II. UNE MONTÉE EN PUISSANCE PROGRESSIVE DES ACTEURS DU CONTRÔLE

A. LA MISE EN PLACE DE LA CNCTR, EN PHASE DE MONTÉE EN PUISSANCE

1. Le maintien et le renforcement des moyens de contrôle de la CNCIS

L'effectivité du contrôle exercé par la CNCIS sur les interceptions de sécurité était principalement liée à la centralisation des éléments collectés . En particulier, la possibilité de consulter aussi bien les données relatives aux autorisations que les retranscriptions écrites des conversations comme des conversations elles-mêmes avaient été identifiée par la commission des lois du Sénat comme un élément déterminant du contrôle, conditionnant en réalité l'effectivité de celui-ci 24 ( * ) .

Les dispositions applicables à la CNCIS ont été maintenues au bénéfice de la CNCTR, qui dispose d'un accès aux données relatives aux interceptions de sécurité dans les mêmes conditions que pour la CNCIS. La CNCTR note une nette augmentation du nombre de demandes d'interceptions de sécurité qui lui sont soumises par rapport à celles présentées à la CNCIS.

En effet, à l'initiative de M. Philippe Bas, président de la commission des lois du Sénat et membre à ce titre de la délégation, rapporteur de la loi relative au renseignement, un amendement a été adopté par la commission des lois pour préciser que « la CNCTR dispose d'un accès direct, immédiat et permanent aux données recueillies, aux transcriptions et aux extractions effectuées par le GIC ». M. Philipe Bas a par ailleurs souhaité insister sur le fait que « l'ensemble de ce qui a été collecté, sans aucun tri préalable par les services ni choix par eux des éléments à transmettre, doit être mis à la disposition de la CNCTR, qui disposera ensuite de la possibilité d'y accéder en permanence ».

Pour les nouvelles techniques de renseignement, cette obligation de centralisation est également applicable. Toutefois, la CNCTR a exigé de pouvoir disposer d'un accès permanent, complet et direct aux données issues de toutes les techniques de renseignement. Elle s'appuie sur le GIC qui centralise toutes les données issues des interceptions de sécurité et de géolocalisation en temps réel. Elle entend s'appuyer également sur lui pour les nouvelles techniques.

***.

2. Une montée en puissance progressive des moyens de la CNCTR

La Commission nationale du contrôle des techniques de renseignement a été installée le 3 octobre 2015 , dans les locaux de l'ancienne CNCIS.

Opérer un bilan de son activité seulement trois mois après son installation est encore prématuré, d'autant que certaines mesures d'application de la loi sur le renseignement sont encore en cours d'élaboration ou viennent tout juste d'être adoptées. Ainsi, le décret relatif aux services du « deuxième cercle » a été pris seulement le 12 décembre dernier et la personnalité qualifiée auprès du Premier ministre 25 ( * ) est restée en activité, en attente du décret transférant sa compétence à la CNCTR. Ce décret du Premier ministre, dit « données de connexions », a été effectivement publié le 31 janvier 2016 26 ( * ) .

Toutefois, plusieurs enseignements peuvent être retenus sur cette courte période. En effet, à la mi-janvier 2015, la CNCTR a rendu plus de *** avis sur des demandes de mise en oeuvre de technique de renseignement. Plus de *** étaient relatives aux interceptions de sécurité. Près de *** portaient sur des demandes de géolocalisation en temps réel et plus de *** sur des nouvelles techniques de renseignement.

Sur les *** demandes concernant les nouvelles techniques de renseignement, une proportion significative concerne *** et dans une moindre mesure, les autres techniques de renseignement, ***.

Au regard de l'augmentation prévisionnelle de l'activité de la CNCTR, par rapport à l'activité de la CNCIS, les effectifs de la nouvelle AAI ont été portés de 7 agents, que comptait l'ancienne CNCIS, à 10 ETPT d'ici la fin de 2015 et devrait compter 18 agents d'ici la fin de l'année 2016 . La CNCTR a recruté, au 1 er janvier 2016, un secrétaire général, ainsi que des personnels experts.

Lors de son audition par la délégation, le président de la CNCTR, M. Francis Delon, a estimé que ces augmentations d'effectifs étaient suffisantes pour permettre à la CNCTR de remplir ses objectifs.

Il a également souligné que la CNCTR dispose, outre de la personnalité qualifiée nommée par l'ARCEP, d'un ingénieur *** et désormais, de ce fait, des compétences techniques nécessaires pour exercer effectivement son contrôle.

Les crédits de fonctionnement et d'investissement bénéficieraient d'une augmentation très substantielle par rapport aux crédits dont la CNCIS disposait, puisqu'ils seraient multipliés par cinq, afin d'être portés de 580 000 euros (AE-CP) pour 2015 à 2,2 millions d'euros (AE-CP) pour l'année 2016 . Par un amendement adopté au cours des débats à l'Assemblée nationale, le budget de l'AAI a même été finalement porté à 2,9 millions d'euros (AE-CP) 27 ( * ) .

L'accès administratif aux données de connexion s'effectue encore après l'autorisation d'une personnalité qualifiée placée auprès du Premier ministre depuis la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la lutte contre le terrorisme qui reçoit directement des services les demandes d'autorisation.

Après la publication du décret transférant cette compétence à la CNCTR, ces demandes se feront par le biais de la CNCTR, selon une procédure semblable à celle existant actuellement : les services saisiront directement la CNCTR de leurs demandes et le GIC assurera l'interface avec les opérateurs. Ce décret a été publié le 31 janvier 2016.

3. Le constat d'importantes différences par rapport à la CNCIS
a) La collégialité

Le caractère collégial de la CNCTR est un élément nouveau par rapport à la CNCIS, dont la composition était limitée à un président et à deux parlementaires.

Au-delà d'un nombre de membres porté à neuf, la loi consacre elle-même cette collégialité, en imposant que certaines décisions soient prises en formation plénière ou restreinte, en cas d'intrusion domiciliaire ou en cas de mesures prises à l'encontre d'une profession protégée.

D'une manière générale, l'article L. 832-3 prévoit même que toute question nouvelle ou sérieuse doit être tranchée par la formation plénière ou restreinte de la Commission. Ainsi, la définition de la notion de « professions protégées » a été arrêtée en formation plénière par la CNCTR.

Depuis sa création, la CNCTR se réunit de façon régulière trois fois par semaine en formation restreinte et une fois toutes les trois semaines en formation plénière. Par ailleurs, les formations plénières et restreintes peuvent être convoquées en urgence pour examiner, conformément à la loi, dans les 72 heures, les demandes impliquant une introduction dans un domicile ou celles portant sur une personne, de nationalité française ou étrangère, exerçant une profession protégée. Cette situation nouvelle entraîne d'importantes contraintes pour ses membres, en particulier les parlementaires, que la délégation avait recommandé d'exclure pour les remplacer par des personnalités qualifiées.

Par ailleurs, le président de la CNCTR a fait le choix que la formation plénière comporte, en principe, toujours au moins un parlementaire , alors même que les règles de quorum pourraient permettre à la CNCTR de statuer sans parlementaire.

Le recours juridictionnel n'a toutefois pas encore été expérimenté, qu'il concerne le particulier demandant qu'il soit vérifié qu'il ne fait pas l'objet de mesures de surveillance indues ou qu'il ait été initié par la CNCTR, en cas de refus du Premier ministre de suivre son avis. À ce jour, tous les avis de la CNCTR ont été suivis par le Premier ministre .

b) La pression inédite d'un contrôle juridictionnel

L'instauration d'un recours juridictionnel effectif du Conseil d'État au bénéfice de la CNCTR ainsi que la possibilité pour toute personne s'estimant l'objet d'une mesure de surveillance de former un recours devant le Conseil d'État crée une pression sur la qualité des procédures suivies, aussi bien par les services que par la CNCTR.

En effet, les membres du Conseil d'État appartenant à la formation spécialisée auront accès à l'ensemble des documents relatifs à l'autorisation en cas de contentieux. Cette situation nécessite en particulier de disposer d'une compétence juridique au sein des services pour apprécier la faisabilité d'une demande exprimée par un opérateur.

La mise en oeuvre effective de recours juridictionnels devrait permettre de renforcer encore l'effectivité de ce contrôle.


* 24 Rapport n° 460 (2014-2015), sur le projet de loi relatif au renseignement et sur la proposition de loi organique présentée par MM. Jean-Pierre Raffarin et Philippe Bas, relative à la nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, p.79.

* 25 Cette personnalité qualifiée, placée auprès du Premier ministre autorise l'accès administratif aux données de connexion. ***

* 26 Décret n° 2016-67 du 29 janvier 2016 relatif aux techniques de recueil de renseignement.

* 27 Un amendement n° II-239 accorde 750 000 euros supplémentaires à la CNCTR, mais un amendement n° II-10 diminue de 718 000 euros les crédits du programme « protection des droits et des libertés ». Toutefois, au regard de la motivation de ce dernier amendement, cette diminution ne semble pas concerner la CNCTR mais d'autres AAI (en particulier la CNIL et le Défenseur des droits).

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