B. LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET LES LIEUX DE CULTE MUSULMAN

Comme il a été indiqué dans l'introduction du présent rapport, la délégation du Sénat aux collectivités territoriales et à la décentralisation a déjà consacré d'importants travaux à la question du financement des lieux de culte par les collectivités territoriales, dont il est rendu compte dans le rapport d'information n° 345 (2014-2015) présenté le 17 mars 2015 par notre collègue Hervé Maurey ( Les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte ).

Ce rapport ne traitait pas uniquement des lieux de culte musulman, mais s'intéressait à toutes les confessions : concernant l'Islam, il considérait que ce culte « [...] connaît une phase de rattrapage dans la constitution d'un patrimoine immobilier cultuel correspondant à ses besoins, et de moins en moins de difficultés d'implantation au niveau local », admettant néanmoins que « [...] pourtant, eu égard aux besoins, il faudrait vraisemblablement davantage de lieux de prière pour cette communauté ».

Il convient toutefois de préciser, comme indiqué dans le rapport Maurey, que la réglementation diffère en l'Alsace-Moselle.

1. Un principe posé par la loi de 1905 : l'interdiction de participer au financement des cultes

L'article 2 du la loi du 9 décembre 1905 prévoit que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte . En conséquence, sont supprimés des budgets de l'État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes ». En outre, l'article 19 de la même loi prévoit que les associations cultuelles ne peuvent « sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions de l'État, des départements et des communes ».

Ce principe de non intervention de l'État ou des collectivités territoriales a acquis une reconnaissance constitutionnelle dans la décision n°2012-297 QPC (précitée) dans laquelle le Conseil constitutionnel rappelle que le principe de laïcité implique que la République ne salarie aucun culte.

Aussi, la collectivité territoriale ne peut subventionner la construction d'un lieu de culte, ou accorder des subventions à une association dont l'objet inclut la pratique d'un culte (TA Grenoble, 31 décembre 1991). Elle ne peut pas plus vendre un bien communal à un prix inférieur à sa valeur vénale à une association dont l'objet principal est de poursuivre des activités cultuelles : le juge administratif y verrait une subvention déguisée accordée à l'association cultuelle (TA Orléans, 16 mars 2004, Fédération d'Indre-et-Loire de la libre pensée).

La commune peut être amenée à engager des dépenses nécessaires à l'entretien et à la conservation des édifices religieux dont elle est propriétaire, c'est-à-dire existants avant 1905. Toutefois, et quelle que soit la date de construction de l'édifice, elle ne peut engager des dépenses de fonctionnement, comme par exemple le chauffage ou les frais d'électricité allant au-delà de ceux nécessaires à la conservation du bâtiment, même si la somme est très faible (Cour administrative d'appel de Nancy, 5 juin 2003, Commune de Montaulin).

De même, une collectivité locale ne peut pas financer une manifestation religieuse (TA Chalons en Champagne, 1996), même si elle présente comme une festivité locale à caractère traditionnel et pourvu d'un un intérêt économique et touristique ( CE, 15 février 2013, Grande confrérie de Saint Martial) .

Le Vade mecum sur la laïcité publié par l'AMF en novembre 2015 (ref. ci-avant) comporte également un chapitre consacré à la mise à disposition de salles communales pour des activités liées au culte, assorti de recommandations concrètes comme, par exemple, le fait qu'une mise à disposition de locaux communaux à une association cultuelle ne lui permet pas d'apposer des signes religieux sur la façade d'un bâtiment public.

2. Les conditions de mise à disposition d'une salle par la collectivité locale

Une commune ne peut mettre à disposition gratuitement ou à un prix inférieur au coût habituel, un lieu pour l'exercice d'un culte, si son occupation est ordinairement payante. Le tribunal administratif a ainsi jugé illégale une convention entre la ville de Nice et l'association des Musulmans du centre-ville prévoyant une décote de 50 % accordée à l'association sur le montant du loyer ( TA Nice, 26 mars 2013, Association de défense de la laïcité et M. Vardon c/Ville de Nice et Association des Musulmans du centre-ville).

Et si le maire peut mettre à disposition une salle communale au profit d'une association religieuse pour l'exercice du culte, pour peu qu'il lui en fasse régler le coût normal, force est d'admettre que la mise en oeuvre de cette faculté s'opère dans des conditions assez compliquées (du fait d'une jurisprudence évolutive) qui ne facilitent pas l'analyse des situations.

Ainsi, le maire reste fondé -comme l'a rappelé le Conseil d'État dans sa décision de 1990 ( Commune de la Roque )- à « décider d'exclure de ce droit les organismes exerçant des offices religieux dans le but de mettre l'utilisation des locaux appartenant à la commune à l'abri de querelles politiques ou religieuses ».

Dans tous les cas, toutefois, il doit veiller à ne pas discriminer une confession donnée. Ainsi, la jurisprudence a déclaré illégale comme portant atteinte à la liberté de réunion, le fait pour une commune de refuser de louer sans faire « état d'aucune menace à l'ordre public, mais seulement de considérations générales relatives au caractère sectaire de l'association, ni d'aucun motif tiré des nécessités de l'administration des propriétés communales ou du fonctionnement des services » (CE., 30 mars 2007 , Culte des Témoins de Jéhovah Lyon-Lafayette ).

En outre, une collectivité ne peut mettre à disposition de façon pérenne et exclusive une salle en vue de son utilisation par une association pour l'exercice d'un lieu de culte, car cela aurait pour conséquence de conférer à ce local le caractère d'édifice cultuel (CE, 19 juillet 2011, Commune de Montpellier ).

3. Urbanisme, bail emphytéotique administratif et intérêt local : des marges de souplesse laissées aux collectivités territoriales

Si les collectivités territoriales ne peuvent pas financer les lieux de culte, elles disposent toutefois de moyens d'agir afin de faciliter leur implantation. En effet, l'article L. 2252-4 et L. 3231-5 du code général des collectivités territoriales permettent aux communes et départements de garantir les emprunts contractés pour financer « dans les agglomérations en voie de développement » la construction par des associations cultuelles d'édifices répondant à des besoins collectifs de caractère religieux.

Le maire peut également réserver dans son plan local d'urbanisme un emplacement destiné à accueillir un édifice correspondant à une installation d'intérêt général . A contrario , il peut s'opposer à un projet d'édifice cultuel ne respectant pas les règles d'urbanisme et celles des établissements accueillants du public.

Comme le rappelle la circulaire du 14 février 2005 relative à la construction d'édifices du culte et au respect des règles d'urbanisme et de construction, un maire peut légalement refuser un permis de construire à un bâtiment ne respectant pas la hauteur plafond (CE 25 septembre 1996 n° 109753 - relatif à l'annulation d'un permis de construire d'une église dont la hauteur du clocher devait dépasser les prescriptions du plan d'occupation des sols) ou ne disposant pas d'un nombre de places de parking suffisant (CAA Nantes 24 mars 1999). Mais, « dès lors que les règles sont respectées, le refus de délivrer le permis de construire encourt l'annulation » (CE 3 février 1992; CAA Marseille 12 février 2004). En outre, le juge administratif vérifie que le droit d'urbanisme ne soit pas détourné de son objet pour empêcher la construction d'un édifice cultuel (TA Lyon 10 février 1993 Association Altène ). Le juge judiciaire, pour sa part, qualifie de voie de fait l'utilisation détournée par une commune de son droit de préemption pour empêcher l'édification d'un lieu de culte (CA Rouen, 23 février 1994).

L'article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales a mis en place les baux emphytéotiques administratifs cultuels, permettant à des associations cultuelles de disposer d'un terrain pour pouvoir construire un lieu de culte. Toutefois, le loyer payé ne peut être symbolique, au risque de voir le bail requalifié en subvention (TA Marseille, 17 avril 2007).

Enfin, comme l'a précisé le Conseil d'État dans cinq décisions du 19 juillet 2011, si les collectivités territoriales peuvent prendre des décisions ou financer des projets en rapport avec des édifices ou des pratiques cultuels, elles ne peuvent le faire qu'à la condition que ces décisions répondent à un intérêt public local, qu'elles respectent le principe de neutralité à l'égard des cultes et le principe d'égalité et qu'elles excluent toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte.

Ainsi, une collectivité peut participer au financement d'un équipement destiné à un lieu de culte, dès lors qu'existe un intérêt public local et qu'un accord -lequel peut par exemple figurer dans une convention- encadre l'opération (dans l'espèce soumise au Conseil d'État -CE, Ass., 19 juillet 2011, commune de Trélazé - il s'agissait de la participation financière d'une commune à la restauration d'un orgue d'église, l'intérêt local résidant au cas présent dans le développement de l'enseignement artistique et l'organisation de manifestations culturelles).

Au nom de cet intérêt local, une collectivité peut également participer financièrement à un équipement d'un édifice cultuel en raison de de la valorisation culturelle et touristique qu'il représente pour le territoire. A ainsi été jugé légale la participation financière de la commune de Lyon au financement d'un ascenseur permettant aux personnes à mobilité réduite d'accéder à la basilique de Fourvière, même si cet équipement sert également aux pratiquants du culte en cause (CE, 19 juillet 2011, Fédération de la libre pensée et de l'action sociale du Rhône et M. P .).

4. L'aide d'une collectivité à une pratique cultuelle : l'exemple des équipements permettant l'abattage rituel

Par sa décision Communauté urbaine du Mans - Le Mans Métropole du 19 juillet 2011, le Conseil d'État a affirmé le droit, pour une collectivité locale de pouvoir aménager un équipement permettant l'exercice de l'abattage rituel, si un intérêt public local le justifie, et « notamment la nécessité que les cultes soient exercés dans des conditions conformes aux impératifs de l'ordre public, en particulier la salubrité et la santé publique ». En l'espèce, il s'agissait d'aménager des locaux désaffectés en vue d'obtenir l'agrément sanitaire pour un abattoir local temporaire destiné à fonctionner essentiellement pendant les trois jours de la fête de l'Aïd-el-Kébir.

Ainsi, en l'absence d'un abattoir proche, et afin de garantir que l'abattage soit pratiqué dans des conditions conformes à la législation en vigueur et qu'il réponde aux impératifs de santé et de salubrité publiques, la collectivité peut aménager un tel équipement. Toutefois, les conditions d'utilisation notamment tarifaires, doivent respecter le principe de neutralité à l'égard des cultes et d'égalité.

Cela exclut toute libéralité qui serait alors analysée comme une aide à un culte.

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