C. LE « CONSENSUS DE LA CROISSANCE POTENTIELLE »

1. Une démarche inédite engagée par la commission des finances

Alors qu'en matière de pilotage budgétaire, les hypothèses de croissance potentielle considérées sont habituellement celles de la direction générale du Trésor et des organisations internationales, la commission des finances du Sénat a souhaité établir un « consensus de la croissance potentielle » . Les enjeux inhérents à de telles hypothèses pour la définition de la trajectoire des finances publiques, donc des efforts à consentir tant en dépenses qu'en prélèvements obligatoires, impliquaient, en effet, de disposer d'une référence alternative en la matière. Cette démarche, inédite, qui repose sur la consultation des principaux instituts de conjoncture , avait donné lieu à la publication d'un premier « consensus » lors de l'examen, en 2014, du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 41 ( * ) .

Aussi les développements qui suivent présentent-ils, en vue de l'examen des prochaines programmations budgétaires, les premiers résultats d'un nouveau cycle de consultation des instituts de conjoncture . En outre, ils mettent en évidence les implications, pour les orientations des finances publiques, d'une révision des hypothèses relatives au PIB potentiel au regard du nouveau « consensus de la croissance potentielle ».

À cet égard, il apparaît que retenir la trajectoire de PIB potentiel du « consensus » impliquerait la mise en oeuvre d'une politique budgétaire plus exigeante que celle proposée par le Gouvernement afin d'atteindre l'objectif de solde structurel que celui-ci a défini.

2. Une estimation de la croissance potentielle du consensus plus faible que celle actuellement retenue par le Gouvernement...

Le « consensus » établi à partir des données transmises à la commission des finances par les instituts de conjoncture sollicités fait apparaître une estimation moyenne de la croissance potentielle de 1,2 % pour la période 2015-2021 .

Graphique n° 9 : Scénario gouvernemental de croissance potentielle
et consensus de la commission des finances

(évolution, en % )

Source : commission des finances du Sénat

Ainsi, comme le fait apparaître le graphique ci-avant, l'évaluation de la croissance potentielle actuellement retenue par le Gouvernement est significativement supérieure au « consensus » pour les années 2016-2017 (+ 0,3 point) et, dans une moindre mesure, en 2018 (+ 0,1 point) ; l'ampleur de cet écart est en grande partie imputable à la révision à la hausse des hypothèses gouvernementales de croissance potentielle intervenue dans le cadre du programme de stabilité d'avril 2015, à hauteur de 0,2 point à compter de 2016 (cf. supra ).

Tableau n° 10 : Consensus de la croissance potentielle
de la commission des finances du Sénat

(évolution, en %)

Prévisionnistes

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

Moyenne

2015-2021

Axa AM

1,2

1,4

1,4

1,5

1,5

1,5

1,6

1,4

BIPE

1,4

1,4

1,4

1,4

1,4

1,4

1,4

1,4

BNP Paribas

0,8

1,0

1,1

1,1

1,2

1,2

1,2

1,1

Citi

1,0

1,1

1,2

1,3

1,4

1,5

1,6

1,3

Coe-Rexecode

1,0

1,0

1,0

1,0

1,0

1,0

-

1,0

Crédit Agricole

1,0

1,0

1,1

1,3

1,3

1,5

1,5

1,2

Euler Hermes

1,5

1,5

1,5

1,5

1,5

1,5

1,5

1,5

Exane

1,1

1,1

1,1

1,1

1,1

1,1

1,1

1,1

Natixis

0,9

0,8

0,8

0,7

0,5

0,5

0,4

0,7

OFCE

1,3

1,3

1,3

1,3

1,3

1,3

1,3

1,3

Oxford Economics

1,3

1,4

1,4

1,3

1,3

1,3

1,3

1,3

PAIR Conseil

1,0

1,1

1,2

1,3

1,4

1,5

1,5

1,3

1,1

1,2

1,4

1,5

1,6

1,7

1,7

1,5

CONSENSUS (moy.)

1,1

1,2

1,2

1,3

1,3

1,3

1,3

1,2

Minimum

0,8

0,8

0,8

0,7

0,5

0,5

0,4

0,7

Maximum

1,5

1,5

1,5

1,5

1,6

1,7

1,7

1,5

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données transmises par les instituts cités)

Pour les exercices 2016 et 2017, la trajectoire du Gouvernement s'inscrit, par conséquent, résolument dans la « fourchette » haute des estimations disponibles . Il ne saurait donc être exclu que ce dernier ne surestime quelque peu les incidences des réformes structurelles engagées
- soit essentiellement le déploiement du crédit d'impôts pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et du Pacte de responsabilité - sur la croissance potentielle française, au moins à court et moyen termes.

S'agissant de l'écart de production, la moyenne des données transmises par les instituts de conjoncture dans le cadre du « consensus » s'élève à - 2,0 % du PIB potentiel en 2015 , l'écart se refermant ensuite progressivement pour atteindre - 0,5 % en 2019 puis + 0,1 % en 2021. Ces résultats tendent à confirmer l'idée, avancée notamment par le Haut Conseil des finances publiques, selon laquelle l'hypothèse relative à l'écart de production retenue par le Gouvernement, en particulier dans le dernier programme de stabilité - de - 3,3 % du PIB potentiel en 2015 et de - 2,9 % en 2019 -, est possiblement surestimée (cf. supra ).

3. ...qui semble appeler une politique budgétaire plus exigeante

Si les différences observées entre les hypothèses gouvernementales relatives au PIB potentiel et le « consensus » de la commission des finances peuvent paraître relatives, voire secondaires, elles n'en ont pas moins d'importantes implications pour la trajectoire des finances publiques .

En particulier, si l'estimation du solde structurel reposait sur le « consensus » à partir de 2016 et non sur les hypothèses gouvernementales de croissance potentielle 42 ( * ) , une politique budgétaire plus exigeante que celle conduite à ce jour devrait être mise en oeuvre . Ainsi, dans ce cas, le respect des objectifs d'ajustement structurel figurant dans le programme de stabilité d'avril 2016, qui s'élèvent à 1,7 point de PIB au total entre 2016 et 2019, impliquerait la réalisation de près de 10 milliards d'euros d'économies supplémentaires au cours de la période - à supposer que la consolidation budgétaire continue de ne reposer que sur des efforts en dépenses -, dont près de 7,5 milliards d'euros pour les seules années 2016 et 2017 .

En effet, une estimation de la croissance potentielle moins optimiste que celle du Gouvernement aurait pour effet d'affaiblir la réduction « mécanique » du solde structurel découlant des hypothèses de calcul retenu, l'écart de production tendant à se refermer plus rapidement que dans le scénario gouvernemental. Par conséquent, afin de maintenir intact le rythme de l'ajustement structurel réalisé au cours de la période de programmation, il serait nécessaire de renforcer la « teneur » de ce dernier , par exemple en accroissant le montant des économies réalisées.

Tableau n° 11 : Sensibilité de la trajectoire des finances publiques
aux hypothèses de croissance potentielle

(en % du PIB)

2016

2017

2018

2019

Hypothèses de croissance potentielle du programme de stabilité d'avril 2016

Croissance potentielle

1,5

1,5

1,4

1,3

Ajustement structurel

0,4

0,5

0,5

0,3

Solde effectif

- 3,3

- 2,7

- 1,9

- 1,2

Dette publique

96,2

96,5

95,4

93,3

Hypothèses de croissance potentielle du « consensus » de la commission des finances

Croissance potentielle

1,2

1,2

1,3

1,3

Ajustement structurel

0,4

0,5

0,5

0,3

Solde effectif

- 3,1

- 2,2

- 1,0

- 0,2

Dette publique

96,0

95,8

93,8

90,7

Source : commission des finances du Sénat (à partir des hypothèses du projet de programme de stabilité pour les années 2016 à 2019)

À trajectoire d'ajustement structurel inchangée, ce surcroît d'économies contribuerait, par ailleurs, à accélérer la réduction du déficit effectif, de même que du poids de la dette publique dans la richesse nationale . Le déficit public effectif reviendrait à 2,2 % du PIB en 2017, contre une prévision de 2,7 % du PIB dans le dernier programme de stabilité, et de 0,2 % du PIB en 2019, contre 1,2 % du PIB. De même, la dette publique représenterait 90,7 % du PIB en 2019, alors que le Gouvernement anticipait jusqu'à présent un montant équivalent à 93,3 % du PIB (cf. tableau ci-avant).

En conclusion, si la trajectoire de croissance potentielle retenue par le Gouvernement n'est pas excessivement surestimée, le « coup de pouce » qui y a été donné en avril 2015 permet d'abaisser les efforts à accomplir en vue du retour à l'équilibre structurel, et ce plus particulièrement en ce qui concerne les années 2016 et 2017. Il en résulte un recul moins rapide tant du déficit public effectif que de la part de la dette dans la richesse nationale. Aussi, retenir une estimation de la croissance potentielle plus proche de celle indiquée par le « consensus » permettrait une accélération de la consolidation des comptes publics .


* 41 Rapport n° 55 (2014-2015) sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 fait par Albéric de Montgolfier au nom de la commission des finances du Sénat, octobre 2014, p. 20.

* 42 Pour autant, il convient de souligner de nouveau l'importance que revêtent également les hypothèses d'écart de production sur la trajectoire des finances publiques. Ainsi, si l'on retient l'estimation de l'écart de production pour l'année 2015 du « consensus de la croissance potentielle », soit - 2,0 % du PIB potentiel, le déficit structurel serait de 2,5 % du PIB et non de 1,9 % du PIB
- comme cela apparaît dans le projet de loi de règlement pour l'exercice 2015 -, ce qui impliquerait de relever de 0,6 point de PIB environ l'ajustement structurel au cours de la période 2016-2019 afin de respecter les objectifs fixés pour la fin de la période de programmation.

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