Rapport d'information n° 499 (2015-2016) de MM. Jean-Yves LECONTE et André REICHARDT , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 24 mars 2016

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N° 499

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 mars 2016

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la réforme de l' espace Schengen et la crise des réfugiés ,

Par MM. Jean-Yves LECONTE et André REICHARDT,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Michel Billout, Michel Delebarre, Jean-Paul Emorine, André Gattolin, Mme Fabienne Keller, MM Yves Pozzo di Borgo, André Reichardt, Jean-Claude Requier, Simon Sutour, Richard Yung, vice-présidents ; Mme Colette Mélot, M Louis Nègre, Mme Patricia Schillinger, secrétaires , MM. Pascal Allizard, Éric Bocquet, Philippe Bonnecarrère, Gérard César, René Danesi, Mme Nicole Duranton, M. Christophe-André Frassa, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Pascale Gruny, MM. Claude Haut, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, Jean-Yves Leconte, François Marc, Didier Marie, Michel Mercier, Robert Navarro, Georges Patient, Michel Raison, Daniel Raoul, Alain Richard et Alain Vasselle.

AVANT-PROPOS

L'avenir de l'espace Schengen et la crise migratoire à laquelle l'Europe est aujourd'hui confrontée sont des questions étroitement liées.

Les rapporteurs du présent rapport d'information rappelleront d'abord le cadre de l'espace Schengen et son mode de fonctionnement, dans le contexte actuel de crise migratoire aiguë. Dans les préconisations de leur proposition de résolution européenne, ils suggèreront d'assurer un contrôle effectif des entrées et des sorties aux frontières extérieures de cet espace.

Le rétablissement de la libre circulation dans l'espace européen est à ce prix.

Il y a urgence. Des expressions comme « dislocation », « démantèlement », voire même « mort » de l'espace Schengen ont pu être prononcées au cours des dernières semaines.

Le 18 janvier dernier, le ministre français de l'intérieur déclarait devant le Parlement : « Soit on considère que l'Europe est un chaos et on ne fait rien... soit on agit avec volontarisme... et avec un agenda précis » , et aussi : « Si nous ne nous montrons pas extrêmement vigilants quant aux conditions dans lesquelles s'exerce la sécurité de nos frontières extérieures, nos opinions publiques seront de moins en moins favorables à accorder un accueil serein des réfugiés ».

Les rapporteurs évoqueront, ensuite, la crise des réfugiés à proprement parler ainsi que son impact sur les principaux États membres concernés, notamment en 2015 et jusqu'aux événements les plus récents de l'année 2016.

Par ailleurs, tous les États membres de l'Union ont adhéré à la Convention de Genève de 1951 sur le statut des réfugiés.

La Charte européenne des droits fondamentaux a, elle aussi, consacré le droit d'asile tel qu'il a été défini par la Convention.

Face à la crise des réfugiés, l'Europe doit continuer à assumer ses obligations internationales en la matière ; mais, certainement, en s'en donnant les véritables moyens.

Dans leur proposition de résolution européenne, vos rapporteurs présenteront quelques pistes de réflexion et d'évolution envisageables sur le sujet.

CHAPITRE I - LA SITUATION DE L'ESPACE SCHENGEN

L'ÉTAT DU DROIT

C'est le 14 juin 1985 que la France, la République fédérale d'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg ont conclu un accord en vue de la suppression progressive des contrôles aux frontières intérieures afin de permettre la libre circulation des personnes, quelle que soit leur nationalité, tout en annonçant le renforcement des contrôles aux frontières extérieures.

Au fil des années, l'espace Schengen s'est sensiblement renforcé. Si, dès l'origine, le Royaume-Uni et l'Irlande ont refusé d'intégrer l'espace, les cinq pays signataires de l'accord initial ont été rejoints par l'Italie en 1990, l'Espagne et le Portugal en 1991, la Grèce en 1992, l'Autriche en 1995, la Finlande, le Danemark et la Suède en 1996, l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Hongrie, la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie, la Slovénie et Malte le 21 décembre 2007. Il convient d'ajouter que la Suisse et le Liechtenstein sont devenus des États associés à l'espace Schengen respectivement en 1998 et en 2011.

Quatre États membres, plus récents, de l'Union européenne n'appartiennent pas à l'espace Schengen : il s'agit de Chypre, de la Bulgarie, de la Roumanie et de la Croatie.

Pour être complet, on relèvera que l'Islande et la Norvège, non membres de l'Union européenne, sont néanmoins parties prenantes de la convention Schengen en raison des accords de libre circulation qui les lient aux autres pays nordiques.

La convention d'application de l'accord de Schengen a été quant à elle signée le 19 juin 1990 et est entrée en vigueur le 26 mars 1995.

Le régime de franchissement des frontières par les personnes dans l'espace Schengen a été précisé par un règlement du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 dit « Code frontières Schengen ». Ce code pose un principe général et contient deux principales séries de dispositions. Le principe, c'est celui de l'absence de contrôle des personnes aux frontières intérieures terrestres, maritimes ou aéroportuaires entre les États membres de l'espace Schengen. Les deux catégories de dispositions contiennent, l'une, les règles relatives au contrôle des personnes franchissant les frontières extérieures des États membres de l'espace Schengen, l'autre, les règles applicables au rétablissement temporaire des contrôles aux frontières intérieures. Ce dernier dispositif a été complété par un règlement du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013 qui a prévu un autre cas de réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures de l'Union dans des « circonstances exceptionnelles ».

Relevons encore que l'accord de Schengen, de même que la convention d'application, s'inscrivait, au départ, dans un cadre juridique autonome par rapport à l'Union européenne et à ses règles communautaires. C'est le traité d'Amsterdam de 1997 qui a intégré le dispositif Schengen dans le cadre juridique de l'Union à compter du 1 er mai 1999.

La réforme de 2013 a introduit une nouvelle procédure en cas de manquements graves dans l'exécution du contrôle aux frontières extérieures. Ce dispositif est précisé aux articles 19 bis, 23, 26 et 26 bis du Code frontières Schengen.

L'article 19 bis prévoit, tout d'abord, une recommandation de la Commission européenne.

S'il est constaté, dans le cadre de l'évaluation d'un État Schengen, des manquements graves dans l'exécution du contrôle aux frontières extérieures, lesquels mettent en péril l'ordre public et la sécurité intérieure de l'espace Schengen, la Commission peut recommander à l'État concerné de prendre certaines mesures.

Ces mesures peuvent comprendre notamment le déploiement d'équipes de gardes-frontières européens ou un renforcement de la collaboration avec Frontex dans le domaine de la planification stratégique ; elle ne saurait toutefois être imposée à un État.

La Commission européenne doit informer régulièrement un comité compétent sur les questions se rapportant aux frontières mais aussi le Parlement européen et le Conseil de l'Union des progrès accomplis dans la mise en oeuvre des mesures.

Si la Commission constate que la situation à la frontière extérieure de l'espace Schengen de l'État signataire concerné ne s'améliore pas dans un délai de trois mois, elle peut déclencher la procédure prévue à l'article 26.

Tel qu'il résulte du nouveau règlement de 2013, le Code frontières Schengen fixe le cadre général de la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures (article 23).

L'article 23 bis dispose qu'en cas de réintroduction du contrôle aux frontières intérieures, l'État Schengen concerné doit estimer si une telle mesure est adéquate et si elle respecte le critère de proportionnalité. Cet état doit aussi prendre en compte l'impact probable d'une telle mesure sur la libre circulation des personnes.

Aux termes de l'article 24, lorsqu'un ou plusieurs États Schengen prévoient de réintroduire le contrôle aux frontières intérieures au motif d'événements prévisibles, ils notifient leur intention aux autres États membres et à la Commission au plus tard quatre semaines avant la réintroduction en précisant les raisons, la portée et le moment, de même que la durée des mesures. Les informations faisant l'objet de la notification doivent être transmises au Parlement européen.

Si nécessaire, la Commission peut demander à l'État Schengen des informations supplémentaires. Toutes ces données seront transmises à la Commission, aux autres États Schengen, au Parlement européen et au Conseil de l'Union européenne

À la suite de la notification, la Commission peut émettre un avis, notamment si elle doute de la nécessité ou de la proportionnalité de la réintroduction prévue. Outre la Commission, chaque État signataire peut, d'ailleurs, émettre un avis au sujet de ladite réintroduction. Ces consultations doivent se dérouler au moins 10 jours avant la réintroduction prévue du contrôle aux frontières intérieures d'un État.

Aux termes de l'article 25, lorsque l'ordre public ou la sécurité intérieure d'un État Schengen requièrent une action immédiate, l'État concerné peut réintroduire immédiatement le contrôle des personnes à ses frontières pour 10 jours au plus. L'État qui décide la réintroduction doit en informer au plus vite la Commission et les autres États signataires. Les mesures ne peuvent plus être prolongées que pour des périodes renouvelables n'excédant pas 20 jours, pendant une durée totale de deux mois au plus.

L'État concerné doit présenter une évaluation de la nécessité et de la proportionnalité des mesures. Toute décision de prolongation requiert l'exécution d'une nouvelle procédure de consultation.

La Commission informe immédiatement le Parlement européen de la mesure adoptée par l'État signataire.

L'article 26 prévoit une recommandation du Conseil de l'Union européenne.

C'est si les mesures recommandées par la Commission européenne ne suffisent pas et si les manquements dans l'exécution du contrôle aux frontières extérieures d'un État Schengen continuent à mettre en péril l'ordre public et la sécurité intérieure de l'espace que le Conseil de l'Union peut recommander à un ou plusieurs des États membres, sur proposition de la Commission, la réintroduction du contrôle de leurs frontières intérieures et ce pour une période de six mois au plus.

En cas de nécessité, les contrôles peuvent être prolongés à trois reprises ( soit une durée totale de deux ans ), sur recommandation du Conseil de l'Union ou, en cas d'urgence, sur recommandation directe de la Commission, de six mois supplémentaires au plus.

Avant que le Conseil de l'Union ne recommande, en dernier recours, aux États Schengen de réintroduire temporairement le contrôle des personnes à leurs frontières intérieures, il estime dans quelle mesure cette approche constitue une réaction adéquate à la menace et s'il respecte le principe de proportionnalité.

Les différents États membres de l'espace Schengen peuvent demander à la Commission de soumettre au Conseil de l'Union européenne une proposition de réintroduction du contrôle aux frontières intérieures. Si un État suit cette recommandation et introduit des contrôles aux frontières intérieures, il doit en informer les autres États ainsi que la Commission. Si un État ne met pas en oeuvre la recommandation du Conseil, il doit en informer la Commission et en préciser les motifs. La Commission informe ensuite le Parlement européen et le Conseil en établissant un rapport sur le sujet.

La nouvelle procédure a pour objet de prévoir des mesures spécifiques lorsque de graves manquements sont constatés sur un tronçon de la frontière extérieure Schengen. Il s'agit, dans le même temps, de s'assurer que la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures satisfait au principe de proportionnalité. Ces mesures ont vocation à n'être utilisées qu'en dernier recours, pour la période et dans une zone géographique limitées sur le fondement de critères objectifs. La nécessité de ce recours est soumise à une évaluation.

Sur les 18 mois de la période printemps 2013-automne 2014, trois États signataires avaient temporairement utilisé les possibilités d'un rétablissement temporaire du contrôle à leurs frontières intérieures. La Belgique, pour une semaine, en raison du sommet du G7, la Norvège, pour une semaine, en raison d'une menace terroriste, et enfin l'Estonie, pour quatre jours à l'occasion de la visite du Président Barack Obama.

L'AGGRAVATION DE LA CRISE DE L'ESPACE SCHENGEN

Au début du mois de février 2016, la Commission européenne a constaté que 8 États membres appliquaient des mesures temporaires de rétablissement des contrôles : le Danemark à ses frontières maritimes et terrestres avec l'Allemagne ; l'Autriche à sa frontière avec la Slovénie et la Hongrie ; l'Allemagne sur sa frontière avec l'Autriche, la République tchèque et la France (Alsace) ; la France dans le cadre de l'état d'urgence, et enfin la Suède, surtout sur les ponts qui la relie au Danemark.

Lors de leur réunion le 25 janvier dernier, face à l'aggravation de la crise migratoire en mer Égée, les ministres de l'intérieur des États membres de l'Union, et plus particulièrement ceux de l'espace Schengen, ont demandé à la Commission européenne de préparer une analyse légale sur l'opportunité de prolonger les contrôles aux frontières intérieures des États membres dans le but de mettre en oeuvre, le cas échéant, l'article 26 du Code frontières Schengen.

Le processus évoqué plus haut se mettra alors en oeuvre. À la mi-mai, date à laquelle les mesures actuelles de contrôle aux frontières intérieures, mises en oeuvre par cinq États membres sur la base des autres dispositions du Code frontière Schengen, prendront fin, un processus de trois mois se mettra en place une fois que la Commission européenne aura remis son évaluation de la zone géographique concernée, c'est-à-dire la Grèce. Pendant ces trois mois, la Commission pourra émettre des recommandations et élaborer un plan d'action en vue de l'amélioration de la situation aux frontières extérieures de la Grèce . C'est dans le cas où la Grèce n'aurait pas appliqué les recommandations ou ne serait pas parvenu à améliorer la situation que l'article 26 pourrait être « activé ».

Il faut aussi compter, depuis quelques semaines, avec les décisions unilatérales des États membres les plus soumis à la pression migratoire sans attendre la mise en oeuvre effective des décisions de l'Union ( « hot spots » renforcés par des agents de Frontex, mise en place opérationnelle du corps européen de gardes-côtes et de gardes-frontières, soutien effectif du Bureau européen de soutien à l'asile...).

En 2015, c'est surtout la Hongrie qui a été montrée du doigt. N'oublions pas qu'en 2014, ce pays s'est trouvé dans le peloton de tête, après l'Allemagne, la Suède, et l'Italie mais avant la France, des pays de l'Union dans lesquels ont été enregistrées des demandes d'asile. Dès le mois de mai 2014, après avoir gagné les élections législatives, le Premier ministre hongrois affichait « l'objectif de mettre fin à l'immigration par tous les moyens » .

En mai 2015, le gouvernement hongrois a mené une campagne de consultation et de communication vis-à-vis de sa population sur le sujet. En août 2015 il a érigé un grillage à sa frontière avec la Serbie. Au mois de septembre, le gouvernement hongrois a envoyé l'armée en renfort à la frontière serbe. Entre janvier et juillet 2015, Frontex a évalué à 100 000 les entrées illégales en Hongrie.

Le 4 septembre 2015, une loi est votée au Parlement hongrois rendant le franchissement de la barrière passible d'une peine d'emprisonnement de trois ans maximum.

Le 17 septembre 2015, le pays commence à ériger une barrière entre la Croatie et la Hongrie. Enfin, au mois de février 2016, le gouvernement hongrois annonce sa volonté d'organiser un référendum national sur la possibilité pour l'Union européenne de relocaliser des étrangers en Hongrie.

Plus récemment, il convient d'évoquer le revirement inattendu de l'Autriche jusqu'alors très « en phase » avec les positions de la République fédérale d'Allemagne. La veille du Conseil européen du jeudi 18 février 2016 sur la crise des réfugiés, dont la principale décision fût de prévoir un nouveau Conseil européen, le 7 mars, avec la Turquie, l'Autriche a décidé de fixer unilatéralement un strict quota quotidien de réfugiés admis sur son sol, soit 80 demandeurs d'asile par jour et 3 200 en transit vers l'Allemagne.

Dans le même temps, la Macédoine commençait à filtrer les arrivants en envisageant un blocage total avec l'aide de la Croatie, de la Hongrie, de la Pologne et de la Slovaquie qui lui ont proposé de l'aide. De fait, dès le 18 février, les polices de Macédoine, de Serbie, de Croatie, de Slovénie et d'Autriche mettaient en place un enregistrement commun de réfugiés arrivant de Grèce à la frontière Macédoine en déterminant, à partir de données biométriques, si lesdits réfugiés provenaient de pays considérés comme dangereux.

Début mars, entre 1 200 et 3 000 réfugiés continuaient d'arriver quotidiennement sur les îles de la mer Égée. 40 % d'entre eux environ, notamment en provenance d'Iran, du Maroc, d'Algérie, de Somalie ou d'Afghanistan, étaient destinés à rester bloqués à la frontière gréco-macédonienne, les autorités macédoniennes n'autorisant le passage qu'aux Syriens et aux Irakiens munis de papiers d'identité (c'est-à-dire un flux quotidien de 100 à 200 personnes seulement).

D'où un grave problème humanitaire pour la Grèce devenue un « cul-de-sac ». À la mi-mars, 15 000 personnes environ étaient « bloquées » à la frontière gréco-macédonienne, en particulier à Idoméni.

CHAPITRE II - LA CRISE MIGRATOIRE

L'ANNÉE 2015

335 millions de ressortissants de pays tiers franchissent, chaque année, les frontières extérieures de l'Union européenne.

Le séjour irrégulier sur le territoire de l'Union s'explique soit par le maintien sur ledit territoire de ressortissants de pays tiers au-delà de la durée de séjour autorisée, soit par le franchissement illégal des frontières.

En l'absence d'un dispositif technique de type « Frontières intelligentes » (« Smart Borders ») enregistrant l'entrée et la sortie de chaque ressortissant d'un pays tiers dans l'espace Schengen, il est difficile d'établir des statistiques sur les populations qui se maintiennent irrégulièrement dans l'Union.

En revanche, l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne (Frontex) procède à des détections de franchissements irréguliers. 50 % de ceux-ci ont été détectés en 2012 et en 2013 aux frontières entre la Grèce et la Turquie ou entre la Bulgarie et la Turquie. En 2014, il a été détecté 280 000 franchissements irréguliers des frontières extérieures, soit un triplement par rapport à 2013, la Méditerranée centrale constituant la principale voie d'accès.

Fin 2015, le HCR estimait à 1,8 million le nombre de franchissements irréguliers des frontières de l'Union européenne pour 2015 (soit au moins 10 fois plus que le nombre de franchissements irréguliers détectés en 2012 et 2013 !) dont 853 650 (contre 34 442 en 2014) par la Grèce et 153 842 (contre 170 100 en 2014) par l'Italie.

On note que sur les deux premiers mois de l'année 2016, la Grèce aurait enregistré presque autant d'arrivées (125 819) que l'Italie sur toute l'année 2015 (153 842).

Les données statistiques dont nous disposons proviennent d'Eurostat et de Frontex, au plan européen, de l'Office français pour la protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) au plan français, de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) et du Haut comité aux réfugiés (HCR) au plan international, sans oublier l'OCDE.

On a aussi assisté, sur l'année 2015, à une véritable explosion de la demande d'asile dans l'Union européenne (données Eurostat) : 1,2 million de personnes (dont 442 000 pour l'Allemagne, 174 000 pour la Hongrie, 156 000 pour la Suède, 85 000 pour l'Autriche, 83 200 pour l'Italie et 70 600 pour la France) auraient effectué une telle démarche, soit une progression de plus 35 % par rapport à l'année 2014 qui avait déjà enregistré le chiffre record de 626 000 demandes.

LE DÉBUT DE L'ANNÉE 2016

Selon les chiffres communiqués par le HCR, on a enregistré, du 1 er janvier au 3 mars 2016, 125 819 arrivées par la Grèce et 9 086, seulement, par l'Italie.

Selon l'agence Frontex, qui a publié, le 28 janvier dernier, de nouvelles statistiques, le pourcentage de personnes se déclarant syriennes aurait « considérablement baissé au cours des derniers mois » , en passant de 56 % des migrants arrivant en Grèce sur toute l'année 2015 à 39 % en décembre. Leur proportion, au regard de la détection mensuelle réalisée par Frontex, était de 43 % sur l'ensemble des migrants en novembre et de 51 % en octobre. L'agence européenne en conclut que les techniques d'enregistrement des migrants s'améliorent et font augmenter le nombre de cas détectés dans lesquels des personnes se déclarant syriennes ne le sont pas en réalité.

Au mois de décembre 2015, le pourcentage de personnes d'origine irakienne parmi les migrants (25 %) aurait représenté plus du double de ce qu'il représentait au mois d'octobre (11 %) et en novembre (12 %). S'agissant des Afghans, ils auraient représenté, au mois de décembre, entre un quart et un tiers du total des migrants détectés à la frontière grecque.

Un ancien Haut commissaire des Nations unies pour les réfugiés a récemment relevé que la dégradation de la situation des réfugiés syriens dans les camps de la région (Turquie, Liban, Jordanie) reste la principale cause de l'afflux des réfugiés vers l'Union européenne depuis quelques mois ; plus généralement, il a souligné que 80 % des personnes réfugiées ou déplacées dans le monde le sont à cause de conflits armés. Depuis quelques années, la situation s'aggrave : 11 000 personnes déplacées du fait d'un conflit en 2010 ; 14 000 en 2011 ; 23 000 en 2012 ; 32 000 en 2013 et 42 500 en 2014.

C'est la multiplication de nouveaux conflits ainsi que la difficulté croissante, elle aussi, du règlement des conflits anciens qui ne permettent pas de trouver rapidement des solutions avec, notamment, la réinstallation des réfugiés dans leur pays d'origine. Au plus, les conflits sont de plus en plus interconnectés (Syrie, Palestine, Afghanistan, Libye, Sahel, Nigéria...) tandis que se globalisent aussi le terrorisme et les différents trafics souvent connexes.

Une nouvelle donnée migratoire doit être prise en considération en 2016.

En 2015, 70 % des migrants arrivant en Grèce par la Turquie étaient des hommes isolés. Au cours des deux premiers mois de l'année 2016, 60 % des arrivants étaient des femmes et des enfants.

À l'évidence, les candidats à la migration ont redouté la fermeture totale de la route des Balkans du fait des décisions unilatérales des États (en particulier la Macédoine dans le cas présent) qui « bloquent » leurs frontières. On assiste actuellement à une tentative désespérée, et sans doute accélérée par rapport aux projets initiaux des réfugiés déjà présents sur le sol européen, de faire venir femmes et enfants. Les réseaux de passeur sont évidemment très sollicités et les « tarifs » explosent.

Le 8 mars dernier, à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, le Parlement européen a adopté un rapport dit « HONEYBALL » qui rappelle qu'aujourd'hui, les femmes et les enfants représentent un tiers des demandeurs d'asile et relève qu'à la date du 15 janvier 2016, ils constituaient 55 % des personnes arrivant en Grèce pour demander l'asile selon les chiffres du HCR, contre 27 % constatés en juin 2015. Par ailleurs, 20 % des femmes conduisaient seules leur famille depuis la Syrie, c'est à dire sans protection.

Le rapport dénonce les conditions de vie déplorable des femmes dans les centres d'accueil, où dortoirs, sanitaires et douches sont mixtes, ainsi que les nombreuses violences allant du harcèlement au viol dont elles sont victimes tant dans leur pays d'origine, que dans les pays de transit et de destination. Il ne détaille pas moins de 66 propositions divisées en plusieurs thématiques : la nécessaire prise en compte du genre dans la détermination du statut de réfugié ; la reconnaissance des besoins spécifiques des femmes dans les procédures d'asile, ainsi que dans les centres d'accueil et de rétention ; la résolution des problèmes de traite, de trafic et de violence sexuelle et enfin la mise en place de politiques d'inclusion et d'intégration sociales.

La Commission européenne a présenté le même jour une proposition tendant à l'adhésion de l'Union européenne à la convention d'Istanbul du Conseil de l'Europe. Celle-ci constituerait, à ce jour, la convention la plus étendue en ce qui concerne la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique. Cette convention comprend un volet destiné à la protection spécifique des migrantes, demandeuses d'asile et réfugiées, en leur accordant des droits spécifiques, comme l'obtention d'un titre de séjour lorsqu'elles sont victimes de violences conjugales et que leur statut dépend de celui de leur mari.

QUELQUES PAYS EUROPÉENS FACE À LA CRISE MIGRATOIRE

Après près d'un million en 2015, plus de 50 000 réfugiés seraient arrivés en Allemagne dans la première quinzaine de janvier 2016, soit plus de 3 750 par jour en moyenne. À ce rythme, l'Allemagne pourrait accueillir encore 1,2 million de personnes d'ici la fin de l'année 2016, soit davantage qu'en 2015.

Le Bundestag a mis en place, le 14 janvier, un système d'enregistrement des réfugiés commun à tous les Länder qui pourraient ainsi délivrer un document d'identité valable pour l'ensemble du territoire fédéral et enregistrant toutes les données permettant une identification sans ambiguïté, en particulier les empreintes digitales.

La Hongrie est un des pays qui a été le plus affecté par la crise migratoire en 2015. De janvier à juillet de cette année, 100 000 entrées illégales (certains ont évoqué 200 000) ont été enregistrées par Frontex.

La Hongrie aurait même été le pays qui aurait accueilli - même provisoirement (car le pays est plutôt un pays « de transit ») - le plus grand nombre de réfugiés par habitant sur son territoire.

Au mois d'août 2015, le pays érige un mur de séparation à sa frontière avec la Serbie. Une loi est votée au mois de septembre pour punir le franchissement irrégulier de cette barrière d'une peine d'emprisonnement pouvant atteindre trois ans. Au mois de septembre 2015, la Hongrie érige une autre barrière à la frontière entre la Croatie et la Hongrie. Au mois de février 2016, le gouvernement hongrois annonce sa décision d'organiser un référendum sur la possibilité pour l'Union européenne d'imposer l'installation d'étrangers en Hongrie.

Plus de 600 000 immigrants ont transité sur le territoire autrichien depuis septembre 2015, d'abord depuis la frontière orientale puis (après l'achèvement de la clôture hongroise) depuis la frontière méridionale. Pays de transit, l'Autriche est devenue un pays de destination avec plus de 90 000 demandes d'asile en 2015 (contre quelque 28 000 en 2014 et 17 500 en 2013). L `afflux de réfugiés est apparu acceptable aussi longtemps que les flux entrants étaient synchronisés avec les flux sortants. La décision allemande de durcir sa politique d'accueil a conduit les autorités autrichiennes à rétablir provisoirement, à compter du 16 septembre 2015, des contrôles à ses frontières ainsi qu'à ériger, en décembre, une clôture à la frontière avec la Slovénie.

Le nombre de migrants entrant, tous les jours, en Autriche et quittant le territoire en direction de l'Allemagne depuis le début de l'année 2016 est resté élevé : entre 2 500 et 3 000 personnes (contre des pics de plus de 10 000 entrées par jour au mois d'octobre 2015), soit 24 000 personnes depuis le 1 er janvier.

Le 20 janvier, le Chancelier autrichien a annoncé qu'il comptait plafonner les seuils de demandes d'asile déposées chaque année, soit 37 500 pour l'année 2016. L'Autriche a souhaité limiter à 1,5 % de sa population totale (8,5 millions d'habitants) le nombre de personnes bénéficiant de sa protection dans les trois prochaines années. Le 17 février, elle a fixé des quotas d'entrées sur son territoire (80 demandeurs par jour, 3 200 personnes en transit).

Près de 410 000 migrants sont entrés en Slovénie depuis la mi-octobre 2015, dont plus de 30 700 depuis le 1 er janvier 2016. Après avoir atteint entre 2 000 et 3 000 aux premiers jours de janvier, le nombre d'arrivées s'établirait actuellement autour de 1 000.

À la mi-janvier, seuls quelque 150 migrants auraient introduit une demande d'asile en Slovénie.

Un responsable slovène a récemment indiqué que la Slovénie pouvait, selon lui, accueillir un maximum de 1 000 demandeurs d'asile.

Depuis septembre 2015, plus de 580 000 adhérents seraient passés par la Croatie . Pendant deux mois, on a recensé une moyenne de 6 300 arrivées quotidiennes puis un fort ralentissement (autour de 2 400 arrivées par jour) autour de la période du sommet Union européenne-Turquie (fin novembre-début décembre 2015). Le rythme des arrivées a ensuite repris à hauteur de 3 800 entrées quotidiennes avant de descendre environ à 1 000 entrées par jour en moyenne début janvier.

On note que la Croatie a obtenu le remboursement par le budget européen des dépenses qu'elle a engagées en matière d'hébergement, d'alimentation et de prise en charge médicale des migrants. Elle a aussi bénéficié, notamment au titre du mécanisme européen de protection civile, d'une aide financière et d'un équipement de la part de nombreux États membres.

À la suite de la fermeture par la Hongrie de sa frontière avec la Croatie, le gouvernement croate a fait le choix d'un enregistrement « souple » des migrants.

La Serbie aura aussi été en 2015 un pays de transit pour des dizaines de milliers de réfugiés. La crise migratoire a été à l`automne 2015 l'occasion de sérieuses « frictions » avec la Hongrie `au sujet de la « barrière hongroise ») et avec la Croatie avec laquelle les frontières ont été fermées pendant quelques semaines.

Largement épargnée par la crise migratoire, la Pologne a annoncé au mois de janvier qu'elle était prête à accueillir 400 réfugiés en 2016 sur son territoire, dans le cadre du plan de relocalisation de l'Union européenne. Ce pays a enregistré 12 211 demandes d'asile en 2015 émanant essentiellement de Russie (7 900) et d'Ukraine (2 300), les demandeurs en provenance d'Afrique ou du Moyen-Orient n'étant que 362.

Officiellement, la Pologne affiche sa volonté de se conformer aux décisions européennes sur la relocalisation tout en manifestant un certain scepticisme sur leur degré de réalisme.

Avec 21 500 personnes accueillies en 2015 et 25 000 attendues en 2016, le Danemark souligne qu'il compte parmi les 10 pays accueillant le plus de réfugiés par habitant. Le pays a annoncé au mois de septembre 2015 qu'il ne participerait pas à la politique des quotas. Au mois de décembre, un projet de loi a été déposé visant à saisir les effets personnels des demandeurs d'asile afin de couvrir en partie leurs frais d'accueil et à rendre plus strictes les conditions du regroupement familial.

Après un record historique de 10 000 entrées la première semaine du mois de novembre 2015, la Suède a constaté une réduction des demandes d'asile en fin d'année avec une moyenne de 1 500 à 2 000 entrées par semaine. Cette baisse est en partie consécutive à la mise en place de contrôles d'identité à la frontière au départ des trains, bus et ferries à compter du 4 janvier 2016 . Au cours de la première semaine de janvier, le nombre de demandes d'asiles s'élevait à un peu moins de 1 100. Au total, sur l'année 2015, la Suède aura accueilli plus de 80 000 demandeurs d'asile.

En 2015 puis en 2016, la situation de la Grèce, à son corps défendant, est devenue tout à fait stratégique. D'après les statistiques de l'OIM, ce pays n'a enregistré, en 2014, que 77 000 nouveaux entrants sur son territoire (170 100 migrants ayant gagné l'Italie par voie maritime.)

En 2015, réorientation complète des flux : la Grèce aurait assuré le premier accueil de plus de 80 % (près de 857 000) du gros million de migrants entrés sur le territoire de l'Union par la mer.

Comme l'a relevé la délégation de la commission des lois du Sénat qui s'est rendue sur place au mois de février, 58,4 % des arrivées en Grèce (soit un peu plus de 500 000 personnes) ont débarqué, en 2015, sur l'île de Lesbos (48 % du total des arrivées en Europe).

La pression s'est encore accrue au début de l'année 2016. Pour le seul mois de janvier, l'OIM a ainsi dénombré quelque 58 500 arrivées en Europe (sur 67 200 au total) via la Grèce. Au mois de janvier 2015, on n'avait comptabilisé que 5 000 arrivées.

En 2015, les nouveaux arrivants à Lesbos ont été principalement des Syriens (48,1 %), des Afghans (33,3 %) et des Irakiens (10,3 %), mais aussi des Pakistanais (quatrième nationalité représentée avec 2,1 %) et des Marocains (un peu plus de 5 000 personnes débarquées à Lesbos en 2015) qui ont représenté la sixième nationalité des arrivants.

La question de la frontière gréco-macédonienne a joué un rôle important dans l'évolution de la situation. 1 million de migrants se serait retrouvés bloqués en Grèce en 2014 du fait de la fermeture de la frontière de la Grèce avec l'Ancienne République yougoslave de Macédoine.

La décision de réouverture de cette frontière, prise par le nouveau gouvernement grec au mois d'avril 2015, a permis à la Grèce de retrouver sa fonction de pays de transit pour des migrants dont la quasi-totalité (seules quelque 13 200 demandes d'asile ont été enregistrées en Grèce en 2015) a emprunté la « route des Balkans » pour rejoindre des destinations désirées telles que l'Allemagne ou la Suède.

Mais la décision prise par la Macédoine le 21 novembre dernier de réintroduire un contrôle strict de sa frontière avec la Grèce et de procéder à un enregistrement commun des migrants « filtrés » avec la Serbie, la Croatie, la Slovénie et l'Autriche puis le 7 mars dernier de « fermer la route des Balkans » ont changé la donne.

Redevenue un cul-de-sac, la Grèce doit bénéficier en urgence d'aides européennes pour enrayer le développement d'une grave crise humanitaire. À la mi-mars, environ 15 000 réfugiés étaient entassés, dans des conditions déplorables, à la frontière gréco-macédonienne et notamment à Idoméni, tandis que de 3 à 4 000 arrivées quotidiennes étaient toujours constatées sur les îles de la mer Égée (contre 15 000 arrivées quotidiennes au mois de décembre 2015 !)

LA RÉACTION EUROPÉENNE

Les propositions de la Commission européenne du 15 décembre 2015 en matière de protection des frontières extérieures vont dans le bon sens avec l'instauration de vérifications systématiques obligatoires pour les citoyens européens aux frontières extérieures terrestres, maritimes et aériennes de l'Union européenne. La nécessité de vérifier les identifiants biométriques dans les passeports des citoyens européens est soulignée. La création d'un corps européen de gardes-frontières et de gardes-côtes dédié à la protection des frontières extérieures doit être saluée. Il en est de même du projet d'envoyer des agents de liaison dans les pays tiers voisins ainsi que de mettre en place un Bureau européen des retours.

Le Sommet de La Valette des 11 et 12 novembre 2015 sur les migrations, a prévu la création d'un fonds fiduciaire d'aide à l'Afrique qui devrait, à terme, être porté à 3,6 milliards d'euros. Un plan d'action vise notamment :

- à s'attaquer aux causes profondes de la migration irrégulière et des déplacements forcés de populations ;

- à intensifier la coopération concernant les migrations et la mobilité légale ;

- à renforcer la protection des migrants et des demandeurs d'asile ;

- à prévenir la migration irrégulière, le trafic de migrants et la traite des êtres humains et lutter contre ces phénomènes ;

- coopérer plus étroitement pour améliorer la coopération en matière de retour, de réadmission et de réintégration.

Sur la question de la réadmission des migrants illégaux , on note que, dans le cadre de la coopération UE-ACP, l'article 13 de l'accord de Cotonou prévoit un dialogue approfondi sur les questions de migrations entre les États UE et ACP, un traitement équitable des ressortissants des pays tiers résidant légalement sur le territoire, la lutte contre les causes profondes des migrations, la lutte contre l'immigration illégale, la réadmission des migrants illégaux, ainsi que la possibilité d'accords bilatéraux sur les réadmissions.

La Commission européenne vient de présenter trois propositions de décisions relatives aux accords de partenariat économique (APE) entre les États partenaires de la communauté d'Afrique de l'Est, d'une part, et l'Union européenne et ses États membres, d'autre part. Ces accords ne comportent aucune disposition du type de celles qui viennent d'être évoquées.

La question pourrait se poser de savoir s'il ne serait pas opportun d'introduire des clauses de cette nature dans les accords de partenariat économique.

Il est certain, aussi, qu'il faut renforcer l'aide aux pays de la région qui hébergent près de 3 millions de réfugiés en provenance de Syrie ou d'Irak : la Turquie, la Jordanie et le Liban sont principalement concernés. On sait que l'Union européenne a promis 3 milliards d'euros à la Turquie lors de l'accord conclu le 21 novembre 2015 avec ce pays ; certaines voix s'élèvent pour faire en sorte que l'aide européenne parvienne bien aux réfugiés « hébergés ». En Turquie, un tiers seulement des Syriens vivent dans des camps de réfugiés contrôlés par le HCR.

Les processus européens sont lents tant pour les prises de décision que pour leur mise en oeuvre, étant observé, au surplus, que la sécurité intérieure reste à bien des égards une « chasse gardée » des États.

Mais les processus de décisions européens si nécessaires par « temps calme » sont-ils adaptés aux situations d'urgence ? En cas d'inadaptation avérée, ce sont bien sûr les États qui reprennent la main, hélas souvent dans le désordre, pour tenter de maîtriser la situation, et c'est tout l'édifice qui est menacé de dislocation.

La plupart des initiatives européennes (la coopération avec les pays tiers concernés), ne produiront leurs effets que dans la durée.

L'urgence, c'est peut-être aujourd'hui le rétablissement de la confiance entre les États membres.

L'Union européenne doit parvenir à mettre en place à ses frontières extérieures des « capacités d'accueil » pour les 1 500, 2 000, parfois 5 000 personnes qui arrivent tous les jours afin de les héberger, les nourrir, les soigner et scolariser leurs enfants pendant tout en assurant les opérations d'enregistrement , d'identification et de contrôle nécessaires.

Les plans de relocalisation proposés par la Commission européenne ne seront acceptés que si tous les États membres ont la certitude que l'Union contrôle effectivement ses frontières extérieures.

Les deux mécanismes de « relocalisation » adoptés par le Conseil le 14 septembre (40 000 personnes au départ de l'Italie et de la Grèce), et le 22 septembre 2015 (120 000 personnes supplémentaires au départ de l'Italie, de la Grèce et de la Hongrie - qui a refusé le bénéfice du dispositif - soit un total de 160 000 personnes à relocaliser) ne portent donc que sur 10 à 15 % de l'ensemble des réfugiés arrivés dans l'Union en 2015. On rappellera qu'il s'agit de deux mécanismes exceptionnels et temporaires qui, en dérogation aux accords de Dublin, relocalisent 160 000 réfugiés afin qu'ils puissent faire enregistrer une demande de protection internationale dans l'État dans lequel ils ont été « relocalisés ».

On relèvera que la clé de répartition retenue par la Commission (le PIB à hauteur de 40 %, la population à hauteur de 40 %, le taux de chômage à hauteur de 10 %, ainsi que l'effort en matière d'asile des cinq dernières années à hauteur de 10 %) n'a pas été validée par les décisions du Conseil. La France, pour sa part, s'est engagée à accueillir un total d'un peu plus de 30 000 personnes, soit 6752 au départ de l'Italie, 12 962 au départ de la Grèce, auquel s'ajouteraient environ 10 000 personnes au nom de la « réserve hongroise ».

Les décisions du Conseil ont aussi prévu que tout État membre confronté à une situation d'afflux massif de réfugiés fragilisant son dispositif d'accueil pourra demander à bénéficier du mécanisme de relocalisation. La Suède a utilisé cette possibilité et, le 15 décembre dernier, a été exonérée de de ses obligations en matière de relocalisation pendant un an.

Le 9 septembre 2015, la Commission a présenté une proposition renforçant les dispositions relatives aux « pays d'origine sûrs » afin d'accélérer le traitement de certaines demandes d'asile et de limiter le flux des demandeurs originaires des Balkans.

La liste de « pays sûrs » proposée comprenait l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine, le Kosovo, le Monténégro, la Serbie et la Turquie. Soulignons que les États membres ont également la possibilité de dresser des listes nationales de pays d'origine sûrs.

C'est ainsi qu'au mois de janvier 2016, l'Allemagne, suivie par l'Autriche, a décidé de placer l'Algérie, le Maroc et la Tunisie sur leurs listes nationales de « pays sûrs ».

LA SITUATION ACTUELLE

Après la mise en place, le 18 février, par la Macédoine, l'Autriche, la Croatie, la Serbie et la Slovénie d'un enregistrement commun des migrants, puis la décision, le 8 mars, de « fermer la route des Balkans », environ de 3 à 4 000 réfugiés continuaient à arriver quotidiennement en Grèce.

Au total, ce serait actuellement quelque 50 000 migrants qui seraient « abrités » en Grèce (chiffres fournis par l'ambassade de Grèce).

Le mardi 8 mars 2016, les membres de la commission des affaires européennes et de la commission des lois du Sénat ont entendu M. Fabrice Leggeri, directeur exécutif de Frontex. Celui-ci a souligné la valeur ajoutée opérationnelle des opérations de l'OTAN en mer Égée, dès lors qu'en l'état actuel du droit, Frontex ne peut déployer ses opérations maritimes (13 bateaux, pour le moment, dans les eaux grecques) que dans les eaux territoriales des États membres de l'Union européenne alors que les navires de l'OTAN peuvent, eux, se déployer dans les eaux territoriales turques.

Un « common outstanding » entre Frontex et le commandement maritime de l'OTAN permet de coordonner les positions des navires et l'échange d'informations. L'objectif est de conduire des opérations communes gréco-turques permettant de signaler aux gardes-côtes turcs les bateaux de migrants détectés aux fins de réadmission sur le territoire turc.

Outre ces opérations maritimes, Frontex compte aussi sur la réactivation de l'accord existant gréco-turc pour la réadmission des migrants en situation irrégulière.

Le directeur exécutif de Frontex a aussi estimé à 236 000 le nombre des franchissements irréguliers vers l'Union européenne depuis le début de l'année, dont 121 000 par la mer à destination de la Grèce.

Par rapport à l'été 2015, il a constaté que les flux actuels concernaient moins les Syriens (35 à 40 % au lieu de 80 %) et que l'on recensait, au cours des dernières semaines, davantage de migrants irréguliers à caractère « économique » en provenance du Maghreb et de l'Afrique sub-saharienne. Il a aussi relevé une progression sensible, depuis le début de l'année, des arrivées de par la Méditerranée centrale, migrants originaires d'Afrique subsaharienne et d'Afrique de l'Ouest.

M. Leggeri a encore mis en garde contre le contournement de la route « bloquée » des Balkans, notamment par l'Albanie vers la mer Adriatique.

Il a regretté l'absence d'une politique d'asile suffisamment unifiée au niveau européen qui permettrait une prise en charge plus satisfaisante des vrais demandeurs d'asile avant de plaider pour une gestion plus intégrée des frontières extérieures de l'Union, les récentes propositions de la Commission en décembre 2015, allant, bien sûr, dans le bon sens. Il a encore exprimé le souhait que Frontex puisse avoir accès au système d'information Schengen (SIS), ce que la législation européenne actuelle lui interdit.

Le Conseil européen des 17 et 18 mars 2016 a entériné les principes retenus par le préaccord Union européenne-Turquie conclu le 7 mars. À partir du dimanche 20 mars, tous les nouveaux migrants irréguliers arrivant en Grèce pourront être refoulés en Turquie.

Conformément au droit international, lesdits migrants auront la possibilité de présenter une demande d'asile en Grèce. La Grèce s'engage, toutefois, à reconnaître explicitement la Turquie comme un pays tiers sûr ce qui pourrait permettre les refoulements.

Par ailleurs, le mécanisme « un Syrien contre un Syrien » prévoit que, pour chaque Syrien renvoyé en Turquie, un autre Syrien, actuellement abrité dans les camps de réfugiés en Turquie, pourra venir présenter une demande d'asile en Europe dans le cadre d'un « corridor humanitaire ». L'échange devrait concerner 72 000 personnes. Il s'agit, selon les termes des conclusions du Conseil, d'un dispositif « temporaire et extraordinaire » visant à « casser le modèle économique des migrants » et « en finir avec la souffrance humaine ».

On connaît les autres conditions posées par la Turquie : un versement supplémentaire de 3 milliards d'euros en faveur des réfugiés installés en Turquie, une accélération du processus d'adhésion à l'Union européenne, ainsi qu'une libéralisation du régime des visas pour les Turcs d'ici à la fin juin (à condition toutefois - la partie européenne a insisté sur ce point - que la Turquie respecte l'ensemble des 72 critères fixés par la Commission).

L'Union européenne s'est engagée à apporter à la Grèce un renfort de quelque 4 000 personnes dont des traducteurs, experts en droit d'asile, avocats, policiers et spécialistes de la sécurité, etc. (coût pour l'Union européenne : entre 280 et 300 millions d'euros).

Mais ne nous y trompons pas. La mise en oeuvre opérationnelle de ce plan suscite beaucoup de scepticisme. La Turquie s'est déclarée prête à accueillir les migrants à compter du 4 avril. Il va falloir multiplier le nombre des hotspots dans les îles grecques, renforcer considérablement leurs moyens en hommes et en matériel, organiser une vraie coopération entre policiers grecs et policiers turcs, ce qui est loin d'être évident.

Sur le plan juridique, il faut s'attendre aussi à la multiplication des recours.

L'accord entre l'Union européenne et la Turquie, dispositif temporaire et extraordinaire, ne remet nullement en cause la stratégie à plus long terme préconisée par la proposition de résolution européenne.

CONCLUSION

L'expression est ici appropriée, l'Europe est à la croisée des chemins, confrontée à une double crise, une crise migratoire telle qu'elle n'en a jamais connue depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, et une crise de son espace de libre circulation, l'espace Schengen.

La politique du « chacun pour soi » à laquelle on assiste depuis un certain nombre de semaines, dans l'espace Schengen, est une conséquence directe de la crise migratoire.

Vos rapporteurs font le pari que l'Union européenne est en mesure de faire face au risque de dislocation et de fournir les éléments d'une politique commune et partagée entre les États membres.

Ils n'en sont pas moins conscients du danger et s'efforceront d'apporter leur contribution en dégageant quelques pistes de réflexion.

Les solutions sont, selon eux, à rechercher, tout d'abord, du côté de la gouvernance de l'espace Schengen, ainsi que de la sécurité des frontières extérieures de l'Union. C'est un préalable.

Réfléchir à une nouvelle gouvernance de l'espace Schengen, c'est envisager un système européen de gestion plus intégrée dont les possibles capacités d'anticipation auront fait singulièrement défaut aux États membres lorsqu'il s'est agi d'affronter la crise migratoire, dans l'urgence et sans solution commune.

Cette réflexion devra interroger le « système Dublin ». Applicable par « temps calme » dans le domaine migratoire, le principe de la responsabilité de l'État de première entrée du réfugié dans l'espace européen semble devoir être aménagé, voire corrigé lorsque la crise atteint les proportions que nous connaissons.

Autre exigence : celle d'assurer un contrôle strict des frontières extérieures de l'Union européenne. Qui entre dans cet espace ? Qui en sort ? L'Union européenne doit être en mesure de le savoir comme beaucoup de pays de tailles diverses.

De fait, la mise en place d'un contrôle systématique des entrées et des sorties, avec validation biométrique, - qu'il s'agisse des ressortissants des pays tiers ou des détenteurs de passeports européens - dans l'espace Schengen est aussi la condition du rétablissement de la confiance entre États membres, et partant, de l'espace commun de libre circulation qui est et restera un des grands acquis de la construction européenne.

Mais l'Union européenne doit aussi assurer le respect des valeurs fondamentales qui la fondent.

À cet égard, l'exercice du droit d'asile sur le territoire européen doit faire l'objet d'une attention scrupuleuse.

Une gestion plus intégrée du traitement individuel des demandes d'asile en Europe pourrait passer par une harmonisation des critères d'attribution de la protection internationale, pourquoi pas lors des recours en appel des premières décisions en la matière, ainsi que par la mise en place, par l'Union, aux principaux points d'arrivée des réfugiés dans l'espace Schengen mais aussi, peut-être, sur le pourtour méditerranéen, de structures d'accueil, d'enregistrement, d'identification et d'orientation dotées des moyens appropriés.

Telles sont quelques-unes des orientations que présente la proposition de résolution européenne ci-après.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 24 mars 2016 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par MM. Jean-Yves Leconte et André Reichardt, le débat suivant s'est engagé :

M. Alain Vasselle . - La proposition de résolution européenne aidera-t-elle à lever les difficultés que Frontex rencontre avec la Macédoine et la Serbie ? Vos propositions, si nous les avions adoptées plus tôt, auraient-elles pu éviter les évènements récents de Belgique ? Un des terroristes impliqué a été expulsé de Turquie vers les Pays-Bas avant de rentrer en Belgique, et la Belgique n'a pris aucune mesure contre lui. Le contrôle des frontières n'est donc pas suffisant.

M. Éric Bocquet . - Il s'agit d'un sujet grave, et cette crise met à mal l'idée européenne. Soyons modestes : nul n'a la solution. Bien sûr, nous devons contrôler nos frontières, mais nous n'empêcherons pas les migrants de passer. Après la fermeture de la route des Balkans, la pression s'accroît à Vintimille... Vers quelles solutions guideraient les « structures d'orientation » que vous évoquez ? De quels moyens disposeraient-elles ? Les conflits en Syrie et en Irak doivent être l'objet d'un effort supplémentaire de la diplomatie européenne. Quant à l'accord avec la Turquie, quel aveu d'échec ! Je m'abstiendrai sur le texte qui nous est proposé.

M. André Gattolin . - Il est dommage que certains principes ne soient pas mentionnés dans cette proposition de résolution européenne. Ce qui se passe aux frontières de Schengen est analogue à ce que nous voyons à Calais, et explique l'inquiétude de nos concitoyens. Le droit d'asile est supérieur aux autres droits, et il est d'une gestion complexe : le demandeur vient souvent malgré lui, et souhaite souvent revenir chez lui dès que possible. D'ailleurs, la majorité des migrants restent aux frontières turques, libanaises ou jordaniennes, pour s'éloigner le moins possible. Si nous n'avions pas laissé se dégrader la situation de leurs camps sur place, ils ne seraient pas venus si massivement vers l'Europe. Sur le plan géostratégique, on constate que la Russie a laissé passer 6 000 migrants venus de Syrie et d'Afghanistan, qui ont franchi la frontière norvégienne à vélo. Les responsables norvégiens y voient une réplique aux sanctions occidentales, et je considère que le bombardement désordonné d'Alep a augmenté de plusieurs milliers le nombre de candidats à l'exil... Renforcer Frontex, très bien, mais ses compétences sont floues quand il s'agit d'intervenir dans les pays candidats à l'adhésion, dont le système judiciaire et policier reste souverain. Je m'abstiendrai sur cette proposition de résolution.

M. Pascal Allizard . - Le coût de 100 milliards d'euros - dont 10 milliards d'euros pour la France - évoqué en cas de rétablissement des frontières intérieures ne correspond-il pas aux économies que nous avons réalisées en les abolissant, mais que nous n'avons pas affectées à un meilleur contrôle des frontières extérieures ?

M. Richard Yung . - Je suis favorable à la plupart de vos propositions. J'espère que l'installation de hotspots progresse. La remise en cause de la souveraineté que vous proposez n'est-elle pas irréaliste ? Quelle chance avons-nous de la voir aboutir ? Même la relocalisation n'est pas acceptée par tous les États. Quant à l'harmonisation des jurisprudences, comment voulez-vous la mettre en oeuvre ? Les juges sont indépendants.

M. André Reichardt, rapporteur . - Bien sûr, nous n'avons pas rappelé tous les principes dans cette proposition de résolution. L'aspect humanitaire de cette crise est évident, non moins que ses dimensions économiques ou sécuritaires. Nous proposons des mesures d'urgence pour remédier aux dysfonctionnements flagrants de Schengen. En particulier, il faut de vrais contrôles, biométriques, à l'extérieur, pour préserver la libre circulation à l'intérieur. On voit bien que la Grèce est débordée, et l'Italie n'a guère fait mieux qu'elle. Frontex doit donc monter en puissance, et la souveraineté des États passer au second rang. Il en va de l'avenir de l'Union européenne. Ce débat est indispensable. Les moyens de Frontex doivent être accrus. Les structures dont nous préconisons la création pourront assurer aussi un hébergement décent aux migrants. Il serait mieux qu'elles soient situées dans des pays tiers. Sinon, il est impossible de renvoyer les personnes déboutées. Pour la Macédoine et la Serbie, nous préconisons que Frontex puisse les aider si elles le demandent.

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur . - Pour harmoniser les jurisprudences en matière de droit d'asile, je proposais la création d'une cour d'appel européenne compétente pour traiter les recours juridictionnels contre les décisions administratives prises dans chaque État membre. Cela facilitera aussi la relocalisation, et sa jurisprudence obligera les instances nationales à converger.

M. André Reichardt, rapporteur . - Je m'y suis opposé, car je crois que c'est irréaliste. D'où la formulation retenue.

M. André Gattolin . - J'ai eu à intervenir auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), qui s'apprêtait à renvoyer un Tibétain en Chine car il n'avait pas trouvé le bon traducteur, et on ne lui avait pas laissé le temps de faire appel !

M. Daniel Raoul . - La proposition de M. Leconte me gêne car elle remet en cause plusieurs principes de droit. Envoyer le corps de garde-frontières européens dans un pays tiers me gêne aussi : ce serait un corps expéditionnaire !

M. Jean Bizet, président . - Cela se ferait à la demande du pays concerné.

M. Daniel Raoul . - Mais reviendrait à déplacer la frontière.

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur . - La Macédoine et la Serbie n'ont pas accès à Eurodac ni aux bases européennes. Du coup, les migrants sont enregistrés plusieurs fois dans des systèmes différents. La Macédoine submergée a demandé à la Hongrie et à la Slovaquie de lui envoyer des effectifs, et ceux-ci ont manqué à Frontex, qui en avait besoin. Il aurait mieux valu répondre à la demande de ces pays en leur fournissant l'aide de Frontex.

Les contrôles biométriques nous rendraient plus crédibles face à la Turquie lorsque nous lui demandons de ne pas admettre nos ressortissants suspectés de vouloir se rendre en Syrie. Certes, la fermeture d'une voie en ouvre d'autres, ce qui fait la fortune des passeurs. C'est pourquoi nous devons avoir une voie d'accès robuste et durable. Quant aux structures que nous évoquons, il peut s'agir simplement de bureaux. La situation actuelle ne peut pas perdurer. Il faut donc consentir à un partage de souveraineté.

M. Daniel Raoul . - Un contrôle biométrique est-il réaliste ? Cela requiert de gros investissements, et le débit n'est pas le même.

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur . - Le système d'information de Schengen a coûté trois fois plus que prévu...

M. Jean Bizet, président . - Quels amendements voulez-vous porter au texte de la proposition de résolution, M. Leconte ?

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur . - Il faudrait écrire : « Considérant qu'aux frontières de l'Union européenne la Turquie, le Liban, la Jordanie, l'Égypte font face à de très nombreux réfugiés qui résultent des crises syrienne, libyenne, mais aussi de la situation au Yémen, en Érythrée, au Soudan ou en Afghanistan, que la Turquie, le Liban et la Jordanie accueillent chacun plus de deux millions de réfugiés, que l'exil vers l'Europe d'une part de ces réfugiés s'explique par le besoin de trouver un endroit où une perspective de vie pourrait leur être offerte » et « Considérant que l'Union européenne doit être à la hauteur de ses valeurs fondatrices en ne laissant pas le Liban, la Jordanie, la Turquie, la Tunisie et l'Égypte seuls face aux tragédies du Moyen-Orient, et que cette solidarité est la condition pour ne pas aggraver la situation dans ces pays et ses répercussions en Europe. »

M. Daniel Raoul . - Ça tourne à la logorrhée !

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur . - Ce sont des considérants. Je souhaite également que la proposition de résolution souligne qu'obtenir une protection donne aussi le droit au regroupement familial, et aborde la question de l'exemption de visas avec la Turquie.

M. Jean Bizet, président . - Ne bouleversons pas un texte, pour lequel vous étiez parvenus à un équilibre... Son point n° 38 ne déplace pas les frontières, mais prévoit l'appui de Frontex si le pays le réclame.

M. André Reichardt, rapporteur . - Ces nouveaux considérants ne font qu'expliciter la proposition de résolution, sauf en ce qui concerne le regroupement familial. L'« orientation » des migrants devrait permettre de prendre en compte toutes les questions dont celle du regroupement familial. Encore faut-il que les services concernés disposent de suffisamment d'informations.

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur . - Il faut créer des voies crédibles, robustes, légales. La remise en cause du droit au regroupement familial est dangereuse.

M. Jean Bizet, président . - Je vous propose d'adopter la proposition de résolution en l'état. Elle sera ensuite examinée par la commission des lois.

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur . - L'équilibre du texte n'est pas tout à fait atteint, puisqu'il ne réaffirme pas certains principes fondamentaux.

À l'issue de ce débat, la commission des affaires européennes a adopté - MM. Éric Bocquet et André Gattolin s'abstenant - la proposition de résolution européenne ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la Convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés,

Vu le « Pacte européen sur l'immigration et l'asile » adopté par le Conseil européen les 15 et 16 octobre 2008,

Vu la directive n° 2011/95/du 13 décembre 2011 concernant les conditions que doivent remplir les ressortissants de pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d'une protection internationale (dite « directive qualification »),

Vu la directive n° 2013/33/EU du 26 juin 2013 établissant les normes d'accueil pour les personnes demandant une protection internationale (dite « directive accueil »),

Vu la directive n° 2013/32/E du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale (dite « directive procédure »),

Vu le règlement n° 603/2014 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale et relative aux demandes de comparaison avec les données d'EURODAC introduit par les autorités répressives des États membres et Europol à des fins répressives (« EURODAC »),

Vu le règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable d'une demande de protection internationale (dit « règlement Dublin »),

Vu la communication de la Commission du 13 mai 2015 intitulé « Un agenda européen en matière de migration »,

Vu les conclusions du Conseil européen des 25 et 26 juin 2015,

Vu la décision du Conseil adoptée le 14 septembre 2015,

Vu la décision du Conseil adoptée le 22 septembre 2015,

Vu les conclusions du sommet de La Valette réuni les 11 et 12 novembre 2015,

Vu le nouveau « paquet législatif » « Frontières » présenté par la Commission le 15 décembre 2015,

Vu les conclusions du Conseil européen des 17 et 18 décembre 2015,

Vu la proposition de règlement du 23 janvier 2016 du Parlement européen et du Conseil relative au corps européen de gardes-frontières et de garde-côtes et abrogeant le règlement (CE) n° 2007/2004, le règlement (CE) n° 863/2007 et la décision 2005/267/CE,

Vu la proposition de règlement du 23 janvier 2016 du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 562/2006 en ce qui concerne le renforcement des vérifications dans les bases de données pertinentes aux frontières extérieures,

Vu les conclusions du Conseil européen des 17 et 18 mars 2016,

Considérant que l'Union constitue un espace de liberté, de sécurité et de justice dans le respect des droits fondamentaux et des différents systèmes et traditions juridiques des États membres ;

Considérant que toute initiative de l'Union ne peut intervenir que dans le respect des valeurs fondamentales et des droits fondamentaux ;

Considérant que le déplacement non contrôlé vers l'Europe de réfugiés fuyant des régions du monde où leur vie et leur sécurité sont en danger favorise les mouvements migratoires de personnes non éligibles à la convention de Genève, qualifiées souvent de « migrants économiques » ;

Considérant que la crise migratoire aiguë, inédite pour l'espace Schengen, remet en cause un fonctionnement qui n'a pas été prévu pour faire face à ce type de défi ;

Considérant que l'espace Schengen, créé en 1985 par l'Allemagne, la Belgique, la France, le Luxembourg et les Pays-Bas, puis progressivement élargi à d'autres pays, constitue un espace de libre circulation dans lequel les États signataires ont aboli les contrôles systématiques sur leurs frontières internes pour une frontière extérieure unique où sont effectués les contrôles d'entrée ; que ceci s'est accompagné de la mise en place de procédures convergentes de délivrance des visa de court séjour, de bases de données communes, d'une coordination des politiques d'asile et d'une coopération entre les polices des différents pays permettant de concentrer les efforts aux frontières extérieures pour plus d'efficacité ;

Considérant que l'espace de libre circulation ne peut se concevoir sans un contrôle effectif des frontières extérieures de l'Union ;

Considérant que cet espace constitue désormais un acquis de la construction européenne, que la coopération qu'il a permis de mettre en oeuvre est essentielle pour faire face aujourd'hui aux défis que doivent affronter l'ensemble des pays membres de l'Union européenne ;

Considérant qu'une remise en cause de ces principes serait un risque pour la sécurité et que le rétablissement de frontières intérieures ne doit avoir lieu qu'à titre provisoire et exceptionnel, et conformément aux conditions prévues par les traités conclus par les États membres de l'Union ;

Considérant que l'ampleur des mouvements migratoires a conduit un certain nombre d'États membres de l'espace Schengen à recourir aux clauses de sauvegarde prévues par le Code frontières Schengen tendant à permettre, à titre provisoire, le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures ; que le recours à ces mesures de sauvegarde a pu s'accompagner, dans certains cas, de mesures nationales unilatérales prises sans concertation préalable avec les institutions européennes ou les États membres voisins pourtant concernés au premier chef par les effets desdites décisions ;

Considérant que ces mesures unilatérales font peser un risque sur l'avenir de l'Union européenne, la confiance entre ses membres, les relations avec les voisins de l'Union européenne et sur la sécurité de la zone Schengen ;

Considérant que pour certains experts, le coût de la généralisation des contrôles permanents aux frontières intérieures dans l'espace Schengen pourrait être supérieur à 100 milliards d'euros sans compter la réduction probable des investissements directs et des flux financiers ;

Considérant que les observations effectuées en Macédoine et en Serbie soulignent le manque de coordination entre Frontex et les autorités macédoniennes et serbes, dès lors que cette agence n'est pas autorisée à intervenir dans ces deux pays ;

Considérant que le renforcement de la coopération internationale avec les pays tiers, en particulier les pays d'origine et de transit des réfugiés ou des migrants, ainsi qu'en a témoigné le sommet de La Valette des 11 et 12 novembre 2015, est prioritaire ; qu'à cet égard, tout accord de fond réciproquement avantageux et respectant les normes du droit international doit être recherché ; que la contribution de l'Union à la résolution des conflits armés qui ravagent de nombreuses régions du monde, en particulier le Proche-Orient, constitue, une autre priorité ;

- Sur la nécessité d'une réponse globale sur la gouvernance de Schengen :

Estime que la crise migratoire aiguë à laquelle l'Europe est confrontée depuis plusieurs mois appelle une réponse globale liée à la gouvernance de l'espace Schengen ;

Relève que cette réponse globale ne pourra faire l'économie d'un débat sur le choix à opérer entre une responsabilité de chaque État membre de surveillance de sa partie de frontière extérieure et le maintien du « système Dublin » fondé sur la responsabilité de l'État de première entrée et l'acceptation par les États membres que la surveillance des frontières extérieures de l'espace Schengen sont une compétence commune ;

- Sur le contrôle des frontières extérieures de l'espace Schengen :

Estime que les compétences de Frontex doivent être renforcées pour permettre à l'agence d'accéder au SIS Schengen ;

Estime que Frontex devrait pouvoir intervenir dans un pays officiellement candidat à l'Union européenne, si celui-ci le demande, pour assurer une meilleure efficacité de la surveillance des frontières de l'espace Schengen, de l'Union européenne et de l'État candidat concerné ;

Soutient la proposition de règlement du 23 janvier 2016 du Parlement européen et du Conseil relative au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes ainsi que la proposition de règlement du 23 janvier 2016 du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CEE) n° 562/2006 en ce qui concerne le renforcement des vérifications dans les bases de données pertinentes aux frontières extérieures ;

Souligne qu'il importe, de mettre en place un contrôle systématique et biométrique de toutes les entrées et sorties de l'espace Schengen accompagné d'un enregistrement pour les ressortissants des pays tiers ;

- Sur le droit d'asile :

Souligne que le droit d'asile, qui implique le traitement individuel de chaque demande, oblige tous les signataires de la convention relative au statut des réfugiés conclue à Genève le 28 juillet 1951 ainsi que du protocole du 31 janvier 1967 ; qu'il est aussi inscrit à l'article 18 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; qu'aux termes de l'article 33 de ladite Convention de Genève : « Aucun des États contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ; »

Reconnaît qu'il existe au sein des États membres des traditions et des cultures différentes en matière d'accueil des migrants et que les États restent libres d'accorder ou non le statut protecteur prévu par la convention de Genève relative au statut des réfugiés de 1951 dont ils sont parties ;

Appelle de ses voeux une réflexion sur l'harmonisation des jurisprudences des structures nationales chargées du traitement individuel des demandes d'asile et, partant, sur la définition d'une véritable politique européenne de l'asile ;

Est d'avis qu'une solution pérenne réside dans la création, aux principaux points d'arrivée des migrants, de structures relevant de l'Union pour l'hébergement, l'enregistrement, l'identification et l'« orientation » des migrants ; relève que cette « orientation » pourrait s'articuler autour des principes posés par le règlement « Dublin » mais aussi des programmes de relocalisation ou de réinstallation décidés par l'Union européenne ;

Appelle de ses voeux une réflexion sur les possibilités d'installer, avec l'accord des pays tiers concernés, ces structures sur le pourtour méditerranéen ; considère que cette option, outre qu'elle réduirait le nombre des « victimes » des migrations, pourrait constituer à plus long terme un des éléments d'une stratégie européenne concertée d'anticipation et de maîtrise des pressions migratoires ;

Souligne la nécessité, pour l'Union européenne, de mener un combat résolu contre les réseaux de passeurs.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS

1. En France

Ambassade de l'Ancienne République yougoslave de Macédoine

- M. Gabriel ATANASOV, chargé d'affaires

Ambassade de Grèce

- S. Exc. Mme Maria THEOFILI, ambassadeur

- M. Andreas GOTSINAS, premier secrétaire

Ambassade de Serbie

- Mme Mirjana Nicolic, ministre conseiller

Ambassade de Turquie

- S. Exc. M. Hakki AKIL, ambassadeur

- M. Nevzat ARSLAN, premier conseiller

- Mme Ayça SARITEKIN, conseillère

Direction générale de la sécurité intérieure

- M. Patrick CALVAR, directeur général

- Mme Marie DENIAU, chef de Cabinet

European Policy Centre

- M. Yves PASCOUAU, chercheur

FRONTEX

- M. Fabrice LEGGERI, directeur exécutif

Secrétariat général des affaires européennes

- M. Philippe LÉGLISE-COSTA, secrétaire général

- Mme Isabelle JÉGOUZO, secrétaire général adjoint

2. À Bruxelles

Commissariat européen aux migrations et affaires intérieures

- Mme Sofia ASTERIADI, chef-adjoint de cabinet

- M. Olivier CLERGEAU, conseiller en charge des relations avec la France au cabinet de M. Dimitris AVRAMOPOULOS, commissaire européen aux migrations et affaires intérieures

Parlement européen

- M. Carlos COEHLO, député européen (Portugal / PPE)

Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne

- M. Frédéric VEAU, chef du service « Justice, affaires intérieures »

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