B. DES MODALITÉS ÉTROITEMENT LIÉES AUX BESOINS DE FINANCEMENT

Fortement dépendantes de l'objectif que se fixent les promoteurs d'un revenu de base, les modalités de celui-ci sont également intimement liées à la capacité de financement. Il convient en effet de confronter l'idée, intellectuellement séduisante, du revenu de base aux conditions pratiques de sa mise en place. Il s'agit en effet de savoir s'il est possible de financer une telle mesure, sans trop déséquilibrer le système socio-fiscal ni alourdir excessivement la pression fiscale.

Comme indiqué précédemment, le choix du montant du revenu de base renvoie à des logiques très différentes, selon que l'on fixe un montant faible permettant au revenu de base de jouer un rôle de « filet de sécurité » pour les personnes se retrouvant sans emploi ou avec de très faibles revenus, répondant ainsi à une « logique de subsistance », ou que l'on souhaite au contraire un revenu d'un montant significatif permettant aux individus de faire un arbitrage entre le fait de travailler ou non, ce qui répondrait davantage à une « logique d'émancipation ».

De même, le choix des modalités de financement d'un éventuel revenu de base relève avant tout d'une décision politique compte tenu des effets redistributifs importants qui peuvent en découler, que l'on choisisse de financer cette mesure en redéployant les moyens utilisés pour financer des prestations sociales non contributives et, le cas échéant, contributives, ou en augmentant les impôts.

Mais, en tout état de cause, l'ambition universaliste qui caractérise le revenu de base rend impossible sa mise en place « à coût constant » , sauf à ce qu'il opère une très large remise en cause des mécanismes actuels de redistribution, au détriment des personnes actuellement les plus aidées. Quel que soit le montant de ce revenu, sa création impliquerait donc une refonte d'ampleur du système de protection sociale mais également du système fiscal.

Pour s'en convaincre, il suffit d'examiner tant le coût « brut » du revenu de base, relativement aisé à calculer puisqu'il s'agit de multiplier le montant du revenu retenu par la population bénéficiaire, que son coût « net », c'est-à-dire le montant restant à financer après réallocation de certaines prestations sociales auxquelles le revenu de base viendrait se substituer et après prise en compte des économies de gestion qu'il permettrait de réaliser.

1. Un coût brut considérable

La mise en place d'un revenu de base constituerait une mesure coûteuse pour les finances publiques. Qu'il soit versé à l'ensemble des personnes résidant légalement sur le territoire français, ou seulement aux personnes de nationalité française ou ressortissantes d'un autre État membre de l'Union européenne, il concernerait, par définition, un large nombre de bénéficiaires.

Au 1 er janvier 2016, la population de France métropolitaine s'élevait à 64,5 millions, dont 14,2 millions de personnes de moins de 18 ans (soit près de 22 % de la population totale) et 11,8 millions de personnes de moins de 15 ans (soit 18,3 % de la population totale).

Le coût brut représenté par le revenu de base varie logiquement en fonction du montant de revenu décidé, induisant une charge totale plus ou moins importante à financer. Or, ainsi que les différentes auditions menées par la mission l'ont montré, ce montant du revenu de base peut être très différent selon ses promoteurs.

Ce coût varie également selon les conditions d'éligibilité au revenu de base qui peuvent être décidées, qu'il s'agisse de critères d'âge (se pose en particulier la question de savoir s'il faut verser un revenu de base aux mineurs) ou de durée de résidence sur le territoire français, ou d'éventuelles contreparties demandées au versement de l'aide (comme la nécessité de faire oeuvre sociale utile à travers un engagement associatif par exemple).

Dans une récente note, le groupe de travail de la Fondation Jean Jaurès relatif au revenu de base 94 ( * ) a étudié le coût et les modalités de financement pouvant être envisagées s'agissant de trois scénarios : un revenu de 500 euros, proche du montant actuel du RSA, un revenu de 750 euros proche du cumul entre le RSA et les prestations familiales et logement, et un revenu de 1 000 euros égal au seuil de pauvreté 95 ( * ) . Pour ces trois scénarios, le groupe retient les hypothèses suivantes : le montant du revenu de base versé aux enfants de 0 à 15 ans serait équivalent à 30 % de celui des adultes, puis de 50 % entre 15 et 18 ans. Ce revenu serait versé, sans contrepartie, de manière individualisée et non-familialisée. D'après cette étude, le besoin de financement s'élèverait à 336 milliards d'euros (soit 16 % du PIB) si le revenu de base était fixé à 500 euros, à 504 milliards d'euros (soit 24 % du PIB) s'il était de 750 euros, et à 675 milliards d'euros (soit 31 % du PIB) s'il était de 1 000 euros.

Ces chiffres se rapprochent des évaluations produites par d'autres auteurs. Dans leur étude dans le cadre de Génération libre 96 ( * ) , MM. Marc de Basquiat et Gaspard Koenig proposent un niveau de revenu universel fixé à 450 euros par adulte et 225 euros par enfant, représentant une masse financière totale évaluée à 320 milliards d'euros. M. Baptiste Mylondo évoque pour sa part un revenu de base de 750 euros par adulte et 230 euros par mineur (soit 30 % du montant du revenu versé aux adultes), dont le coût serait de 470 milliards d'euros 97 ( * ) .

Quant au mouvement français pour un revenu de base (MFRB), il ne se prononce pas en faveur d'un montant particulier mais défend comme montant minimal celui du RSA socle pour une personne seule une fois déduit le forfait logement, soit 465 euros par adulte, « dans la mesure où c'est le plus faible niveau qui ne fait que des gagnants parmi les plus modestes » 98 ( * ) .

2. Un coût net fonction de l'effet de substitution attaché au revenu de base et des économies de gestion réalisées
a) La réallocation des dépenses sociales pour financer le revenu de base

Si le coût brut du revenu de base est très élevé, une partie de son financement pourrait être assurée par la réallocation des montants consacrés à certaines prestations sociales, au premier rang desquelles les minima sociaux, auxquelles le revenu de base aurait vocation à se substituer.

Les différents promoteurs du revenu de base ne s'accordent toutefois pas sur le champ des dispositifs qui pourraient être remplacées par un revenu de base, certains se limitant à une partie des prestations non-contributives alors que d'autres vont jusqu'à inclure des prestations contributives à leur modèle.

Ainsi, d'après les scénarios de financement présentés par la Fondation Jean Jaurès, un revenu de base de 500 euros par mois pourrait être financé par la réallocation des dépenses des branches maladie et famille ainsi que de l'assurance-chômage, et l'instauration concomitante des prélèvements obligatoires supplémentaires à hauteur de 38 milliards d'euros. Un revenu de base de 750 euros par mois pourrait quant à lui être financé sans augmentation d'impôt, en mobilisant l'ensemble des dépenses actuelles de protection sociale, branche vieillesse incluse.

Le MFRB envisage, quant à lui, l'hypothèse d'un revenu de base d'un montant de 465 euros qui remplacerait le revenu de solidarité active, la prime d'activité ainsi que les bourses étudiantes, et qui se déduirait des prestations que sont l'allocation adulte handicapé, le minimum vieillesse, les allocations-chômage et les pensions de retraite - tout en garantissant un même montant de prestations. Le reliquat à financer serait, selon ses estimations, de 179 milliards euros - pour un coût brut de 193 milliards d'euros 99 ( * ) .

Simulation du budget brut et du budget net d'un revenu de base à 465 euros
(en 2013) par le MFRB

Population adulte

52 millions €

Dont bénéficiaires d'une pension de retraite

- 13,8 millions €

Dont chômeurs indemnisés

- 2,5 millions €

Dont allocataires de l'allocation adulte handicapé

- 1 million €

Nombre d'adultes qui « ne touchent pas encore » leur revenu de base (A)

34,6 millions €

Montant mensuel du revenu universel

465 €

Montant annuel du revenu universel (B)

5 580 €

Budget brut du revenu de base (C = A x B)

193 milliards €

RSA (hors supplément pour les enfants)

10 milliards €

Prime pour l'emploi

2,5 milliards €

Bourses étudiantes

1,9 milliards €

Total des politiques sociales remplacées par le revenu de base (D)

14,4 milliards €

Budget net du revenu de base (E = C - D)

179,8 milliards €

Source : MFRB

MM. Marc de Basquiat et Gaspard Koenig proposent, pour leur part, de ne supprimer que les prestations auxquelles le revenu de base viendrait se substituer utilement : le revenu de solidarité active, l'allocation de solidarité spécifique, l'allocation de solidarité aux personnes âgées, les allocations familiales, le complément familial, l'allocation de base de la prestation d'accueil du jeune enfant ainsi que les bourses d'enseignement supérieur sur critères sociaux. En revanche, l'ensemble des prestations contributives seraient maintenues.

M. Arnaud Buissé, chef du service des politiques publiques à la direction générale du Trésor, auditionné par la mission, a rappelé que le montant des prestations sociales non contributives (c'est-à-dire les minima sociaux, la prime d'activité, les allocations familiales et les aides au logement) était de l'ordre de 70 milliards d'euros. Aussi, si ces sommes devaient être mobilisées pour mettre en place un revenu de base d'un niveau équivalant à ce que touche actuellement un célibataire bénéficiant du RSA et des allocations logements (soit 735 euros par mois) et qui remplacerait l'ensemble des prestations non contributives et supprimerait le quotient familial (représentant un montant de 11,6 milliards d'euros en 2016), le coût net à financer équivaudrait à 445 milliards d'euros. Financer une telle mesure nécessiterait donc d'augmenter les prélèvements obligatoires. Si le choix était fait de faire supporter ce financement par l'impôt sur le revenu, il faudrait par exemple multiplier par six le montant de l'impôt sur le revenu net.

Au-delà de la question des masses financières qui pourraient être réaffectées, les différents modèles construits par les promoteurs du revenu de base témoignent d'un parti pris quant aux objectifs qui lui sont assignés. Remplacer une multiplicité de dispositifs ciblés par une prestation universelle et uniforme pose en effet la question des implications qu'auraient, pour chacun des dispositifs existants et à coût constant, sa fusion au sein d'un revenu de base.

(1) Les minima sociaux

Un revenu de base constituant un filet de sécurité pour les personnes dont le revenu est inférieur à un seuil défini pourrait en principe se substituer aux dispositifs qui visent à assurer un revenu minimum. Toutefois, la plupart des minima sociaux actuels sont des allocations différentielles, le montant versé variant en fonction de la situation individuelle de chaque allocataire.

Dès lors, et à moins de fixer le montant du revenu de base à un niveau au moins égal au montant maximal des allocations différentielles existantes, le remplacement des minima sociaux actuels par un revenu de base universel et uniforme ferait un certain nombre de « perdants » parmi les personnes les plus aidées, c'est-à-dire les plus modestes ou les plus fragiles.

La prime d'activité ayant pour objet de soutenir les faibles revenus d'activité, elle pourrait être supprimée au bénéfice d'un revenu de base entièrement cumulable avec ces revenus.

(2) Les prestations familiales

Dans la mesure où le revenu de base est défini comme individualisé et versé dès la naissance, il pourrait se substituer aux prestations familiales versées aux familles ayant la charge d'enfants. Toutefois, dans un tel système, l'aide accordée aux familles dépendrait uniquement du nombre d'enfants, alors que le système actuel prend également en compte la composition du ménage, ses ressources, ou encore l'âge ou le handicap éventuel des enfants.

Par ailleurs, près de 40 % des prestations légales versées par la branche famille sont fléchées vers l'aide à la garde d'enfants, notamment dans le cadre de la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje). Réorienter ces crédits (12,5 milliards d'euros en 2015) vers le financement d'un revenu de base aurait pour effet de les répartir entre toutes les familles, quels que soient leurs besoins, ce qui n'apparaît pas nécessairement pertinent.

Selon le montant du revenu de base retenu, il faudrait donc prévoir - et financer - un certain nombre d'aides spécifiques, avec le risque de revenir à la complexité actuelle.

Au-delà de cet aspect technique, remplacer les prestations familiales par un revenu de base remettrait en question la politique familiale comme branche de la sécurité sociale telle qu'elle a été conçue en 1945.

(3) Les aides au logement

La nécessité d'une réforme du système actuel des aides au logement fait consensus, et intégrer les aides au logement au sein d'un revenu de base individualisé pourrait être une piste intéressante.

Toutefois, il semble illusoire d'imaginer que la fin du système des aides personnalisées entraîne mécaniquement et immédiatement une baisse des loyers. De plus, forfaitiser de manière uniforme les aides au logement alors même que les loyers varient fortement selon les territoires ne semble pas pertinent. Une modulation destinée à prendre en compte ces différences est envisageable mais serait contraire à la définition même du revenu de base, tout en n'étant pas nécessairement de nature à traiter de manière satisfaisante la diversité des situations individuelles

Enfin, les aides au logement visent également à garantir un certain niveau de qualité en conditionnant l'éligibilité d'un logement à un certain nombre de critères.

Ces considérations expliquent qu'un certain nombre de promoteurs du revenu de base, et notamment Génération Libre, excluent les aides au logement du champ de leur modélisation. Au cours de son audition, M. Stoléru a indiqué que le revenu de base qu'il envisage aurait vocation à terme à couvrir les besoins en matière de logement mais qu'il s'agit là d'une « épine » importante dans le système.

(4) L'indemnisation du chômage et les retraites

Un revenu universel serait par définition accordé aux personnes au chômage ou à la retraite. S'il ne semble pas acceptable d'uniformiser le montant des allocations de chômage et des pensions 100 ( * ) , on peut concevoir un système dans lequel le revenu de base se substituerait, à concurrence de son montant, aux allocations de chômage ou aux pensions de retraites et serait complété par un volet contributif.

Néanmoins, cette piste pose un certain nombre de problèmes.

Premièrement, supprimer le caractère assurantiel des régimes de retraite et de chômage revient à remettre en cause un des principes fondateurs de notre système de protection sociale.

Par ailleurs, s'agissant de l'indemnisation du chômage, la substitution au système actuel d'un revenu de base, même complété par une part contributive, irait à l'encontre des mesures d'activation des dépenses de lutte contre le chômage qui sont aujourd'hui mises en oeuvre en France et dans les pays voisins pour lutter contre le chômage.

(5) L'assurance maladie

Certains des promoteurs du revenu de base intègrent l'assurance maladie dans leurs simulations, à l'instar de la Fondation Jean-Jaurès 101 ( * ) . Une telle proposition revient à forfaitiser la couverture des dépenses de santé alors même qu'elles sont par définition différentes d'un individu à l'autre et difficilement prévisibles.

Le risque évident d'une telle forfaitisation est de favoriser le renoncement aux soins. S'il est possible d'imaginer un système dans lequel les assurances privées auraient une place nettement plus importante, à l'instar de ce qui s'observe aujourd'hui dans certains pays, il s'agirait là encore d'une réelle remise en cause des fondements sur lesquels notre système d'assurance maladie a été construit. En outre, une telle privatisation du système de santé exigerait de réduire les cotisations d'assurance maladie, qui ne pourraient donc pas être réaffectées au financement d'un revenu de base.

(6) Les aides diverses

Le revenu de base étant versé à tous, il pourrait se substituer à un certain nombre d'autres aides, dont les bourses étudiantes ou encore les tarifs sociaux, à condition que son montant suffise à rendre inutiles ces aides spécifiques pour les publics concernés.

Le revenu de base pourrait également se substituer aux prestations extralégales ainsi qu'à l'action sociale des caisses de sécurité sociale et des centres communaux d'action sociale (CCAS). Toutefois, ces prestations visent à répondre à des difficultés spécifiques auxquelles font face les bénéficiaires. Or, il est difficile d'imaginer qu'une simple allocation pécuniaire puisse résoudre l'ensemble de ces difficultés.

(7) Les exonérations fiscales

Enfin, le revenu de base pourrait se substituer à un certain nombre d'aides qui prennent la forme de mécanismes fiscaux. En premier lieu, les promoteurs du revenu de base prônent généralement l'individualisation de l'impôt sur le revenu, et donc la suppression des mécanismes de « quotient » familial ou conjugal, l'avantage représenté par ces règles étant transféré vers le revenu de base individuel. Génération Libre se positionne de même en faveur d'une large suppression d'exonérations fiscales.

Sur le principe, un élargissement de l'assiette fiscale, aujourd'hui mitée par un grand nombre de niches, pourrait paraître pertinent. Toutefois, chacun des dispositifs concernés vise des objectifs spécifiques et leur suppression pose nécessairement des questions d'opportunité politique.

Au terme de cet examen, il apparaît donc que le champ des dispositifs qui peut être retenu pour financer le revenu de base dépend de choix politiques importants quant à notre modèle de protection sociale.

En toute hypothèse, la simple réallocation des prestations existantes ne saurait suffire, à moins de créer un nombre considérable de perdants parmi les ménages les plus modestes . En effet, malgré ses limites, le système socio-fiscal français opère une importante redistribution, avec des transferts sociaux fortement concentrés sur les ménages modestes. Répartir entre tous la masse financière représentée par les dispositifs existants ne pourrait donc intervenir qu'au détriment de ces derniers, qui sont les plus aidés.

b) Les économies de gestion liées à la simplification du « maquis social »

Ainsi que cela a été évoqué plus haut au sujet de la réforme du système existant de minima sociaux, la mise en place d'un revenu de base pourrait permettre de réaliser des économies de gestion, en raison de ses modalités de versement, automatique et inconditionnel , à ses bénéficiaires. Les activités d'instruction des demandes, de contrôle des conditions d'éligibilité et des pièces justificatives, ainsi que les procédures a posteriori de récupération d'indus seraient le cas échéant allégées ou supprimées.

Un certain nombre de modèles tablent à cet égard sur des économies substantielles qui seraient affectées au financement du revenu de base, voire d'une allocation unique. Selon l'iFRAP, l'allocation sociale unique qu'elle promeut permettrait ainsi de fortes économies de gestion, à hauteur de 5 milliards d'euros, Mme Agnès Verdier-Molinié ayant insisté lors de son audition 102 ( * ) sur les économies à la fusion des organismes gestionnaires et à la réduction du nombre de guichets. Toutefois, cette estimation repose tant sur la fusion de l'ensemble des caisses et des services départementaux et déconcentrés assurant le service des prestations remplacées, que sur la suppression des prestations extra-légales versées notamment par les caisses d'allocations familiales.

Or, une telle proposition ne semble pas tenir compte de l'important rôle d'action sociale et d'accompagnement joué par les caisses d'allocations familiales. Par ailleurs, auditionnée par la mission, Mme Patricia Chantin, responsable des relations parlementaires et institutionnelles de la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf), a indiqué que le coût de gestion des prestations dont celle-ci assure le service pour son propre compte ou pour compte de tiers (soit près de 95 millions d'euros par an) ne dépasse pas 2 % du montant de ces prestations. Elle a estimé que ce coût lui semblait difficilement compressible.

En définitive, l'essentiel des coûts de gestion des organismes sociaux étant liés aux prestations contributives, la mise en place d'un revenu universel se substituant aux seules prestations non contributives permettrait sans aucun doute une simplification manifeste des procédures pour les usagers mais génèrerait des économies qui ne sauraient constituer un élément important de son financement .

3. Des moyens de financement nouveaux à trouver

La dépense sociale étant aujourd'hui fortement concentrée sur les ménages modestes, la réallocation des ressources affectées aux dispositifs existants ne saurait suffire à financer un revenu de base universel. La France ne disposant pas, contrairement à l'Alaska ou à la région administrative de Macao, d'une rente financière pouvant être redistribuée totalement ou partiellement sous forme de revenus permanents à ses résidents, la mise en place d'un revenu de base nécessiterait donc de faire appel à d'autres types de ressources publiques.

Dès lors que le financement par redéploiement d'une partie des fonds alloués à la protection sociale n'apparaît pas suffisant, trois principales modalités de financement d'un revenu de base, le cas échéant complémentaires, peuvent être envisagées : le financement par les prélèvements obligatoires (par l'augmentation des impôts ou des autres prélèvements obligatoires et/ou la création d'impositions nouvelles), par la création monétaire, ou par l'endettement.

a) Un financement par l'endettement à exclure compte tenu de l'état des finances publiques

Compte tenu de l'état des finances publiques et pour des raisons de soutenabilité de la dépense, il n'est pas envisageable de financer la mise en place d'un revenu universel par l'endettement . Le niveau de la dette publique de la France a fortement augmenté suite à la crise économique et financière de 2008 pour atteindre un montant de 2 137,6 milliards d'euros au premier trimestre 2016 (soit 97,5 % du PIB).

La charge de la dette, c'est-à-dire les dépenses de l'État consacrées au paiement des intérêts de sa dette, s'est élevée à 42,1 milliards d'euros en 2015.

Évolution de la dette publique depuis 2008

Trimestres

2008
T4

2009
T4

2010
T4

2011
T4

2012
T4

2013
T4

2014
T4

2015
T4

2016
T1

Dette publique en valeur

1 358,6

1 531,6

1 632,5

1 754,4

1 869,2

1 953,4

2 037,8

2 096,9

2 137,6

Dette publique en pourcentage du PIB

68,1 %

70 %

81,7 %

85,2 %

89,6 %

92,3 %

95 %

96,1 %

97,5 %

Source : Insee

Ce fort taux d'endettement conduit l'État français à émettre des montants élevés de dette. D'après les données de l'Agence France Trésor, les émissions de dette à moyen et long terme nettes des rachats réalisés pour le compte de l'État se sont élevées à 187 milliards d'euros en 2015. Ceci place l'État dans une situation de forte sensibilité à la variation des taux d'intérêt.

Il convient également de rappeler que la France est l'un des pays européens dont la dépense publique est la plus élevée en proportion de son PIB. D'après les données Eurostat de 2014, la France se situait en deuxième position dans l'Union européenne après la Finlande, avec un ratio de dépense publique sur le PIB de 57 %, soit 8,4 points de plus que la moyenne de la zone euro. Quant au taux de prélèvements obligatoires, il était de 44,7 % du PIB en 2015.

Ces éléments de contexte montrent que la mise en place d'un revenu de base, compte tenu de son coût, nécessiterait de trouver des sources de financement n'aggravant pas la situation budgétaire déjà difficile de la France .


Recettes et dépenses publiques des pays de l'Union européenne en 2015

(en pourcentage du PIB)

Source : Eurostat

La dépense liée au versement d'un tel revenu ayant vocation à être pérenne, elle doit pouvoir être financée sans aggraver la charge publique. D'un point de vue moral, il paraît difficilement défendable de garantir un niveau de revenu aux générations actuelles au détriment des générations futures qui non seulement ne bénéficieraient pas de cette liberté matérielle mais devraient en plus rembourser la dette ainsi contractée.

La mise en place d'un revenu de base en France est donc conditionnée à la garantie de trouver une source de financement permettant de couvrir la dépense de manière durable. Plusieurs travaux menés sur le revenu de base semblent indiquer qu'il serait possible de financer une telle mesure en conservant le système assurantiel existant et en augmentant la fiscalité existante ou en trouvant de nouvelles formes d'imposition.

Quoi qu'il en soit, la quasi-totalité des travaux réalisés et des personnes auditionnées dans le cadre de la mission ont indiqué que le financement du revenu de base impliquerait une refonte en profondeur de la fiscalité .

b) Le financement par l'impôt
(1) L'impôt sur les revenus

Afin de financer la mise en place d'un revenu de base en France, la plupart des études préconisent de recourir à l'imposition sur le revenu . On peut distinguer deux grands types de propositions en la matière.

La première approche prévoit de ne pas imposer le revenu de base et de le financer par une augmentation de l'impôt sur les autres revenus tout en conservant son architecture actuelle. M. Baptiste Mylondo, par exemple, préconise de financer un revenu inconditionnel et non imposable d'un montant de 750 euros par adulte et 230 euros par mineur (pour un coût total de 470 millions d'euros et 350 millions d'euros après réallocation de certaines prestations) par une augmentation de 35 points du taux de la cotisation sociale généralisée (CSG) 103 ( * ) .

La deuxième approche, plus largement partagée, propose de coupler le versement du revenu de base avec une réforme d'ampleur de l'impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) et, le cas échéant, de la CSG à travers la mise en place d'un impôt négatif.

Cette proposition a notamment été formulée par M. Marc de Basquiat, président de l'Association pour l'instauration d'un revenu d'existence (AIRE), et détaillée dans l'ouvrage qu'il a publié avec M. Gaspard Koenig 104 ( * ) . Il s'agirait de financer la mise en place d'un revenu minimum (le Liber ), bénéficiant à l'ensemble des individus résidant légalement en France, par un impôt proportionnel et individualisé sur tous les revenus au premier euro (qualifié de Libertaxe ). Cette Libertaxe se substituerait à l'impôt sur le revenu, à la CSG et à l'impôt sur les sociétés.

Cette individualisation de l'impôt permettrait de garantir à tous les individus une neutralité fiscale quels que soient leurs choix de vie. La Libertaxe serait un impôt proportionnel ( flat tax ), chacun payant un pourcentage fixe de ses revenus. Pour un revenu de 450 euros par adulte et 225 euros par mineur, le coût du Liber serait de 320 milliards d'euros par an, financé par un prélèvement proportionnel de 23 % sur les revenus imposables, en supprimant l'ensemble des dépenses fiscales associées à l'IRPP.

Il s'agit donc d'une réforme en profondeur du système fiscal et de l'imposition des revenus en France. Rappelons que l'impôt sur les revenus des personnes physiques est proportionnel, progressif et « familialisé », et que seuls 45,6 % des foyers fiscaux s'en sont acquittés en 2015 105 ( * ) .

L'impôt sur les revenus des personnes physiques (IRPP)

L'impôt sur le revenu, dont le produit s'est élevé à 76 milliards d'euros en 2015, est un impôt proportionnel, calculé en fonction d'un barème à partir des revenus d'un foyer fiscal - compris comme l'ensemble de personnes dont les ressources font l'objet d'une seule déclaration de revenus.

Le montant de l'impôt brut est calculé en divisant le revenu net imposable par le nombre de parts de quotient familial (en fonction de la situation familiale et du nombre de personnes à charge), puis en lui appliquant le barème en vigueur. Le barème est composé de cinq tranches correspondant à un pourcentage d'imposition progressif.


Barème de l'imposition sur les revenus en 2015

Source : Direction générale des finances publiques

La multiplication de l'impôt obtenu par le nombre de parts permet de déterminer le montant d'impôt brut - plusieurs corrections sont ensuite appliquées sur ce montant, comme la décote en cas de faibles ressources, pour aboutir à l'impôt net à payer.

Le mouvement français pour un revenu de base (MFRB) propose pour sa part de mettre en place un revenu de base exonéré d'impôt, tout en imposant les revenus gagnés au premier euro. Les sources de financement de ce revenu peuvent être diverses. Comme l'explique M. Jean-Éric Hyafil, entendu par la mission : « à long terme, il serait intéressant d'introduire le revenu de base dans le cadre d'une vaste réforme de l'impôt sur le revenu des personnes physiques. Mais à court terme, il est possible de créer un nouvel impôt qui serait le pendant de la redistribution actuelle du RSA » 106 ( * ) . Afin d'instaurer rapidement un revenu de base, le MFRB propose, sur le modèle du fonctionnement actuel du RSA, de verser un revenu de base de 500 euros à tous les citoyens et de taxer les autres revenus perçus à hauteur de 38 % 107 ( * ) jusqu'à concurrence du montant de ce revenu. Ainsi, une personne ayant un revenu de base de 500 euros non imposable et percevant 100 euros de revenu d'activité paierait 38 euros d'impôt et aurait donc un revenu disponible de 562 euros.

Le graphique ci-dessous compare la situation actuelle avec la situation proposée par le MFRB.

Fonctionnement du RSA actuel et proposition du MFRB

Source : MFRB

À plus long terme, le MFRB propose, plutôt que d'instaurer un impôt supplémentaire, de financer le revenu de base à travers une réforme fiscale d'ampleur de l'impôt sur le revenu ; il suggère également de recourir à d'autres modalités d'imposition (cf. infra ).

Ces différentes options nécessitent, quoi qu'il en soit, un examen approfondi tant en termes de faisabilité technique, d'effets redistributifs qu'elles pourraient avoir, mais également de constitutionnalité. En effet, le Conseil constitutionnel a eu plusieurs fois l'occasion de censurer un impôt non familialisé et non progressif.

(2) Les autres impôts et contributions mobilisables

D'autres impôts que l'impôt sur le revenu et la CSG pourraient être mobilisés afin de financer l'instauration d'un revenu universel.

Rien n'interdit la créativité en la matière, et tous les autres types d'impositions semblent a priori pouvoir être sollicités afin de contribuer au financement d'une telle mesure.

Sans prétendre à l'exhaustivité, nous pouvons ici présenter les propositions qui ont pu être faites par les défenseurs du revenu de base.

C'est principalement le MFRB qui, dans un ouvrage récent relatif au financement du revenu de base 108 ( * ) , a fait plusieurs propositions de financement permettant de compléter ou de se substituer partiellement à l'impôt sur le revenu. Il mentionne notamment le financement par les taxes sur la consommation et la fiscalité écologique, via une hausse de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et/ou de la taxe carbone. Il faut toutefois souligner que ces taxes pèsent proportionnellement plus sur les ménages modestes que sur les ménages aisés et ne peuvent donc être considérées que comme des sources complémentaires de financement.

De même, le MFRB souligne que des ressources pourraient être dégagées à travers la lutte contre l'optimisation fiscale et une meilleure taxation des bénéfices des grandes entreprises, l'instauration d'une taxe sur les transactions financières, ou encore un impôt sur l'actif net des ménages (c'est-à-dire le patrimoine net de dettes).

c) Le financement par la création monétaire

Afin de financer la mise en place d'un revenu de base, certains auteurs préconisent de recourir à la création monétaire. Dans cette approche, la Banque centrale européenne (BCE) ou une autre institution émettrice de monnaie serait en charge de verser directement à chaque citoyen une somme d'argent, qui constituerait tout ou partie de son revenu garanti inconditionnel.

Cette idée est notamment défendue par le MFRB. Celui-ci propose d'instaurer un « dividende monétaire » versé directement par la BCE aux citoyens de la zone euro de façon régulière, dont le montant annuel serait lié à la cible de croissance de la masse monétaire choisie. En cas d'impossibilité de trouver un accord au sein de la zone Euro pour mettre en place un tel dividende monétaire, le MRFB suggère que des monnaies nationales ou supranationales parallèles à l'euro soient mises en place 109 ( * ) . Un « dividende » pourrait également être instauré à l'échelle infranationale, par le biais de monnaies locales. Ce dividende pourrait par ailleurs ne constituer qu'un complément d'un revenu fixe par ailleurs versé et financé par la puissance publique, composé d'une « partie fixe, qui constituerait une partie intégrante du revenu de base » et d'une « partie variable, dont le montant serait fonction de la conjoncture et du besoin de l'économie en monnaie libre de dettes ».

Yoland Bresson, économiste et co-fondateur de l'AIRE, proposait également la mise en place d'un « dividende universel » financé, pendant une période de transition de cinq ans, par le biais d'un apport de fonds par les banques de crédit 110 ( * ) . Ces fonds seraient confiées à une caisse centrale, par exemple une filiale de la Caisse des dépôts et des consignations : « chaque citoyen ouvre un compte spécifique d'existence dans une banque de son choix, compte crédité mensuellement du dividende universel. Pour ceux disposant d'un revenu d'activité supérieur à ce dividende leur employeur reverse à la Caisse centrale l'équivalent du dividende perçu, cette somme venant s'imputer sur leur rémunération. Si leur rémunération est inférieure au dividende, le reversement à la Caisse se fera au prorata du salaire ». De même, les organismes sociaux reverseraient une partie des revenus de transfert jusqu'à due concurrence du montant du dividende universel à la Caisse.

Afin de préserver leur ratio de liquidité, les banques percevraient une somme annuelle égale à 10 % de l'annuité du prêt durant la période de transition. Par ailleurs, les allocations inférieures au montant du dividende seraient supprimées. Lors de la sixième année, le dividende universel serait financé par l'impôt - toutefois, le PIB serait fortement accru en raison de la hausse de la demande des années antérieures ayant pour conséquence une augmentation des rentrées fiscales, ce qui permettrait de ne pas augmenter le taux des prélèvements sociaux.

Dans une publication de 2002, Yoland Bresson proposait que ce « prêt bancaire » soit d'un montant de 216 milliards d'euros, soit 43,20 milliards d'euros par an, permettant le versement d'un dividende de 300 euros par mois par citoyen.

Ce projet du financement temporaire ou pérenne du revenu de base par la création monétaire doit être distingué des propositions relatives au versement exceptionnel d'argent par les banques centrales aux citoyens afin de stimuler directement l'activité économique, sans passer par l'intermédiation bancaire. Ces approches consistent en réalité à promouvoir une autre modalité d'intervention des banques centrales.

Dans une note de mars 2012 111 ( * ) , l'économiste Patrick Artus rappelait la gamme des possibilités d'intervention pour les banques centrales : créer de la monnaie par l'achat (ou la prise de pension) d'actifs absolument sans risque, créer de la monnaie par l'achat (ou la prise en pension) d'actifs risqués, créer de la monnaie sans acheter (ou prendre en pension) d'actifs - cette dernière intervention est parfois appelée « helicopter money ». L'« helicopter money » a pour avantage « de ne pas créer de distorsions sur les marchés d'actifs, ni d'aléas de moralité affectant les acheteurs de ces actifs » 112 ( * ) . Par ailleurs, la Banque centrale peut concilier cette technique tout en contrôlant la quantité de monnaie créée, en se fixant un objectif de création monétaire.

Cette idée a également été défendue récemment par plusieurs économistes qui ont appelé la BCE à revoir sa politique d' « assouplissement quantitatif », en distribuant de l'argent directement aux citoyens de la zone euro à travers un « quantitative easing for the people ».

Le quantitative easing for the people

Le quantitative easing (QE) ou assouplissement quantitatif est une technique non-conventionnelle d'intervention des Banques centrales sur les marchés financiers. Celles-ci achètent directement des titres émis par les administrations publiques ou par le secteur privé, principalement sur le marché secondaire. Ces rachats d'actifs accroissent la masse monétaire en circulation et permettent aux banques commerciales de prêter plus facilement aux entreprises et aux ménages, afin de stimuler l'investissement et la consommation.

Compte tenu de la faiblesse du taux de croissance de la zone euro et face au risque de déflation, la BCE a annoncé le 22 janvier 2015 la mise en oeuvre d'une politique de QE. Elle a ainsi prévu le rachat de 60 milliards d'euros d'actifs chaque mois entre mars 2015 et septembre 2016.

Plutôt que soutenir l'inflation et la croissance par le biais de rachats d'actifs, certains économistes prônent de verser directement l'argent issu de la création monétaire aux citoyens, permettant une augmentation de la demande et un effet sur l'économie réelle immédiat.

Dans une tribune parue le 19 avril 2015 à l'initiative de l'économiste australien Steve Keen, dix-neuf économistes ont ainsi appelé la BCE à mettre en place un « quantitative easing for the people ». Ils proposaient ainsi que chaque citoyen de la zone euro reçoive 175 euros par mois pendant 19 mois (correspondant au montant de 60 milliards d'euros mensuels de rachats visé par la BCE), ce qui permettrait selon eux d'encourager directement la consommation et d'être plus efficace que la politique de QE usuelle.

Ces propositions s'inscrivent donc plus largement dans une réflexion sur les outils efficaces de politique monétaire à mettre en oeuvre en période de crise économique. Il ne s'agit pas de verser de manière pérenne un revenu à l'ensemble des citoyens de la zone euro, mais bien d'intervenir ponctuellement pour soutenir la demande et la croissance.

4. Deux modalités de versement envisageables

Deux modalités de versement du revenu de base sont imaginées par ses promoteurs.

D'une part, le revenu de base peut prendre la forme d'une allocation universelle, versée mensuellement à chaque bénéficiaire . Cette solution est conceptuellement simple et peut s'appuyer sur le réseau existant de caisses de sécurité sociale. L'automaticité du versement suppose néanmoins de disposer d'un outil informatique suffisamment fiable et réactif, ce qui est une difficulté plus importante qu'il ne paraît, comme le montre l'exemple britannique.

L'autre modalité proposée est celle du crédit d'impôt ou de l'impôt négatif , dans lequel l'administration ne verserait ou ne prélèverait au bénéficiaire que la différence entre l'impôt dû et le montant du revenu de base.

Ce schéma est en particulier défendu par M. Marc de Basquiat, ainsi que par Génération libre, reprenant ainsi la thèse élaborée par Milton Friedman.

Schéma théorique du LIBER en fonction de plusieurs configurations familiales

Source : Marc de Basquiat et Gaspard Koenig, LIBER, un revenu de liberté pour tous. Une proposition d'impôt négatif en France , avril 2014

L'idée d'instaurer un revenu universel par le biais d'un crédit d'impôt est également partagée par M. Lionel Stoléru, qui propose de verser un revenu individuel à tous les citoyens via un système de crédit d'impôt - qui diminuerait puis disparaitrait avec l'augmentation des revenus. Il s'agirait donc selon lui de « sortir du système social pour entrer dans le système fiscal » 113 ( * ) , qui serait plus simple (suppression des démarches administratives) et moins stigmatisant pour ses bénéficiaires.

Cette position est aussi soutenue par M. Daniel Cohen qui, lors de son audition par la mission d'information, 114 ( * ) a défendu la mise en place d'un système d'impôt négatif, avec une individualisation de l'impôt couplée au prélèvement à la source.

Impôt négatif et revenu de base

La notion de crédit d'impôt universel de distingue de celle d'impôt négatif, théorisé par Juliet Rhys-Williams dans les années 1940 et défendu notamment par Milton Friedman. Si les deux concepts sont différents, ils produisent des effets proches au point qu'ils sont parfois confondus.

Un système d'impôt négatif détermine un seuil de revenus au-dessus duquel l'individu est taxé et en deçà duquel il reçoit une allocation, calculée en appliquant le taux d'imposition fixe ( flat tax ) à l'écart entre les revenus et le seuil, selon la formule suivante, où t représente le taux d'imposition et S le seuil.

Revenu net = revenu brut + [S-revenu brut]*t

Dans un tel système, avec un seuil fixé à 1 000 et un taux à 50 %, une personne dont les revenus sont nuls recevra une aide de 500, une personne dont les revenus sont de 500 recevra une aide de 250, une personne dont le revenu est de 1200 se verra prélever 100 etc.

Dans un système de crédit d'impôt, le revenu net se calcule selon la formule suivante, où t représente le taux d'imposition et C le crédit d'impôt.

Revenu net = revenu brut * (1-t) + C

Avec un taux d'imposition fixe de 50 %, appliqué au premier euro, et un crédit d'impôt de 500, on obtient les mêmes résultats que ci-dessus. Les deux systèmes peuvent donc produire strictement les mêmes effets redistributif, à condition de taxer les revenus à un taux fixe et au premier euro 115 ( * ) .

Dans les deux systèmes, l'augmentation des revenus du travail entraîne une réduction moins qu'équivalente de l'allocation perçue, ce qui est de nature à inciter à lutter contre les phénomènes de trappe à inactivité.

Si l'effet pour les bénéficiaires et pour les finances publics peut être équivalent, la distinction entre les deux modalités de versement est importante d'un point de vue symbolique, l'universalité et l'uniformité étant plus visibles dans le cas d'une allocation. Ainsi que l'écrit M. Marc de Basquiat, « l'une [l'allocation universelle] parait être la chaude expression de la solidarité nationale, l'autre [l'impôt négatif] semble relever d'une froide justice fiscale ».

Sur le plan théorique, le modèle du crédit d'impôt ou de l'impôt négatif peut cependant sembler plus efficient. Entièrement géré par l'administration fiscale, ce qui limiterait drastiquement les échanges d'information nécessaires et donc les risques d'erreurs et de fraude, un tel système permettrait en outre d'éviter les situations, qui peuvent paraître absurdes, dans lesquelles les ménages aisés percevraient une aide tout en payant des impôts d'un montant largement supérieur.

Il nécessiterait néanmoins une réforme fondamentale du système fiscal existant pour passer à un impôt individualisé et mensualisé.

5. Une mesure financièrement soutenable à terme ?

Le revenu de base a vocation à être versé tout au long de la vie des individus. Ses modalités de financement doivent donc elles aussi être pérennes, au risque de faire peser un risque trop important sur les finances publiques.

Dans le débat relatif au revenu de base, la question de la soutenabilité budgétaire de cette mesure est donc centrale. Il ne s'agit pas seulement de savoir quelles sources de financement trouver, mais aussi comment garantir dans le temps que ce financement pourra être assuré sans provoquer de déséquilibre à terme .

À cet égard, il est utile de mentionner les principaux risques budgétaires associés à la mise en place d'un revenu de base inconditionnel , dont l'intensité varie en fonction du montant de ce dernier et qui doivent donc être pris en compte dans tout « plan de financement » de cette mesure.

Trois principaux risques peuvent être identifiés. Tout d'abord, le vieillissement de la population française aura pour conséquence d'accroître la part de personnes inactives par rapport aux personnes actives. D'après les projections de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), une personne sur trois (soit 22,3 millions) serait âgée de 60 ans ou plus en 2050 contre une sur cinq en 2005 (soit 12,6 millions), ce qui représente une hausse de 80 % en 45 ans. Ainsi, 31,9 % de la population résidant en France métropolitaine aurait 60 ans ou plus en 2050 contre 20,8 % en 2005.

Même dans l'hypothèse d'un recul de l'âge légal de départ à la retraite, le vieillissement démographique et ses corollaires (en particulier l'augmentation du nombre de personnes âgées dépendantes) devrait induire une augmentation de la part du nombre de personnes inactives dans la population totale.

Ratio de dépendance et taux d'activité des 15-64 ans

Source : projections de population active 2006-2050, Insee

Dans une étude de l'Insee de 2007 116 ( * ) , Mme Élise Coudin estimait que, malgré le maintien du nombre d'actifs entre 28,2 millions et 28,5 millions entre 2015 et 2050, la croissance de la population âgée sur cette période entraînerait une augmentation du ratio de dépendance démographique (soit le rapport entre la population inactive et la population en âge de travailler) : il n'y aurait en 2050 plus que 1,4 actif pour un inactif de plus de 60 ans, contre 2,2 en 2005.

La mise en place d'un revenu de base versé à tous de manière inconditionnelle doit donc tenir compte des évolutions démographiques, a fortiori si le scénario retenu consiste à inclure dans ses sources de financement les montants issus des versements de la branche « vieillesse » de la sécurité sociale.

Le deuxième risque associé à la mise en place d'un revenu de base concerne son probable effet inflationniste . Le versement d'une somme d'argent à l'ensemble des citoyens aurait pour conséquence de créer un « choc de demande » qui pourrait se traduire par une augmentation des prix. Cet effet inflationniste pourrait être renforcé par la baisse de production associée au retrait d'un certain nombre d'individus du marché du travail, en particulier en cas de fixation du montant de revenu de base à un niveau favorisant le choix de ne pas travailler.

Outre ses effets sur d'autres variables économiques comme le taux d'épargne ou le taux d'intérêt, une inflation chronique poserait à terme la question de la revalorisation du montant du revenu de base pour pallier l'érosion de son pouvoir d'achat, ce qui pourrait créer une spirale inflationniste.

Les propositions de financement de tout ou partie d'un revenu de base par la création monétaire se heurtent également au risque inflationniste, l'augmentation de la masse monétaire n'étant pas en adéquation avec celle de la création de valeur.


* 94 Groupe de travail « Revenu universel » de la Fondation Jean-Jaurès , Le revenu de base, de l'utopie à la réalité , 22 mai 2016.

* 95 En retenant un seuil de pauvreté égal à 60 % du niveau de vie médian.

* 96 Marc de Basquiat et Gaspard Koenig, Liber, un revenu de liberté pour tous. Une proposition d'impôt négatif en France, avril 2014.

* 97 Baptiste Mylondo, Un revenu pour tous ! Précis d'utopie réaliste , 2010.

* 98 Jean-Eric Hyafil et Thibault Laurentjoye, Revenu de base : comment le financer ? Panorama des modalités de financement , septembre 2016 .

* 99 Jean-Eric Hyafil et Thibault Laurentjoye, op. cit.

* 100 Considérées comme un salaire différé, les pensions et les allocations de chômage reflètent le montant des cotisations préalablement versées.

* 101 La fondation Jean-Jaurès exclut néanmoins la prise en charge des affections de longue durée (ALD), qui demeureraient couvertes par la solidarité.

* 102 Audition du 7 juillet 2016.

* 103 Les taux de CSG varient aujourd'hui, selon la nature des revenus, entre 6,2 et 7,5 %.

* 104 Liber, un revenu de liberté pour tous , op. cit.

* 105 Direction générale des finances publiques, Cahier statistique 2015.

* 106 Audition du 9 juin 2016.

* 107 Un taux d'imposition plus faible pourrait être appliqué sur les bas revenus afin d'augmenter le revenu disponible des travailleurs pauvres.

* 108 Jean-Éric Hyafil et Thibault Laurentjoye, op. cit.

* 109 Le MFRB mentionne, à titre d'exemple, la proposition de l'économiste Yoland Bresson d'instaurer une monnaie nationale complémentaire à l'euro, l' « eurofranc », qui serait créée par la Banque de France et à parité avec l'euro, et qui ne pourrait pas être utilisée pour acquérir des actifs capitalisables.

* 110 Cette idée a été traduite dans une proposition de loi n° 3378 visant à créer un dividende universel déposée à l'Assemblée nationale par Mme Christine Boutin, alors députée, le 17 octobre 2006.

* 111 Natixis, Flash Économie n° 186, 6 mars 2012.

* 112 Ibid.

* 113 Audition du 30 juin 2016.

* 114 Audition du 30 juin 2016.

* 115 Le taux fixe et la taxation au premier euro sont des éléments essentiels des systèmes d'impôt négatif mais pas nécessairement des systèmes de crédit d'impôt.

* 116 Élise Coudin, Projections de population active à l'horizon 2050 : des actifs en nombre stable pour une population âgée toujours plus nombreuse , Économie et statistique N° 408-409, 2007.

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