II. CLARIFIER POUR MIEUX MESURER : RASSEMBLER AU SEIN D'UN DOCUMENT UNIQUE PUBLIÉ À UN RYTHME MENSUEL LES STATISTIQUES ÉTABLIES PAR L'INSEE ET PÔLE EMPLOI

A. L'ENQUÊTE EMPLOI DE L'INSEE : UNE STATISTIQUE UNANIMEMENT RECONNUE COMME LA PLUS PERTINENTE EN MATIÈRE DE MESURE DU CHÔMAGE

1. Une mesure du chômage reposant sur une définition harmonisée établie par le Bureau international du travail (BIT)

La mesure du chômage par l'Insee dans le cadre de son enquête Emploi s'appuie sur la définition du chômage au sens du Bureau international du travail (BIT) . Celle-ci est issue des conclusions de la 13 e conférence internationale des statisticiens du travail (CIST) d'octobre 1982 . Cette instance réunit des statisticiens issus des instituts statistiques nationaux tels que l'Insee en France et des ministères en charge du travail et de l'emploi de l'ensemble des 187 États membres de l'Organisation internationale du travail (OIT).

Sont considérés comme chômeurs au sens du Bureau international du travail (BIT), les personnes en âge de travailler (c'est-à-dire âgées de plus de 15 ans) et réunissant trois critères cumulatifs : ne pas avoir travaillé, même une heure, durant la période de référence , être disponible pour travailler dans les 15 jours , être en recherche active d'un travail.

Les travaux du BIT ont également permis de définir au niveau international différents concepts tels que :

- la population active qui « comprend toutes les personnes des deux sexes qui fournissent, durant une période de référence spécifiée, la main-d'oeuvre disponible pour la production de biens et services ». La population active se répartit en deux sous-catégories : la population habituellement active (qui comprend « toutes les personnes ayant dépassé un âge spécifié dont le statut principal vis-à-vis de l'activité en termes de nombre de semaine ou jours au cours d'une longue période spécifique était celui de personnes pourvues d'un emploi ou de chômeurs ») et la population active du moment (ou « main-d'oeuvre », qui comprend « toutes les personnes qui remplissent les conditions requises pour être incluses dans les personnes pourvues d'un emploi ou les chômeurs ») ;

- l'emploi c'est-à-dire que « les personnes pourvues d'un emploi comprennent toutes les personnes ayant dépassé un âge spécifié qui se trouvaient, durant une brève période de référence spécifiée telle qu'une semaine ou un jour », en situation d'emploi salarié ou non-salarié ;

- le sous-emploi « lié à la durée du travail existe quand la durée du travail d'une personne employée est insuffisante par rapport à une autre situation d'emploi possible que cette personne est disposée à occuper et disponible pour le faire » ;

- l'inactivité , qui correspond à la situation des personnes ni en emploi ni au chômage ;

Enfin, le BIT a également défini une méthode de mesure reposant sur la détermination d'une « semaine de référence », des entretiens directs avec les personnes enquêtées (cf. infra ).

En France, seule l'enquête Emploi réalisée par l'Insee et dont les résultats sont publiés chaque trimestre permet de mesurer le chômage au sens du BIT .

2. Malgré des limites inhérentes à toute statistique...

Les résultats de l'enquête Emploi réalisée par l'Insee sont publiés à un rythme trimestriel . Depuis 2002, cette enquête est réalisée en continu tout au long de l'année, et non plus annuellement comme cela était le cas depuis les années 1950, auprès d'un échantillon représentatif de 90.000 logements (en France hors Mayotte, dont 8.000 logements dans les départements d'outre-mer). L'échantillon est tiré au sort par les méthodologues de l'Insee. L'ensemble des occupants du logement de plus de 15 ans sont interrogés par des enquêteurs de l'Insee (environ 700 équivalents temps plein contractuels de droit public) soit directement, en face-à-face, soit par téléphone. L'échantillon est ainsi constitué d'environ 110.000 personnes de 15 ans ou plus par trimestre, dont environ 12.000 dans les départements d'outre-mer hors Mayotte. Les personnes enquêtées sont interrogées six trimestres de suite. En règle générale, le premier entretien a lieu au domicile de la personne, les quatre fois suivantes par téléphone et à nouveau en face-à-face la sixième fois. Au cours de ces entretiens, elles sont invitées à décrire précisément leur situation au travers d'une vingtaine de questions qui permettent de déterminer si elles sont en emploi, au chômage ou inactives au sens du BIT .

Toutes ces questions se rapportent à une semaine donnée, dite « semaine de référence » , précédant de peu l'interrogation, qui a lieu deux semaines et demi au maximum après cette semaine de référence pour limiter les effets de mémoire. Ces semaines sont réparties uniformément sur l'année, de façon à produire des indicateurs en moyenne trimestrielle (qui sont ensuite ajustés de coefficients de saisonnalité) ou en moyenne annuelle .

Comme toute statistique, la mesure du chômage au sens du BIT dans le cadre de l'enquête Emploi présente certaines limites .

Elle repose tout d'abord sur la détermination d'un échantillon statistique, ce qui implique un degré de précision plus faible que le décompte du nombre de demandeurs d'emploi inscrits à Pôle emploi qui est, pour sa part, exhaustif . La mesure du taux de chômage au sens du BIT à un niveau local n'est donc pas possible . Si des taux de chômage trimestriels régionaux et départementaux sont produits, leur établissement repose sur une méthodologie spécifique, hybride, c'est-à-dire s'appuyant à la fois sur une mesure du chômage au sens du BIT et sur le nombre de DEFM. Comme l'a rappelé Anne-Juliette Bessonne, cheffe de la division synthèse et conjoncture du marché du travail de l'Insee 24 ( * ) , « pour produire des estimateurs trimestriels sur des échelons aussi fins, nous réalisons des estimations à partir des données de l'enquête Emploi nationale et des DEFM. Ces taux de chômage ne sont pas estampillés comme étant des taux de chômage au sens du BIT mais bien comme des taux localisés ».

Par ailleurs, l'utilisation d'un échantillon implique l'existence d'une marge d'erreur. Selon l'Insee, l'intervalle de confiance à 95 % du taux de chômage trimestriel est estimé à + ou - 0,3 point , en niveau comme en évolution d'un trimestre sur l'autre. En d'autres termes, un taux de chômage estimé à 10 % aura une probabilité de 95 % d'être compris entre 9,7 % et 10,3 %. Pour autant, comme le rappelle l'Insee 25 ( * ) , « la répartition de l'erreur de sondage suivant une loi normale, le milieu de l'intervalle de confiance est plus probable ».

Les statistiques « brutes » obtenues par l'agrégation des résultats remontés par les enquêteurs font en outre l'objet de corrections des variations saisonnières et des jours ouvrés (CVS-CJO) , dont les limites ont été rappelées précédemment.

Des incidents peuvent également survenir, comme cela a été le cas lors de la publication des résultats du premier trimestre 2013 . Trois facteurs ont alors été identifiés par l'Insee : la refonte de la chaîne des traitements informatiques, l'accroissement temporaire de la non-réponse en lien avec le déploiement du nouveau cadre d'emploi des enquêteurs et la rénovation du questionnaire. Une estimation du taux de chômage du premier trimestre 2013 a donc été réalisée en juin 2013, puis deux communications ont été publiées (en septembre 2013 lors de la publication des résultats du deuxième trimestre 2013 et en mars 2014 à l'occasion de la publication des résultats du quatrième trimestre 2013 et des séries rétropolées).

Enfin, il convient de rappeler que la mesure du chômage au sens du BIT ne permet de mesurer que le chômage . Elle ne renseigne en rien sur d'autres réalités du marché du travail telles que le « halo autour du chômage », la qualité de l'emploi, ou encore le taux d'inactivité, indicateurs qui peuvent cependant être inclus dans l'enquête Emploi.

Le « halo autour du chômage »

Le chômage au sens du BIT fait l'objet d'une définition stricte qui exclut certaines situations.

Le « halo autour du chômage » correspond ainsi aux personnes inactives qui souhaitent un emploi sans être comptées comme chômeurs au sens du BIT, c'est-à-dire les personnes déclarant souhaiter travailler ou rechercher un emploi mais qui ne sont pas disponibles dans les quinze jours pour occuper un emploi ou qui n'ont pas fait de démarche active de recherche d'emploi au cours des quatre dernières semaines.

Cette définition fait désormais l'objet d'une harmonisation au niveau européen.

Selon l'Insee, au deuxième trimestre 2016, en France métropolitaine, 1,5 million de personnes se trouvaient dans le « halo autour du chômage ».

3. ... les chiffres publiés par l'Insee dans le cadre de son enquête Emploi semblent les plus pertinents pour mesurer l'état du chômage en France
a) Une mesure du chômage permettant des comparaisons dans le temps et dans l'espace

Parce qu'elle fait l'objet d'une définition reconnue au niveau international, la mesure du chômage au sens du BIT constitue le seul indicateur permettant une comparaison entre pays .

Elle a en outre fait l'objet de précisions méthodologiques dans le cadre de l'OCDE et de l'Union européenne .

En particulier, l'enquête Emploi de l'Insee s'inscrit dans le cadre des labor force surveys (LFS) menées dans l'ensemble des États membres de l'Union européenne et dont les modalités de réalisation sont fixées par différents textes :

- le règlement n° 577/98 du Conseil du 9 mars 1998 relatif à l'organisation d'une enquête par sondage sur les forces de travail dans la Communauté en ce qui concerne la définition opérationnelle du chômage, dont les modalités d'application ont été définies par le règlement n° 1897/2000 de la Commission du 7 septembre 2000 ;

- le règlement n° 223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2009 relatif aux statistiques européennes et abrogeant le règlement (CE, Euratom) n° 1101/2008 relatif à la transmission à l'Office statistique des Communautés européennes d'informations statistiques couvertes par le secret, le règlement (CE) n° 322/97 du Conseil relatif à la statistique communautaire et la décision 89/382/CEE, Euratom du Conseil instituant un comité du programme statistique des Communautés européennes ;

- le code de bonnes pratiques de la statistique européenne du 28 septembre 2011.

Si les textes européens fixent une obligation de résultats (définition des variables devant être mesurées par les États membres), les moyens pour y parvenir sont en revanche très largement laissés à la discrétion des États membres . Les seules exigences posées par le cadre européen visent à assurer la qualité et l'homogénéité des données transmises (fixation des concepts et des principes permettant une mesure harmonisée, fixation des critères de précision minimale au niveau national ou régional, etc.). Chaque institut peut ainsi définir de manière autonome son protocole de collecte (face-à-face, téléphone ou internet, taux de rotation de l'échantillon, type d'échantillonnage, etc.). Comme l'a rappelé Gallo Gueye, directeur des statistiques sociales d'Eurostat 26 ( * ) , « s'agissant des chiffres mensuels du chômage au sens du BIT, nous ne cessons de pousser à l'harmonisation, mais, encore une fois, il s'agit d'obtenir, non pas le recours à une méthode unique, mais une comparabilité indirecte des résultats. L'objectif porte sur l' output , même si, pour l'atteindre, nous travaillons aussi sur l' input ».

Si la mesure du chômage au sens du BIT permet une comparaison dans l'espace, elle est également la seule à permettre une mesure dans le temps , la définition du chômage n'ayant pas varié depuis 1982. Ainsi, lorsque des modifications de procédure sont susceptibles d'avoir eu un impact sur les chiffres produits, l'Insee procède à une rétropolation afin de corriger ces effets et d'assurer l'homogénéité dans le temps de la mesure .

Cela a par exemple été le cas en 2003 au moment du passage à l'enquête Emploi en continu, en 2007 et en 2011, avec la mise en oeuvre de mesures destinées à se conformer aux critères européens, et en 2013 à l'occasion de la rénovation du questionnaire.

b) Des statistiques régulièrement contrôlées et dont la qualité est unanimement reconnue

Au niveau européen, la qualité des données issues des enquêtes sur les forces de travail produites par les instituts statistiques nationaux est contrôlée par Eurostat, direction générale de la Commission européenne.

Eurostat s'assure en particulier de la qualité des données issues des enquêtes sur les forces de travail. Il s'appuie notamment sur les rapports qualité qui lui sont transmis par chaque État membre et qui doivent décrire les éventuels écarts par rapport aux normes européennes (pertinence, fiabilité, ponctualité, accessibilité, cohérence et comparabilité).

Par ailleurs, en interne, l'Insee réalise des contrôles poussés durant le processus de production de ses statistiques (cf. encadré infra ).

Les contrôles mis en oeuvre par l'Insee
dans le cadre de la production de l'enquête Emploi

1 - Contrôles/formation :

Le processus de production de l'enquête est soumis à des risques de nature diverse : des risques humains (la collecte, assurée en face à face et par téléphone, repose sur un large réseau d'enquêteurs et de gestionnaires en directions régionales), mais aussi des risques informatiques (la collecte étant assistée par ordinateur).

Le protocole de l'enquête est très strict sur l'étalement de la collecte sur l'année : les semaines de référence sur lesquelles porte l'interrogation sont fixées à l'avance et ne peuvent être décalées et l'interrogation doit se dérouler dans un court délai après cette semaine.

Le caractère continu de la collecte impose donc de nombreux contrôles en amont, qui prennent plusieurs formes. Ils consistent en la formation des enquêteurs, pour les préparer au mieux aux différents cas rencontrés sur le terrain et pour une bonne appropriation de l'enquête. Des accompagnements ponctuels par des enquêteurs experts sont également assurés. Les contrôles passent également par de nombreux tests en amont de toute modification dans le processus de production. En particulier, chaque année à l'automne, en vue de la production de l'année à venir, se tient une répétition générale visant à s'assurer du fonctionnement de la chaîne.

Pendant la collecte, une équipe dédiée réalise un suivi régulier pour s'assurer du bon déroulement de la collecte (suivi du taux de réponse global et par région, vérification du protocole de collecte). Cette équipe répond aux demandes du réseau des services d'enquête ménages qui pilotent les enquêteurs.

2 - Redressement / traitement des non réponses :

Des repondérations et calages sont établis pour compenser le biais introduit par l'impossibilité d'obtenir une réponse dans tous les logements et pour réduire autant que possible les fluctuations d'échantillonnage. Les redressements sont réalisés par la méthode de « calage sur marges », à partir d'informations issues de la base de sondage ou de données externes (pyramides des âges notamment à partir de dernier recensement).

3 - Des contrôles sont enfin menés en aval de la collecte :

- Analyse des révisions des séries CVS, notamment lors des recalages annuels sur les données du recensement ;

- Analyse des écarts avec les sources administratives (confrontation avec les estimations d'emploi et les demandeurs d'emploi inscrits en fin de mois à Pôle emploi) ;

- Analyse des évolutions en lien avec d'autres indicateurs (PIB, enquêtes de conjoncture, enquête « Activité et conditions d'emploi de la main-d'oeuvre ») ou en lien avec les mesures de politique économique (exemple : réforme des retraites, emplois aidés).

Source : Réponse au questionnaire de votre rapporteur

Au total, selon Eurostat 27 ( * ) , « les statistiques trimestrielles et annuelles d'emploi et chômage produites par l'Insee sur la base de l'enquête sur les forces de travail sont en parfaite conformité avec les règlements européens ». Par ailleurs, Yves Perardel, économétricien à l'OIT 28 ( * ) , a rappelé « la qualité exceptionnelle du travail de l'Insee , notamment dans la précision des données qu'il fournit à un rythme trimestriel ».

C'est pourquoi la mesure du chômage au sens du BIT telle que réalisée par l'Insee dans le cadre de l'enquête Emploi constitue l'indicateur de référence retenu par l'ensemble des économistes, ainsi que l'a rappelé Christine Erhel lors de son audition : « s'il fallait n'en choisir qu'un, le meilleur indicateur serait celui du BIT... ».


* 24 Audition du 17 mai 2016.

* 25 Réponse au questionnaire de votre rapporteur.

* 26 Audition du 19 mai 2016.

* 27 Réponse au questionnaire de votre rapporteur.

* 28 Audition du 19 mai 2016.

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