DÉBAT EN COMMISSION

M. Michel Bouvard . - Je remercie le rapporteur général pour la qualité de son rapport, dont je partage les orientations. Traditionnellement, nous ne votons pas sur ce type de documents. Mais rien n'interdirait de présenter une résolution pour exprimer une position sanctionnée par un vote.

Vous soulignez la contribution importante des stocks à la croissance, depuis trois ans, d'environ 0,4 point. Mais selon les économistes, une telle contribution tend à s'effacer au bout de trois ans. Qu'en attendre alors désormais ?

Une reprise de l'investissement des entreprises est souhaitable - et le suramortissement dit « Macron » peut y contribuer - mais ne sont actuellement mobilisés que 90 % de la capacité de production industrielle. Tant que le chômage restera élevé, il freinera l'investissement immobilier des ménages. Le dispositif « Pinel », certes utile, reste à évaluer.

Si l'on ne peut que se réjouir de l'effet d'aubaine de la réduction des taux d'intérêt, insistons davantage sur ses effets sur les économies réalisées à chaque budget. Certes, la dette est gérée intelligemment par l'Agence France Trésor (AFT). Nous nous sommes engagés, auprès de l'Union européenne, par le Pacte de stabilité et de croissance ; or, une hausse des taux d'intérêts n'est pas à exclure, même si ce n'est pas pour demain matin. La dette doit être gérée dans la durée, alors qu'actuellement les maturités sont peu longues.

Renforçons les efforts structurels sur les dépenses de fonctionnement. L'atonie de l'investissement public pose problème, notamment en ce qui concerne l'effondrement de l'investissement des collectivités territoriales. L'investissement public, nécessaire, doit faire l'objet d'une sélectivité accrue compte tenu des exigences inhérentes à la satisfaction de la population, à l'attractivité du territoire, à la recherche... Faute d'avoir mené les réformes nécessaires, l'investissement reste atone en France alors qu'il a redémarré chez nos voisins européens.

M. Vincent Delahaye . - Je m'associe aux propos de Michel Bouvard. Selon le programme de stabilité, tout irait pour le mieux à l'avenir. Mais souvenons-nous qu'on anticipait au début du quinquennat une croissance de 2,5 % et que l'on se contente désormais de 1,9 % en fin de période programmation. Cette prévision doit être mise en regard de la croissance potentielle, qui est inférieure ! Pour l'avenir, on prévoit toujours une croissance supérieure à ce qui a été constaté dans le passé.

Le programme de stabilité est un exercice théorique et reste marqué par un biais optimiste. Il prévoit une progression de la masse salariale privée de 3,1 % en 2018, de 3,8 % en 2019. Comment espérer une telle évolution ! S'agissant de l'inflation, alors que celle-ci est nulle depuis trois ans elle atteindrait 1 %, tout d'un coup, en 2017...

Par ailleurs, notre modèle économique continue de présenter d'importants défauts. La croissance repose essentiellement sur la consommation, qui est financée à crédit, et peu sur l'investissement. L'investissement des ménages continue de baisser, à l'instar de l'investissement des entreprises. L'investissement public, lui aussi, recule toujours, étant devenu la variable d'ajustement du redressement de nos comptes publics.

Le déficit diminue sans doute mais reste très élevé : 77 milliards, ce n'est pas une petite somme ! On peut se réjouir que sa part dans le PIB se réduise mais elle reste excessive et cette réduction est due à des éléments exceptionnels, soit la baisse des taux d'intérêts et la hausse des revenus fiscaux avec le rapatriement des avoirs détenus à l'étranger, qui ne seront toutefois pas éternels. On ne peut pas bâtir une programmation budgétaire sur de tels éléments ! Seules la Grèce et l'Espagne sont derrière nous, ce n'est pas très brillant !

Entre 2011 et 2015, la masse salariale et les prestations sociales ont progressé, tandis que les investissements ont baissé de 15 %. Entre 2015 et 2017, toutes les dépenses engageraient un recul ? Ce n'est pas crédible. Comme d'habitude, le Gouvernement est flou sur les économies potentielles. Et que veut dire une formule comme « moindres décaissements maastrichtiens » ? Qui comprend cela ? L'utilisation de tels termes est regrettable, alors qu'il est nécessaire de rendre les finances publiques plus lisibles !

M. François Marc . - En 2015, les résultats budgétaires ont été meilleurs que les prévisions. Pour la première fois depuis vingt ans, la croissance de la dépense publique ralentit et atteint 0,9 %. Cela doit être rappelé !

La trajectoire budgétaire proposée par le Gouvernement me paraît, pour ma part, équilibrée. Il y a quelques années, Bruxelles avait préconisé des coupes claires partout, avant de faire un mea culpa - à l'instar du Fonds monétaire international (FMI) -, prenant conscience de leur effet fortement récessif, qui condamnait toute possibilité de reprise.

Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) juge plausibles les prévisions macroéconomiques. La trajectoire budgétaire du Gouvernement présente donc des fondements rationnels. L'amélioration du déficit public effectif s'est révélée plus rapide que prévu ; il atteint 3,5 % du PIB au lieu des 3,8 % annoncés. N'ignorons pas ces bonnes nouvelles ! Le solde structurel sera moins réduit qu'espéré ; ceci est lié à un désaccord persistant entre l'Union européenne et la France concernant son estimation. La minoration de l'ajustement structurel serait, en partie, imputable à la faiblesse de l'élasticité des recettes fiscales, du fait de la faiblesse de l'inflation. Or, comme vous le rappelez vous-même, il s'agit là d'un facteur qui n'est pas lié à l'action du Gouvernement !

Vous dénoncez des économies qui resteraient « à la surface des choses », mais le Gouvernement s'évertue à sélectionner des domaines préservés, avec des priorités politiques : la sécurité, l'éducation et la défense. Il n'y a pas d'usage systématique du « rabot ». Vous avez présenté une courbe réévaluant l'évolution du taux de prélèvements obligatoires, en prenant 2012 comme point de référence. Mais à son arrivée, le Gouvernement a dû combler un « trou » de 10 milliards d'euros en augmentant les impôts. Si vous prenez comme référence l'année 2013, la différence de trajectoire entre le quinquennat précédent et celui en cours saute aux yeux. Des efforts ont été réalisés - certes, moins violents que vous ne le souhaiteriez... En cas de victoire de la droite, vous annoncez 100 à 150 milliards d'euros d'économies. Où les trouverez-vous, si ce n'est pas dans les collectivités locales ? Supprimerez-vous le ministère de l'Éducation nationale ?

M. Richard Yung . - Certes, 77 milliards d'euros de déficit public, c'est trop. Mais celui-ci a été réduit de moitié en six ans, il était de 140 milliards en 2010 ! Ce n'est peut-être pas assez, mais c'est la réalité !

M. Philippe Dallier . - Vous n'avez pas fait cela tout seuls !

M. Richard Yung . - Je ne le prétends pas, chacun a sa part du travail, mais vous avez aussi contribué à son augmentation ! C'est le jeu classique : la majorité trouve le programme formidable, tandis que l'opposition dénonce des chiffres qui n'auraient jamais été aussi mauvais... Nous avons créé le Haut Conseil des finances publiques, avec un regard neutre, qui évalue objectivement les chiffres. Pourquoi en parler à peine ? Dans un sage balancement circonspect, il indique que les hypothèses de 2016-2017 sont plausibles.

Les entreprises sont en train de restaurer leurs marges et c'est ce qui fonde l'investissement, moteur de la croissance. Le coût horaire de la main d'oeuvre française a considérablement ralenti, passant en deçà du coût horaire allemand. Selon la Banque de France, il croîtrait de 0,2 % en 2016-2017 en France, contre 2 % en Allemagne. C'est un facteur de compétitivité essentiel. Ceci est dû aux mesures structurelles : crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), Pacte de responsabilité, prélèvement à la source... Parlons-en ! Ces mesures sont importantes dans notre dialogue avec la Commission européenne.

M. Jacques Chiron . - Il est dommage que le rapport, dont je veux souligner la qualité, n'affiche pas la même présentation que ses éditions précédentes, en particulier pour les tableaux sur les prélèvements obligatoires et la dette publique. Le premier montre une forte baisse des prélèvements obligatoires jusqu'en 2009, puis une explosion jusqu'en 2013 avant une stabilisation et une légère baisse. Le second, il y a deux ans, débutait comme le premier en 2006 : la dette publique représentait alors 64 % du PIB ; 64,4 % en 2007 ; 68 % en 2008 ; 79 % en 2009 ; 81 % en 2010 ; 86 % en 2011 puis 90 % en 2012. Elle s'est ensuite stabilisée à 95 %. Il aurait été intéressant de comparer les deux courbes, de baisse importante des prélèvements et de hausse excessive de la dette publique. Depuis 2006, on aurait noté une hausse de 26 points de la dette publique, tandis que celle-ci n'a progressé que de cinq points de PIB depuis 2012.

M. Marc Laménie . - Je remercie le rapporteur général de la qualité pédagogique de son rapport. Avec 77 milliards d'euros de déficit, la France n'est pas la meilleure élève de la classe. On ne maîtrise pas l'évolution des prix du pétrole. Il faut vraiment s'interroger sur ses effets indésirables.

M. Vincent Capo-Canellas . - Il faut choisir entre trois scénarios : optimiste, pessimiste et moyen. Nous faisons moins bien que les pays comparables tant en termes de performances économiques que de solde budgétaire et d'évolution de la dépense publique. Comment sortir de cette logique ?

Le dispositif de suramortissement dit « Macron » a été évoqué. Il est regrettable que le principe de sa prolongation n'ait pas été introduit dans la loi de finances pour 2016. Le sera-t-il dans un projet de loi de finances rectificative ? Une simple instruction fiscale, ce n'est pas assez pour être rassurant.

Richard Yung évoque la stabilité relative du coût salarial. Il oublie que la hausse du point d'indice des fonctionnaires va dans un sens contraire. Le Gouvernement a également évoqué la recapitalisation d'EDF. A-t-on des données sur ces évolutions ? Le Premier ministre a émis des signaux dépensiers.

M. Francis Delattre . - Cette feuille de route mérite une réflexion approfondie. Le « rabot » a trouvé ses limites, même si ses résultats sont incontestables. Dans nos territoires, certains services ont été supprimés ou sont en survie. Il ne reste plus de marge. Pour nous en sortir, il nous faut au moins revenir dans la moyenne européenne - en termes de poids de la dépense publique, des prélèvements obligatoires, etc. La compétitivité de notre économie doit être consolidée. Les entreprises n'investissent pas assez en dépit de la reconstitution progressive de leurs marges. En France, la part des salaires - et des éléments accessoires de rémunération - est trop élevée, ce qui nuit à notre compétitivité. Ceci est imputable à notre tradition sociale. Il est impératif que les salaires soient davantage maîtrisés. Par quels moyens ? Le logement est, en France, 50 % plus cher que la moyenne européenne ; il représente un tiers du budget des Français, ce qui réduit d'autant leur pouvoir d'achat. Les avantages fiscaux immobiliers ont d'importants effets inflationnistes ! Il faudrait peut-être tous les supprimer, hormis le prêt à taux zéro (PTZ). C'est le type de suggestions que nous devrions formuler, un accord doit être possible entre nous là-dessus.

M. Yannick Botrel . - Le rapporteur général a corrélé la baisse des dotations aux collectivités territoriales avec celle de leurs investissements. Je m'interroge sur le choix de 2015 comme année de référence. Après un renouvellement des conseils municipaux comme celui de 2014, il y a forcément une discontinuité dans la gestion et donc une baisse des investissements, le temps d'élaborer de nouveaux projets. On y verra plus clair en prenant pour référence l'année 2016.

À la lecture de la presse quotidienne régionale des Côtes d'Armor, j'ai noté peu de hausses des impôts locaux cette année, voire des baisses. Les finances des collectivités territoriales sont saines. Je doute que ce département soit exceptionnel.

M. Michel Berson . - J'appelle votre attention sur un indicateur révélateur de l'évolution de la situation économique et financière de notre pays : l'évolution du taux de prélèvements obligatoires par rapport au PIB. La situation était préoccupante en 2008, 2009 et 2010. Ce taux était de 41 % en 2009. Il a crû à 44,7 % en 2013, avant une décélération en 2014, à 44,8 %, puis une baisse. Il devrait être de 43,5 % en 2018, son niveau de 2012. Voilà une preuve manifeste que les mesures prises par le Gouvernement, dont le Pacte de responsabilité et de solidarité, donnent des résultats positifs. L'année 2015 est la première où le taux de prélèvements obligatoires a sérieusement baissé, à 44,5 %, et celui-ci devrait passer à 43,8 % en 2018 et 43,5 % en 2019. Depuis 2013, la situation s'est redressée.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Sur la période 2014-2015, la baisse du déficit est réelle, atteignant 7,4 milliards d'euros, en raison, notamment, d'une baisse de la charge de la dette de 2,3 milliards d'euros et de 4,1 milliards de baisse des investissements publics. Il ne s'agit pas d'économies. Le chiffrage des dépenses nouvelles en dépenses est, en revanche, inquiétant. Les effets de la faible inflation ainsi que les annonces nouvelles impliqueront des économies supplémentaires de 7 milliards d'euros en 2016 et de 9 milliards d'euros en 2017.

La France, comme l'ensemble de l'Europe, bénéficie de facteurs exogènes tels que la faiblesse des taux d'intérêt, mais à la différence des autres pays européens, elle n'en profite pas pour faire des réformes structurelles. La dépense publique française progresse deux fois plus que la moyenne des autres pays de la zone euro. Inexorablement, la dette publique approche 100 % du PIB.

La commission a donné acte de sa communication au rapporteur général et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

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