvelles recrues. Les conditions de travail étant ce qu'elles sont, le turnover du personnel est soutenu. Résultat : l'employeur qui évite de verser une rémunération à même de retenir ses salariés transforme leur insatisfaction en source supplémentaire de chiffre d'affaires ! Quant aux pilotes, ils doivent parfois pratiquer le « pay for fly » : ils payent pour voler. Le groupe de travail se félicite de l'étude très complète réalisée par l'université de Gand avec la contribution de la Commission européenne pour décrire de façon complète les conditions « atypiques » d'emploi trop souvent pratiquées à grande échelle par le secteur low cost 11 ( * ) . En conclusion, les auteurs de ce rapport estiment qu'il est « minuit moins cinq », en d'autres termes qu'il est grand temps d'agir.


* 8 Affaire C-413/13

* 9 Le thème est largement traité dans le rapport n° 450 du 10 avril 2014 « Le droit en soute : le dumping social dans les transports » , de M. Éric Bocquet au nom de la commission des affaires européennes.

* 10 Décrit pendant les auditions organisées par le groupe de travail, le « modèle » économique d' Air Norwegian a fait l'objet de plusieurs questions posées à la Commission européenne par des députés européens.

* 11 Universiteit Gent. Atypical Employment in Aviation. Final report. 2015.

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