B. UN LEVIER FISCAL MANIÉ AVEC PARCIMONIE MALGRÉ LA RIGIDITÉ DES DÉPENSES LOCALES

1. Une forte rigidité des dépenses locales

Face à cet effort financier considérable à fournir, les collectivités territoriales n'ont pas la même souplesse que l'État . Il faut en effet rappeler qu'elles sont soumises à une « règle d'or », qui leur ouvre la possibilité de s'endetter pour les seules dépenses d'investissement, en excluant un financement par la dette des dépenses de fonctionnement. Dès lors, quatre leviers étaient à leur disposition :

- augmenter le taux des impôts locaux ;

- dégrader le solde de leur section de fonctionnement et compenser la perte sur la section d'investissement par un endettement accru ou en puisant dans leur trésorerie ;

- diminuer leurs dépenses d'investissement ;

- diminuer leurs dépenses de fonctionnement .

L'augmentation du taux des impôts n'était, en tout état de cause, possible que pour celles qui disposent encore d'un véritable pouvoir de moduler les taux des impôts leur étant affectés, ce qui limite cette possibilité essentiellement au bloc communal - taxe d'habitation et taxes foncières, cotisation foncière des entreprises - et dans une moindre mesure aux départements (taxe foncière sur les propriétés bâties). Cette solution était au demeurant difficile à mettre en oeuvre, dans un contexte de « ras-le-bol fiscal » nourri par les augmentations considérables du poids des prélèvements perçus par l'État et les administrations de sécurité sociale. Le recours à l'endettement était limité au cas des collectivités disposant d'un excédant suffisant de leur section de fonctionnement.

S'agissant des dépenses, diminuer les investissements a le mérite d'être une solution facile à mettre en oeuvre . En effet, ces dépenses ne sont pas rigides et il est toujours possible d'annuler des projets en cours ou du moins de les revoir à la baisse. Ce choix est cependant regrettable à long terme : au-delà des effets récessifs immédiats sur certains secteurs, notamment sur le bâtiment public, la dégradation de la qualité des infrastructures du pays - l'on rappellera que les collectivités territoriales représentent près des deux tiers de l'investissement public civil - aura in fine des conséquences sur la croissance .

Concernant les dépenses de fonctionnement , l'alternative consistait pour l'essentiel soit à diminuer le service rendu aux usagers, soit à diminuer les dépenses de personnel. Ces dernières dépenses sont cependant extrêmement rigides : le point d'indice de la fonction publique territoriale est fixé au niveau national par l'État et le statut de la fonction publique territoriale ne permet de diminuer les effectifs que dans la limite des départs à la retraite. De par leur rigidité, les dépenses de fonctionnement ne peuvent être diminuées qu'en anticipant largement l'évolution financière de la collectivité territoriale.

Or, la baisse des concours financiers s'est révélée imprévue et brutale . Imprévue car le candidat François Hollande s'était engagé à stabiliser leur niveau à celui de 2012. Il prévoyait ainsi de mettre en place « un pacte de confiance et de solidarité entre l'État et les collectivités locales garantissant les dotations à leur niveau actuel » 64 ( * ) . Imprévue encore car le montant réel de cette diminution n'a été connu qu'à l'automne 2014, soit en milieu de mandat. Elle s'est également révélée brutale car, une fois annoncée, elle a été menée sans laisser le temps aux collectivités territoriales de s'adapter à cette nouvelle donne financière.

L'ampleur inédite de l'effort demandé aurait nécessité que l'État prenne des dispositions permettant aux collectivités de réaliser des économies . Tel était à l'origine un des objectifs des réformes territoriales du quinquennat. Lors de la présentation des projets de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) et relatif à la délimitation des régions, le Gouvernement indiquait qu'ils avaient pour but « de mettre les collectivités territoriales en mesure de tenir toute leur place dans [le redressement économique de notre pays] [et d'] assurer une plus grande efficacité de l'action publique » 65 ( * ) . André Vallini, alors secrétaire d'État chargé de la réforme territoriale, évoquait en mai 2014 un montant d'économies possibles compris entre 12 milliards et 25 milliards d'euros. Comme le notait la commission des finances du Sénat dans son avis sur ce texte 66 ( * ) , ces économies paraissaient peu crédibles et n'étaient d'ailleurs pas même chiffrées dans l'étude d'impact.

Ainsi, en définitive, les collectivités territoriales voyaient leurs ressources diminuer fortement et leurs dépenses augmenter, sans véritablement disposer de levier permettant de maîtriser ces dernières, en dehors d'une réduction de leurs investissements .

2. Des baisses des dépenses d'investissement...

Le levier de la baisse des dépenses d'investissement a effectivement été utilisé par les collectivités territoriales, alimentant une certaine inquiétude. Ainsi, en 2014, première année de la baisse des dotations, ces dépenses ont reculé de 7,8 %, avant de diminuer encore de 6,5 % en 2015. En 2016, d'après les chiffres provisoires, les investissements locaux semblent s'être stabilisés, tandis que l'exercice 2017 devrait voir, d'après les prévisions du Gouvernement, un redémarrage de l'investissement (+ 1,9 %).

Tableau n° 32 : Évolution des dépenses d'investissement
des collectivités territoriales

(en milliards d'euros)

2012

2013

2014

2015

55,3

58,7

54,1

50,6

-

+ 6,1 %

- 7,8 %

- 6,5 %

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de l'Observatoire des finances locales)

L'on peut donc supposer que ce vecteur n'a été utilisé dans un premier temps, que pour ajuster rapidement le niveau des dépenses, et que les économies porteront désormais sur les dépenses de fonctionnement .

3. ...et un levier fiscal manié avec parcimonie

Si les dépenses ont donc été réduites, le levier fiscal a néanmoins lui aussi été utilisé . Le tableau ci-dessous montre qu'en 2015, le montant des impôts locaux est supérieur de 7,4 milliards d'euros à celui de 2012. En cumulé, 15 milliards d'euros supplémentaires ont été prélevés.

Tableau n° 33 : Évolution du montant des impôts locaux

(en milliards d'euros)

2012

2013

2014

2015

Montant

72,3

75,8

76,4

79,7

Augmentation par rapport au niveau de 2012

-

3,5

4,1

7,4

Augmentation cumulée

-

3,5

7,6

15,0

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de l'Observatoire des finances locales)

Ce montant est important. Il doit cependant être relativisé au regard des évolutions retracées précédemment s'agissant des ressources et des dépenses contraintes des collectivités territoriales. De plus, il ne distingue pas (voir infra ) l'effet de l'augmentation du taux, décidée par les collectivités territoriales, et celui de l'augmentation de la base taxable , qui résulte de changements de situation ou de la revalorisation des valeurs locatives.

Le consensus des observateurs tend d'ailleurs à considérer que les collectivités n'ont utilisé le levier fiscal qu'avec parcimonie . Ainsi, dans son récent rapport sur les finances locales 67 ( * ) , la Cour des comptes note qu'un « examen synthétique du panier fiscal des collectivités locales fait apparaître qu'en la matière, elles disposent de marges de manoeuvre relativement limitées, dont elles ont fait un usage modéré dans la période récente ». Cette tendance se confirme en 2016 : la Cour des comptes observe pour l'année en cours « une relative stabilité des taux d'imposition » 68 ( * ) .

Plus précisément, votre rapporteur général a souhaité distinguer la part de l'augmentation des impôts locaux directs imputable aux collectivités , c'est-à-dire à la hausse des taux. En juin dernier, Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget, indiquait devant votre commission que, en 2015, « les décisions de hausses de taux ne représentent qu'un quart de la hausse du produit fiscal de la taxe d'habitation, de la taxe foncière et de la cotisation foncière des entreprises » 69 ( * ) . Cette affirmation se vérifie sur l'ensemble du quinquennat, comme le montrent les tableaux ci-après.

Le produit des taxes portant sur les ménages (taxe d'habitation et taxes foncières) perçues par le bloc communal est en hausse de 5,4 milliards d'euros en 2015 par rapport à son niveau de 2011 (sur un total cette année-là de 35 milliards d'euros). Cependant, sur l'ensemble de la période, en cumulé, 88 % de cette augmentation du produit s'explique par l'évolution des bases (11,5 milliards d'euros) et 12 % par l'augmentation des taux (1,6 milliard d'euros). La hausse de ces derniers, sur la même période, s'élève en moyenne à 0,4 point pour la taxe d'habitation et de 0,6 point pour chacune des taxes foncières.

Tableau n° 34 : Augmentation du produit des taxes ménages perçues
par le bloc communal

(en millions d'euros)

2012

2013

2014

2015

Augmentation du produit

+ 1 441,0

+ 1 323,0

+ 784,0

+ 1 836,0

dont due à l'évolution du taux

145,4

90,9

124,8

488,4

dont due à l'évolution de la base

1 295,6

1 232,1

659,2

1 347,6

Augmentation du produit par rapport à 2011

+ 1 441,0

+ 2 764,0

+ 3 548,0

+ 5 384,0

dont due à l'évolution du taux

145,4

236,4

361,2

849,5

dont due à l'évolution de la base

1 295,6

2 527,6

3 186,8

4 534,5

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de l'Observatoire des finances locales)

L'ordre de grandeur est le même pour les augmentations du produit de cotisation foncière des entreprises (CFE) : 83 % de la hausse s'explique par l'évolution des bases, 17 % par l'augmentation des taux.

Tableau n° 35 : Augmentation du produit de cotisation foncière
des entreprises perçue par le bloc communal

(en millions d'euros)

2013

2014

2015

Augmentation du produit

+ 273

+ 39

+ 260

dont due à l'évolution du taux

42

23

22

dont due à l'évolution de la base

231

16

238

Augmentation du produit par rapport à 2011

+ 273

+ 312

+ 572

dont due à l'évolution du taux

42

65

86

dont due à l'évolution de la base

231

247

486

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de l'Observatoire des finances locales)

Le constat est en revanche différent pour les départements . S'agissant de la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties, la hausse du produit s'explique pour un tiers par une hausse des taux. Entre 2011 et 2016, le taux moyen est en hausse de 1,5 point. Ce recours plus important au levier fiscal est cohérent avec la situation financière particulière de cet échelon , pour qui le financement des allocations individuelles de solidarité est une charge considérable.

Tableau n° 36 : Évolution du produit de taxe foncière sur les propriétés bâties
perçu par les départements

(en millions d'euros)

2012

2013

2014

2015

Évolution du produit

+ 628,0

+ 613,0

+ 298,0

+ 430,0

dont due à l'évolution du taux

236,3

220,5

8,1

107,0

dont due à l'évolution de la base

391,7

392,5

289,9

323,0

Évolution du produit par rapport à 2011

+ 628,0

+ 1 241,0

+ 1 539,0

+ 1 969,0

dont due à l'évolution du taux

236,3

456,8

464,9

571,8

dont due à l'évolution de la base

391,7

784,2

1 074,1

1 397,2

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de l'Observatoire des finances locales)


* 64 F. Hollande, Le changement, c'est maintenant. Mes 60 engagements pour la France , p. 35.

* 65 Étude d'impact du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, p. 6.

* 66 Avis (n° 184, 2014-2015) de Charles Guené sur le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République fait au nom de la commission des finances du Sénat, 11 décembre 2014.

* 67 Cour des comptes, Les finances publiques locales , Paris, La Documentation française, 2016, p. 105.

* 68 Ibid. , p. 81.

* 69 Sénat, audition de Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget, le mercredi 15 juin 2016, par la commission des finances.

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