N° 409

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 février 2016

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur l' assistance médicale à la procréation (AMP) et la gestation pour autrui (GPA) ,

Par M. Yves DÉTRAIGNE et Mme Catherine TASCA,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; Mme Catherine Troendlé, MM. Jean-Pierre Sueur, François Pillet, Alain Richard, François-Noël Buffet, Alain Anziani, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, M. Pierre-Yves Collombat, Mme Esther Benbassa , vice-présidents ; MM. André Reichardt, Michel Delebarre, Christophe-André Frassa, Thani Mohamed Soilihi , secrétaires ; MM. Christophe Béchu, Jacques Bigot, François Bonhomme, Luc Carvounas, Gérard Collomb, Mme Cécile Cukierman, M. Mathieu Darnaud, Mme Jacky Deromedi, M. Félix Desplan, Mme Catherine Di Folco, MM. Christian Favier, Pierre Frogier, Mme Jacqueline Gourault, M. François Grosdidier, Mme Sophie Joissains, MM. Philippe Kaltenbach, Jean-Yves Leconte, Roger Madec, Alain Marc, Didier Marie, Patrick Masclet, Jean Louis Masson, Mme Marie Mercier, MM. Michel Mercier, Jacques Mézard, Hugues Portelli, Bernard Saugey, Simon Sutour, Mmes Catherine Tasca, Lana Tetuanui, MM. René Vandierendonck, Alain Vasselle, Jean-Pierre Vial, François Zocchetto .

SYNTHÈSE

De récentes décisions jurisprudentielles ayant fortement remis en cause les limites fixées par le droit français en matière d'assistance médicale à la procréation (AMP) et de gestation pour autrui (GPA) pratiquées à l'étranger, la commission des lois a confié à M. Yves Détraigne et à Mme Catherine Tasca la responsabilité d'une mission d'information destinée à prendre la mesure des conséquences de ces décisions ainsi que des réformes qu'elles appellent.

I. Des règles nationales mises en échec par les AMP et GPA organisées à l'étranger


• Le choix de la France : un encadrement strict de l'AMP et une prohibition absolue de la GPA

La législation relative à l'AMP et à la GPA a été fixée par les lois bioéthiques du 29 juillet 1994.

Le régime retenu pour l'assistance médicale à la procréation est celui d'un encadrement strict : sont seules autorisées les inséminations artificielles ou les fécondations in vitro, avec recours ou non à des dons d'ovocytes, de spermatozoïdes ou d'embryons. Les techniques autorisées d'AMP ne s'adressent qu'aux couples hétérosexuels en âge de procréer qui présentent une infertilité médicalement constatée . Un célibataire, un couple homosexuel ou un couple trop âgé ne peuvent y avoir accès. La notion « d'infertilité sociale », parfois utilisée pour désigner le fait que les choix de vie légitimes de certaines personnes ne leur permettent pas d'avoir un enfant naturellement, est totalement étrangère au droit français, qui ne s'attache qu'à l'infertilité médicale.

La gestation pour autrui désigne l'opération par laquelle un couple (les parents d'intention) demande à une femme de porter pour eux un enfant qu'elle s'engage à leur remettre à sa naissance. Elle est traitée à part et fait l'objet d'une prohibition absolue , l'article 16-7 du code civil disposant que « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle ». Cette prohibition civile s'accompagne d'une répression pénale assurée par les articles 227-12 et 227-13 du code pénal, qui punissent la substitution ou la dissimulation volontaire d'enfant, ainsi que la provocation à l'abandon d'enfant ou l'entremise en vue de cet abandon.


• Un cadre juridique mis en échec par le recours à l'étranger à ces techniques procréatives

Le désir d'enfant a conduit certains couples qui étaient exclus du bénéfice des techniques procréatives précitées à y recourir, malgré tout, à l'étranger, dans des pays où celles-ci sont légales : par exemple, la Belgique ou l'Espagne s'agissant du recours à l'AMP par des femmes célibataires ou des couples de femmes et les États-Unis, l'Inde, l'Ukraine ou le Canada s'agissant du recours à la GPA par des couples hétérosexuels ou des couples homosexuels.

Une fois l'opération réalisée, ces couples reviennent en France et certains revendiquent la reconnaissance de la filiation ainsi établie à l'étranger. Pour les couples de femmes ayant eu recours à une AMP, il s'agit d'obtenir l'adoption de l'enfant par la conjointe de la mère. Dans le cas de la GPA, une fois la filiation entre l'enfant et les parents d'intention établie au regard du droit étranger, les couples ont cherché à en obtenir la transcription à l'état civil français. Cette transcription vise à faciliter la preuve de la filiation à l'égard des administrations, puisqu'elle permet d'obtenir la délivrance de copies d'état civil qui attestent de la filiation alléguée.

Le droit français se trouve alors confronté à une situation légale qu'il n'autorise pas (dans le cas de l'AMP) ou qu'il prohibe expressément (dans le cas de la GPA).

II. AMP : le choix d'une position réaliste qui préserve le cadre juridique existant

Face à d'importantes divergences jurisprudentielles, certaines juridictions prononçant l'adoption de l'enfant, d'autres la refusant sur le fondement d'une fraude à la loi française, la Cour de cassation s'est prononcée sur cette question par deux avis du 22 septembre 2014. Elle a estimé que le recours à ce procédé « ne fait pas obstacle au prononcé de l'adoption, par l'épouse de la mère, de l'enfant [...], dès lors que les conditions légales de l'adoption sont réunies et qu'elle est conforme à l'intérêt de l'enfant ».

La mission d'information s'est, à son tour, prononcée sur les suites à donner à de telles demandes.


• Une première proposition écartée : faire échec à l'adoption, par la conjointe de la mère, de l'enfant conçu par AMP à l'étranger

Pour atteindre un tel objectif, le législateur aurait pu traiter l'AMP comme la GPA et prohiber expressément les AMP effectuées en violation des conditions du droit français. Les rapporteurs ont écarté cette option car ils ont estimé que l'AMP ne pose pas les mêmes questions éthiques que la GPA.

Il aurait été aussi possible de prévoir de s'assurer, au moment de l'adoption, que l'enfant a bien été conçu en conformité avec les règles du droit français.

Les rapporteurs ont également écarté cette seconde option car, en droit français, sauf action particulière, la filiation est établie sans contrôle des conditions de conception de l'enfant. Prévoir le contraire emporterait un changement radical du modèle existant et risquerait de porter atteinte au respect de la vie privée. Une telle réforme se heurterait, en outre, à d'importantes difficultés pratiques de mise en oeuvre. En effet, comment prouver que l'enfant a été conçu par AMP à l'étranger ? Il suffirait au couple concerné de prétendre que l'enfant est né d'une relation hétérosexuelle antérieure.


• Une seconde proposition écartée : ouvrir l'AMP aux couples de femmes

Une telle réforme supposerait de modifier les conditions d'accès à l'AMP, en supprimant celle de l'altérité sexuelle du couple et l'exigence que son infertilité soit médicalement constatée.

La mission d'information n'a pas souhaité retenir cette proposition, car la suppression de l'exigence d'une infertilité médicalement constatée emporterait un bouleversement de la conception française de l'AMP, en ouvrant la voie à un « droit à l'enfant » et à une procréation de convenance.

Elle aurait également pour conséquence de bouleverser les modalités d'établissement de la filiation applicables en matière d'AMP, celle-ci ne pouvant plus, comme actuellement, se fonder sur l'assimilation de l'engendrement avec tiers donneur à une procréation charnelle du couple receveur, et se voir appliquer, en grande partie, les règles du droit commun.


• Conforter la position prise par la Cour de cassation dans ses deux avis du 22 septembre 2014

La mission d'information a estimé que la solution dégagée par la Cour de cassation, dans ses deux avis du 22 septembre 2014, présentait un équilibre satisfaisant.

Elle permet de reconnaître la possibilité pour l'épouse de la mère d'adopter l'enfant de celle-ci, sans pour autant modifier les conditions d'accès à l'assistance médicale à la procréation fixées par le droit français.

Cette solution a le mérite de s'articuler sans difficultés avec les règles françaises. La mère est bien celle qui a accouché de l'enfant et son adoption par sa conjointe est autorisée par la loi du 17 mai 2013, qui n'a pas prévu de subordonner le prononcé de l'adoption à un contrôle des modalités de conception de l'enfant

Elle préserve la structure des règles d'établissement de la filiation tout en tenant compte, de manière pragmatique, des situations de fait et de l'intérêt supérieur de l'enfant à voir sa filiation établie à l'égard de l'épouse de sa mère.

III. La réaffirmation nécessaire de la prohibition de la GPA, en dépit de sa remise en cause


• La fragilisation, par la Cour européenne des droits de l'homme, de l'effectivité de la prohibition de la GPA

Jusqu'à récemment, la stratégie des couples qui cherchaient à faire reconnaître en France la filiation établie, par GPA, à l'étranger s'était heurtée au refus de la Cour de cassation, qui réaffirmait le caractère d'ordre public de la prohibition de la GPA et invalidait, par conséquent, les demandes de transcription, de reconnaissance de filiation ou d'adoption présentées par les parents d'intention.

Cette jurisprudence a cependant été remise en cause par deux décisions Mennesson et Labassée de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) rendues le 26 juin 2014, dont la portée est discutée.

Dans un premier temps, ces arrêts reconnaissent le droit à chaque État membre d'interdire le recours à la GPA. Ils constatent aussi, que les conditions de cette prohibition, en France, ne portent pas atteinte au droit des parents comme des enfants de vivre une vie familiale normale, en dépit des difficultés administratives qu'ils peuvent rencontrer.

Toutefois, ces mêmes arrêts concluent dans un second temps à une violation du droit des enfants au respect de leur vie privée. En effet, la Cour estime que le droit à l'identité est une composante de ce droit au respect de la vie privée. Or, l'identité des enfants nés de GPA est atteinte, selon la Cour, en ce que la France refuse de reconnaître leur filiation biologique paternelle.

Cette décision s'impose à la France et l'oblige à accepter l'établissement ou la transcription à l'état civil de la filiation biologique paternelle , ce qui fragilise l'effectivité de la prohibition de la GPA.

Le Conseil d'État et la Cour de cassation en ont d'ores et déjà tenu compte. Le premier a ainsi validé la circulaire de la ministre de la justice, qui vise à octroyer un certificat de nationalité aux enfants nés de GPA à l'étranger, si l'un de leur parent est français. La Cour de cassation a, quant à elle, admis par deux arrêts du 3 juillet 2015 la transcription d'un acte d'état civil étranger résultant d'une GPA, après avoir toutefois constaté que les allégations de cet acte correspondait à la réalité (en l'espèce, la mère désignée dans l'acte de naissance était bien la mère porteuse).


• Un débat qui appelle certains éclaircissements

Les arrêts de la CEDH ont nourri un intense débat, qui a vu s'affronter les promoteurs de la GPA, ses opposants et ceux qui, sans défendre cette pratique, souhaitaient faire prévaloir l'intérêt des enfants.

Or, les rapporteurs considèrent que deux idées fausses ont parfois obscurci les termes du débat . La première est que les enfants issus de GPA seraient des « fantômes de la République ». Or, ces enfants peuvent vivre en France, sur la base de l'acte d'état civil étranger , exactement comme le font chaque jour les enfants de couples étrangers ou les jeunes français, nés à l'étranger, pour lesquels les parents n'ont pas demandé la transcription de leur acte de naissance à l'état civil français. D'ailleurs, la CEDH l'a expressément reconnu. Ainsi, un juge saisi d'un problème lié à l'autorité parentale ou à la nationalité de l'enfant s'appuiera sur l'acte d'état civil étranger pour le régler.

La seconde idée fausse est que l'instauration en France d'une GPA « éthique » permettrait de réduire le recours aux GPA à l'étranger. Or, le pays européen dont les ressortissants recourent le plus à des GPA étrangères est le Royaume-Uni qui a pourtant mis en place une GPA « éthique » depuis le milieu des années 1980.


• Les propositions de la mission d'information : consolider la prohibition de la GPA en prenant en compte la situation des enfants

Les rapporteurs ont écarté deux options opposées. Ils ont tout d'abord refusé d'entériner le principe d'une transcription complète de l'acte d'état civil étranger, au motif que cette solution reviendrait à priver d'effets la prohibition de la GPA. Ils ont ensuite rejeté l'option consistant à s'en tenir à la jurisprudence de la Cour de cassation, qui équivaudrait, pour le législateur, à se défausser sur le juge d'une décision éthique majeure.

Marquant leur attachement aux principes humanistes qui justifient la prohibition de la GPA, les rapporteurs ont jugé nécessaire de la réaffirmer, au moment même où elle est fragilisée. Ce renforcement de la prohibition de la GPA emprunterait deux voies :

- le renforcement symbolique de la répression pénale, par le relèvement des quantums de peines encourues ;

- l'engagement de négociations internationales, multilatérales ou bilatérales, afin d'obtenir des pays pratiquant la GPA qu'ils interdisent aux ressortissants français d'y recourir. D'ores et déjà, le Royaume-Uni ainsi que, suite à de retentissants scandales, l'Inde et la Thaïlande se sont engagés dans cette voie.

Une fois ce préalable posé, il conviendrait de concilier le respect de la prohibition avec la prise en compte de la situation des enfants nés de GPA. Les rapporteurs recommandent à cet égard, de s'en tenir à une lecture stricte des exigences posées par la CEDH.

À cet effet, ils proposent d'autoriser expressément l'enfant, et lui seul (même si cette action sera exercée, en son nom, par ses parents) à faire établir sa filiation dans le respect strict des exigences du droit français . Ceci lui permettrait de faire reconnaître sa filiation paternelle biologique, ce qui satisferait les conditions posées par la CEDH. En revanche l'établissement d'un lien de filiation avec le parent d'intention ne serait pas possible , car ce serait contraire à la règle fondamentale de notre droit civil selon laquelle la mère est celle qui accouche. L'impératif de prohibition de la GPA serait ainsi respecté .

Les rapporteurs recommandent aussi de confirmer qu'aucune autre action (par exemple une adoption ultérieure de l'enfant du conjoint ou une action en possession d'état) tendant à établir une filiation d'intention, en prolongement du processus frauduleux de recours à la GPA, ne puisse prospérer .

Enfin, les rapporteurs proposent de faciliter la vie des familles constituées à partir de GPA en permettant à l'autre parent d'intention de recevoir une délégation d'autorité parentale pérenne.

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