B. UNE PROHIBITION AUJOURD'HUI PARTIELLEMENT REMISE EN CAUSE EN RAISON DE SES CONSÉQUENCES POUR L'ENFANT

1. D'un débat sur les principes justifiant la prohibition de la GPA à un débat sur les conséquences, pour l'enfant, de cette prohibition

Longtemps le débat sur la gestation pour autrui a porté sur des questions de principe : la dignité de la personne humaine, l'exploitation de la femme et la réification de l'enfant étaient dénoncées d'un côté, quand, de l'autre, les tenants de la GPA insistaient sur la possibilité de concevoir une GPA « éthique », sur le modèle des dons d'organes ou de tissus biologiques.

Sans que ces arguments disparaissent, le débat s'est peu à peu élargi à la question des conséquences, pour l'enfant, de la prohibition absolue de la GPA. Lors des procès, les parents d'intention ont commencé à développer, à côté d'une argumentation juridique relative à leur droit de mener une vie familiale normale, une argumentation relative à l'intérêt supérieur des enfants de voir leur filiation définitivement établie en France.

Commentant la décision de la Cour européenne que nous étudierons ci-après, deux auteurs ont récemment résumé la thèse ainsi défendue par une formule : « Ne punissez pas les enfants des fautes de leurs pères » 105 ( * ) . Comme nos collègues l'avaient relevé, à l'époque, dans leur rapport d'information, cet argument reprend celui de Jean Foyer, alors garde des sceaux, ministre de la justice, s'inspirant, de la sentence du prophète Ezéchiel, en 1972, à propos de la différence de traitement entre les enfants légitimes et les enfants adultérins : « ce n'est pas parce que les parents ont mangé le raisin vert que les enfants doivent avoir les dents agacées » 106 ( * ) .

La volonté de punir les parents pour la fraude qu'ils ont commis ne doit pas avoir pour conséquence de punir leurs enfants. Or, le lien de filiation étant bilatéral, on ne peut en priver les parents sans en priver dans le même temps, les enfants : tel est l'argument principal développé par toutes les personnes entendues par vos rapporteurs qui se sont exprimées en faveur de la reconnaissance de la filiation des parents d'intention.

Deux décisions de la Cour européenne des droits de l'homme leur ont partiellement donné raison sur ce point.

2. Des décisions de la Cour européenne des droits de l'homme à la portée incertaine


Les deux arrêts du 26 juin 2014

Les époux Mennesson et Labassée, dont le pourvoi en cassation avait été rejeté par les arrêts précités du 6 avril 2011, ont saisi la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) du refus que le Gouvernement français leur avait opposé de transcrire la filiation établie à l'étranger à l'état civil français. La Cour a rendu ses arrêts le 26 juin 2014 107 ( * ) , en adoptant une solution identique pour les deux.

Le raisonnement suivi par la Cour se décompose en trois étapes.

Tout d'abord, après avoir constaté la diversité des positions des États membres du Conseil de l'Europe à l'égard de la GPA, le juge européen observe que « cette absence de consensus reflète le fait que le recours à la gestation pour autrui suscite de délicates interrogations d'ordre éthique. Elle confirme en outre que les États doivent en principe se voir accorder une ample marge d'appréciation, s'agissant de la décision non seulement d'autoriser ou non ce mode de procréation mais également de reconnaître ou non un lien de filiation entre les enfants légalement conçus par gestation pour autrui à l'étranger et les parents d'intention ». La prohibition de la GPA est donc conforme à la Convention européenne des droits de l'homme. La Cour reconnaît même aux États une importante latitude pour décider de transcrire ou non les liens de filiation établis à l'étranger, sur ce fondement, en violation de leurs lois.

Toutefois, la Cour nuance cette affirmation en soulignant qu'il faut « également prendre en compte la circonstance qu'un aspect essentiel de l'identité des individus est en jeu dès lors que l'on touche à la filiation ». Elle en conclut qu'il est nécessaire « d'atténuer la marge d'appréciation » 108 ( * ) dont disposent les États en la matière.

Dans un deuxième temps de son raisonnement, elle examine l'atteinte éventuelle portée au droit des requérants au respect de leur vie familiale. Après avoir rendu compte des difficultés alléguées par les familles concernées, la Cour de Strasbourg observe que « les requérants ne prétendent pas que les difficultés qu'ils évoquent ont été insurmontables et ne démontrent pas que l'impossibilité d'obtenir en droit français la reconnaissance d'un lien de filiation les empêche de bénéficier en France de leur droit au respect de la vie familiale ». Elle constate à cet égard « qu'ils ont pu s'établir tous les quatre en France peu de temps avant la naissance des troisième et quatrième requérantes, qu'ils sont en mesure d'y vivre ensemble dans des conditions globalement comparables à celles dans lesquelles vivent les autres familles et qu'il n'y a pas lieu de penser qu'il y a un risque que les autorités décident de les séparer en raison de leur situation au regard du droit français » 109 ( * ) . Les juges en concluent que le refus de transcription de la filiation de GPA dans l'état civil français n'est pas contraire au droit au respect de la vie familiale des intéressés.

Enfin, la Cour s'attache au droit des enfants nés de GPA au respect de leur vie privée, dont elle estime qu'il exige que chacun puisse établir les détails de son identité d'être humain, ce qui inclut sa filiation.

Or, elle note que le refus de transcription opposé par les autorités françaises signifie que, « la France, sans ignorer que [les enfants] ont été identifi[és] ailleurs comme étant les enfants des premiers requérants, leur nie néanmoins cette qualité dans son ordre juridique » 110 ( * ) . Aux yeux de la Cour, pareille contradiction porte atteinte à leur identité au sein de la société française.

Cette atteinte est-elle excessive ? Pour répondre à cette question, qui détermine la solution de l'affaire, la Cour s'attache aux conséquences concrètes de ce refus de reconnaissance. Elle observe tout d'abord que la nationalité française des enfants est incertaine, ce qui, dans la mesure où la nationalité est un élément de l'identité des personnes, est de nature à « affecter négativement la définition de leur propre identité ». Elle relève, ensuite, que l'enfant ne pourra hériter de sa mère, voire de son père, même biologique, comme un enfant naturel et qu'il sera traité comme un tiers à la succession. Or, « il s'agit là aussi d'un élément lié à l'identité filiale dont les enfants nés d'une gestation pour autrui pratiquée à l'étranger se trouvent privés » 111 ( * ) .

La Cour ne conclut pas pour autant à ce stade à une violation du droit au respect de la vie privée des enfants. Au contraire, elle rappelle qu'il est concevable que la France souhaite décourager ses ressortissants de recourir à l'étranger à une méthode de procréation qu'elle prohibe sur son territoire. Elle note cependant que les effets de la non-reconnaissance des effets de la filiation entre les enfants et les parents d'intention ne se limitent pas seulement à la situation de ces derniers, seuls responsables du recours à la GPA prohibée par la France, mais s'étendent aussi à celle des enfants eux-mêmes. Pour la Cour, se pose ainsi « une question grave de compatibilité » entre la situation résultant de la non-reconnaissance de la filiation issue de la GPA et l'intérêt supérieur des enfants dont le respect doit guider toute décision les concernant.

Or, la Cour souligne que « cette analyse prend un relief particulier lorsque, comme en l'espèce, l'un des parents d'intention est également le géniteur de l'enfant. Au regard de l'importance de la filiation biologique en tant qu'élément de l'identité de chacun, on ne saurait prétendre qu'il est conforme à l'intérêt de l'enfant de le priver d'un lien juridique de cette nature alors que la réalité biologique de ce lien est établie et que l'enfant et le parent concerné revendiquent sa pleine reconnaissance » 112 ( * ) . Constatant que les derniers états de la jurisprudence de la Cour de cassation interdisent toute consécration par la voie d'une reconnaissance de paternité ou de l'adoption ou par l'effet d'une possession d'état de la filiation prohibée à l'égard du père biologique des enfants et compte tenu du poids qui doit être donné à l'intérêt supérieur des enfants dans la balance des intérêts en présence, la Cour estime que la France a porté une atteinte excessive au droit à la vie privée des enfants nés d'une GPA pratiquée à l'étranger.

• Une portée discutée

La doctrine s'est divisée sur l'interprétation qui devait être faite des deux arrêts.

Certains auteurs en ont défendu une lecture extensive 113 ( * ) : selon eux, en établissant la filiation comme un élément de l'identité personnelle, la Cour a imposé aux États de reconnaître dans leur ordre juridique la filiation établie à l'étranger, même en fraude de la loi nationale. Cette thèse s'appuie sur l'affirmation de la Cour selon laquelle « les effets de la non-reconnaissance [du lien de filiation] portent aussi sur [la situation] des enfants eux-mêmes, dont le droit au respect de la vie privée, qui implique que chacun puisse établir la substance de son identité, y compris sa filiation, se trouve significativement affecté. Se pose donc une question grave de compatibilité de cette situation avec l'intérêt supérieur des enfants ».

Cette thèse qu'on pourrait qualifier de maximaliste ne distingue pas entre les filiations d'intention et les filiations biologiques : quelle que soit leur nature, elles devraient être reconnues en droit français.

À l'inverse, la majorité des auteurs a retenu une lecture plus stricte des arrêts de la Cour de Strasbourg 114 ( * ) . Cette interprétation prend en compte l'ensemble du raisonnement de la Cour : « celle-ci commence par poser l'existence d'une atteinte, une atteinte réelle puisque l'identité que possède, valablement, l'enfant dans un pays étranger lui est niée dans son pays de résidence [...]. Mais la portée de cette atteinte doit être appréciée au regard des droits et des intérêts en jeu : intérêts de l'État (le souci de l'État de détourner ses ressortissants de recourir à l'étranger à des procédés qu'il prohibe [...]), intérêts et de droits de l'enfant [...]. Il convient de faire la balance entre les intérêts en présence, et, dans cette balance, il est un élément décisif : lorsque la filiation en jeu correspond à la vérité biologique, refuser de reconnaître le lien qui a été valablement établi à l'étranger et interdire son établissement dans le pays où vit l'enfant, excède la marge d'appréciation reconnue aux États. [...] Cette seconde interprétation semble devoir s'imposer. D'une part, elle correspond à la méthode classique utilisée par la cour, avec la balance des droits et des intérêts en présence. D'autre part, poser un principe général de reconnaissance de l'état tel que constitué à l'étranger au motif que cet état est une part de l'identité serait tout à fait excessif, qu'il s'agisse de nom, de mariage, de filiation, de partenariat ou de tout autre composante de l'état des personnes » 115 ( * ) .

Selon vos rapporteurs, cette dernière interprétation, plus stricte, s'impose, car il serait contradictoire que la Cour européenne reconnaisse aux États la possibilité d'interdire les maternités pour autrui en les obligeant, dans le même temps, à en accepter toutes les conséquences dans leur ordre juridique. Ce n'est que lorsque la filiation alléguée correspond à la réalité biologique, que l'État concerné doit en tenir compte.

D'ailleurs un arrêt ultérieur de la Cour a tranché le débat en faveur de cette seconde interprétation. Dans l'affaire Paradisio et Campanelli , un couple italien alléguait avoir eu recours à une gestation pour autrui en Russie, mais l'enfant ne présentait aucun lien biologique avec l'un ou l'autre des parents. Les juges de Strasbourg ont alors estimé qu'en faisant « une application stricte du droit national pour déterminer la filiation et en passant outre le statut juridique créé à l'étranger, les juges nationaux n'ont pas pris une décision déraisonnable » 116 ( * ) : en l'absence de lien biologique, les États sont fondés à rejeter les demandes de reconnaissance des filiations étrangères contraires à leur ordre public.

Un point demeure toutefois débattu : nul ne conteste que cette priorité accordée au lien biologique vaille pour la filiation paternelle. Qu'en est-il, en revanche, pour la filiation maternelle ?

Les articles 325 et 332 du code civil, consacrés, respectivement, à l'action en recherche de maternité et à l'action en contestation de maternité, déclinent le principe ancien selon lequel la mère est celle qui accouche 117 ( * ) . Notre droit ne reconnaît pas le principe de la filiation biologique maternelle.

La maternité biologique ne peut en effet être dissociée de la maternité par l'accouchement que dans deux situations : lorsque les parents ont eu recours, dans le cadre d'une AMP, aux ovocytes d'une tierce donatrice, ou lorsqu'ils se sont engagés dans un processus de gestation pour autrui, la mère porteuse ayant porté un embryon issu des ovocytes de la mère d'intention.

Le premier cas est réglé, comme on l'a vu dans la partie précédente, par l'article 311-19 du code civil qui interdit l'établissement d'un quelconque lien de filiation entre l'auteur du don et l'enfant issu de la procréation médicalement assistée. Le second cas est celui de la gestation pour autrui, qui fait l'objet d'une prohibition d'ordre public.

Sauf à remettre en cause les principes fondamentaux du droit français de la filiation, il n'est donc pas possible de faire prévaloir le lien biologique maternel sur la réalité de l'accouchement. Comme l'observent M. et Mme les professeurs Hugues Fulchiron et Christine Bidaud-Garon, « en l'état actuel du droit, la règle mater semper certa semble donc faire barrage à l'établissement de la maternité biologique de la mère d'intention. La mère d'intention qui apporte ses gamètes n'est pas dans la même situation que le père biologique : la réalité de la grossesse et de l'accouchement s'impose comme une évidence, l'égalité homme/femme, père/mère trouve ici ses limites. Seule une réforme du droit de la filiation permettrait de franchir l'obstacle, mais il faudrait alors repenser la notion de filiation elle-même... » 118 ( * ) .

En l'absence d'une déclaration expresse de la Cour européenne des droits de l'homme, il serait hasardeux de conclure des décisions qu'elle a rendues que ce qui vaut pour la filiation biologique paternelle vaut aussi pour la filiation biologique maternelle, quelle qu'en soit les conséquences sur la remise en cause, pour le pays concerné, des principes fondamentaux de son système de filiation 119 ( * ) . Une telle interprétation aurait en effet pour conséquence de réduire comme peau de chagrin la marge d'appréciation que la Cour a pourtant entendu conserver aux États, s'agissant de la prohibition de la gestation pour autrui.

En outre, elle supposerait préalablement que la Cour assimile exclusivement la filiation biologique à une filiation génétique. Or, comme M. le professeur Jean-Claude Ameisen, président du Comité consultatif national d'éthique, l'a indiqué à vos rapporteurs lors de son audition, les études médicales montrent qu'on ne peut tenir pour rien la part prise par la gestation dans la détermination biologique de l'enfant : les gènes ne sont pas tout et l'épigénétique 120 ( * ) gestationnelle influence aussi le devenir du foetus.

Pour l'ensemble de ces raisons, il paraît plus légitime à vos rapporteurs de considérer que la jurisprudence de la Cour de Strasbourg ne concerne, à ce stade, que les filiations biologiques paternelles.

3. La prise en compte limitée de ces décisions par le Gouvernement et les juridictions françaises : un appel au législateur ?

La condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme a deux conséquences. La première est l'obligation pour notre pays d'indemniser les requérants pour le tort qui leur a été causé. La seconde, plus indirecte, est l'obligation de mettre fin, pour l'avenir, à la contrariété de l'ordre juridique interne avec les prescriptions de la Convention européenne des droits de l'homme.

Le juge administratif et le Gouvernement ont devancé cet appel sur un point : l'octroi aux enfants nés de GPA à l'étranger d'un certificat de nationalité, qui leur permet d'établir, en l'absence de contestation judiciaire, leur nationalité française.

Le juge judiciaire, quant à lui, s'est trouvé limité par les caractéristiques des affaires relatives à des GPA étrangères portées devant lui. Il n'a ainsi pu livrer qu'une esquisse de solution, ce qui laisse au législateur toute latitude pour trancher dans un sens ou un autre.

a) La circulaire de la garde des sceaux sur la délivrance de certificats de nationalité aux enfants nés de GPA à l'étranger et sa validation par le Conseil d'État

La lutte des autorités françaises contre le recours à des GPA à l'étranger a parfois conduit à des situations inextricables. Tel fut le cas des refus de délivrance de documents de voyage et de certificats de nationalité.

Pour rapatrier en France l'enfant né à l'étranger dans le cadre d'une GPA, ses parents doivent obtenir de la part des autorités consulaires françaises un passeport ou un document de voyage, ce qui suppose de lui reconnaître, au moins à titre conservatoire, la nationalité française. En effet, aux yeux du pays où la GPA s'est déroulée, l'enfant n'a pas la nationalité de la mère porteuse, mais celle de ses parents d'intention. La difficulté est que reconnaître, même implicitement, à l'enfant la nationalité française, suppose de reconnaître préalablement sa filiation vis-à-vis d'un ressortissant français. Plusieurs consulats, confrontés à de telles situations, s'étaient fondés sur la prohibition d'ordre public de la gestation pour autrui pour refuser de délivrer un passeport ou un document de voyage aux enfants susceptibles d'être nés par GPA.

Saisi en référé de tels refus, le Conseil d'État les avait invalidés le 4 mai 2011 et ordonné la délivrance d'un document de voyage afin de rapatrier les enfants en France.

Le juge avait en effet estimé, d'une part, qu'en vertu de l'article 47 du code civil, les agents consulaires sont tenus de considérer comme probants les actes civils étrangers régulièrement produits devant eux sauf lorsqu'il est établi que ces actes sont irréguliers, falsifiés ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Il avait considéré, d'autre part, « que la circonstance que la conception de ces enfants [...] aurait pour origine un contrat entaché de nullité au regard de l'ordre public français serait, à la supposer établie, sans incidence sur l'obligation, faite à l'administration par les stipulations de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant, d'accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant » 121 ( * ) .

La question s'était ensuite posée du refus de délivrance, en France ou à l'étranger, d'un certificat de nationalité française à des enfants suspectés d'être nés d'une GPA. La garde des sceaux avait ordonné, par circulaire 122 ( * ) , aux procureurs de la République de faire droit aux demandes qui leur étaient adressées, sans tenir compte de la suspicion éventuelle de GPA, dès lors que le lien de filiation avec un ressortissant français est établi par un acte d'état civil étranger probant au regard de l'article 47 du code civil précité.

La circulaire ayant été contestée devant le Conseil d'État, ce dernier a eu l'occasion d'affirmer « que la seule circonstance que la naissance d'un enfant à l'étranger ait pour origine un contrat qui est entaché de nullité au regard de l'ordre public français ne peut, sans porter une atteinte disproportionnée à ce qu'implique, en termes de nationalité, le droit de l'enfant au respect de sa vie privée, garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, conduire à priver cet enfant de la nationalité française à laquelle il a droit, en vertu de l'article 18 du code civil et sous le contrôle de l'autorité judiciaire, lorsque sa filiation avec un Français est établie ».

Cette décision, rendue après les décisions de juin 2014 de la Cour européenne des droits de l'homme, en partage le fondement juridique : la nationalité est un élément de l'identité de l'enfant, dont il ne peut être privé dès lors que sa filiation avec un Français est établie dans un acte d'état civil étranger probant. Sauf à ce que le ministère public conteste la validité de cet acte au regard de l'ordre public français, il doit délivrer à l'enfant concerné le certificat de nationalité demandé.

Cette décision a conforté la situation juridique, en France, des enfants nés de GPA à l'étranger, puisqu'elle leur a assuré le bénéfice de la nationalité française tant que leur filiation n'est pas contestée.

b) Les décisions de la Cour de cassation en date du 3 juillet 2015

Ni le Gouvernement ni le législateur n'ayant indiqué de quelle manière ils entendaient tenir compte des décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, les regards se sont naturellement tournés vers la Cour de cassation.

Celle-ci fut en effet saisie de deux recours dirigés contre deux arrêts de la cour d'appel de Rennes, qui avaient trait à une demande de transcription d'acte de naissance sur lequel planait une suspicion de GPA. Le premier arrêt, rendu le 15 avril 2014, était antérieur aux décisions Mennesson et Labassée de la CEDH. S'inscrivant dans le droit fil de la jurisprudence de la Cour de cassation, il avait validé le refus de transcription, afin de faire échec à la fraude que constituait le recours à la GPA. En revanche, le second arrêt, rendu postérieurement aux décisions de la CEHD, le 16 décembre 2014, avait conclu que l'existence d'une convention de GPA ne faisait pas obstacle à la transcription de l'acte de naissance étranger.

Un intense débat a précédé le jugement de la Cour de cassation, alimenté, notamment, par l'avis du procureur général près cette Cour, M. Jean-Claude Marin, qui avait défendu l'option consistant à n'accepter que la transcription de la seule filiation biologique paternelle des enfants nés de GPA.

Les deux affaires, qui étaient similaires, présentaient toutefois une spécificité par rapport à d'autres cas de recours à une GPA : les actes de naissance étrangers désignaient la mère porteuse comme mère de l'enfant. En effet, les deux couples ayant eu recours à ces mères porteuses, en Russie, étaient des couples d'hommes. Un seul des membres de chaque couple avait revendiqué sa paternité sur l'enfant. En l'absence d'une mère d'intention, la mère porteuse avait été reconnue mère de l'enfant. Il était probable qu'elle abandonne ensuite l'enfant, afin de le rendre adoptable par le compagnon du père légalement reconnu.

La demande de transcription des actes de naissance russes constituait donc une première étape dans un processus complet de reconnaissance de la filiation créée grâce à une opération de GPA.

La Cour de cassation s'est tenue aux circonstances très particulières de ces affaires et elle a rendu deux décisions qui ne tranchent que très partiellement la question de la reconnaissance de la filiation établie à l'étranger par GPA.

En effet, après avoir constaté que les actes de naissance étrangers n'étaient ni irréguliers, ni falsifiés et que les faits qu'ils relataient correspondaient bien à la réalité, elle a estimé que la seule circonstance que la naissance serait l'aboutissement d'un processus de GPA ne pouvait justifier que les autorités françaises refusent de les transcrire à l'état civil.

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ces décisions.

En premier lieu, l'une des décisions, celle antérieure aux arrêts de la CEDH, est rendue au visa de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme. Ceci confirme que la Cour reprend, au moins partiellement, l'analyse de la CEDH, sur le droit à l'identité des enfants.

En deuxième lieu, les juges de cassation abandonnent leur jurisprudence antérieure selon laquelle la fraude que constitue la GPA corrompt tout et interdit de reconnaître en droit français l'acte d'état civil étranger.

On ne peut toutefois exclure que cet abandon ne soit que partiel. En effet, la Cour s'attache à ce que les faits relatés correspondent à la réalité. Qu'en serait-il si l'acte de naissance désignait la mère d'intention comme mère de l'enfant ? De la même manière, il est vraisemblable que les pères concernés solliciteront l'adoption de l'enfant par leur conjoint. La fraude, dans ce cas, pourrait permettre l'éviction de celle qui est la mère aux yeux du droit français, ce qui constituerait un contournement complet de la loi française. Les juges s'estimeront-ils fondés ou non à s'y opposer pour le même motif ? Valider l'adoption irait bien au-delà de ce qu'exige la Cour de Strasbourg. La refuser redonnerait vigueur à la jurisprudence relative à la fraude.

Finalement, les deux décisions rendues le 3 juillet 2015 par la Cour de cassation engagent une inflexion seulement partielle de sa jurisprudence, dans la ligne de celle de la Cour européenne des droits de l'homme. Sans doute doit-on voir là le dernier appel du juge de cassation au législateur pour trancher une question éthique majeure, avant, à défaut, d'être contraint de le décider lui-même.

La réponse apportée par d'autres pays européens

Comme la France, l'Allemagne 123 ( * ) , l'Espagne 124 ( * ) et l'Italie 125 ( * ) prohibent la GPA et déclarent nulles les conventions de maternité pour autrui. Toutefois, leur position varie quant à la transcription des actes étrangers établissant la filiation en vertu d'une loi qui admet et organise le recours à la GPA sur les registres nationaux de l'état civil.

En Espagne , les juges, après avoir un temps accepté de reconnaître les actes de naissance établis à l'étranger à la suite d'une GPA et de leur faire produire effets, ont récemment modifié leur jurisprudence. Ainsi, le Tribunal supremo, dans une décision du 6 février 2014 126 ( * ) adoptée à 5 voix contre 4, a encadré strictement les possibilités d'établissement de la filiation des enfants nés à l'étranger par gestation pour autrui, considérant que l'ordre public espagnol s'oppose à ce qu'une filiation établie par des actes étrangers en vertu d'une loi qui admet et organise le recours à la GPA soit transcrite sur les registres espagnols de l'état civil. Toutefois, dans le même temps, la Haute juridiction a pris le soin de préciser que l'enfant n'est pour autant pas privé de ses droits, dans la mesure où le droit espagnol autorise par ailleurs l'établissement de la filiation paternelle biologique d'un enfant né grâce à une GPA selon les règles de droit commun, et que l'adoption peut en outre permettre ensuite d'établir le lien de filiation vis-à-vis du parent d'intention.

L'Allemagne a quant à elle assouplit sa position en matière de transcription des actes étrangers  à la suite des décisions Labassée et Mennesson de la Cour européenne des droits de l'homme. La Cour fédérale de justice allemande, dans une décision du 10 décembre 2014 127 ( * ) , a ainsi ordonné la transcription de la filiation d'intention telle qu'établie à l'étranger par un jugement sur les registres allemands de l'état civil. Le raisonnement de la Cour s'est essentiellement fondé sur la reconnaissance du jugement californien ayant déclaré la filiation à l'égard des deux hommes du couple. Il ne s'agissait donc pas de reconnaître une situation de fait, mais de ne pas remettre en cause une décision prise par des juges étrangers après un examen au fond, par ces derniers, de cette situation.

L'Italie de son côté défend une position stricte et conteste la décision de la Cour européenne des droits de l'Homme. Dans un arrêt du 11 novembre 2014 128 ( * ) , la Corte suprema di cassazione a, en l'absence de lien biologique entre parents et enfant, refusé la transcription de l'acte de naissance aux registres d'état civil italiens au nom de la contrariété de la GPA à l'ordre public italien, et confirmé le placement de l'enfant en vue de son adoption.

Condamné pour une décision semblable concernant des faits quasi similaires par la CEDH dans l'arrêt Paradiso et Campanelli précité, l'État italien a formé un recours devant la Grande chambre, qui a tenu son audience le 9 décembre 2015.


* 105 Hugues Fulchiron, Christine Bidaud-Garon, « Ne punissez pas les enfants des fautes de leurs pères », Rec. Dalloz , 2014.773.

* 106 Contribution à la réflexion sur la maternité pour autrui , Rapport d'information n° 421 (2007-2008), préc., p. 69.

* 107 CEDH, 26 juin 2014, Menneson , affaire n° 65192/11 et même jour, Labassée , affaire n° 65491/11.

* 108 Paragraphes 79 et 80 de la décision Mennesson précitée.

* 109 Paragraphes 92 et 93 de la même décision.

* 110 Paragraphe 96 de la même décision.

* 111 Paragraphes 97 et 98 de la même décision.

* 112 Paragraphes 99 et 100 de la même décision.

* 113 Cf. notamment, les commentaires de Mme Laurence Burguogue-Larsen, AJDA 2014.1763 et de M. Benoît Haftel, AJ famille 2014. 499.

* 114 Cf. notamment, les commentaires de M. Pascal Bonfils et de Mme Adeline Gouttenoire, Recueil Dalloz 2014.1787, de M. Louis d'Avout, Recueil Dalloz 2014.1806 ou l'article précité de M. Hugues Fulchiron et Mme Christine Bidaud-Garon, « Ne punissez pas les enfants des fautes de leurs pères ».

* 115 Hugues Fulchiron et Christine Bidaud-Garon, « Reconnaissance ou reconstruction. À propos de la filiation des enfants nés par GPA, au lendemain des arrêts Labassé, Mennesson et Campanelli-Paradisio de la Cour européenne des droits de l'homme », Revue critique de droit international privé , janvier-mars 2015, p. 5

* 116 CEDH, 27 janvier 2015, Paradisio et Campanelli c. Italie , req. n° 25358/12. En revanche, l'État italien a été condamné pour avoir retiré leur enfant aux parents et l'avoir confié à une autre famille. La Cour a toutefois estimé que, compte tenu du temps écoulé depuis le placement de l'enfant, on ne pouvait imposer aux autorités italiennes de remettre l'enfant à ses parents d'origine.

* 117 Aux termes de l'adage latin « mater semper certa est » (la mère est toujours certaine).

* 118 Hugues Fulchiron et Christine Bidaud-Garon, « Ne punissez pas les enfants des fautes de leurs pères », précité.

* 119 Il convient, à cet égard, d'observer que les affaires Mennesson et Labassée mettent en cause non pas, à proprement parler, des gestations pour autrui, mais des procréations pour autrui : les mères d'intention n'avaient pas de lien biologique avec les enfants nés des gestatrices. La question de leur maternité « biologique » ne se posait donc pas.

* 120 Selon la définition qu'en donne l'Inserm, sur son site internet, « alors que la génétique correspond à l'étude des gènes, l'épigénétique s'intéresse à une " couche " d'informations complémentaires qui définit comment ces gènes vont être utilisés par une cellule... ou ne pas l'être. En d'autres termes, l'épigénétique correspond à l'étude des changements dans l'activité des gènes, n'impliquant pas de modification de la séquence d'ADN et pouvant être transmis lors des divisions cellulaires ».

* 121 Ordonnance du juge des référés du Conseil d'État du 4 mai 2014, Ministère d'État, ministre des affaires étrangères et européenne c. Morin , req. n° 348778.

* 122 Circulaire du ministre de la justice du 25 janvier 2013 relative à la délivrance des certificats de nationalité française , n° JUSC1301528C.

* 123 Loi sur la protection de l'embryon du 13 décembre 1990 [ Gesetz zum Schutz von Embryonen, Embryonenschutzgesetz -ESchG ], entrée en vigueur en 1991.

* 124 Ley sobre técnicas dereproducción humana asistida n° 14/2006 du 26 mai 2006, entrée en vigueur le 28 mai 2006.

* 125 Norme in materia di procreazione medicalmente assistita n° 40 du 19 février 2004.

* 126 Tribunal supremo, 6 février 2014, n° 835/2013, Rafael Saraza Jimena .

* 127 Bundesgerichtshof 10 Dezember 2014 - XII ZB 463/13 - Kammergericht Berlin.

* 128 Cassazione civile sez.I, 11 nov. 2014 n° 24001.

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