III. À LA RECHERCHE D'UNE ACCLIMATATION EN FRANCE

Le revenu de base peut présenter une réponse théorique intéressante à certains défis de société, notamment le changement inéluctable de nos économies développées. À ce titre, il ne doit ni être diabolisé, ni être porté aux nues comme la seule réponse pertinente aux évolutions de notre société.

La mission a privilégié la voie du réalisme plutôt que celle de l'utopie. À un « grand soir » des minima sociaux ou une révolution immédiate de la relation de notre société au travail et à la création de richesse - dont personne n'est en mesure de prévoir raisonnablement les effets futurs sur la cohésion sociale et sur l'économie - elle a donc préféré s'engager dans une démarche des « petits pas ».

Dans ces conditions, la mission a souhaité dégager les orientations majeures qu'un revenu de base « à la française » pourrait revêtir à l'avenir, estimant toutefois que les conditions de son introduction dans notre pays n'étaient pas réunies à ce jour . En effet, le revenu de base n'a pas fait la preuve de ses avantages par rapport à d'autres évolutions de notre système social. Or, compte tenu de ses effets systémiques, la mise en place d'un revenu de base en France nécessite au préalable une évaluation qui doit passer, selon la mission, par une expérimentation territoriale .

A. ABANDONNER L'UTOPIE ET ENVISAGER POUR LE FUTUR UN REVENU DE BASE RÉALISTE

1. L'objectif à poursuivre : instituer un « filet de sécurité » sans remettre en cause l'inclusion sociale par l'activité et le travail
a) Le revenu de base : un « filet de sécurité » efficace contre la grande pauvreté et l'exclusion

Si, d'un point de vue théorique, le revenu de base peut poursuivre plusieurs objectifs, la mission estime que s'il devait être introduit en France, il devrait être recentré sur un objectif fondamental : la lutte contre la grande pauvreté et l'exclusion .

La situation sociale de notre pays et la persistance de poches de pauvreté doit nous pousser à agir et à adapter notre système de protection sociale afin de s'assurer que tous les individus aient les moyens de satisfaire leurs besoins fondamentaux.

La pauvreté des jeunes, exclus - sauf rares exceptions - du bénéfice du revenu de solidarité active (RSA), est particulièrement alarmante. Lors de son audition, M. Jean Pisani-Ferry, commissaire général de France Stratégie, a ainsi rappelé que le taux de pauvreté des plus de 60 ans était de 8 %, de 15 % pour les 25-29 ans et de plus de 20 % pour les 18-24 ans. On constate donc une inversion des situations par rapport à ce que nous connaissions dans le passé. L'étude des dépenses de protection sociale et d'éducation montre en effet une déformation de la structure de la dépense au profit des seniors et au détriment des jeunes.

La situation des parents isolés et des chômeurs de longue durée est également préoccupante, alors même que ceux-ci bénéficient, contrairement aux 18-25 ans, de prestations qui leur sont spécifiquement versées.

Dans cette perspective, le revenu de base, qui serait d'un montant proche de celui du RSA actuel, ne constituerait évidemment pas le seul instrument de lutte contre la pauvreté, mais pourrait être un moyen pertinent pour simplifier et rendre plus efficiente la politique de solidarité de l'État . Le revenu de base pourrait en effet permettre de pallier les défauts , précédemment évoquées, des prestations de solidarité de base, et en premier lieu du RSA.

Face au système actuel, caractérisé par une forte complexité d'accès au droit, à l'incertitude quant aux montants versés, et à l'insécurité juridique - dans la mesure où, en cas d'erreur dans la déclaration et de trop-perçus, les organismes gestionnaires sont tenus de récupérer les indus -l'instauration d'un revenu de base aurait pour avantage considérable de simplifier l'accès à l'aide sociale puisqu'il s'agirait d'un droit portable et non d'un droit quérable : il serait versé automatiquement à l'ensemble des bénéficiaires sans que ceux-ci aient besoin d'entreprendre des démarches complexes pour en bénéficier.

En outre, son caractère universel permettrait d'en atténuer l'effet stigmatisant : chaque individu percevant un revenu de base, celui-ci ne serait pas associé à une catégorie de personnes pouvant être désignée comme profitant de l'assistance publique. Il pourrait, ce faisant, contribuer à faire diminuer les tensions sociales.

Le revenu de base constituerait en ce sens, pour des parcours de vie - notamment sur le plan professionnel - qui sont aujourd'hui plus chaotiques, un « filet de sécurité » présentant davantage d'efficacité que le système actuel de minima sociaux, et serait sans doute moins coûteux à gérer administrativement. Ainsi, si le premier objectif demeure la lutte contre la grande pauvreté, la mise en place du revenu de base permettrait en outre de simplifier le système socio-fiscal et de sécuriser davantage les parcours professionnels des individus.

b) Le revenu de base ne saurait se substituer aux revenus du travail ni conduire à un démantèlement de l'État social

Ainsi qu'il a été indiqué précédemment, le revenu de base serait, selon certains de ses promoteurs, un moyen permettant aux individus de faire un libre choix entre travail et loisirs et participant ainsi de la remise en cause de la place du travail dans la société comme valeur fondamentale. Pour d'autres, il permettrait de désengager l'État de la sphère sociale en simplifiant à l'extrême le champ des prestations sociales, en versant chaque mois aux individus une somme d'argent, libre à eux ensuite de la dépenser comme ils l'entendent et de s'assurer individuellement contre les risques de la vie.

Ces deux conceptions « extrêmes » du revenu de base alimentent, à juste titre, les critiques tant des organisations syndicales d'employeurs ou de salariés, que des associations de lutte contre la pauvreté que la mission a auditionnées.

Ces dernières ont en effet rappelé leur attachement au fait que chacun puisse contribuer à la société par son travail ou son activité et en tirer un revenu pour permettre de satisfaire ses besoins fondamentaux . Ces associations craignent notamment que le revenu de base ne favorise pas la lutte contre la pauvreté, en raison d'un montant trop faible, ni l'inclusion sociale, l'État se dédouanant ainsi de toute action d'insertion en versant un revenu individuel. Comme l'a expliqué à la mission M. Guillaume Almeras, responsable du département emploi, économie sociale et solidaire au Secours catholique français : « selon nous, le revenu de base ne serait pas un rempart contre la pauvreté. Au contraire, on risque ainsi de s'affranchir moralement du devoir de solidarité. Il s'agirait de verser aux plus fragiles un « solde de tout compte », sans se soucier de prendre des mesures favorisant le retour à l'emploi : accompagnement, formation, prise en charge sociale et expérimentations » 117 ( * ) .

Toutes les organisations syndicales entendues 118 ( * ) - sans exception, qu'il s'agisse de la Confédération générale du travail (CGT), de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), de Force ouvrière, de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) ou de la Confédération générale des cadres (CFE-CGC) -, comme les associations de lutte contre la pauvreté, ont insisté sur l'importance du travail comme vecteur d'insertion sociale. Celles-ci ont rappelé que les personnes sans emploi souhaitent avant tout pouvoir gagner leur vie par le travail, afin de retrouver un sentiment d'utilité sociale. Mme Henriette Steinberg, secrétaire générale du conseil d'administration du Secours populaire, a ainsi indiqué : « nous savons que les personnes veulent d'abord trouver un travail rémunéré convenablement qui leur permette de subvenir de façon indépendante à leurs besoins et à ceux de leur famille, c'est-à-dire sans recours à l'assistance sociale ni à un revenu social financé par la collectivité » 119 ( * ) . La même position a été exprimée par M. Boris Plazzi, membre de la direction confédérale de la Confédération générale du travail : « Un travail, c'est un salaire, un moyen de s'émanciper, de vivre dignement, de se socialiser, de sortir de la marginalité ou du cercle familial. Avoir un travail, c'est avoir le sentiment d'être utile à la société. C'est aussi une forme de reconnaissance : travailler, c'est être reconnu collectivement, individuellement, dans sa famille, par ses amis . »

Les organisations représentatives de salariés ont également rappelé leur attachement à la valeur travail et l'importance des politiques d'accompagnement . Comme l'a rappelé la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), le travail est une participation au bien commun, qui permet aux individus de se réaliser. Ces organisations ont rappelé leurs craintes que le revenu de base conduise à un recul de la protection des individus et de leur niveau de vie, soit du fait d'une baisse de salaires que certains employeurs pourraient appliquer, soit en raison de la remise en cause du système de protection sociale collective et solidaire que le revenu de base pourrait induire. De même, les représentants de Force ouvrière ont fait valoir la nécessité de traiter certaines situations de manière spécifique, comme le handicap ou la maladie et l'accident du travail.

M. Jean-Luc Outin, chercheur associé au Centre d'économie de la Sorbonne et membre de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (ONPES), a également souligné devant la mission que la complexité actuelle des minima sociaux reflétait la volonté de prendre en compte les situations et les trajectoires diverses des individus, qui risqueraient de ne pas être appréhendées par une allocation universelle 120 ( * ) . Il a rappelé que les prestations sociales offrent non seulement une prestation monétaire mais aussi un statut (par exemple celui de personne handicapée), qui peut être moins stigmatisant qu'un « statut général de pauvre ».

Comme l'a indiqué Mme Chantal Richard, secrétaire confédérale de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), l'objectif des politiques publiques doit rester l'accès pour tous à un emploi de qualité. Elle a également rappelé qu'il existe des inégalités de conditions et d'opportunités qui ne peuvent être combattues par le versement d'une prestation monétaire, mais nécessitent d'autres types d'intervention publique.

En revanche, l'ensemble des organisations syndicales de salariés ainsi que les associations de lutte contre la pauvreté se sont montrées favorables à des mesures de simplification et d'harmonisation des aides sociales existantes , afin de faciliter l'accès au droit et de lutter contre le non-recours, position également exprimée par M. Etienne Pinte, président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale. De même, M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales de la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME), a indiqué lors de son audition que son organisation n'était pas favorable au revenu de base, d'autres mesures plus simples de réforme des aides sociales existantes pouvant être prises 121 ( * ) .

La mission souscrit au constat selon lequel il est avant tout impératif de créer les conditions permettant aux personnes exclues de gagner leur vie par le travail ou une activité qui sert la société .

Il est à cet égard essentiel d'agir sur les multiples freins à l'emploi, que ce soit en matière de formation initiale et continue, de lutte contre la segmentation du travail ou de lutte contre les discriminations. La question posée par M. Dominique Redor, membre de la commission « emploi » du Secours catholique et professeur émérite de sciences économiques à l'Université Paris-Est, est à cet égard éclairante : « en quoi le revenu de subsistance, destiné à apporter une aide financière aux personnes qui se trouvent exclues du marché du travail ou à sa marge et qui, de toute façon, sont stigmatisées et victimes de ségrégation, changera-t-il cette réalité ? » 122 ( * ) .

La mission ne peut donc que s'inscrire en opposition aux visions du revenu de base qui auraient pour objectif soit de réduire l'intervention de l'État dans le champ social, soit de remettre en cause la place du travail en donnant aux individus un revenu faute de pouvoir leur permettre d'accéder à l'emploi.

Le revenu de base, tel que la mission l'entend, doit être un outil permettant d'accompagner les mutations de la société et du marché du travail, et de simplifier la politique de lutte contre la pauvreté ; il ne doit pas être un moyen d'encourager la sortie du travail. La valeur travail doit rester au fondement de l'ordre social.

De manière générale, la mission partage la position, exprimée notamment par Mme Agnès Verdier-Molinié, directrice de la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (iFRAP), selon laquelle l'idée même qu'une allocation puisse permettre de choisir si l'on travaille ou non est un leurre : il n'est pas sérieusement envisageable de financer un système incitant à ne pas travailler.

Le revenu de base, s'il était introduit en France, ne saurait donc être conçu que comme un outil d'accompagnement pour sécuriser les parcours des individus face à la précarisation des emplois et des carrières, sans avoir pour finalité de se substituer aux revenus du travail. Il serait ainsi l' outil complémentaire efficace d'une politique d'insertion volontariste.

Enfin, la mission considère que le revenu de base pourrait permettre de lutter efficacement contre les « trappes à inactivité » , puisqu'il viendrait s'ajouter aux revenus d'activité. Ainsi que le relèvent MM. Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs, le revenu de base favoriserait l'instauration d'un État social actif « en garantissant qu'un emploi même faiblement rémunéré puisse améliorer le revenu net par rapport à une situation d'inactivité. Puisque l'intégralité de l'allocation peut être conservée, que l'on travaille ou non, la situation financière s'améliore nécessairement lors de l'accès à l'emploi » 123 ( * ) . Le travail serait donc toujours payant.

Un revenu de base dont le niveau serait suffisamment élevé pour se substituer complètement aux revenus tirés du travail serait difficilement justifiable et fragiliserait la cohésion sociale en exacerbant les débats autour de l'assistanat, les personnes travaillant n'acceptant pas de voir leurs revenus ponctionnés pour financer l'inactivité des autres. En conséquence, la mission plaide pour un montant de revenu de base qui ne désincite pas au travail mais qui, au contraire, encourage la reprise d'une activité rémunérée, chaque euro gagné s'ajoutant à ce revenu. Et, en apportant un complément de revenu aux personnes en activité, le revenu de base contribuerait également à lutter contre le phénomène des « travailleurs pauvres ».

c) La question de l'inconditionnalité du revenu de base

Le revenu de base se conçoit comme un revenu versé automatiquement, et de manière inconditionnelle, sans que son bénéficiaire ait à établir son droit à l'obtenir ou que son usage même fasse l'objet d'un contrôle.

L'inconditionnalité du revenu de base peut toutefois interroger : faut-il verser à tous un revenu garanti sans exigence de contrepartie ? Cette absence de contrepartie demandée peut en effet faire craindre que la mise en place d'un tel revenu encourage l'oisiveté ou en tout cas une certaine forme de retrait du marché du travail. C'est, du reste, la position exprimée à de nombreuses reprises au cours des auditions.

Pour cette raison, certains auteurs proposent de conditionner le versement du revenu de base au fait d'être engagé dans une activité rémunérée, dans une démarche de formation ou de retour à l'emploi, voire plus généralement dans une activité socialement utile comme le bénévolat dans une association ou le fait d'élever des enfants. Comme le rappellent MM. Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs, l'économiste Anthony Atkison a proposé d'instaurer un « revenu de participation » auxquels seraient éligibles « non seulement les travailleurs salariés et indépendants à temps plein et à temps partiel, ainsi que les demandeurs d'emploi et ceux qui sont inaptes au travail pour cause de maladie, d'accident de travail ou d'invalidité, mais aussi ceux qui ont atteint l'âge de la pension, ceux qui suivent un programme agréé d'études ou de formation, ceux qui s'occupent d'enfants, de personnes âgées ou de malades, et ceux qui se consacrent à d'autres formes reconnues de travail bénévole » 124 ( * ) . Il s'agirait ainsi d'exclure du revenu de base ceux qui n'exercent pas d'activité jugée utile, qu'elle soit marchande ou non marchande.

Toutefois, outre la difficulté qu'il y aurait à définir ce qui relève ou non de l'utilité sociale, il paraitrait difficile de contrôler effectivement que cette condition est bien remplie ou non. L'effet « simplificateur » attendu du revenu de base s'en trouverait gravement affecté.

Tant sur un plan théorique que pour son effectivité réelle, exiger une contrepartie - susceptible d'un contrôle effectif - viderait donc de son sens et de son utilité la notion même de revenu de base.

Néanmoins, sensible à ce que l'acceptabilité sociale d'un tel dispositif soit garantie, la mission estime qu'il est envisageable de prévoir, le cas échéant pour certaines catégories de bénéficiaires, un revenu de base dont les modalités d'emploi seraient encadrées. Il pourrait en aller ainsi tout particulièrement pour les jeunes de 18 à 25 ans pour lesquels l'utilisation des sommes reçues au titre du revenu de base pourrait être limitée à des objets précis, par exemple le financement d'une formation, de frais d'apprentissage ou de frais de transport et d'hébergement pour se rendre en formation ou sur le lieu de travail.

Pour cette population spécifique, l'on pourrait imaginer que le revenu de base soit versé puis « capitalisé » afin d'être ensuite utilisé par chaque jeune, en fonction de sa situation et au gré de besoins qui peuvent fortement varier selon qu'il bénéficie d'un emploi ou de la solidarité familiale, pour assurer ses besoins de formation ou les frais liés à la recherche ou à l'accès à l'emploi.

Devant la mission, M. Jean Pisani-Ferry a souligné que le compte personnel d'activité (CPA), récemment créé par la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, pourrait être un instrument plus ambitieux, qui permette à l'actif d'être beaucoup plus autonome, avec une fongibilité des droits, le titulaire pouvant, à un moment donné, « tirer » sur ces droits, pour se former ou pour bénéficier d'un revenu par exemple.

Aussi, si, au terme de l'expérimentation qu'elle propose, le revenu de base faisait la preuve de son efficacité, la mission estime que le CPA pourrait être élargi et être le réceptacle des sommes ou des droits qui seraient versés au titre du revenu de base. Chaque titulaire bénéficierait alors d'un droit de tirage, tout au long de sa vie , pour financer notamment ses besoins de formation, selon des modalités qu'il conviendra de définir.

En tout état de cause, bien qu'inconditionnel dans son principe, le revenu de base n'aurait pas nécessairement vocation à être versé à l'ensemble de la population située sur le territoire français. En effet, deux conditions restrictives paraissent devoir être introduites :

- une condition d'âge : le revenu de base pourrait, dans un premier temps, n'être versé qu'aux individus de plus de dix-huit ans , les mineurs étant considérés dépendre de leurs parents et bénéficier de la solidarité familiale. Si, par la suite, le revenu de base devait également se substituer aux prestations familiales, il conviendrait de verser, par enfant, un montant de revenu complémentaire aux parents, qui pourrait par exemple être la moitié de celui versé aux adultes ;

- une condition de résidence : le revenu de base ne doit pouvoir bénéficier qu'aux personnes résidant légalement sur le territoire national et dont la résidence fiscale se situe en France, qu'elles soient de nationalité française ou étrangère.

2. Un revenu de base au périmètre réduit ayant vocation à s'étendre progressivement
a) Une étape préalable : l'individualisation et l'automaticité

Si la mise en place d'un revenu de base pourrait être envisagée à terme sur un plan théorique, il conviendrait de procéder par étape , compte tenu de l'ampleur d'une telle réforme et du bouleversement du système socio-fiscal qu'elle induirait. L'intérêt d'une démarche progressive en la matière a en particulier été souligné par M. Etienne Pinte, président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE).

La mission considère ainsi qu'il est impératif de conduire préalablement une réforme des prestations sociales afin d'aller dans le sens d'une harmonisation et d'une simplification de l'accès au droit .

Elle souscrit en ce sens pleinement aux préconisations faites par M. Christophe Sirugue dans le « scénario 3 » de son rapport , 125 ( * ) tendant à simplifier l'architecture des minima sociaux à travers un ensemble de réformes paramétriques avant, à terme, d'envisager de créer une « couverture socle commune » en remplaçant les minima sociaux existants par une allocation unique et des compléments de soutien pour les accompagner l'insertion et pour prendre en compte la situation particulière des personnes handicapées et des personnes âgées.

Une telle démarche de simplification a d'ailleurs été soutenue par l'ensemble des organismes gestionnaires de prestations sociales entendus par votre mission - Caisse nationale d'assurance vieillesse, Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, Caisse nationale d'allocations familiales et Pôle emploi - qui ont rappelé la complexité du système redistributif actuel et plaidé pour davantage de simplification et d'harmonisation des règles de droit. 126 ( * )

Ces organismes ont ainsi souligné qu'il convenait de rapprocher les règles de gestion des différents opérateurs de minima sociaux, qu'il s'agisse des montants des aides, des pièces justificatives demandées ou de la nature des ressources prises en compte dans le calcul et le versement des prestations. Ainsi que l'a expliqué M. Pascal Émile, directeur délégué de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), « nous voyons dans la création d'une base de ressources unique et la définition de règles de gestion appuyées sur des réglementations beaucoup plus homogénéisées un moyen simple et plutôt de court terme d'aboutir à un meilleur fonctionnement des différents minima sociaux en les laissant peu ou prou en l'état » 127 ( * ) . De même, M. Bernard Tapie, directeur des statistiques, des études et de la recherche de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), a souligné l'enchevêtrement des prestations existantes qui induit une forte variation du « taux marginal d'imposition » - c'est-à-dire, en réalité, du montant de prestations perçu pour un euro de revenu d'activité supplémentaire - ainsi que des effets de seuil importants.

Une réforme d'ampleur du paysage des prestations sociales pourrait, du reste, ne pas se limiter aux minima sociaux et intégrer également, le cas échéant, les aides personnelles au logement, comme l'a évoqué la Cour des comptes dans son rapport réalisé à la demande de la commission des finances du Sénat. 128 ( * )

Comme le préconise le rapport Sirugue, une telle allocation unique devrait être ouverte aux jeunes dès l'âge de 18 ans, être individuelle et, idéalement, versée de manière automatique. L'ouverture aux jeunes de 18 à 25 ans, actuellement majoritairement exclus de l'accès aux minimas sociaux, est nécessaire pour pouvoir lutter efficacement contre les situations de pauvreté dans lesquelles certains se trouvent.

Quant à l'individualisation d'une telle prestation, elle peut de prime abord ne pas paraître justifiée en raison de l'existence d'économies d'échelle liées à la vie en commun. En effet, comme le rappelle l'économiste Guillaume Allègre 129 ( * ) , « un couple a moins de besoins que deux célibataires, notamment parce que les conjoints peuvent partager des biens à usage collectif (logement, automobile, équipement ménager) ». Dans une telle perspective, il paraitrait donc juste, sur le modèle du RSA, de prendre en compte la situation du foyer et de verser un montant de revenu de base moins important aux couples qu'aux personnes seules. Cependant, un tel raisonnement irait à l'encontre du principe même du revenu de base, qui est d'assurer un minimum de ressources aux individus quels que soient leur situation familiale et leurs choix de vie. Verser le revenu de base de manière individuelle permettrait d'assurer une neutralité de la politique sociale de l'État et sécuriserait par ailleurs les individus quant au montant auquel ils ont droit.

Enfin, cette allocation unique aurait vocation à être à terme versée de manière automatique aux personnes éligibles. Il s'agirait, comme l'explique M. Christophe Sirugue, d'« inverser le rapport aux allocataires en passant d'un droit aujourd'hui quérable à un droit de plus en plus automatique » 130 ( * ) , en utilisant par exemple les données issues de la déclaration sociale nominative (DSN) contenant des informations quant aux revenus des salariés.

b) Un montant d'abord égal au RSA

Afin d'éviter tout effet désincitatif sur l'emploi, la mission considère, sur la base des propositions avancées par MM. Marc de Basquiat ou Lionel Stoléru, que le montant du revenu de base devrait être fixé à un niveau proche de celui du RSA actuel, soit environ 500 euros par mois .

Ceci correspond à l'objectif premier de lutter contre la grande pauvreté et de constituer un « filet de sécurité » pour les individus connaissant des accidents de vie. Un tel montant permettrait également de limiter les effets socio-économiques que pourrait avoir une telle mesure, notamment les effets inflationnistes et les effets de transfert monétaire trop brutaux.

Proposer un revenu de base d'un montant plus élevé, outre les difficultés de financement qu'il poserait, pourrait remettre en cause cet objectif d'insertion prioritaire par le travail. Toutefois, ce montant de 500 euros peut être vu comme une première étape, une revalorisation éventuelle et mesurée pouvant être menée par la suite, en fonction de l'état des finances publiques. Il pourrait par exemple être envisagé d'indexer l'évolution du revenu de base sur la croissance du produit intérieur brut (PIB), ce qui permettrait d'ajuster son montant en fonction du niveau de richesse créée : en cas d'augmentation du PIB, le revenu de base augmenterait ; si au contraire les effets désincitatifs du revenu de base conduisaient à un ralentissement de la production, son montant diminuerait jusqu'à atteindre un point d'équilibre.

c) Un effet de substitution limité

Le revenu de base n'a pas pour vocation de remplacer l'ensemble des transferts sociaux existants. Il ne peut se substituer qu'aux prestations qu'il remplace avantageusement, au premier rang desquelles les minima sociaux, et éventuellement certaines allocations logement et prestations familiales. L'objectif du revenu de base ne saurait être de réaliser des économies en diminuant le niveau de protection dont bénéficient les personnes les plus fragiles.

S'il a des imperfections, le modèle social français n'en demeure pas moins fortement redistributif, les transferts étant nettement concentrés sur les ménages les plus modestes. Il résulte de cette concentration que, à dépense publique et prélèvements obligatoires constants, la mise en oeuvre d'un revenu universel financé par la simple réaffectation des prestations existantes entraînerait un transfert des ressources des ménages les plus aidés, c'est-à-dire les plus modestes, vers les ménages qui le sont actuellement moins, c'est-à-dire les plus aisés.

À titre d'approximation grossière, la répartition uniforme de l'ensemble des prestations de sécurité sociale, y compris l'intégralité des retraites et des dépenses de l'assurance maladie, soit une masse de 689,8 milliards d'euros en 2014, permettrait de verser à chacun des 66 millions d'habitants de notre pays un revenu d'environ 870 euros par mois. À titre de comparaison, seuls 25 % de l'ensemble des chômeurs indemnisés par Pôle emploi percevaient moins de cette somme en septembre 2015 131 ( * ) , le montant moyen des pensions de retraites était en 2014 de 1 322 euros bruts 132 ( * ) et un parent isolé sans ressource touche actuellement une somme de 916,29 euros au titre du RSA, avec un seul enfant à charge. Une telle réallocation créerait donc un nombre inacceptable de perdants, notamment parmi les publics les plus fragiles, d'autant plus que ce scenario suppose la fin de la prise en charge des dépenses de santé et la suppression de toutes les aides spécifiques, notamment au logement.

Dans un scenario moins radical 133 ( * ) , la masse représentée par les minima sociaux (4,13 milliards d'euros) et les prestations familiales, y compris les aides à la garde d'enfant (31,7 milliards d'euros), permettrait, en ne comptant pas la population retraitée 134 ( * ) , de verser un revenu d'un peu moins de 70 euros par mois et par adulte et la moitié par mineur.

D'après les chiffres présentés par la direction générale du Trésor, les prestations sociales non contributives et le quotient familial représentent au total un montant de 80 milliards d'euros. En redistribuant cette somme sous forme de revenu de base, on aboutirait à un montant de l'ordre de 120 euros mensuels par personne, mais une telle mesure serait fortement anti-redistributive, ces prestations bénéficiant principalement aux ménages modestes. Il convient donc d'assurer que le niveau du revenu de base soit au moins équivalent aux protections actuelles.

En conséquence, la mission considère que le revenu de base ne doit pas remplacer les prestations non contributives qui bénéficient à des populations fragiles, comme l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) pour les personnes âgées dépendantes ou l'allocation aux adultes handicapés (AAH) pour les personnes en situation de handicap. Le revenu universel , d'un même montant pour tous et qui par définition ne prend pas en compte les situations particulières des personnes durablement exclues de l'emploi, ne saurait, en ce sens, constituer l'outil unique de la politique redistributive.

De même, l'ensemble des prestations contributives seraient maintenues et viendraient s'ajouter au revenu de base . Le revenu de base, conçu comme un filet de sécurité, ne pourrait être suffisant pour permettre aux individus de faire face aux risques maladie, chômage ou vieillesse. La mission reste très attachée au modèle social français et au principe fondateur de la Sécurité sociale selon lequel chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins.

S'il devait être institué, le revenu de base ne saurait donc se substituer qu'aux prestations non contributives qui participent d'une même logique de lutte contre la pauvreté ou de soutien au revenu des personnes à faibles ressources, comme le revenu de solidarité active (RSA), l'allocation de solidarité spécifique (ASS), l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), voire les aides au logement. En tout état de cause, l'instauration d'un revenu de base et la suppression concomitante de certaines aides sociales nécessiteraient d'examiner attentivement les transferts monétaires entre catégories de ménages et déciles de revenus pouvant en résulter.

d) À terme, un revenu de base européen ?

La France n'est pas le seul pays de l'Union européenne à faire face à la persistance d'un taux de pauvreté et d'un chômage structurel importants. Dans une perspective de lutte contre la pauvreté dans l'ensemble de l'Union européenne, la mise en place d'un revenu de base européen peut apparaître comme un horizon souhaitable. Une telle mesure permettrait incontestablement de renforcer la cohésion sociale européenne et d'harmoniser les politiques sociales des États-membres.

MM. Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs mentionnent, dans leur ouvrage L'allocation universelle , l'idée de mettre en place une allocation universelle ou « eurodividende » au niveau de l'Union, à un montant pouvant être ajusté en fonction du coût de la vie dans chacun des États-membres. Une telle mesure assurerait à terme une convergence des niveaux de prix et de revenus, et pourrait être financée par une part de la TVA perçue par l'Union, ou à travers la création de taxes européennes, par exemple sur les énergies polluantes. Chaque pays conserverait la responsabilité d'organiser son système fiscal et de protection sociale comme il l'entend.

Une telle allocation universelle européenne poserait toutefois la difficulté de son coût et de son financement, et induirait nécessairement des transferts monétaires entre États, au profit des régions les moins favorisées. Il s'agirait de faire jouer la solidarité européenne de manière bien plus grande qu'aujourd'hui, ce qui poserait la question de l'acceptabilité d'une telle mesure par tous les citoyens européens.

Surtout, la mise en place du revenu de base se heurterait à la grande diversité des systèmes fiscaux nationaux. Sauf à harmoniser le prélèvement de l'impôt sur le revenu, ou à imaginer le prélèvement d'un nouvel impôt par l'Union européenne, une telle mesure ne paraît pas envisageable dans l'immédiat.

La mission considère néanmoins essentiel qu'une réflexion soit engagée au niveau européen sur la question et qu'il serait souhaitable que l'Union européenne encourage les États-membres à expérimenter leurs propres modèles de revenu de base, en faisant pour cela appel aux fonds structurels .

3. Un financement par l'impôt dans le cadre d'une réforme en profondeur du système fiscal

La mission estime que le financement du revenu de base par l'impôt constitue , à ce jour, l'option la plus réaliste.

Dans cette perspective, elle considère que son versement sous la forme d'un impôt négatif serait a priori la modalité la plus efficace et la plus simple de mise en oeuvre . Cette solution permettrait que l'essentiel de la redistribution s'opère par le biais du système fiscal.

Dans la proposition formulée par M. Marc de Basquiat déjà évoquée, l'ensemble des revenus d'activité seraient fiscalisés au premier euro et l'impôt serait individualisé. Ainsi, le montant correspondant au revenu de base ne serait pas imposé, puis chaque euro gagné au-delà de ce montant ferait l'objet d'un prélèvement d'un montant équivalent. Il s'agirait alors de remplacer la progressivité de l'impôt sur le revenu actuel par un impôt proportionnel ( flat tax ), et la familialisation de l'impôt par un prélèvement individuel ne tenant pas compte des situations familiales.

Comme l'a expliqué M. Gaspard Koenig lors de son audition 135 ( * ) , la somme garantie étant un crédit d'impôt, elle resterait virtuelle pour beaucoup de personnes. En effet, les personnes n'ayant aucun revenu bénéficieraient du montant garanti dans son intégralité. En revanche, les personnes ayant un revenu d'activité ne percevraient, sous forme de crédit d'impôt, qu'une partie de ce montant, voire n'en bénéficieraient pas si le montant d'impôt dû au titre de ces revenus était supérieur au montant du crédit d'impôt.

À titre d'exemple, en retenant le montant de revenu garanti de 500 euros et la taxe proportionnelle de 23 % proposés par MM. de Basquiat et Koenig, une personne percevant 1 000 euros de revenus d'activité serait redevable de 230 euros d'impôts et percevrait donc un crédit d'impôt de 270 euros (soit la différence entre l'impôt dû - 230 euros - et le montant garanti de 500 euros). Ainsi, le montant de crédit d'impôt versé serait dégressif jusqu'à être nul à partir d'un niveau de revenu proche de 2 200 euros. Au-delà de ce montant, les individus seraient contributeurs nets au système. L'intérêt d'un tel dispositif serait de faire en sorte que ceux qui disposent de revenus suffisants ne perçoivent pas un revenu supplémentaire qui serait récupéré ensuite par une mécanique fiscale complexe.

Cependant, la proposition de verser le revenu de base par le biais d'un impôt négatif pose, en l'état du système fiscal et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel , des difficultés qui rendent son application complexe, sinon inenvisageable .

Un premier scénario de mise en oeuvre de cette technique serait de verser le revenu de base en l'assortissant d'un crédit d'impôt tout en conservant l'architecture actuelle de l'impôt sur le revenu, et d'opérer des régularisations ex post afin que seuls bénéficient du revenu ceux qui en ont besoin. Néanmoins, une telle mécanique serait particulièrement complexe et illisible pour les contribuables.

En effet, comme l'a indiqué lors de son audition Mme Véronique Bied-Charreton, directrice de la législation fiscale au ministère de l'économie et des finances, l'administration fiscale ne connaît la situation du contribuable (en particulier l'ensemble des revenus imposables perçus et sa situation familiale) - et n'est donc en capacité de calculer le montant d'impôt exact dont il est redevable à raison des revenus perçus en année n - qu'un an plus tard, soit en année n+1 . Ainsi, s'il serait possible de verser tous les mois au cours de l'année n aux bénéficiaires une somme au titre du revenu de base, des régularisations relatives au montant d'impôt dû devraient nécessairement intervenir l'année suivante, induisant des récupérations parfois importantes de trop-perçus auprès de nombreux contribuables.

La mise en place du prélèvement à la source proposée au 1 er janvier 2018, qui a pour effet de couper le lien entre le fisc et le contribuable dans la collecte de l'impôt, ne permettrait pas davantage à l'administration de connaître les évolutions de situation intervenues en cours d'année (comme l'arrivée d'un enfant par exemple). En effet, la réforme telle qu'inscrite dans le projet de loi de finances pour 2017 prévoit que le taux de prélèvement de droit commun sera calculé à partir des revenus de l'année n-2 pour le taux du prélèvement applicable entre les mois de janvier et d'août de l'année n et des revenus de l'année n-1 pour le taux du prélèvement applicable entre les mois de septembre et de décembre de l'année n . La réforme proposée ne permettrait donc qu'une contemporanéité imparfaite de l'impôt et une déclaration à l'administration resterait nécessaire en fin d'année afin de procéder aux régularisations nécessaires. La simplification attendue d'un revenu de base ne serait donc, en tout état de cause, pas au rendez-vous.

La seule possibilité d'assurer une telle contemporanéité serait d'imaginer un système de déclaration mensuelle obligatoire par l'ensemble des bénéficiaires du revenu de base de leur situation, afin de permettre à l'administration de verser, le cas échéant, tous les mois un crédit d'impôt. Une telle mesure impliquerait la mise en place d'une application informatique très performante et exigerait que tous les contribuables puissent y accéder. Elle n'est donc, pour cette raison, pas envisageable dans un avenir proche.

Dans un second scénario, le système d'impôt négatif mis en place serait assorti d'une individualisation de l'impôt - qui ne serait plus calculé en prenant en compte la situation du foyer fiscal mais de la situation de chaque individu - et de la mise en place d'un taux proportionnel d'imposition. Une telle mesure simplifierait incontestablement la mécanique fiscale, puisque le changement de situation du contribuable n'induirait pas de variation de son taux d'imposition. Néanmoins, comme l'a relevé Mme Véronique Bied-Charreton, elle se heurterait probablement à un problème de constitutionnalité. En effet, se référant à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 136 ( * ) , le Conseil constitutionnel a eu l'occasion d'affirmer à plusieurs reprises la nécessaire progressivité de l'imposition globale du revenu des personnes physiques 137 ( * ) , afin que le prélèvement prenne en compte les capacités contributives de chacun. Ainsi, en l'état de la jurisprudence, la substitution d'un impôt proportionnel à l'impôt progressif ferait vraisemblablement l'objet d'une censure par le Conseil constitutionnel.

À droit constitutionnel constant, le versement d'un revenu de base par le biais d'un crédit d'impôt individuel, assorti d'une flat tax appliquée au premier euro d'activité, ne parait donc pas pouvoir être retenu.

Or, la faisabilité d'une réforme aussi profonde de notre système fiscal reste très hypothétique, même à moyen terme . La longue et difficile gestation du prélèvement à la source, longtemps serpent de mer des réformes fiscales et d'une ampleur pourtant plus limitée, est là pour le démontrer.

En conséquence, la mission souscrit à une approche alternative et susceptible d'être mise en oeuvre plus facilement. Dans ce cadre, le revenu de base mensuel serait fiscalisé - entrant ainsi dans le calcul du revenu fiscal de référence du foyer - tandis que le barème de l'impôt sur le revenu serait révisé afin que les personnes aujourd'hui non imposables le demeurent, malgré le revenu supplémentaire perçu, et que les personnes imposables ne basculent pas dans une tranche supérieure. Il s'agirait donc d'adapter à la hausse le barème afin de prendre en compte le surplus procuré par le revenu de base.

Une telle mesure permettrait de conserver l'architecture actuelle de l'impôt sur le revenu, en particulier sa progressivité, tout en assurant le financement du revenu de base par le biais de la fiscalité. Elle resterait néanmoins d'une lisibilité imparfaite pour les contribuables bénéficiant de revenus d'activité, qui percevraient tous un revenu de base qui serait ensuite partiellement ou entièrement « récupéré » par le biais d'une fiscalité qui leur apparaitrait alourdie, même s'il n'en est rien.

Partant de sa simulation d'un revenu minimum garanti évoquée précédemment, la Cnaf a poussé devant la mission 138 ( * ) sa réflexion jusqu'à la mise en place d'un revenu de base en esquissant deux scénarios. Dans le premier, l'allocation universelle imaginée sur la base de la fusion des prestations ciblées existantes serait distribuée à chaque ménage, ce qui supposerait, selon elle, de dégager des ressources supplémentaires considérables 139 ( * ) , par exemple au travers d'une imposition supplémentaire et proportionnelle des revenus à un taux de 40 % - ce qui représenterait une ponction extrêmement importante sur les hauts revenus. Dans un second scénario, l'allocation serait compensée, pour les ménages dont les revenus sont supérieurs au montant de l'allocation, par une ponction sur leurs ressources, de sorte que le revenu universel fonctionnerait de facto comme un revenu minimum garanti.


* 117 Audition du 15 septembre 2016.

* 118 Audition du 14 septembre 2016.

* 119 Ibid.

* 120 Audition du 28 septembre 2016.

* 121 Audition du 7 juillet 2016.

* 122 Ibid.

* 123 Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs, L'allocation universelle , La Découverte, 2005.

* 124 Ibid.

* 125 Dans son rapport Repenser les minima sociaux - Vers une couverture socle commune , remis au Premier ministre, avril 2016.

* 126 Audition du 22 septembre 2016.

* 127 Ibid.

* 128 Rapport d'information n° 687 (2014-2015) de M. Philippe Dallier, fait au nom de la commission des finances, déposé le 16 septembre 2015.

* 129 Guillaume Allègre, Comment peut-on défendre un revenu de base ? , OFCE, décembre 2013.

* 130 « Repenser les minima sociaux - Vers une couverture socle commune », rapport précité.

* 131 Pôle emploi, Statistiques et indicateurs, n° 16.028, 8 juillet 2016.

* 132 Drees, Les retraités et les retraites, édition 2016.

* 133 Ces calculs effectués par le rapporteur n'ont pour objectif que d'éclairer le lecteur sur les masses financières en jeu. Des simulations plus approfondies existent mais nécessitent de préciser davantage les contours donnés au revenu de base, ce qui suppose des choix politiques qu'il n'appartient pas à la mission d'information de faire.

* 134 Est retenue pour ce calcul l'hypothèse selon laquelle le revenu de base se substituerait, à hauteur de son montant, aux pensions de retraites.

* 135 Audition du 7 juillet 2016.

* 136 Cet article dispose : « pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés »

* 137 Voir notamment la décision n° 93-320 DC du 21 juin 1993.

* 138 Audition du 22 septembre 2016.

* 139 De l'ordre de 100 milliards d'euros dans la simulation présentée à la mission.

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