C. LES ORIENTATIONS ENVISAGÉES PAR LA MISSION D'INFORMATION

La loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe n'a pas été suivie du projet de loi relatif à la famille annoncé au moment des débats, ni de l'avis du comité consultatif national d'éthique qui devait le précéder et se prononcer sur la question de la modification des conditions d'accès à l'assistance médicale à la procréation. La proposition de loi relative à l'autorité parentale et à l'intérêt de l'enfant, qui s'est substituée au texte attendu, a été adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale le 27 juin 2014. Elle ne contient aucune disposition concernant l'assistance médicale à la procréation.

À la suite des rebondissements jurisprudentiels concernant l'adoption, par l'épouse de sa mère, de l'enfant conçu à l'étranger par AMP, et au terme de ses travaux, la mission d'information s'est trouvée face à trois orientations incompatibles entre elles : faire obstacle à l'adoption de l'enfant conçu en contradiction avec les conditions d'accès à l'AMP posées à l'article L. 2141-2 du code de la santé publique, réformer les conditions d'accès à l'assistance médicale à la procréation pour permettre aux couples de femmes d'en bénéficier, ou entériner la solution dégagée par la Cour de cassation dans ses deux avis du 22 septembre 2014.

1. L'impossibilité de faire échec au prononcé de l'adoption de l'enfant du conjoint conçu à l'étranger par AMP

La première proposition qui a émergé des auditions organisées par la mission d'information consiste à faire échec à l'adoption de l'enfant du conjoint, lorsqu'elle constitue l'« ultime phase d'un processus d'ensemble » 50 ( * ) destiné à faire échapper une situation aux règles posées par la loi française.

Cette position a donné lieu au dépôt de plusieurs propositions de loi ces dernières années 51 ( * ) , textes qui n'ont jamais été examinés par le Parlement.

a) Des prises de position en faveur d'une plus grande sévérité à l'égard des couples de femmes qui ont recours à une AMP à l'étranger


• L'existence d'une fraude à la loi

Selon les tenants de cette position, dont le professeur Claire Neirinck, entendue par vos rapporteurs, ces situations constituent bien une fraude à la loi, car les personnes concernées ont utilisé, à l'étranger, des moyens détournés mais formellement légaux pour obtenir ce que la loi française prohibe, comme l'avait affirmé le TGI de Versailles dans ses décisions du 29 avril 2014 ( cf. supra ).

Les trois conditions de la fraude à la loi réunies ( cf. encadré supra ) seraient ainsi. L'élément légal résulterait du fait que l'article L. 2141-2 du code de la santé publique limite le recours à l'AMP à certaines situations (une infertilité pathologique d'un couple hétérosexuel) et l'article 6-1 du code civil, créé par la loi du 17 mai 2013, exclut l'application aux couples de personnes de même sexe des règles de filiation par procréation, y compris celles qui concernent l'établissement de la filiation à l'égard d'un enfant né d'une assistance médicale à la procréation 52 ( * ) . L'élément matériel serait constitué par l'internationalisation artificielle d'une situation juridique purement interne puisque les affaires soumises aux juridictions concernaient des femmes françaises domiciliées en France, qui n'avaient aucun lien avec l'Espagne ou la Belgique. Quant à l'élément moral, il découlerait de l'intention du couple de femmes de se rendre à l'étranger dans l'unique but de bénéficier d'une législation qui lui est plus favorable.

Dès lors, ils rappellent que dans sa décision n° 2013-669 du 17 mai 2013, rendue à propos de la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, le Conseil constitutionnel a considéré que, si « l'éventualité d'un détournement de la loi lors de son application n'entach [ait] pas celle-ci d'inconstitutionnalité », il appartiendrait néanmoins « aux juridictions compétentes d'empêcher, de priver d'effet et, le cas échéant, de réprimer de telles pratiques » 53 ( * ) .

Bien que la sanction de la fraude à la loi consiste à priver d'effet un tel procédé, les auteurs s'accordent cependant à considérer que le lien de filiation à l'égard de la mère qui a accouché de l'enfant ne pourrait être remis en cause.

En revanche, cette fraude ferait obstacle à l'adoption car elle affecterait le « consentement [...] donné par la mère qui a imposé au futur adopté une naissance sans père que les articles 6-1 et 311-20 interdisent » 54 ( * )

Le consentement nécessaire de la mère à l'adoption par sa conjointe devrait être considéré comme entaché d'un vice et donc ne pas remplir la condition de validité exigée par le 1° de l'article 347 du code civil 55 ( * ) .

En tout état de cause, vos rapporteurs constatent que cette interprétation n'est pas conforme à la position de la Cour de cassation qui s'attache à vérifier que la fraude ne porte pas atteinte à des principes d'ordre public, comme c'est le cas de la gestation pour autrui.


Un détournement de l'institution de l'adoption

Une telle pratique constituerait, en outre, un détournement de l'institution de l'adoption elle-même. L'adoption vise, par l'établissement d'une filiation fictive, à donner une famille à un enfant qui en est privé et non l'inverse.

Or, l'adoption n'est pas, dans cette hypothèse, conçue comme un moyen d'établir un lien de filiation à l'égard d'un enfant déjà né, mais comme la dernière étape d'un projet de conception d'un enfant.

Elle est l'aboutissement d'un projet parental consistant à priver délibérément un enfant de sa filiation paternelle pour satisfaire le désir d'enfant de certains couples de femmes. Selon Mme Aude Mirkovic « l'homme qui fournit son sperme sait qu'il contribue à la naissance d'un enfant sur lequel il ne prétendra à aucune paternité. La femme est inséminée avec l'intention que l'enfant soit issu d'un homme ne pouvant prétendre à aucune paternité. L'adoption demandée réalise donc [un] détournement d'institution, car il était prévu, ab initio , que le géniteur s'efface de la vie, et de la filiation, de l'enfant » 56 ( * ) .

Cependant, vos rapporteurs rappellent que l'adoption de l'enfant du conjoint constitue d'ores et déjà un mode un peu particulier d'adoption, puisqu'il s'adresse à un enfant qui a déjà une famille et y demeure après l'adoption. Elle ajoute à une filiation initiale une filiation adoptive qui ne s'y substitue pas, au profit du conjoint du parent.

De plus, dans la décision n° 2013-669 qu'il a rendu le 17 mai 2013 à propos de la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, le Conseil constitutionnel a écarté le grief tiré de la méconnaissance d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de « caractère bilinéaire de la filiation fondé sur l'altérité sexuell e » et celui tiré de la méconnaissance d'un principe constitutionnel garantissant le droit de tout enfant de voir sa filiation concurremment établie à l'égard d'un père et d'une mère 57 ( * ) , permettant ainsi l'adoption de l'enfant par l'épouse de sa mère, tout en ne modifiant pas les conditions d'accès à l'assistance médicale à la procréation.


L'absence de droit à l'adoption

Enfin, selon les défenseurs de cette position, il n'existe pas, en France, de droit à l'adoption justifié par le droit de mener une vie familiale normale. En effet, dans une décision n° 2010-39 QPC du 6 octobre 2010, le Conseil constitutionnel a considéré que « le droit de mener une vie familiale normale n'implique pas que la relation entre un enfant et la personne qui vit en couple avec son père ou sa mère ouvre droit à l'établissement d'un lien de filiation adoptive »

De même, il n'existe pas d'obligation d'admettre l'adoption au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Ainsi, dans un arrêt Fretté c/ France du 26 février 2002 58 ( * ) , la Cour a rappelé que l'article 8 de la Convention ne garantissait pas, en tant que tel, un droit d'adopter et que, par ailleurs, « le droit au respect d'une vie familiale présuppose l'existence d'une famille et ne protège pas le simple désir de fonder une famille » 59 ( * ) .

En tout état de cause, les opposants à l'assouplissement des conditions d'accès à l'AMP estiment qu'il est particulièrement problématique de laisser au juge le soin de décider quelles sont, parmi les règles posées par le législateur, celles dont l'importance interdit toute transgression et celles qui, à l'inverse, s'accommodent de détournements.

b) La difficile traduction législative d'une telle position

La traduction législative de ces arguments théoriques se heurte cependant à des considérations pragmatiques. Comment faire obstacle au prononcé de l'adoption, par l'épouse de sa mère, de l'enfant conçu par assistance médicale à la procréation à l'étranger ?


Faire du recours à l'AMP à l'étranger hors des conditions du droit français une véritable prohibition d'ordre public

Le communiqué qui accompagne les avis de la Cour de cassation précise que la solution fondée sur la fraude à la loi a été écartée par la Haute juridiction car en France, certes sous conditions, l'insémination artificielle avec donneur anonyme est autorisée. « Dès lors, le fait que des femmes y aient recours à l'étranger ne heurte aucun principe essentiel du droit français ».

Pour faire échec à ce raisonnement, le législateur devrait intervenir pour faire de ces situations des atteintes incontestables aux principes essentiels du droit français.

Pour cela, il devrait envisager de renforcer les sanctions pénales encourues par les personnes qui ont recours à une assistance médicale à la procréation hors des conditions fixées par l'article L. 2141-2 du code de la santé public 60 ( * ) , voire de faire du respect de ces conditions une véritable exigence d'ordre public sanctionnée, en cas de manquement, de nullité absolue.

Vos rapporteurs n'ont pas souhaité retenir cette solution car l'assistance médicale à la procréation ne pose pas les mêmes questions que la gestation pour autrui 61 ( * ) , dans la mesure où, si contournement de la loi il y a, celui-ci ne heurte pas les principes tenant au respect du corps humain.

De plus, une solution aussi radicale risquerait de remettre également en cause le lien de filiation établi à l'égard de la mère de l'enfant, fragilisant les règles françaises d'établissement de la filiation qui reposent, pour la filiation maternelle, sur le principe mater semper certa .

Enfin, comme le relève M. le professeur Hugues Fulchiron, « le fait d'invoquer la fraude pour refuser d'établir des liens de filiation adoptifs ou pour détruire des liens de filiation biologiques suppose que l'on raisonne comme si la filiation était la " chose " des parents. Or la filiation est avant tout un élément de l'identité de l'enfant. Et l'enfant est étranger à la " fraude " » 62 ( * ) .


Faire de la conformité au droit français des modalités de conception de l'enfant l'une des conditions du prononcé de l'adoption

Si l'on s'en tient à la lettre des deux avis du 22 septembre 2014 de la Cour de cassation, « le recours à l'assistance médicale à la procréation, sous la forme d'une insémination artificielle avec donneur anonyme à l'étranger, ne fait pas obstacle au prononcé de l'adoption, par l'épouse de la mère, de l'enfant né de cette procréation, dès lors que les conditions légales de l'adoption sont réunies et qu'elle est conforme à l'intérêt de l'enfant ».

Le communiqué qui accompagne ces deux avis, précise que la Cour a ainsi tiré les conséquences de la loi du 17 mai 2013, « qui a eu pour effet de permettre, par l'adoption, l'établissement d'un lien de filiation entre un enfant et deux personnes de même sexe, sans aucune restriction relative au mode de conception de cet enfant ».

Pour faire obstacle au prononcé de l'adoption, le législateur pourrait donc faire du respect des dispositions du droit français relatives à l'assistance médicale à la procréation, l'une des conditions légales du prononcé de l'adoption.

Cependant, comme l'a rappelé Mme Rachel Le Cotty, dans ses deux rapports sur les demandes d'avis adressées à la Cour de cassation 63 ( * ) , en droit français, sauf action particulière (telle que l'action en contestation ou en recherche de filiation), la filiation est établie sans contrôle des conditions de conception de l'enfant. Elle résulte de la désignation de la mère dans l'acte de naissance, de la présomption de paternité, de la reconnaissance ou de la possession d'état.

« Les deux exceptions, donnant lieu à un contrôle des conditions de conception des enfants, sont la gestation pour autrui car la gestation elle-même fait intervenir le corps d'une autre femme que la mère d'intention, et l'inceste absolu car l'article 310-2 du code civil interdit expressément tout établissement du lien de filiation. »

Une telle réforme emporterait donc un changement radical du modèle existant et paraît difficile à mettre en oeuvre d'un point de vue pratique.

Il serait en effet difficile de prouver que l'enfant a été conçu par AMP à l'étranger. Ceci supposerait de mener une enquête au cours de la procédure d'adoption, pour déterminer les conditions dans lesquelles l'enfant a été conçu. Une telle immixtion du juge dans l'intimité des familles risquerait de porter une atteinte grave au respect de la vie privée.

Vos rapporteurs partagent sans réserve les interrogations formulées par M. le professeur Hugues Fulchiron à ce propos : « que penser d'un système dont la sévérité ne frapperait que ceux qui avouent leur " faute " ? Il est difficile à un homme ou à un couple d'hommes de nier le recours à la GPA. Rien de plus simple pour une femme ou un couple de femmes : il suffit de prétendre que l'enfant est né d'une relation hétérosexuelle. S'il a des soupçons, le juge poursuivra-t-il ses investigations afin de percer le mystère de la conception ? Ne serait-ce pas porter gravement atteinte au droit au respect de la vie privée... sur le seul fondement de l'orientation sexuelle de la mère ? » 64 ( * ) .

De plus, bien que l'adoption soit l'aboutissement d'un processus d'ensemble, vos rapporteurs soulignent qu'il serait contestable de faire peser exclusivement la sanction sur l'épouse qui n'est pas la personne qui s'est livrée directement au contournement de la loi française.

2. L'ouverture de l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes, une solution qui ne peut être retenue en raison de ses conséquences sur le droit de la filiation

La deuxième piste évoquée est radicalement différente de la première. Elle consiste à assouplir purement et simplement les conditions d'accès à l'assistance médicale à la procréation en France, prévues à l'article L. 2141-2 du code de la santé publique, pour permettre aux couples de femmes d'y accéder.

Il s'agirait, pour les tenants de cette position, de franchir un pas supplémentaire par rapport à la loi du 17 mai 2013, qui a permis le mariage des couples de personnes de même sexe et l'adoption de l'enfant du conjoint, en prévoyant expressément l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes. Cette solution permettrait d'éviter les montages visant à contourner les interdictions posées par la loi française.

L'ouverture de l'AMP aux couples de femmes est une question qui revient de manière récurrente dans le débat politique. Lors de l'examen de la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relatif à la bioéthique, en première lecture, le Sénat avait adopté un amendement du groupe socialiste ouvrant l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes, contre l'avis du Gouvernement et du rapporteur de la commission des affaires sociales. Cette disposition avait finalement été supprimée du texte en deuxième lecture à l'Assemblée nationale, le rapporteur de la commission spéciale, notre collègue député Jean Leonetti estimant que « l'assistance médicale à la procréation est un procédé de réparation d'une infertilité, pas un vecteur juridique de légitimation d'unions ou de modes de vie. Elle n'est pas une solution à tous les désirs d'enfants ni aux infertilités sociales » 65 ( * ) .

Lors de l'examen de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, cette question a été écartée au profit d'un texte à venir relatif à la famille. Aucun texte en ce sens n'a finalement été examiné depuis par le Parlement.

Parallèlement, en 2013, la ministre en charge de la famille a confié à Mmes Irène Théry et Anne-Marie Leroyer un groupe de travail chargé de nourrir la réflexion préalable à un projet de loi abordant « les nouvelles protections, les nouvelles sécurités et les nouveaux droits pour les enfants » 66 ( * ) . Ce rapport, intitulé Filiation, origines, parentalité - Le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle , a été publié en avril 2014. Il préconisait d'ouvrir l'accès de l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes en abandonnant l'exigence d'un diagnostic du caractère pathologique de l'infertilité. La filiation serait ensuite établie à l'égard des deux parents par l'institution d'une « déclaration commune anticipée de filiation » transmise à l'officier d'état civil et portée sur l'acte de naissance de l'enfant.

Lors de son audition par la mission d'information, le Défenseur des droits, M. Jacques Toubon, a pris position en faveur de cette ouverture, estimant que les conditions actuelles d'accès à l'AMP créaient une inégalité entre les femmes selon leur orientation sexuelle et selon leur situation de famille. Il a ensuite confirmé cette position dans un avis publié le 3 juillet 2015 67 ( * ) . Selon cet avis, « la condition d'infertilité médicalement attestée prévue par la loi ne peut justifier cette différence de traitement entre les femmes ».

Quant au comité consultatif national d'éthique, s'il n'a finalement pas rendu d'avis sur cette question à la suite de l'adoption de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, il s'était prononcé sur ce point, dans un sens défavorable, en 2005 68 ( * ) . Il avait estimé que « l'assistance médicale à la procréation a toujours été destinée à résoudre un problème de stérilité d'origine médicale et non à venir en aide à une préférence sexuelle ou à un choix de vie sexuelle. L'ouverture de l'assistance médicale à la procréation à l'homoparentalité ou aux personnes seules ouvrirait de fait ce recours à toute personne qui en exprimerait le désir et constituerait peut-être alors un excès de l'intérêt individuel sur l'intérêt collectif. La médecine serait simplement convoquée pour satisfaire un droit individuel à l'enfant ».

a) Les justifications d'une telle réforme

Pour les défenseurs de cette position, l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation s'inscrirait dans le prolongement de la loi du 17 mai 2013 qui a permis à un enfant d'avoir une double filiation maternelle par l'adoption. Elle permettrait ainsi de ne pas limiter cette possibilité à l'enfant déjà né et de l'étendre à l'enfant à naître.

Comme l'a relevé le Défenseur des droits, M. Jacques Toubon, lors de son audition par vos rapporteurs, la plupart des pays qui ont autorisé le mariage des personnes de même sexe ont également ouvert l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes seules 69 ( * ) .

Cependant, cette ouverture n'a rien d'une évidence. Comme le soulignait M. Jean-Pierre Michel, dans son rapport fait au nom de la commission des lois sur le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, « il revien [t] au législateur de se prononcer sur ces sujets. Préjuger aujourd'hui de ces choix, en tirant argument d'une évolution irrémédiable engagée, dès à présent, par le texte qui vous est soumis, est méconnaître le pouvoir souverain de la loi » 70 ( * ) .

Selon ses partisans, cette réforme permettrait de prendre en considération les évolutions de la société et les différentes formes de parentalité qui existent, de fait , aujourd'hui.

Dans leur rapport Filiation, origines, parentalité , Mmes Irène Théry et Anne-Marie Leroyer font valoir que « plus qu'hier, les couples homosexuels expriment en leur sein et mettent en oeuvre le projet à deux, de fonder une famille et d'avoir leurs propres enfants. Leurs enfants à tous les deux non pas au sens biologique bien entendu mais au sens où ils sont le résultat d'un projet conjugal, où ils sont élevés par tous les deux, et où ils sont reconnus comme tels par toutes les personnes de leur entourage ».

Selon les chiffres de l'institut national d'études démographiques (INED) de février 2013 71 ( * ) , 200 000 personnes se déclaraient en couple de même sexe et environ une personne en couple de même sexe sur dix indiquait vivre avec au moins un enfant, soit 20 000 à 40 000 enfants vivant au sein d'une famille homoparentale.

Selon cette étude, basée sur des chiffres de 2011, la plupart des enfants vivant au sein d'un couple de personnes de même sexe sont nés avant la formation de l'union actuelle.

Cette réalité semble avoir évolué ces dernières années comme le révèlent les travaux de Mme Martine Gross, M. Jérôme Courduriès, Mme Ainhoa de Federico 72 ( * ) . Au sein des couples de femmes interrogés en 2012, 51 % des enfants ont été conçus par insémination artificielle avec donneur, 18 % sont issus d'une relation hétérosexuelle, 13 % d'un donneur connu et 2 % d'adoptions.

Le recours à la PMA à l'étranger par les couples de femmes semble s'être accéléré récemment. Pour les enfants les plus âgés, la proportion d'enfants issus d'une union hétérosexuelle est bien plus importante que la proportion d'enfants conçus par insémination artificielle avec donneur (IAD) : 52 % des enfants de plus de 5 ans contre 24 %. Cette tendance s'inverse complètement pour les enfants plus jeunes. Seuls 2 % des enfants de moins de 5 ans sont issus d'une relation hétérosexuelle alors que 74 % ont été conçus par IAD.

Modalités d'arrivée selon l'âge de l'aîné des enfants élevés
par un couple lesbien

Sources : Étude Martine Gross, Jérôme Courduriès, Aihnoa de Federico, « Physionomie des familles homoparentales », in Homosexualité et parenté , Paris, Armand Colin, 2014, p. 209, à partir de l'enquête nationale FHP (« fonctionnement conjugal et familial des familles homoparentales ») 2012.

De plus, comme le relève le rapport Filiation, origines, parentalité , ce qui fonde actuellement la parentalité dans le recours à l'assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, c'est le projet parental commun. Celui ou celle qui ne procrée pas est autant « vrai » parent que l'autre. Cette intention et ce projet parental existent de la même façon chez les couples de femmes. La seule différence est que ne se greffe pas sur le processus une « vraisemblance procréative » comme pour les couples de personnes de même sexe.

En ouvrant l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes, le législateur mettrait fin aux situations de contournement de la loi française qui ont donné lieu à d'abondantes tergiversations jurisprudentielles ( cf. supra ).

Plusieurs propositions de loi émanant de députés 73 ( * ) ou de sénateurs 74 ( * ) ont été déposées au cours des dernières années pour prévoir cette possibilité.

b) Les difficultés posées par la mise en oeuvre d'une telle réforme


• La suppression de l'exigence d'une infertilité médicalement diagnostiquée des conditions d'accès à l'AMP

L'ouverture de l'assistance médicale à la procréation suppose de supprimer, au sein de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique, l'exigence d'un couple formé d'un homme et d'une femme. Elle suppose également la prise en compte, à côté de l'infertilité pathologique diagnostiquée qui affecte parfois les couples hétérosexuels, de l'infertilité « sociale » qui touche nécessairement les couples de femmes, pour reprendre l'expression utilisée par Mme Élisabeth Badinter, lors de son audition par vos rapporteurs.

La suppression de l'exigence d'une infertilité médicalement constatée emporte cependant un bouleversement de la conception française de l'assistance médicale à la procréation puisqu'elle ouvre la voie d'un « droit à l'enfant » et d'une procréation de convenance.

Quant à la question de l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation aux femmes célibataires, son extension ne serait pas automatique. En effet, en maintenant les conditions tenant à l'exigence d'un couple, marié ou non, vivant, en âge de procréer, le législateur pourrait maintenir l'exigence selon laquelle l'enfant qui naît d'une AMP doit avoir deux parents, comme c'est le cas actuellement lorsqu'un couple hétérosexuel a recours à ce type de procédés.

En effet, confronté à la question de l'insémination post mortem , lors de l'examen de la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, le Sénat avait considéré qu'il n'était pas dans l'intérêt de l'enfant de naître privé de l'un de ses deux parents 75 ( * ) .

Les couples de femmes, comme les couples hétérosexuels actuellement, devraient se soumettre aux dispositions de l'article 311-20 du code civil qui dispose que le couple doit donner son consentement à l'assistance médicale à la procréation au juge ou au notaire et verra ensuite sa filiation obligatoirement établie à l'égard de l'enfant.

Le maintien de ces conditions permettrait également d'écarter les demandes de personnes qui ne seraient plus en âge de procréer.


Une remise en cause de l'ensemble du système français d'établissement de la filiation

Une telle réforme aurait une incidence importante sur les règles d'établissement de la filiation car actuellement, à la suite d'une assistance médicale à la procréation, à quelques spécificités près, ce sont les règles du droit commun qui s'appliquent 76 ( * ) . Or, ces procédés légaux d'établissement du lien de filiation ne pourraient être appliqués aux couples de personnes de même sexe car la filiation est distribuée en fonction du sexe de l'auteur.

Si le choix était fait de calquer la situation des personnes de même sexe sur celle des personnes de sexes différents, de nouvelles règles d'établissement de la filiation devraient être prévues pour tous les couples, car cet établissement ne pourrait plus se fonder, comme actuellement, sur une vraisemblance biologique. La filiation serait alors établie, comme le propose le rapport Filiation, origines, parentalité précité, par une « déclaration commune anticipée de filiation » devant juge ou notaire.

Cette modification aurait pour conséquence de bouleverser les modalités actuelles d'établissement de la filiation en matière d'AMP, fondée sur le « ni vu ni connu », en assumant l'idée d'une « dissociation du biologique et du filiatif », par l'abandon de « l'assimilation de l'engendrement avec tiers donneur à une pseudo procréation charnelle du couple receveur » 77 ( * ) .

Elle supposerait d'assumer de fonder la filiation sur la responsabilité et l'engagement dans le projet parental plutôt que sur la seule vraisemblance procréative.

Si, à l'inverse, le choix était fait de ne pas bouleverser l'équilibre des règles d'établissement de la filiation, alors le législateur devrait créer un régime spécifique d'établissement du lien de filiation de l'enfant né d'une assistance médicale à la procréation au sein d'un couple de femmes. La filiation à l'égard de la mère qui accouche serait établie dans les conditions de droit commun 78 ( * ) . En revanche, le lien de filiation à l'égard de sa conjointe devrait passer par une adoption.

Cette solution n'apparaît pas satisfaisante à vos rapporteurs, dans la mesure où, pour une même procédure d'assistance médicale à la procréation, les couples se verraient appliquer un régime d'établissement du lien de filiation à l'égard de leur enfant différent, selon qu'ils sont de même sexe ou de sexes différents.

Une telle solution aurait également pour inconvénient d'imposer que les couples de personnes de même sexe soient mariés pour avoir accès à l'AMP alors que cette condition n'existe pas pour les couples de personnes de sexes différents. En effet, les règles applicables en matière d'adoption plénière prévoient actuellement que l'enfant de l'un des membres du couple ne peut être adopté par l'autre membre que si le couple est marié.


L'insuffisance de donneurs

Au-delà des difficultés juridiques que pose cette proposition, le Défenseur des droits, M. Jacques Toubon, lors de son audition par vos rapporteurs, a relevé une difficulté pratique d'importance : l'insuffisance des dons de gamètes pour satisfaire l'ensemble des demandes qui ne manquerait pas d'augmenter avec l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes.

En effet, actuellement, comme l'ont souligné les représentants de l'association Les enfants d'arc en ciel , entendus par vos rapporteurs, les listes d'attente pour un tel don sont déjà de deux à trois ans.

Par ailleurs, se poserait également la question de la prise en charge de l'assistance médicale à la procréation pour les couples de femmes alors même que l'infertilité qui les touche ne revêt pas de caractère pathologique.


L'impossibilité de justifier cette ouverture par une exigence d'égalité entre les couples

Pour les promoteurs de l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes, cette réforme serait dictée par une exigence d'égalité et de non-discrimination entre les couples qu'ils soient homosexuels ou hétérosexuels.

Pour le Défenseur des droits, la question de l'AMP doit être envisagée « sous l'angle de l'égalité d'accès à une technique médicale entre toutes les femmes » 79 ( * ) . Il soutient en effet que l'AMP avec tiers donneur ne soigne pas l'infertilité mais la pallie, ce qui la rendrait applicable aux couples de femmes et aux femmes seules. « La stérilité et le souhait de s'engager dans un projet parental ne sont pas réservés aux seules femmes hétérosexuelles, la loi française autorisant d'ailleurs l'adoption par les couples homosexuels et les personnes célibataires. Un couple de femmes comme une femme célibataire peut donc avoir un projet parental. Ces femmes peuvent ainsi adopter un enfant dès sa naissance alors même qu'on leur refuse l'accès à la PMA. Dans le cas de la PMA [u] n père infertile dont la compagne a eu recours à un don de sperme, n'est pas considéré comme moins père que celui qui a procréé sans don. Tout comme une femme dont la compagne aurait recours à un don de gamètes. [...] Le fait que la PMA ne soit accessible aux femmes que si le projet parental est construit avec un homme, constitue donc une inégalité, d'une part, entre femmes en couples hétérosexuels et femmes en couples homosexuels et, d'autre part, entre femmes célibataires et femmes en couple ».

Selon les auteurs qui soutiennent également cette idée, si la CEDH admet une différence de traitement entre couples mariés et non mariés 80 ( * ) , elle refuse les différences de traitement, au sein d'un même statut, entre les couples homosexuels et les couples hétérosexuels 81 ( * ) . Dès lors que deux femmes seraient mariées, elles devraient donc avoir accès à l'assistance médicale à la procréation.

Vos rapporteurs font une lecture tout autre de l'application des principes d'égalité et de non-discrimination. Dans un arrêt du 15 mars 2012 Gas et Dubois c/ France 82 ( * ) , la Cour européenne des droits de l'homme a validé le dispositif français excluant les couples de personnes de même sexe de l'accès à l'AMP, considérant qu'en la matière une différence de traitement entre les couples hétérosexuels et homosexuels se justifiait par le critère d'infertilité pathologique du couple .

Dans cet arrêt, la Cour a jugé que « pour l'essentiel, l'insémination avec donneur n'est autorisée en France qu' au profit des couples hétérosexuels infertiles, situation qui n'est pas comparable à celle des requérantes 83 ( * ) . Il s'ensuit, pour la Cour, que la législation française concernant l'insémination avec donneur, ne peut être considérée comme étant à l'origine d'une différence de traitement dont les requérantes seraient victimes ».

Par ailleurs, dans sa décision n° 2013-669 DC du 17 mai 2013, Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe , le Conseil constitutionnel a considéré qu'« il résulte de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique que l'assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à l'infertilité pathologique, médicalement diagnostiquée d'un couple formé d'un homme et d'une femme en âge de procréer, qu'ils soient ou non mariés ; que les couples formés d'un homme et d'une femme sont, au regard de la procréation, dans une situation différente de celle des couples de personnes de même sexe ; que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes dès lors que la différence de traitement qui en résulte est en lien direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; que, par suite, ni le principe d'égalité ni l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi n'imposaient qu'en ouvrant le mariage et l'adoption aux couples de personnes de même sexe, le législateur modifie la législation régissant » 84 ( * ) l'assistance médicale à la procréation ou la gestation pour autrui .

Il n'y a donc pas plus de discrimination que d'inégalité à traiter différemment des situations différentes.

Pour l'ensemble des raisons développées ci-dessus, vos rapporteurs ont choisi de ne pas proposer d'ouvrir aux couples de femmes l'assistance médicale à la procréation.

3. La position de la mission d'information : conforter la solution équilibrée dégagée par la Cour de cassation dans ses deux avis du 22 septembre 2014

La troisième position consiste à s'en tenir à la situation actuelle, ce qui conduit à consacrer implicitement, voire explicitement par une intervention du législateur, la position prise par la Cour de cassation dans ses deux avis du 22 septembre 2014.

Il s'agit de reconnaître la possibilité pour l'épouse de la mère d'adopter l'enfant de celle-ci, quel que soit le mode de conception de cet enfant, sans pour autant modifier les conditions d'accès à l'assistance médicale à la procréation en France.

Cette reconnaissance peut se faire sans modifier la législation en vigueur, en s'en tenant aux seuls avis de la Cour de cassation. On ne pourrait toutefois exclure le risque de divergences jurisprudentielles si les juges du fond ne suivaient pas les avis de la Cour qui n'ont pas de force contraignante ( cf. supra ).

Elle peut également passer par une modification de la loi pour préciser, au sein des règles applicables à l'adoption de l'enfant du conjoint, que le mode de conception de l'enfant est indifférent.

Cependant, comme le soulignait M. le professeur Hugues Fulchiron : « c'est au législateur d'intervenir, dit-on. Mais on sait qu'il n'a guère envie de le faire. Et, après tout, n'est-ce pas aussi au juge de garantir à l'enfant le respect de ses droits ? » 85 ( * ) .

De fait, cette intervention du législateur a semblé inutile à vos rapporteurs car actuellement, le prononcé de l'adoption ne donne pas lieu à un contrôle des modes de conception de l'enfant, sauf dans certains cas particuliers que sont les situations d'inceste ou de gestation pour autrui, car elles touchent aux règles d'ordre public.

De plus, la précision selon laquelle le mode de conception de l'enfant est indifférent au prononcé de l'adoption risquerait d'affaiblir l'interdiction des conventions de gestation pour autrui posée par le droit français, que la mission d'information n'entend pas remettre en cause.

Enfin, proposer une intervention du législateur pour prévoir que l'adoption doit être prononcée quel que soit le mode de conception de l'enfant, tout en refusant de s'engager en faveur de l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation, risquerait de provoquer une certaine incompréhension de l'opinion publique.

En conséquence, vos rapporteurs, tout en admettant qu'une situation créée à l'étranger produise des effets en France, dès lors qu'elle ne heurte pas les principes essentiels du droit interne, ont considéré que la possibilité pour l'épouse de la mère d'adopter l'enfant de celle-ci, quel que soit son mode de conception, n'imposait pas nécessairement une modification des règles applicables à l'assistance médicale à la procréation.

Cette position est d'ailleurs conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qui, dans un arrêt S.H. c/ Autriche , rendu en grande chambre, le 3 novembre 2011 86 ( * ) , a admis qu'une telle situation créée à l'étranger produise des effets en droit interne. Ainsi, à propos de l'interdiction des dons de sperme et d'ovules à des fins de fécondation in vitro , posée par le législateur autrichien, elle a observé que « le droit autrichien n'interdi [sait] pas aux personnes concernées de se rendre à l'étranger pour y subir des traitements contre la stérilité faisant appel à des techniques de procréation médicalement assistée interdites en Autriche et que, en cas de réussite des traitements en question, la filiation paternelle et la filiation maternelle [étaient] régies par des dispositions précises du code civil qui respectent les souhaits des parents ».

Cependant, de même que les deux précédentes pistes développées ci-dessus 87 ( * ) , cette troisième solution, qui est celle retenue par vos rapporteurs, n'est pas dénuée d'inconvénients.

Elle crée un régime un peu particulier pour ces situations qui, bien que relevant d'hypothèses d'assistance médicale à la procréation, n'obéissent pas aux règles d'établissement de filiation qui s'y attachent en droit français, mais sont soumises à celles applicables à l'adoption plénière. Dès lors, seuls les couples de femmes recourant à l'AMP devront passer par l'adoption alors que les couples de personnes de sexes différents qui ont recours à une AMP avec tiers donneur ne passent pas par ce biais. En effet, l'assistance médicale à la procréation avec donneur repose sur l'idée que le parent stérile engendre bien l'enfant, même s'il ne procrée pas, comme en témoigne les modes d'établissement de la filiation, qui sont ceux du droit commun.

Il en résulte une extension du rôle de l'institution de l'adoption qui, traditionnellement, vise à donner une famille à un enfant qui n'en a pas ou qui en est partiellement privé. En permettant l'adoption de l'enfant conçu par assistance médicale à l'étranger par un couple de femmes, l'enfant est délibérément conçu avec donneur, sans père donc, pour laisser libre une branche de la filiation et le rendre adoptable par l'épouse de la mère.

Le rapport Filiation, origines, parentalité souligne d'ailleurs le caractère quelque peu hybride de cette solution. « L'enfant conçu par assistance médicale à la procréation n'a été ni volontairement privé de filiation, ni abandonné par quiconque. À l'inverse, il est venu au monde grâce au projet parental de deux personnes [...] . L'engendrement avec tiers donneur n'est pas fait pour donner des parents à un enfant qui en serait privé mais pour permettre à de futurs parents de réaliser leur désir d'enfant, enfant qui n'existe pas encore. C'est pourquoi le droit commun de l'assistance médicale à la procréation, tel qu'il existe aujourd'hui en France pour les couples de sexe différent, n'exige aucunement du parent qui n'a pas procréé (le père stérile, par exemple) qu'il adopte son propre enfant » 88 ( * ) .

De plus, avec cette solution, seuls les couples de femmes mariées peuvent recourir à ce procédé car seule l'épouse peut adopter l'enfant de sa conjointe en la forme plénière. Une telle exigence n'est pas posée pour les couples hétérosexuels qui n'ont pas à être mariés pour avoir accès à l'assistance médicale à la procréation

C'est pourtant cette voie que la mission d'information a choisi de suivre car ce mode d'établissement de la filiation, à l'égard de l'épouse de la mère, préserve la structure des règles françaises d'établissement de la filiation tout en tenant compte, de manière pragmatique, des situations de fait et de l'intérêt supérieur de l'enfant à voir sa filiation établie à l'égard de l'épouse de sa mère qui l'élève et lui prodigue tous les soins qu'un parent prodigue à son enfant.

Cette solution a le mérite de s'articuler sans difficultés avec les règles du droit français. La mère de l'enfant est bien celle qui accouche et l'adoption de l'enfant du conjoint a été rendue possible au sein d'un couple de même sexe par la loi du 17 mai 2013.

Enfin, cette troisième solution poursuit le processus engagé par la loi du 17 mai 2013 de remise en cause d'une conception dépassée de l'adoption, encore largement organisée selon un modèle « pseudo-procréatif » 89 ( * ) fondé sur le mensonge, processus qui devrait s'achever par une rénovation complète de l'institution de l'adoption, appelée de leurs voeux par vos rapporteurs, pour lui donner une nouvelle cohérence.

Proposition n° 1

Approuver la solution dégagée par le Cour de cassation dans ses deux avis du 22 septembre 2014 qui permet, de manière pragmatique, d'admettre l'adoption, par l'épouse de la mère, de l'enfant conçu par AMP à l'étranger, sans pour autant remettre en cause le droit applicable en la matière et bouleverser l'équilibre des règles d'établissement de la filiation en vigueur.


* 50 Termes utilisés par la Cour de cassation dans un arrêt du 31 mai 1991 rendu à propos de la gestation pour autrui. Assemblée plénière de la Cour de cassation, 31 mai 1991, req. n° 90-20105.

* 51 Proposition de loi visant à restreindre le recours à la procréation médicalement assistée aux seuls couples hétérosexuels, n° 1446, déposée le 10 octobre 2013 à l'Assemblée nationale par M. Paul Salen et plusieurs de ses collègues ; proposition de loi visant à limiter l'accès à la procréation médicalement assistée aux seuls couples hétérosexuels confrontés à une infertilité médicale, n° 1456, déposée le 10 octobre 2013 à l'Assemblée nationale par M. Philippe Gosselin et plusieurs de ses collègues ; proposition de loi visant à interdire toute intervention médicale ayant pour but de concevoir un enfant à la demande de deux personnes de même sexe, n° 1683, déposée le 8 janvier 2014 à l'Assemblée nationale par Mme Annie Genevard et plusieurs de ses collègues.

* 52 L'article 6-1 du code civil dispose que « le mariage et la filiation adoptive emportent les mêmes effets, droits et obligations reconnus par les lois, à l'exclusion de ceux prévus au titre VII du livre I er du présent code, que les époux ou les parents soient de sexe différent ou de même sexe » . Le titre VII est le titre relatif à la filiation. Il comporte, au sein de son chapitre 1 er , une section 3 « De l'assistance médicale à la procréation ».

* 53 Considérants n° s 48 et 58.

* 54 Claire Neirinck, « Les avis de la Cour de cassation relatifs à l'adoption plénière par l'épouse de la mère et la consécration jurisprudentielle d'un droit à l'enfant » , Droit de la famille , n° 11, novembre 2014, comm. 160.

* 55 Cet alinéa prévoit que peuvent-être adoptés, « les enfants pour lesquels les père et mère ou le conseil de famille ont valablement consenti à l'adoption ».

* 56 Aude Mirkovic, « L'impossible adoption des "bébés Thalys " », RLDC , juillet-août 2014, n° 5501, p. 40 à 44.

* 57 Décision précitée, considérant n° 56.

* 58 Requête n° 36515/97.

* 59 CEDH arrêts Marckx c/ Belgique du 13 juin 1979, § 31 et Abdulaziz, Cabales et Balkandali c/ Royaume-Uni du 28 mai 1985, § 62.

* 60 En effet, actuellement, les personnes qui recourent à l'assistance médicale à la procréation en contradiction avec les règles de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique n'encourent pas de sanctions pénales, à moins que le don de gamètes ou d'embryon ait fait l'objet d'une rémunération. Les professionnels de santé sont seuls à encourir des sanctions pénales.

* 61 Cf. partie II infra .

* 62 Hugues Fulchiron, « Fraus omnia corrumpit ? À propos de la filiation des enfants nés par insémination artificielle avec don de sperme dans un couple de femmes », Recueil Dalloz , 2014.1162.

* 63 Rapport de Mme Rachel Le Cotty, conseiller référendaire à la Cour de cassation, sur la demande d'avis n° 1470006 p. 32 et sur la demande d'avis n° 1470007 p. 33.

* 64 Cf . article de M. Hugues Fulchiron précité.

* 65 Rapport de M. Jean Leonetti, fait au nom de la commission spéciale, sur le projet de loi relatif à la bioéthique, n° 3403, p. 98. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rapports/r3403.pdf .

* 66 Lettre de mission reproduite en p. 7 du rapport Filiation, origines, parentalité - Le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle , avril 2014.

* 67 Avis du Défenseur des droits n° 15-18. Cet avis est consultable à l'adresse suivante :

http://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/ddd_avis_20150703_15-18.pdf .

* 68 Avis n° 90 « Accès aux origines, anonymat et secret de la filiation », 24 novembre 2005, p. 18. Cet avis est consultable à l'adresse suivante :

http://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/publications/avis090.pdf .

* 69 Cf. encadré supra (partie I. A. 1).

* 70 Rapport de M. Jean-Pierre Michel, fait au nom de la commission des lois sur le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, Tome 1, n° 437 (2012-2013), p. 21.

* 71 Insee première, « Le couple dans tous ses états : non-cohabitation, conjoints de même sexe, Pacs... », Étude n° 1435, février 2013. Ce document est consultable à l'adresse suivante : http://www.insee.fr/fr/ffc/ipweb/ip1435/ip1435.pdf .

* 72 Étude Martine Gross, Jérôme Courduriès, Ainhoa de Federico, « Physionomie des familles homoparentales », in Homosexualité et parenté , Paris, Armand Colin, 2014, p. 207 et suivantes.

* 73 Proposition de loi relative à l'accès égalitaire pour toutes aux techniques d'assistance à la procréation, n° 1979, déposée à l'Assemblée nationale le 28 mai 2014 par M. Sergio Coronado et plusieurs de ses collègues.

* 74 Proposition de loi modifiant l'article L. 2141-2 du code de la santé publique relatif à l'assistance médicale à la procréation, n° 786 (2012-2013), déposée par M. Jean-Pierre Godefroy et plusieurs de ses collègues ; proposition de loi relative à l'accès égalitaire pour toutes aux techniques d'assistance à la procréation, n° 517 (2013-2014), déposée par Mme Esther Benbassa et plusieurs de ses collègues.

* 75 Cf. supra partie I, A, 1.

* 76 Cf. supra partie I, A, 3.

* 77 Termes utilisés par Mmes Irène Théry et Anne-Marie Leroyer, rapport précité, p. 152.

* 78 En application de l'article 311-25 du code civil.

* 79 Avis précité p. 5.

* 80 CEDH, 19 février 2013, X et autres c/ Autriche , n° 19010/07.

* 81 CEDH, 22 janvier 2008, E.B. c/ France , n° 43546/02.

* 82 Arrêt n° 25951/07.

* 83 Les requérantes étaient deux compagnes dont l'une souhaitait adopter l'enfant de sa conjointe, conçu par AMP avec donneur anonyme en Belgique.

* 84 Décision n° 2013-669 DC du 17 mai 2013, Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe , considérant n° 44.

* 85 Hugues Fulchiron, « Fraus omnia corrumpit... », art. préc.

* 86 Arrêt n° 57813/00.

* 87 Le renforcement de l'interdit du recours à l'AMP pour les couples de femmes ou à l'inverse l'ouverture de l'AMP à ces couples.

* 88 Rapport précité p. 163.

* 89 Termes utilisés dans le rapport Filiation, origines, parentalité par Mmes Irène Théry et Anne-Marie Leroyer.

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