II. DES CONTRAINTES STRICTES, DES CONTREPARTIES QUI SEMBLENT LIMITÉES : UNE ATTRACTIVITÉ DE LA DETTE FRANÇAISE PEUT-ÊTRE PLUS FRAGILE QU'IL N'Y PARAÎT

A. DES CONTRAINTES PORTANT SUR L'ORGANISATION ET LE FONCTIONNEMENT DES SPÉCIALISTES EN VALEUR DU TRÉSOR

Afin d'assurer l'ensemble des missions décrites supra (cf. I du présent rapport), les spécialistes en valeur du Trésor sont soumis à de strictes obligations.

La charte indique ainsi que « la présence effective d'équipes en France est un moyen irremplaçable pour créer et maintenir avec efficacité [une relation proche et continue dans le temps] ».

Le secret professionnel ne s'applique pas aux relations entre le SVT et l'AFT.

Les SVT sont aussi encouragés à organiser des contacts réguliers entre leur direction et le ministre chargé de l'économie , le directeur général du Trésor et le directeur général de l'AFT sur les questions relatives aux marchés de taux et aux finances publiques. Le ministère des finances et des comptes publics a indiqué, en réponse au questionnaire de votre rapporteur spécial, que « les rencontres entre le directeur général de l'AFT et la direction d'un SVT sont variables et dépendent de l'importance et du classement du SVT considéré . Pour les SVT les plus importants, au moins une rencontre annuelle est organisée , en dehors des rencontres pouvant se tenir à l'occasion des assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale, l'évaluation annuelle des SVT ».

En outre, les SVT doivent désigner un responsable SVT , qui sera l'interlocuteur privilégié de l'AFT et qui est responsable du respect de la charte SVT au sein de son établissement. D'après les éléments transmis par le ministère des finances et des comptes publics, « le niveau hiérarchique et la fonction du responsable SVT dans son établissement sont assez variables » même si, « dans tous les cas, il s'agit de personnes ayant une capacité d'accès au niveau de management senior de l'établissement afin de pouvoir faire remonter facilement au plus haut niveau décisionnel les points de difficultés éventuels dans la relation ».

Les banques membres du réseau doivent également communiquer les coordonnées d'un certain nombre de « responsables métiers » que l'AFT est susceptible d'avoir besoin de contacter directement et désigner un responsable des activités post-marché.

B. DES CONTREPARTIES QUI SEMBLENT LIMITÉES

1. Des contreparties techniques : l'accès à certaines facilités

Les contraintes pesant sur les spécialistes en valeur du Trésor ne sont pas sans contrepartie : si elles ne reçoivent évidemment pas de rémunération à ce titre, ce sont ainsi les seules banques qui sont autorisées à acheter la dette de l'État sur le marché primaire , c'est-à-dire le marché des titres nouvellement émis. Les autres investisseurs peuvent acheter et vendre des titres uniquement sur le marché secondaire, c'est-à-dire des titres déjà émis. Les SVT sont également les seuls à pouvoir présenter des offres non compétitives (ONC) et ils peuvent bénéficier d'une facilité de pension livrée .

a) Le droit de présenter des offres non compétitives

Les SVT peuvent acheter des titres de dette français en suivant une procédure spécifique : ils peuvent présenter, à l'issue de chaque adjudication 4 ( * ) , des offres non compétitives (ONC) . La pratique des ONC consiste à soumettre une quantité sans préciser le prix . Les ONC sont servies en priorité au prix moyen pondéré qui résulte de l'adjudication .

D'après Raphaële Préget, chercheur en économie à l'INRA 5 ( * ) , « les ONC sont clairement considérées par le Trésor français comme un privilège offert aux SVT en contrepartie des obligations auxquelles ces derniers ont souscrit ».

Cependant, ce « privilège » ne fait pas l'objet d'une utilisation intensive par les SVT : les offres non compétitives ne représentent en moyenne que 3,95 % des montants adjugés , alors que le plafond est fixé, dans la plupart des cas, à 25 % du montant émis.

b) L'accès à la facilité de pension livrée

Concernant le segment de marché du « spécifique », les SVT peuvent bénéficier d'une facilité de pension livrée leur permettant d'emprunter de manière temporaire et à titre onéreux des titres d'État français (OAT et BTAN, y compris indexés) en échange d'autres titres d'État français de valeur équivalente aux titres prêtés.

La technique de la pension livrée

Le marché de la pension recouvre les opérations de prêts et emprunts de fonds contre remise de titres en garantie . Le cédant vend à une contrepartie, le cessionnaire, des valeurs. Le cédant s'engage à reprendre les titres et le cessionnaire à les rétrocéder, pour un prix et à une date convenue à l'avance. Cet instrument permet à des investisseurs (trésoriers de banque, gérants de fonds), dans le cas d'une mise en pension, de refinancer à court terme des titres détenus en portefeuille .

Réciproquement, il assure à des investisseurs une rémunération de fonds disponibles sur des périodes courtes , généralement inférieures à un an, en bénéficiant d'une garantie.

Son nom international est « repo », diminutif de l'anglais repurchase agreement . Il s'agit d'un jeu de mots, car, en argot américain, repo man était le surnom de l'huissier effectuant une saisie ( repossession ).

En France, le marché du repo bénéficie depuis 1994 d'un cadre légal. Ce « repo à la française » s'appelle la « pension livrée » .

Dans la zone euro , l'encours des repos - dont l'essentiel est à très court terme - a crû considérablement de 1999 à 2007 , de plus de 20 % par an, avant de connaître une diminution avec le déclenchement de la crise de 2007.

Il existe en fait deux segments bien distincts du marché du repo : le plus important est celui du « vrac » ( general collateral ou GC), où ce qui importe est l'opération de refinancement, et donc le taux d'intérêt à court terme négocié entre le prêteur et l'emprunteur des fonds, non le titre sous-jacent. Doit être aussi signalé le marché du « spécifique », où l'on cherche à couvrir ponctuellement des positions courtes en tel ou tel titre .

L'accès à cette facilité est conditionné à la conclusion d'une convention spécifique avec la Caisse de la dette publique (CDP) .

Outre des tests qui ont été réalisés avec chaque nouvelle contrepartie signataire de la convention, la facilité de pension livrée a été sollicitée à quatre reprises en 2015 6 ( * ) :

- le 26 juin 2015, pour 25 millions d'OAT 8,25 % arrivant à échéance le 25 avril 2022. Sur les 25 millions de titres, le SVT a restitué 7 millions de titres le 29 juin, le million restant ayant été reconduit jusqu'au 6 juillet. Au total, les titres ont été utilisés pour six jours ouvrés ;

- le 30 juin 2015, pour 96 millions de BTAN indexés sur l'inflation 0,45 % 25 juillet 2016. Les titres ont été restitués à la CDP le 1 er juillet. Au total, les titres ont été utilisés un jour ouvré ;

- le 30 septembre, pour 35 millions de BTAN 1 % 25 juillet 2017. Les titres ont été restitués à la CDP le 1 er octobre. Au total, les titres ont été utilisés 1 jour ouvré ;

- le 30 septembre 2015 pour 145 millions de BTAN indexés sur l'inflation 0,45 % 25 juillet 2016. Les titres ont été restitués à la CDP le 1 er octobre. Au total, les titres ont été utilisés un jour ouvré.

2. Des contreparties institutionnelles : un dialogue privilégié avec l'Agence France Trésor et la direction du Trésor

Le rôle de spécialiste en valeur du Trésor permet aux banques, qui ont d'autres activités, de dialoguer plus directement avec les institutions publiques : ainsi, chaque année, l'AFT met en contact les économistes des banques SVT avec la direction générale du Trésor dans le cadre de la présentation du projet de loi de finances, qui a lieu dans les locaux de l'AFT fin septembre.

Par ailleurs, des échanges thématiques entre économistes et cadres de la direction du Trésor ont été organisés sur une base régulière les années précédentes dans le cadre de petits déjeuners organisés par l'AFT , avec pour objectif de débattre de sujets de politique économique d'actualité.

Outre ces rendez-vous réguliers, la charte prévoit que l'AFT est « à la disposition des SVT pour expliquer et commenter la politique économique française et la politique européenne dans les domaines de sa compétence » et qu'elle « organise en tant que de besoin des contacts entre les SVT et les équipes compétentes au sein de l'administration ».

Observation n° 6 : les contreparties dont jouissent les SVT paraissent limitées au regard des contraintes organisationnelles et fonctionnelles qui pèsent sur les banques membres du réseau.


* 4 À l'exception des adjudications à l'envers.

* 5 Préget, R. (2003), Les offres non compétitives dans les enchères du Trésor. Annales d'Économie et de Statistique (70), 155-179.

* 6 Source : réponse du ministère des finances et des comptes publics au questionnaire du rapporteur spécial.

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