LISTE DES PROPOSITIONS

Conforter le droit de l'AMP en vigueur sans s'opposer à la régularisation de la filiation par l'adoption

Proposition n° 1

Approuver la solution dégagée par le Cour de cassation dans ses deux avis du 22 septembre 2014 qui permet, de manière pragmatique, d'admettre la demande d'adoption de l'enfant conçu par AMP à l'étranger, déposée par l'épouse de sa mère, sans remettre en cause le droit applicable en matière d'AMP et sans bouleverser les règles d'établissement de la filiation en vigueur.

Renforcer l'effectivité de la prohibition de la GPA sans porter atteinte au droit des familles concernées à une vie familiale normale

Proposition n° 2

Relever le quantum des peines encourues au titre des infractions sanctionnant le recours ou la promotion de la gestation pour autrui.

Proposition n° 3

Négocier, soit dans un cadre multilatéral, soit dans un cadre uniquement bilatéral, avec les pays qui autorisent la GPA afin qu'ils en interdisent le bénéfice aux ressortissants français.

Proposition n° 4

S'en tenir à une lecture stricte des exigences posées par la Cour européenne des droits de l'homme.

À cet effet, n'autoriser, dans le code civil, que la reconnaissance des filiations conformes aux règles du droit français, c'est-à-dire, d'une part, la filiation biologique paternelle et, d'autre part, la filiation à l'égard de la femme qui a effectivement accouché de l'enfant.

Confirmer qu'aucune autre action tendant à établir une filiation d'intention, en prolongement du processus frauduleux de recours à la GPA, ne puisse prospérer.

Proposition n° 5

Permettre au parent d'intention dont la filiation n'aura pas été reconnue de bénéficier des dispositifs d'aménagement de l'autorité parentale qui lui permettront d'agir aux yeux des tiers comme un titulaire légitime de cette autorité.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

« Plus impalpable que le besoin, le désir : le désir d'enfant, intensément éprouvé, des couples sans enfant aspire à être transcendé en un droit à l'enfant » écrivait déjà Jean Carbonnier en 1996 1 ( * ) .

Cette phrase trouve une résonnance toute particulière dans les débats actuels autour de la question de l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation à toutes les femmes et de la légalisation de la gestation pour autrui.

Les échanges qui ont accompagné l'adoption de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe ont révélé les craintes profondes qui agitent la société française face aux mutations des contours de la famille contemporaine.

Les interdits structurants édictés par le droit national sont mis à l'épreuve du fait accompli et le juge est sommé de faire produire des effets, dans l'ordre juridique français, à des situations créées à l'étranger en contradiction avec le droit national. La situation est d'autant plus délicate qu'au centre du débat se trouve l'enfant, qui ne peut être la victime des actes de ses parents.

Il est revenu aux magistrats de trancher les nouvelles questions qui leur étaient ainsi posées.

La Cour européenne des droits de l'homme a, dans deux arrêts du 26 juin 2014 Mennesson et Labassée , a imposé à la France de reconnaître la filiation biologique paternelle des enfants nés de gestation pour autrui, fragilisant de ce fait la prohibition de cette pratique par notre pays.

Dans deux avis du 22 septembre 2014, la Cour de cassation a, à son tour, validé le prononcé de l'adoption, par l'épouse de la mère, de l'enfant né d'un recours à la procréation médicalement assistée avec donneur réalisée à l'étranger, alors que la législation française réserve l'accès à la procréation médicalement assistée aux couples atteints d'une infertilité pathologique médicalement constatée.

Le législateur ne peut, dès lors, rester en marge du débat et doit se prononcer sur les solutions ainsi dégagées, qu'il les entérine, les invalide ou les dépasse dans un nouveau modèle.

C'est dans cette perspective que votre commission a souhaité confier à M. Yves Détraigne et Mme Catherine Tasca, une mission d'information ayant pour objet de dresser un panorama complet de la jurisprudence récemment dégagée en matière d'assistance médicale à la procréation et de gestation pour autrui et d'évaluer les différentes pistes de réformes envisageables.

Ces questions ont alimenté un ample débat au sein de la société civile, auquel vos rapporteurs ont souhaité donner un écho à travers les dix-sept auditions qu'ils ont menées. Ces différentes prises de position dessinent le champ des solutions possibles et doivent permettre au législateur, reprenant le rôle que, par son silence, il a abandonné au juge, de se prononcer en toute connaissance de cause sur ces sujets importants.

I. L'ASSISTANCE MÉDICALE À LA PROCRÉATION : LE DROIT FRANÇAIS À L'ÉPREUVE DE L'ÉVOLUTION DES SCHÉMAS FAMILIAUX ET D'UN ACCÈS FACILITÉ À CETTE TECHNIQUE À L'ÉTRANGER

A. UN RÉGIME FRANÇAIS CALQUÉ SUR LE MODÈLE DE PROCRÉATION CHARNELLE

Selon l'article L. 2141-1 du code de la santé publique (CSP) l'assistance médicale à la procréation (AMP), appelée également procréation médicalement assistée (PMA), s'entend « des pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro , la conservation des gamètes, des tissus germinaux et des embryons, le transfert d'embryons et l'insémination artificielle ». En application de cet article, la liste des procédés biologiques utilisés est fixée par arrêté du ministre de la santé après avis de l'agence de la biomédecine.

Les différentes techniques d'assistance médicale à la procréation

L'assistance médicale à la procréation est dite « endogène » ou « homologue », lorsque seuls les gamètes du couple sont utilisés. Elle est dite « exogène » ou « hétérologue » lorsqu'elle fait intervenir un tiers à travers un don de spermatozoïdes, d'ovocytes ou d'embryon. Plusieurs techniques peuvent être utilisées.

L'insémination artificielle

Cette technique d'AMP, la plus simple et la moins coûteuse, consiste à injecter les spermatozoïdes directement dans l'utérus durant la période d'ovulation. Il peut s'agir de ceux du partenaire (insémination artificielle intraconjugale ou IAC) ou de spermatozoïdes fournis par une banque de sperme (insémination artificielle avec don de sperme ou IAD). Le plus souvent, la femme suit préalablement un traitement hormonal (stimulation ovarienne) pour obtenir le développement de plusieurs follicules matures, susceptibles d'être fécondés. La fécondation se fait donc naturellement, à l'intérieur du corps de la femme.

La fécondation in vitro (FIV)

Cette technique consiste à provoquer la rencontre d'un ovule et d'un spermatozoïde en laboratoire. Dans la plupart des cas, il s'agit des gamètes des deux conjoints. La FIV peut également être réalisée avec le ou les gamètes de donneurs (spermatozoïde ou ovocyte) lorsque cela est nécessaire.

La fécondation in vitro avec ICSI (« intracytoplasmic sperm injection ») représente désormais 63 % des FIV. Cette technique consiste à injecter directement un spermatozoïde dans l'ovocyte. Elle a résolu la grande majorité des problèmes d'infertilité masculine puisque seuls quelques spermatozoïdes mobiles sont nécessaires.

La fécondation a ensuite lieu in vitro , c'est à dire à l'extérieur du corps de la femme. Les spermatozoïdes sont déposés au contact des ovocytes. Après la fécondation, le ou les embryons sont transférés dans l'utérus de la femme.

Quand le nombre d'embryons obtenus est supérieur au nombre d'embryons transférés, les embryons surnuméraires peuvent être congelés en vue d'un transfert ultérieur.

Encadré réalisé à partir des données disponibles sur le site
de l'institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)

L'assistance médicale à la procréation vise à apporter une réponse à l'infertilité d'un couple. Dans la majorité des cas, cette assistance permet au couple de procréer avec ses propres gamètes , mais elle peut également faire intervenir un tiers, donneur de spermatozoïdes ou d'ovocytes 2 ( * ) , ou un couple qui fait don d'un embryon 3 ( * ) . Ces hypothèses d'assistance médicale à la procréation avec don de gamètes ou d'embryons sont au coeur des travaux de la mission d'information.

L'assistance médicale à la procréation s'est développée dans les années 1970-1980 avec la fécondation in vitro . Le premier « bébé-éprouvette », Louise Brown, naît en Grande-Bretagne en 1978. Il faut attendre 1982, en France, pour parvenir à une naissance par le même procédé.

En 2010, on recensait en France près de 140 000 tentatives de procréations médicalement assistées. Sur un total de 830 000 naissances, 22 401 enfants étaient issus d'une insémination artificielle ou d'une fécondation in vitro . La part d'AMP avec tiers donneur était très faible : moins de 500 enfants étaient nés avec un don de spermatozoïdes, une centaine avec un don d'ovules, une dizaine avec un don d'embryons 4 ( * ) .

Le droit français applicable à l'assistance médicale à la procréation repose sur un modèle « pseudo-procréatif » 5 ( * ) , issu des années 1970, époque du développement des techniques d'assistance médicale à la procréation. Lorsque l'AMP fait intervenir un tiers, donneur de gamètes ou d'embryon, le droit fait disparaitre le don pour laisser croire à une procréation charnelle du couple receveur.

Les premières dispositions encadrant le recours à l'assistance médicale à la procréation et notamment ses conditions d'accès et ses effets juridiques particuliers sur la filiation de l'enfant en cas de recours à un tiers donneur, sont issues de la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal.

La loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique n'a pas bouleversé les principes érigés par le législateur en 1994 mais a procédé à divers ajustements. Elle a notamment ajouté un nouveau cas justifiant le recours à cette pratique : éviter la transmission d'une maladie particulièrement grave à l'autre membre du couple 6 ( * ) . Elle a également apporté diverses précisions concernant la situation des embryons créés.

La loi de 2004 a elle-même été révisée par la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique.

1. Un accès à l'assistance médicale à la procréation strictement encadré par le droit français

En droit français, en application de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique (CSP), l'assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à une infertilité pathologique médicalement diagnostiquée ou d' éviter la transmission à l'enfant ou à l'un des membres du couple d'une maladie d'une particulière gravité .

Elle est conçue pour imiter, autant que faire se peut, la procréation naturelle. Dès lors, l'article L. 2141-2 prévoit qu'elle découle du projet parental d' un couple, constitué d'un homme et d'une femme , vivants , en âge de procréer , ayant consenti préalablement au transfert des embryons ou à l'insémination.

Le couple peut être marié ou non. L'exigence explicite d'une communauté de vie a été supprimée par la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, bien que l'article L. 2141-2 prévoie tout de même que la cessation de cette communauté de vie fait obstacle à l'insémination ou au transfert d'embryons 7 ( * ) .

L'assistance médicale à la procréation avec donneur répond à des situations spécifiques. En application de l'article L. 2141-7 du code de la santé publique, elle peut être pratiquée « lorsqu'il existe un risque de transmission d'une maladie d'une particulière gravité à l'enfant ou à un membre du couple, lorsque les techniques d'assistance médicale à la procréation au sein du couple ne peuvent aboutir ou lorsque le couple, dûment informé dans les conditions prévues à l'article L. 2141-10, renonce à une assistance médicale à la procréation au sein du couple ».

Hors de ces situations, l'assistance médicale à la procréation est exclue. En particulier, elle n'est pas permise pour les femmes seules ou pour les couples de femmes . Cette prohibition a été réaffirmée à l'occasion de l'examen de la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, le législateur estimant que l'assistance médicale à la procréation ne pouvait être mise en oeuvre pour répondre à des situations purement sociales et à des demandes de convenance exprimant un désir d'enfant.

Dans un arrêt du 15 mars 2012 Gas et Dubois c/ France 8 ( * ) , la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a jugé que le dispositif français qui ne permet pas aux couples de personnes de même sexe d'avoir accès à l'AMP n'était pas contraire aux dispositions de la convention européenne des droits de l'homme. Selon la Cour, « pour l'essentiel, l'IAD [insémination avec donneur] n'est autorisée en France qu'au profit des couples hétérosexuels infertiles, situation qui n'est pas comparable à celle des requérantes. Il s'ensuit, pour la Cour, que la législation française concernant l'IAD ne peut être considérée comme étant à l'origine d'une différence de traitement dont les requérantes seraient victimes ».

L'ouverture de l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes
à travers quelques exemples européens

Comme la France, l'Allemagne 9 ( * ) , le Portugal et l'Italie réservent l'assistance médicale à la procréation aux couples hétérosexuels.

En revanche, l'ensemble des pays qui ont ouvert le mariage aux couples de personnes de même sexe (Portugal, Pays-Bas, Danemark, Belgique, Espagne, Suède et Angleterre) ont ouvert l'adoption conjointe aux époux de même sexe ainsi que l'accès à l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes. Ces pays, à l'exception de la Suède, autorisent également les femmes seules à recourir à l'AMP 10 ( * ) .

Sources : étude de législation comparée du Sénat « Mariage des personnes de même sexe et homoparentalité », n° 229, novembre 2012 et étude de législation comparée du Sénat « L'accès à l'assistance médicale à la procréation », n° 193, janvier 2009 .

Elle ne peut non plus être utilisée pour procéder à une insémination post mortem ou au transfert d'embryons conçus avant le décès de l'un des membres du couple.

La question du transfert post mortem d'embryons s'est posée au législateur en 1994 et en 2004. Il a, à chaque fois, refusé de l'autoriser. En 2011, les députés avaient adopté un dispositif qui permettait un tel transfert, à condition que l'homme ait expressément donné son consentement en amont, et que le transfert intervienne entre six et dix-huit mois après le décès. La préservation des droits de l'enfant éventuel sur la succession était assurée par le gel de la succession pendant dix-huit mois avec une administration légale de celle-ci.

La commission des lois du Sénat s'était opposée à une telle pratique estimant que, malgré la détresse de la mère, l'assistance médicale à la procréation ne pouvait être conçue que dans l'intérêt de l'enfant, et que cet intérêt était de naître dans une famille constituée de deux parents qui pourraient l'élever et non pas de naître orphelin. Le rapporteur de la commission des lois avait souligné que le projet parental, qui fonde le recours à l'AMP, ne pouvait que disparaitre avec ce couple, lorsque celui-ci se sépare ou lorsqu'un de ses membres décède 11 ( * ) . Ce dispositif avait été supprimé du texte au Sénat et n'avait pas été réintroduit ensuite.

En application de l'article L. 2141-10 du code de la santé publique, il appartient à l'équipe médicale , le cas échéant assistée des services sociaux, de s'assurer que les conditions du recours à l'assistance médicale à la procréation prévues par le code de la santé publique sont remplies .

Cependant, en cas de recours à un tiers donneur , une procédure spécifique est prévue par les textes. Le couple doit donner son consentement au juge ou au notaire qui les informe des conséquences de leur acte au regard de la filiation, conformément au dernier alinéa de l'article L. 2141-10 du même code et des articles 311-20 du code civil, 1157-2 et 1157-3 du code de procédure civile.

Dans l'hypothèse où l'assistance médicale à la procréation se traduit par l' accueil d'un embryon issu d'un autre couple , l'article L. 2141-6 du code de la santé publique prévoit une autorisation judiciaire préalable . « Le juge s'assure que le couple demandeur remplit les conditions prévues à l'article L. 2141-2 et fait procéder à toutes investigations permettant d'apprécier les conditions d'accueil que ce couple est susceptible d'offrir à l'enfant à naître sur les plans familial, éducatif et psychologique. L'autorisation d'accueil est délivrée pour une durée de trois ans renouvelable ». Le couple accueillant l'embryon et celui y ayant renoncé ne peuvent connaître leurs identités respectives.

2. Des sanctions, qui touchent principalement le corps médical, en cas de manquement aux règles applicables à l'AMP

Le code pénal édicte un certain nombre de dispositions sanctionnant les manquements aux règles prévues en matière d'assistance médicale à la procréation. Ces sanctions visent pour l'essentiel les professionnels de santé et non pas les patients qui ont recours à l'assistance médicale à la procréation en contradiction avec les règles édictées par le code de la santé publique.

De fait, les personnes qui auraient recours à l'assistance médicale à la procréation, sans intervention d'un tiers donneur, alors même qu'elles ne répondent pas aux conditions fixées à l'article L. 2141-2 du code de la santé publique, n'encourent pas de sanctions particulières.

En cas d'AMP avec tiers donneur , l'article 511-9 du code pénal (repris à l'article L. 1273-2 du code de la santé publique) ne sanctionne que les hypothèses où une rémunération intervient . Il prévoit que l'obtention de gamètes contre paiement ainsi que le fait d'apporter son entremise pour favoriser cette obtention est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Cette peine est portée à sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende en cas d'obtention d'embryons humains contre paiement ou d'entremise en vue de favoriser cette obtention (article 511-15 du code pénal repris à l'article L. 2162-1 du code de la santé publique).

Indépendamment de toute considération pécuniaire, l'article 511-16 du même code prévoit que les mêmes peines sont encourues par les personnes qui obtiennent des embryons humains sans respecter les conditions prévues aux articles L. 2141-5 et L. 2141-6 du code de la santé publique, c'est-à-dire qui ne répondent pas aux conditions prévues à l'article L. 2141-2 du code de la santé publique notamment ( cf. supra ).

Quant aux professionnels de santé, en vertu de l'article 511-24 du code pénal (repris par l'article L. 2162-5 du code de la santé publique), le fait de procéder à des activités d'assistance médicale à la procréation à des fins autres que celles définies à l'article L. 2141-2 du code de la santé publique est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende et le fait d'exercer des activités nécessaires à l'accueil d'un embryon humain dans les conditions fixées à l'article L. 2141-6 du code de la santé publique sans s'être préalablement assuré qu'a été obtenue l'autorisation judiciaire prévue au deuxième alinéa dudit article 12 ( * ) est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d' amende (article 511-25 du code pénal repris par l'article L. 2162--6 du code de la santé publique).

Les sanctions pénales de l'activité d'assistance médicale à la procréation non conforme aux dispositions du code de la santé publique visent donc en premier lieu le corps médical.

3. Des modalités d'établissement de la filiation de l'enfant né d'une AMP qui obéissent largement au droit commun

Lorsque l'assistance médicale à la procréation est homologue, c'est-à-dire qu'elle ne fait pas appel à un donneur de gamètes , ce qui est le cas dans la plupart des situations, l'établissement de la filiation se fait en application du droit commun .

La filiation peut être établie par l'effet de la loi. À l'égard de la mère, l'article 311-25 du code civil dispose que la filiation découle de « la désignation de celle-ci dans l'acte de naissance de l'enfant ». La mère de l'enfant est la femme qui accouche ( mater semper certa est ) 13 ( * ) . L'utilisation de techniques d'assistance médicale à la procréation n'a, dès lors, jamais suscité de difficultés juridiques particulières concernant l'établissement du lien de filiation de l'enfant à l'égard de sa mère, y compris dans l'hypothèse d'un don d'ovocyte.

Si le couple est marié, le père bénéficie de la présomption de paternité prévue à l'article 312 du code civil, en vertu duquel, « l'enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari » ( pater is est quem nuptiæ demonstrant ).

Si le couple n'est pas marié, la filiation est établie par reconnaissance de paternité ou de maternité 14 ( * ) , faite avant ou après la naissance, par acte reçu par l'officier de l'état civil ou par tout autre acte authentique (article 316 du code civil).

Enfin, l'établissement de la filiation pourrait résulter des règles de la possession d'état lorsque l'assistance médicale à la procréation s'est faite sans recours à un tiers donneur et que l'enfant n'a pas été reconnu 15 ( * ) . L'article 317 prévoit que « chacun des parents ou l'enfant peut demander au juge du tribunal d'instance du lieu de naissance ou de leur domicile que lui soit délivré un acte de notoriété qui fera foi de la possession d'état jusqu'à preuve contraire ».

Lorsque l' assistance médicale à la procréation est hétérologue, c'est-à-dire qu'elle fait appel à un tiers donneur , elle obéit à des règles spécifiques. L'article 311-20 du code civil et l'article L. 2141-10 du code de la santé publique prévoient que les couples « doiven t préalablement donner , dans des conditions garantissant le secret, leur consentement au juge ou au notaire , qui les informe des conséquences de leur acte au regard de la filiation ».

Il découle de ce consentement que la filiation établie à la suite d'une AMP avec donneur, contrairement au droit commun de la filiation, ne peut donner lieu à aucune action aux fins d'établissement ou de contestation de la filiation , à moins qu'il ne soit soutenu que l'enfant n'est pas issu de la procréation médicalement assistée ou que le consentement des parents a été privé d'effet. De fait, si le parent infertile qui a recouru à une AMP engageait une action en contestation fondée sur la preuve biologique, celle-ci ne pourrait que prospérer puisque l'enfant a été conçu avec les gamètes d'un tiers.

Dès lors, celui qui, après avoir consenti à l'assistance médicale à la procréation, ne reconnaît pas l'enfant qui en est issu engage sa responsabilité envers la mère et envers l'enfant. En outre, sa paternité est judiciairement déclarée.

De plus, pour éviter toute confusion entre l'établissement de la filiation à l'égard du couple qui a eu recours à une AMP et la filiation biologique de l'enfant, aucun lien de filiation ne peut être établi entre l'auteur du don et l'enfant issu de la procréation et aucune action en responsabilité ne peut être exercée à l'encontre du donneur (article 311-19 du code civil).

L'anonymat du donneur dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation

Le droit en vigueur

Le don de gamètes est, depuis son origine, régi par le principe de l'anonymat du donneur, pour éviter tout risque de rétribution ou de pression et pour conforter la filiation légale en interdisant toute concurrence de la filiation biologique.

L'article 16-8 du code civil dispose qu'« a ucune information permettant d'identifier à la fois celui qui a fait don d'un élément ou d'un produit de son corps et celui qui l'a reçu ne peut être divulguée. Le donneur ne peut connaître l'identité du receveur ni le receveur celle du donneur ». Ce n'est qu'en cas de nécessité thérapeutique que les médecins du donneur et du receveur peuvent avoir accès aux informations permettant l'identification de ceux-ci .

Dans le cadre d'une procréation avec tiers donneur, l'anonymat est conçu comme un moyen de consolider la paternité du père de l'enfant, puisqu'il évite toute concurrence avec le donneur de gamètes. Cet anonymat peut se doubler d'un secret sur le principe même du recours à un tiers donneur.

En application de l'article 511-10 du code pénal, la divulgation de renseignements permettant d'identifier le donneur et le receveur est punie de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.

Le projet de loi à l'origine de la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique prévoyait d'assouplir les dispositions régissant l'anonymat du donneur dans le cadre d'une AMP, en proposant que la personne majeure née d'une AMP avec tiers donneur puisse avoir accès à des données non identifiantes 16 ( * ) relatives à tout tiers dont les gamètes ont permis sa conception. En outre, à sa demande et sous réserve du consentement exprès du ou des intéressés, il pouvait également accéder à leur identité.

Ces dispositions ont cependant été supprimées à l'Assemblée nationale, les députés ayant considéré que cette levée partielle de l'anonymat entraînerait une remise en cause de la primauté symbolique du caractère affectif et social de la filiation, qu'elle fragilisait la position des parents ou du donneur, et qu'elle risquait de se retourner contre les enfants si les parents décidaient désormais de garder secret le recours au tiers donneur.

La commission des lois du Sénat avait partagé cette analyse, estimant que les demandes, peu nombreuses 17 ( * ) , ne justifiaient pas de prendre le risque d'une baisse des dons consécutive à la levée de l'anonymat. Surtout, autoriser, par cette levée de l'anonymat, le donneur à prendre une place dans l'histoire personnelle et familiale de l'enfant, fût-ce avec son consentement, risquait d'installer, au coeur de la filiation, un primat biologique, qui menacerait à la fois le lien familial que la loi tente de créer et la perception que chacun peut avoir de ce lien 18 ( * ) .

Dans un arrêt du 13 juin 2013, le Conseil d'État a considéré que les règles du code de la santé publique imposant l'anonymat des dons de gamètes et l'impossibilité corrélative pour un enfant ainsi conçu d'accéder à l'identité du donneur n'étaient pas contraires aux articles 8 et 14 de la convention européenne des droits de l'homme 19 ( * ) .

Une évolution progressive des mentalités

Encouragé au début par les centres d'étude et de conservation des oeufs et du sperme (CECOS), l'anonymat s'est heurté à des conflits ou des difficultés qu'entraînaient des révélations tardives ou abruptes, souvent dans des situations de séparation familiale. Les CECOS ont progressivement fait évoluer leur doctrine sur ce point, ce qui les a conduits à conseiller aux parents de ne pas cacher à l'enfant le recours au don de gamètes.

Le principe d'anonymat fait l'objet de contestations au nom du droit pour toute personne d'accéder à ses origines. En 2009, dans une étude sur la révision des lois de bioéthique, le Conseil d'État s'est prononcé en faveur de la mise en place d'un régime combinant un accès de tout enfant majeur le sollicitant à certaines catégories de données non identifiantes et la possibilité d'une levée de l'anonymat si l'enfant le demande et si le donneur y consent 20 ( * ) . C'est cette position qui a été reprise dans le projet de loi relatif à la bioéthique de 2011 ( cf. supra ).

Cette demande de levée de l'anonymat s'inscrit dans un mouvement général de reconnaissance du droit de chacun à accéder à ses origines. D'ores et déjà, le législateur s'est engagé dans cette voie, lorsqu'il a reconnu aux enfants adoptés, nés d'un accouchement sous X, la possibilité de connaître, avec son accord, l'identité de leur mère biologique 21 ( * ) .

Plusieurs pays ont d'ores et déjà renoncé au principe d'anonymat absolu du donneur, comme la Suède (en 1984), l'Autriche (1992), les Pays-Bas (2004), le Royaume-Uni (2005) ou encore la Belgique (2007).


* 1 Jean Carbonnier, Droit et passion du droit sous la V ème République , Flammarion 1996, p. 125.

* 2 L'article L. 2141-3 du code de la santé publique prévoit alors qu'un embryon peut être conçu in vitro . Il ne peut être conçu avec des gamètes ne provenant pas d'un au moins des membres du couple.

* 3 Articles L. 2141-5 et L. 2141-6 du code de la santé publique.

* 4 Conseil constitutionnel, commentaires de la décision n° 2013-669 DC du 17 mai 2013, Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe , p. 33.

* 5 Termes utilisés par Mmes Irène Théry et Anne-Marie Leroyer dans le rapport Filiation, origines, parentalité Le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle , avril 2014. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.justice.gouv.fr/include_htm/etat_des_savoirs/eds_thery-rapport-filiation-origines-parentalite-2014.pdf.

* 6 L'hypothèse de la transmission à l'enfant était déjà prévue par la loi de 1994.

* 7 Font également obstacle à l'insémination ou au transfert des embryons : le décès d'un des membres du couple, le dépôt d'une requête en divorce ou en séparation de corps ainsi que la révocation par écrit du consentement par l'homme ou la femme auprès du médecin chargé de mettre en oeuvre l'assistance médicale à la procréation.

* 8 Requête n° 25951/07.

* 9 Cependant, la directive en matière de procréation médicalement assistée de l'ordre fédéral des médecins, publiée en février 2006 prévoit qu'elle peut bénéficier à une femme célibataire engagée dans une relation durable avec un homme non marié et qui s'engage à reconnaitre sa paternité à l'égard de l'enfant à naître. Certains ordres des médecins, comme ceux de Hambourg ou de Berlin, laissent leurs membres pratiquer des actes d'AMP en faveur de couples de femmes liées par un partenariat.

* 10 Le Gouvernement suédois a néanmoins annoncé son intention de lever cette interdiction.

* 11 Rapport pour avis de M. François-Noël Buffet, fait au nom de la commission des lois, sur le projet de loi relatif à la bioéthique, n° 381 (2010-2011), p. 17. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/a10-381/a10-3811.pdf .

* 12 Article L. 2141-6, alinéa 2 : « L'accueil de l'embryon est subordonné à une décision de l'autorité judiciaire, qui reçoit préalablement le consentement écrit du couple à l'origine de sa conception. Le juge s'assure que le couple demandeur remplit les conditions prévues à l'article L. 2141-2 et fait procéder à toutes investigations permettant d'apprécier les conditions d'accueil que ce couple est susceptible d'offrir à l'enfant à naître sur les plans familial, éducatif et psychologique. L'autorisation d'accueil est délivrée pour une durée de trois ans renouvelable ».

* 13 En application de l'article 332 du code civil, la contestation de la maternité n'est possible qu'en rapportant la preuve que la mère n'a pas accouché de l'enfant.

* 14 Si la mère a accouché anonymement, elle peut, dans les deux mois suivant la naissance de l'enfant, reconnaître l'enfant et demander qu'il lui soit remis.

* 15 La possession d'état ne pourrait pas être utilisée dans le cadre d'une AMP avec donneur, car le couple est alors contraint de reconnaître l'enfant en application de l'article 311-20 du code civil.

* 16 Âge, état de santé, caractéristiques physiques, situation familiale, catégorie socioprofessionnelle, nationalité...

* 17 Des causes objectives peuvent expliquer le faible nombre de demandes, puisqu'un certain nombre d'enfants dans cette situation peuvent avoir été tenus dans l'ignorance du recours à un tiers donneur par leurs parents et qu'une autre part souhaite s'éviter une démarche vouée à l'échec en l'état actuel de la législation.

* 18 Rapport pour avis de M. François-Noël Buffet précité p. 15.

* 19 Conseil d'État, 13 juin 2013, n° 362981.

* 20 Conseil d'État, La révision des lois de bioéthique , La Documentation française , 2009, p. 54. Cette étude est consultable à l'adresse suivante :

http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/094000288.pdf

* 21 Loi n° 2002-93 du 22 janvier 2002 relative à l'accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l'État.

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