B. L'UNION DE L'ÉNERGIE

La table-ronde sur l'union de l'énergie nous a donné l'occasion d'échanger avec les députés européens Theresa Griffin 33 ( * ) , Françoise Grossetête 34 ( * ) , Edouard Martin 35 ( * ) , Dominique Riquet 36 ( * ) et Claude Turmes 37 ( * ) . Il s'agit d'un thème prioritaire du programme de travail de notre commission des affaires européennes mais aussi de la Commission Juncker, le cadre financier pluriannuel 2014-2020 prévoyant que 20 % des financements de l'Union doivent concourir à la lutte contre le changement climatique. Les dix-huit mois écoulés ont d'ailleurs été riches en annonces et en incitations dans le domaine.

1. L'union de l'énergie et son contexte
a) Le cadre posé par les deux paquets énergie-climat

L'union de l'énergie vise à achever un marché intérieur intégré de l'énergie, qui permettrait à l'Union de disposer de façon sûre d'une énergie compétitive et la plus « propre » possible. Les objectifs de sécurité d'approvisionnement et de compétitivité économique procèdent des lignes directrices tracées dans les « paquets énergie-climat » de 2009 et 2014.

(1) Le premier paquet énergie climat (2009)

Le premier paquet énergie-climat de 2009 a réparti les efforts entre États-membres et leurs secteurs productifs et fixé trois objectifs chiffrés pour la politique de l'énergie à l'horizon 2020 :

- une réduction des émissions de CO 2 de 20 % par rapport à 1990 ;

- une part de 20 % d'énergies renouvelables dans l'énergie consommée ;

- une réduction de 20 % de la consommation énergétique par rapport aux projections faites en 2007 (objectif qui n'était assorti d'aucune valeur juridiquement contraignante).

Il était composé de quatre textes : trois directives et une décision du 23 avril 2009 :

- la directive 2009/29/CE pour améliorer et étendre le système communautaire d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre (SCEQE) ;

- la directive 2009/28/CE pour la promotion des énergies renouvelables ;

- la décision 406/2009/CE sur l'effort à fournir par les États membres pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre ;

- la directive 2009/31/CE définissant les règles de stockage géologique du dioxyde de carbone.

Par ailleurs, deux autres textes adoptés simultanément se rapprochaient par leurs objectifs du paquet énergie-climat :

- le règlement 443/200 fixait des normes de performance en matière d'émissions pour les voitures particulières neuves ;

- la directive 2009/30/CE contenait des spécifications relatives à l'essence, au carburant diesel et aux gazoles, avec un mécanisme permettant de surveiller et de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

(2) Les nouveaux objectifs posés en 2014

Le 24 octobre 2014, le Conseil européen a adopté un second cadre énergie-climat dans un accord fixant trois grands objectifs pour 2030 :

- réduire les émissions de gaz à effet de serre d'au moins 40 % (par rapport aux niveaux de 1990) ;

- porter la part des énergies renouvelables à au moins 27 % ;

- améliorer l'efficacité énergétique d'au moins 27 %.

Ce cadre est conforme à la perspective à long terme définie dans la feuille de route intitulée « Vers une économie compétitive à faible intensité de carbone à l'horizon 2050 » et le livre blanc sur les transports 38 ( * ) bien que seul l'objectif de réduction de 40 % des gaz à effet de serre ait une valeur contraignante.

b) L'union de l'énergie lancée en 2015
(1) La communication de la Commission du 15 février 2015

Publié par la Commission le 25 février 2015, le paquet « Union de l'énergie » est composé de trois communications :

- le « cadre stratégique pour l'Union de l'énergie », qui précise les objectifs de l'Union de l'énergie et les mesures concrètes qui seront prises pour les atteindre ;

- une communication présentant la vision de l'UE concernant le nouvel accord mondial sur le changement climatique ;

- une communication présentant les mesures nécessaires pour atteindre l'objectif de 10 % d'interconnexion électrique d'ici 2020.

En mars 2015, le Conseil européen a choisi de faire reposer l'Union de l'énergie sur cinq piliers, reprenant des politiques qui ont façonné l'Europe de l'énergie depuis une vingtaine d'années, à savoir :

- la pleine intégration du marché européen de l'énergie avec pour corollaire la construction de réseaux gaziers et électriques transfrontaliers ;

- la décarbonisation de l'économie ;

- l'efficacité énergétique comme moyen de modérer la demande ;

- la sécurité énergétique ;

- et enfin la recherche, l'innovation et la compétitivité.


L'énergie dans l'Union européenne en chiffres

• 6 États membres dépendent d'un seul fournisseur extérieur pour toutes leurs importations de gaz.

• l'UE importe 90 % de son pétrole brut et 66 % de son gaz naturel.

• 75 % des logements de l'UE présentent un faible rendement énergétique.

• 94 % des transports sont tributaires des produits pétroliers, dont 90 % sont importés.

• Les prix de gros de l'électricité sont supérieurs de 30 % à ceux des États-Unis et les prix de gros du gaz de 100 %.

(2) Les initiatives en cours

ï Dans le cadre de la stratégie de l'Union de l'énergie, la Commission européenne a présenté, le 15 juillet 2015, des propositions visant à :

- « offrir une nouvelle donne aux consommateurs d'énergie », en visant trois objectifs : aider les consommateurs à économiser de l'argent et de l'énergie par une meilleure information, donner plus de choix aux consommateurs en ce qui concerne leur participation aux marchés de l'énergie, et maintenir un niveau maximal de protection des consommateurs ;

- réorganiser le marché européen de l'électricité. Pour lancer une réforme du système électrique européen inclusive, la Commission a ouvert cet été une consultation publique susceptible de recueillir les diverses positions des parties prenantes ;

- actualiser l'étiquetage énergétique, en particulier par une proposition de révision de la directive actuelle pour revenir à un système plus lisible pour le consommateur et donc plus porteur en termes d'efficacité énergétique ;

- revoir le système d'échange de quotas d'émission de l'Union conformément au cadre d'action en matière de climat et d'énergie à l'horizon 2030, adopté en octobre 2014, afin de corriger les manquements souvent soulignés du marché carbone.

Le train de mesures sur la sécurité énergétique

La Commission a présenté, le 16 février 2016 , un ensemble de mesures sur la sécurité énergétique présentant un volet plus stratégique de l'union de l'énergie . Il s'agit à travers ce paquet de textes d'appréhender la transition énergétique et de préparer l'Union à d'éventuelles ruptures d'approvisionnement.

Ce train de mesures comportait quatre initiatives :

- un règlement sur la sécurité de l'approvisionnement en gaz : la grande dépendance de l'Union à l'égard de ses importations de gaz doit conduire à améliorer la résilience des marchés aux ruptures éventuelles, à accroitre ses capacités de production propres et à promouvoir une plus grande solidarité entre les États membres en cas de pénurie ;

- une décision sur les accords intergouvernementaux dans le secteur de l'énergie , pour les rendre plus transparents, en donnant à la Commission un rôle plus important de garante de l'intérêt général de l'Union ;

- une stratégie relative au gaz naturel liquéfié (GNL) et au stockage de gaz , pour améliorer l'accès de tous les États membres au GNL grâce à la construction des infrastructures stratégiques nécessaires ;

- une stratégie en matière de chauffage et de refroidissement : chauffage et refroidissement des bâtiments d'habitation ou de production représentent près de la moitié de la consommation énergétique de l'UE. Le secteur doit donc être prioritaire pour l'amélioration de l'efficacité énergétique et le recours accru aux sources d'énergie renouvelables.

2. La table-ronde

Les échanges ont porté sur les grands principes qui doivent préciser la politique énergétique en Europe ainsi que sur des questions d'actualité telles que la ratification de l'Accord de Paris sur le climat ou les échanges de quotas d'émission de carbone.

a) Les principes de la politique énergétique

Dans son propos introductif, la présidente Danielle Auroi a souligné l'importance que revêt à ses yeux la recherche de l'efficacité énergétique , faisant valoir que « la première source d'énergie est celle que nous n'utilisons pas », et rappelant ainsi son très grand intérêt pour les propositions de la Commission attendues après l'été en matière d'étiquetage énergétique et de financements des mesures d'efficacité à destination des ménages. Mme Theresa Griffin a, pour sa part, insisté sur la nécessité de prendre en compte deux phénomènes nouveaux : la précarité énergétique et le développement des pro-sumers , à la fois consommateurs et producteurs locaux d'électricité 39 ( * ) .

M. Dominique Riquet a rappelé que la difficulté principale de l'union de l'énergie résidait dans l'existence d'une politique commune alors que la définition des modèles demeure nationale et partant, très hétérogènes. M. André Schneider a fait valoir que, de surcroît, les mix énergétiques nationaux étaient eux-mêmes changeants, prenant l'exemple de l'Allemagne et de son attitude actuelle favorable aux énergies fossiles, aux antipodes de ce qu'elle était il y a une dizaine d'années. Quant à M. Claude Turmes, il s'est montré assez critique à l'encontre du modèle énergétique français largement fondé sur le nucléaire et ce, aussi bien en termes de sécurité 40 ( * ) que de compétitivité, rapportant par exemple le prix élevé de l'EPR à la forte baisse des coûts de production de l'énergie solaire.

M. Dominique Riquet a aussi estimé qu'un autre facteur de complexité de l'union de l'énergie était la difficile recherche d'équilibre entre ses cinq objectifs affichés . S'agissant des instruments, il a plaidé pour un dépassement de la distinction binaire entre subventions publiques et mécanismes de marché (privés) et plaidé pour des financements mixtes et en particulier pour la mobilisation du plan Juncker au profit d'investissements allant au-delà des seules interconnections.

Le président Jean Bizet a rappelé qu'indépendamment des fortes différences qui existent en son sein, l'Union ne devait pas perdre de vue son objectif de compétitivité économique globale. Nous négocions actuellement le traité transatlantique avec un partenaire dont le prix de l'énergie en Europe est en moyenne deux à trois fois inférieur au nôtre .

b) La ratification de l'Accord de Paris sur le climat

L'importance de la ratification de l'Accord de Paris issu de la COP 21 a été soulignée notamment par M. Harlem Désir et par la présidente Auroi, le ministre rappelant la mobilisation des autorités françaises pour que l'Union européenne puisse l'accomplir avant la fin de l'année .

M. Claude Turmes a fait valoir qu'une ratification rapide était aujourd'hui empêchée par des processus institutionnels internes à l'Allemagne qui ne devraient aboutir qu'en février ou mars 2017. Il a plaidé pour l'élaboration d`une stratégie franco-allemande.

c) Le prix du carbone et la réforme de l'ETS

En lien direct avec le point précédent, une grande partie de la réunion a porté sur les quotas d'émission du carbone dans le contexte de la réforme du système européen dit ETS.


Le système communautaire d'échange de quotas d'émission

Le système communautaire d'échange de quotas d'émission (en anglais Européen Trading Scheme - ETS) est un mécanisme de droits d'émissions de CO 2 instauré dans le cadre de la ratification par l'UE du protocole de Kyoto. Lors de son lancement en 2005, l'ETS constituait le plus grand système d'échange de crédit-carbone dans le monde.

L'actuelle « révision » du système ETS consiste en un renforcement du système dans l'optique d'obtenir une réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre en 2020 (par rapport à 1990).

Le Parlement européen s'est prononcé le 24 février 2015 pour la création d'une « réserve de stabilité de marché » pour fin décembre 2018, soit trois ans plus tôt que ce qui était proposé par la Commission. Ce nouveau mécanisme permettrait de réguler le marché en retirant des quotas d'émission de CO 2 en période de récession et, à l'inverse, en en redistribuant en période de croissance. La France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne souhaitent que la réserve soit mise en oeuvre dès 2017, mais plusieurs pays est-européens, menés par la Pologne, sont réticents et préconisent d'attendre 2021.

La Commission européenne a proposé, en juillet 2015, dans un « paquet d'été » sur l'énergie, une réforme du marché du carbone pour l'après-2020 qui durcit sensiblement les conditions d'octroi des quotas d'émission, en vue de transcrire dans des actes juridiques l'objectif que s'est fixée l'Union européenne de réduire ses émissions d'au moins 40 % d'ici à 2030.

Elle propose notamment de réduire de 21 % la quantité globale de quotas de CO 2 (droits à émission) alloués entre 2021 et 2030, par rapport à la période 2013-2020, soit - 2,2 % par an. Une partie croissante de ces quotas (57 %) sera dès aujourd'hui soumise à un système d'enchères, et seulement 47 % seront attribués gratuitement.

Les allocations gratuites seront réservées aux secteurs qui présentent le plus grand risque de délocalisation de leurs activités de production en dehors de l'Union européenne. Le nombre d'industries éligibles à 100 % de quotas gratuits sera réduit de 180 à 50. L'acier, l'aluminium et la chimie en feront partie. Un Fonds pour l'innovation sera alimenté par le produit des enchères de 400 millions de quotas (estimé à environ 10 milliards d'euros) et destiné à soutenir l'investissement dans les énergies vertes ou encore la séquestration du carbone. Cette réforme, ajoutée à la « réserve de stabilité » par le Parlement européen pour mise en oeuvre à compter de 2019, devrait faire remonter le prix du carbone. Le prix de 17 euros en 2020 et 30 euros en 2030 est souvent avancé alors que la tonne de CO 2 se négocie aujourd'hui entre 5 et 10 euros, niveau jugé insuffisant pour orienter les investissements vers des industries moins émissives.

M. Claude Turmes a considéré que la proposition faite par la Commission en 2015 41 ( * ) ne permettait pas de résoudre le problème posé par l'excédent d'ETS qui devrait être de 3 à 4 milliards d'euros au milieu des années 2020. La proposition française d'instaurer un corridor de prix pour la tonne de carbone lui semble mal engagée dans un contexte de surcapacité structurelle de la production électrique. Devant la difficulté d'atteindre une majorité en ce cas au Conseil, il a préconisé l'instauration d'un prix franco-allemand sur une base bilatérale 42 ( * ) destinée à être rapidement adoptée par les autres États membres .

Mme Françoise Grossetête a souligné la nécessité d'assurer un équilibre entre la lutte contre le réchauffement climatique et la défense de la compétitivité de l'industrie , rappelant que cet équilibre était actuellement recherché au sein d'un groupe de travail rassemblant des députés européens des commissions précisément en charge de l'environnement et de l'industrie. Elle a ainsi plaidé pour l'augmentation du nombre de quotas gratuits.

M. Edouard Martin a, pour sa part, rappelé son opposition à toute attribution de quotas gratuits tout en souscrivant à l'objectif de compétitivité. À cette fin, il recommande d'étendre la prise en compte du coût du carbone à l'ensemble des productions, y compris des importations 43 ( * ) . Il a ainsi posé la question de la taxe carbone dont la présidente Danielle Auroi a souligné tout l'intérêt.


* 33 Groupe de l'alliance progressiste des socialistes et démocrates, Royaume-Uni.

* 34 Groupe de parti populaire européen, France.

* 35 Groupe de l'alliance progressiste des socialistes et démocrates.

* 36 Groupe de l'alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe, France.

* 37 Groupe des verts-alliance libre européenne.

* 38 Présenté le 28 mars 2011.

* 39 Réaffirmant ainsi les principales conclusions de son récent rapport d'initiative.

* 40 Estimant aussi que les pays voisins de la France nourrissaient des inquiétudes quant à la capacité d'EDF à entretenir son parc de centrales.

* 41 Cf encadré supra).

* 42 Tout en estimant cependant que pour l'heure, les niveaux de prix relativement élevés visés par la France sont surtout perçus outre-Rhin comme un moyen d'accorder un soutien à notre filière nucléaire.

* 43 Prenant l'exemple les millions de tonnes d'acier chinois importés chaque année par l'UE.

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