Rapport d'information n° 153 (2016-2017) de M. Albéric de MONTGOLFIER , fait au nom de la commission des finances, déposé le 29 novembre 2016

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N° 153

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 novembre 2016

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de décret d' avance notifié le 23 novembre 2016, relatif au financement de dépenses urgentes , transmis pour avis à la commission, en application de l'article 13 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances,

Par M. Albéric de MONTGOLFIER,

Rapporteur général,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André , présidente ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Vincent Delahaye, Mmes Fabienne Keller, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. André Gattolin, Charles Guené, Francis Delattre, Georges Patient, Richard Yung , vice-présidents ; MM. Michel Berson, Philippe Dallier, Dominique de Legge, François Marc , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, François Baroin, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Jean-Claude Boulard, Michel Bouvard, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Serge Dassault, Bernard Delcros, Éric Doligé, Philippe Dominati, Vincent Éblé, Thierry Foucaud, Jacques Genest, Didier Guillaume, Alain Houpert, Jean-François Husson, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Marc Laménie, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Hervé Marseille, François Patriat, Daniel Raoul, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Maurice Vincent, Jean Pierre Vogel .

AVIS DE LA COMMISSION DES FINANCES DU SÉNAT

sur le projet de décret d'avance notifié le 23 novembre 2016,
portant ouverture et annulation de 1 749 millions d'euros
en autorisations d'engagement et 1 735 millions d'euros
en crédits de paiement

La commission des finances,

Vu les articles 13, 14 et 56 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances ;

Vu la loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016 ;

Vu le décret n° 2016-732 du 2 juin 2016 portant ouverture et annulation de crédits à titre d'avance ;

Vu le décret n° 2016-1300 du 3 octobre 2016 portant ouverture et annulation de crédits à titre d'avance ;

Vu le projet de décret d'avance notifié le 23 novembre 2016, portant ouverture et annulation de 1 748 716 860 euros en autorisations d'engagement et 1 735 171 935 euros en crédits de paiement, le rapport de motivation qui l'accompagne et les réponses du secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget, au questionnaire du rapporteur général ;

Sur la régularité du projet de décret d'avance :

1. Constate que l'objet du projet de décret d'avance est de permettre des ouvertures de crédits sur treize missions du budget général afin de financer les opérations extérieures et intérieures du ministère de la défense, les dépenses de personnel du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et de sept autres ministères, ainsi que les dépenses d'intervention notamment liées à l'hébergement d'urgence, au service civique, à divers contentieux du ministère de l'intérieur et aux bourses de l'enseignement supérieur ;

2. Relève que le présent projet de décret d'avance doit être analysé de façon conjointe au projet de loi de finances rectificative en cours d'examen par le Parlement ; celui-ci ouvrant près de 7 milliards d'euros pour assurer la fin de gestion 2016, dont 1,5 milliard d'euros pour les opérations intérieures et extérieures de la défense, plus de 1 milliard d'euros au titre de divers dispositifs de solidarité, près de 700 millions d'euros de crédits de personnel, 700 millions d'euros pour la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » en lien avec les refus d'apurement communautaire, 300 millions d'euros pour la politique de l'emploi, 200 millions d'euros pour le fonds d'urgence pour les départements et 2,4 milliards d'euros au titre du renforcement des fonds propres de l'Agence française de développement ;

3. Estime que le besoin d'une ouverture rapide des crédits est avéré au regard de la nécessité d'assurer la continuité du paiement des personnels de l'État, de poursuivre les opérations extérieures et intérieures dans lesquelles est engagée l'armée française, d'assurer le paiement des bourses étudiantes, ainsi que de faire face aux besoins de l'hébergement d'urgence ;

4. Constate que les ouvertures de crédits prévues par le projet de décret d'avance, le décret n° 2016-732 du 2 juin 2016 et le décret n° 2016-1300 du 3 octobre 2016 portant ouverture et annulation de crédits à titre d'avance n'excèdent pas le plafond de 1 % des crédits ouverts par la dernière loi de finances de l'année et que les annulations n'excèdent pas le plafond de 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l'année en cours ;

5. Observe que les ouvertures de crédits prévues par le présent projet de décret sont gagées par des annulations de même montant réparties sur vingt-cinq missions du budget général ;

6. Constate que les conditions de régularité du recours au décret d'avance prévues par la loi organique relative aux lois de finances du 1 er août 2001 précitée sont donc formellement réunies ;

7. Relève néanmoins que l'annulation de 672 millions d'euros en crédits de paiement sur le programme 146 « Équipement des forces » est compensée par la réouverture de crédits du même montant prévue par le projet de loi de finances rectificative pour 2016 déposé le 18 novembre 2016 ;

8. Considère que la préservation des moyens de la défense est particulièrement nécessaire au regard de l'ampleur des opérations extérieures et intérieures dans lesquelles l'armée française est engagée et des tensions auxquelles est soumis son budget ;

9. Constate toutefois le caractère artificiel de l'équilibre entre les ouvertures et les annulations de crédits du projet de décret d'avance dans la mesure où plus du tiers des crédits annulés sont aussitôt rouverts par le projet de loi de finances rectificative ;

Sur les ouvertures prévues par le projet de décret d'avance :

10. Souligne que le caractère urgent des ouvertures ne préjuge pas de leur imprévisibilité et rappelle une nouvelle fois que le décret d'avance ne saurait se substituer à une budgétisation initiale sincère ;

11. Observe à ce titre que les ouvertures de crédits motivant le présent projet de décret d'avance sont similaires aux dépenses financées par le décret d'avance n° 2015-1545 du 27 novembre 2015 et note que les opérations extérieures et intérieures du ministère de la défense, les dépenses de personnel de l'État et les dépenses d'intervention, liées en particulier à l'hébergement d'urgence et aux bourses de l'enseignement supérieur, font l'objet d'une sur-exécution récurrente par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale qui nuit à la lisibilité de la politique budgétaire du Gouvernement et interroge la crédibilité de la budgétisation initiale ;

12. Constate en particulier que le décret d'avance est devenu un instrument récurrent d'ajustement des crédits destinés aux opérations extérieures, dont le besoin de financement en incluant le présent projet de décret d'avance s'élève à 686 millions d'euros en 2016, soit un besoin de financement annuel total de 1 136 millions d'euros, plus de 2,5 fois supérieur à l'enveloppe de 450 millions d'euros allouée en loi de finances initiale, nuisant tant à la bonne information du Parlement qu'à la soutenabilité de la budgétisation de la mission « Défense » ;

13. Relève que la dotation initiale des opérations intérieures était également insuffisante, l'abondement de crédits prévu par le présent projet de décret d'avance à hauteur de 145 millions d'euros étant plus de 5,5 fois supérieur à leur budgétisation en loi de finances initiale pour 2016 qui s'établissait à 26 millions d'euros ;

14. Relève que près de 700 millions d'euros sont ouverts pour financer la masse salariale de l'État ; que les hypothèses de budgétisation relatives à la masse salariale se sont une fois de plus révélées insuffisantes, en particulier concernant le « glissement vieillesse technicité » (GVT) des personnels du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ;

15. Note que la réévaluation du point d'indice décidée en mars 2016 fait peser dès 2016 une charge supplémentaire sur le budget de l'État qui nécessite des ouvertures à hauteur de 125 millions d'euros dans le présent projet de décret d'avance ;

16. Constate que ces dérapages récurrents reflètent l'incapacité du Gouvernement à mettre en oeuvre des mesures de maîtrise des dépenses en cours de gestion, concernant en particulier la masse salariale de l'État ;

17. Observe que la sous-budgétisation des dépenses d'hébergement d'urgence est habituelle et que l'insuffisance des moyens était manifeste dès la loi de finances initiale au regard de l'exécution 2015 et de l'augmentation du nombre de demandeurs d'asile sur le territoire à partir de la seconde moitié de l'année 2015 ;

18. Relève qu'au total, les ouvertures par décret d'avance en matière d'hébergement d'urgence représentent plus de 15 % de la budgétisation initiale du programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » ;

19. Estime par conséquent que l'urgence à ouvrir les crédits ne découle pas du caractère imprévisible des besoins budgétaires, mais d'une décision gouvernementale s'agissant de la réévaluation du point d'indice d'une part et de l'insuffisance des moyens alloués en loi de finances initiale concernant les opérations intérieures et extérieures du ministère de la défense ainsi que l'hébergement d'urgence d'autre part ;

Sur les annulations prévues par le projet de décret d'avance :

20. Constate que la plus grande partie des annulations porte sur des crédits mis en réserve, ce qui ne permet pas au Parlement d'identifier les dispositifs touchés par les redéploiements ;

21. Estime par conséquent que le recours croissant, par le Gouvernement, à la mise en réserve de crédits, qui s'élève depuis 2015 à 8 % des crédits ouverts sur le budget de l'État, détourne de sa vocation une procédure destinée à permettre le respect de l'autorisation parlementaire, et non à la contourner ou à la rendre inopérante ;

22. Observe que l'opération à laquelle se livre le Gouvernement qui annule 672 millions d'euros de crédits de paiement sur le programme 146 « Équipement des forces » de la mission « Défense » pour les ouvrir de nouveau par le projet de loi de finances rectificative précité, si elle permet une nécessaire préservation des moyens de la défense, témoigne surtout de son incapacité à dégager de réelles économies sur d'autres missions au titre de la solidarité interministérielle afin de compenser la sous-budgétisation manifeste de la dotation prévue en loi de finances initiale au titre des opérations extérieures et intérieures de l'armée française ;

23. Émet, en conséquence, un avis défavorable au présent projet de décret d'avance.

ANALYSE DES OUVERTURES ET ANNULATIONS DE CRÉDITS

Le présent projet de décret d'avance prévoit des ouvertures et annulations de crédits pour un montant total de 1 749 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 1 735 millions d'euros en crédits de paiement (CP). Soumis pour avis à la commission des finances, il lui a été notifié le 23 novembre 2016.

Conformément à l'article 13 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), « la commission chargée des finances de chaque assemblée fait connaître son avis au Premier ministre dans un délai de sept jours à compter de la notification qui lui a été faite du projet de décret ».

I. OBJET DES OUVERTURES ET ANNULATIONS DE CRÉDITS

Les décrets d'avance permettent de procéder à des ouvertures de crédits en cas d'urgence , dans la limite de 1 % des crédits ouverts en loi de finances initiale, gagées par des annulations de crédits 1 ( * ) .

A. LES OUVERTURES

Les ouvertures de crédits prévues par le présent projet de décret d'avance s'élèvent à 1,7 milliard d'euros en AE et en CP . Elles s'inscrivent au sein du schéma de fin de gestion, qui s'établit à 7 milliards d'euros , et concernent quatre grands ensembles : la défense, la masse salariale de l'État, l'hébergement d'urgence et diverses dépenses d'intervention.

1. Un schéma de fin de gestion de 7 milliards d'euros

Les crédits ouverts par le présent projet de décret d'avance doivent être analysés en tenant compte du projet de loi de finances rectificative .

Le présent projet de décret d'avance s'inscrit en effet au sein du schéma de fin de gestion pour 2016 , c'est-à-dire de l'ajustement en fin d'exercice des crédits alloués afin d'éviter des impasses budgétaires tout en assurant le respect de la norme de dépenses par des annulations d'un montant équivalent.

Les ouvertures auxquelles procède le décret d'avance sont concentrées sur les besoins les plus urgents , pour lesquels les délais associés au vote du projet de loi de finances rectificative poseraient des problèmes : les crédits de personnel et d'intervention en forment donc, comme chaque année, la plus large part, dans la mesure où le Gouvernement ne peut différer le paiement du traitement des fonctionnaires ou de certaines allocations.

Si l'ouverture de crédits par décret d'avance en fin d'année constitue une procédure somme toute classique, deux points méritent d'être relevés .

D'une part, l'ampleur du schéma de fin de gestion pour 2016 confirme le constat fait en 2015 : les redéploiements en fin d'année sont de plus en plus importants car le Gouvernement peine à tenir le cap qu'il s'est fixé en loi de finances initiale . Ainsi, ce sont 7 milliards d'euros (en crédits de paiement) qui doivent être ouverts, dont 1,7 milliard d'euros par décret d'avance et 5,3 milliards d'euros par le projet de loi de finances rectificative, auxquels il faut ajouter 539 millions d'euros de redéploiement des fonds issus du programme d'investissements d'avenir (PIA). Ces ouvertures se répartissent entre 1,5 milliard d'euros pour les opérations intérieures et extérieures de la défense, plus de 1 milliard d'euros au titre de divers dispositifs de solidarité, près de 700 millions d'euros de crédits de personnel, 700 millions d'euros pour la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » en lien avec les refus d'apurement communautaire, 300 millions d'euros pour la politique de l'emploi, 200 millions d'euros pour le fonds d'urgence pour les départements et 2,4 milliards d'euros au titre du renforcement des fonds propres de l'Agence française de développement

D'autre part, le Gouvernement recourt de plus en plus à l'ouverture de crédits par voie réglementaire , alors même que cette procédure totalement dérogatoire au principe de l'autorisation parlementaire des dépenses devrait être exceptionnelle : ainsi, notre ancien collègue député Didier Migaud indiquait lors des travaux préparatoires relatifs à la loi organique relative aux lois de finances du 1 er août 2001 que « le décret d'avance constitue l'atteinte la plus importante au pouvoir financier du Parlement ». En 2016, ces atteintes auront concerné 4,73 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 3,42 milliards d'euros en crédits de paiement , soit une hausse des montants ouverts par décret d'avance de respectivement 69 % et 56 % en un an, alors même que 2015 représentait déjà un point haut avec 2,79 milliards d'euros ouverts en AE et 2,2 milliards d'euros en CP, soit des montants inégalés depuis 2010.

Les ouvertures par décret d'avance en 2016 sont, de loin, les plus fortes depuis dix ans . L'usage réitéré de l'outil réglementaire, pour des sommes aussi significatives, affaiblit la portée de l'autorisation parlementaire .

Évolution des ouvertures de crédits par décret d'avance de 2006 à 2016

(en milliards d'euros et en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les décrets d'avance publiés depuis 2016 et le présent projet de décret d'avance

2. Des ouvertures de 1,7 milliard d'euros réparties entre quatre grands ensembles : la défense, la masse salariale, l'hébergement d'urgence et diverses dépenses d'intervention

Les ouvertures prévues par le présent projet de décret d'avance concernent douze missions mais seules trois sont bénéficiaires nettes (les ouvertures sont plus importantes que les annulations).

Répartition des ouvertures de crédits entre les missions bénéficiaires nettes

(en millions d'euros)

Missions bénéficiaires nettes

AE

CP

Enseignement scolaire

618,77

610,68

Défense

540,64

159,13

Sport, jeunesse et vie associative

12,00

12,00

TOTAL

1 171,41

781,81

Source : commission des finances du Sénat, d'après le présent projet de décret d'avance

Elles se répartissent en quatre grands ensembles .

831 millions d'euros, soit près de la moitié des ouvertures, visent à financer les opérations extérieures et intérieures du ministère de la défense.

700 millions d'euros, soit 40 % des ouvertures, concernent la masse salariale de l'État.

100 millions d'euros, soit près de 6 % des ouvertures, sont liés au financement de l'hébergement d'urgence.

Enfin, 118 millions d'euros en AE et 105 millions d'euros en CP sont ouverts au titre de divers dispositifs d'intervention, en particulier les bourses de l'enseignement scolaire et de l'enseignement supérieur, le service civique et l'aide à la recherche du premier emploi (ARPE).

Ouvertures de crédits de paiement prévues
par le présent projet de décret d'avance

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances, d'après le projet de décret d'avance

a) 831 millions d'euros au titre des opérations extérieures et intérieures de l'armée française (mission « Défense »)

831 millions d'euros de crédits doivent être ouverts au profit des opérations extérieures et intérieures de l'armée française. Sur ce total, 686 millions d'euros financeraient les Opex et 145 millions d'euros les opérations intérieures .

Répartition des ouvertures de crédits entre opérations extérieures (OPEX) et intérieures (MISSINT)

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances, d'après le projet de décret d'avance et les réponses du Gouvernement au questionnaire du rapporteur général

Plus de 80 % du coût des opérations extérieures est lié à la présence de l'armée française au Sahel (50,9 %) et en Irak et au Levant (31,4 %) .

Répartition du surcoût « Opex »

(en millions d'euros et en %)

T2

HT2

Total en M€

Total en %

Sahel

151,1

447,2

598,3

50,9%

Irak & Levant

60,5

309,1

369,6

31,4%

RCA

23,2

65,6

88,8

7,6%

Liban

31,4

20,2

51,6

4,4%

Afghanistan

5,8

21,9

27,8

2,4%

Côte d'Ivoire

7,8

10,2

18

1,5%

Autres OPEX

4,6

8,7

13,3

1,1%

Atalante

2

2,4

4,4

0,4%

Kosovo - Macédoine

0,1

2,3

2,4

0,2%

Manque à gagner service de santé des armées

2

2

0,2%

Total coûts OPEX

286,5

889,6

1176,1

100,0%

Source : commission des finances, d'après les réponses du Gouvernement au questionnaire du rapporteur général

Certes, la nécessité d'une ouverture rapide des crédits ne peut être contestée.

Mais l'imprévisibilité de la dépense ne paraît pas établie : la sous-budgétisation de ces opérations en loi de finances initiale est manifeste.

Évolution du surcoût Opex depuis 2003

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Au total, le besoin de financement des Opex en 2016 est plus de 2,5 fois supérieur aux crédits alloués en budgétisation initiale . Concernant les opérations intérieures, l'exécution devrait être 5,6 fois plus importante que la dotation votée en loi de finances initiale .

L'écart à la prévision en 2016 est le plus important constaté sur la mission depuis plus de quinze ans .

L'insincérité de la budgétisation initiale nuit à la lisibilité de la politique budgétaire du Gouvernement et fragilise l'exécution budgétaire de la mission « Défense » .

b) 700 millions d'euros en AE et en CP pour financer la masse salariale de l'État (principalement missions « Enseignement scolaire » et « Recherche et enseignement supérieur »)

Le deuxième poste de dépense nécessitant des ouvertures de crédits d'une ampleur significative est la masse salariale de l'État . Celle-ci a donné lieu à des ouvertures de crédits en fin de gestion chaque année depuis 2012.

Près de 700 millions d'euros sont ouverts à ce titre, un montant inédit depuis le début du quinquennat et supérieur de 290 millions d'euros à la moyenne du dépassement constaté entre 2012 et 2016 sur ce poste , qui s'établit à 411 millions d'euros.

Ouvertures de crédits en fin de gestion au titre de la masse salariale de l'État (hors défense) depuis 2012

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Ces besoins proviennent principalement d'une anticipation erronée du glissement vieillesse technicité (GVT) et de la hausse du point d'indice décidée en mars 2016 par le Gouvernement .

Là encore, l'imprévisibilité de ces dépenses peut être remise en question : une partie des besoins découle d'une décision prise par le Gouvernement, et non d'un évènement de force majeure.

Ces ouvertures de crédits démontrent surtout l'incapacité du Gouvernement à maîtriser la masse salariale de l'État .

Répartition des ouvertures au titre de la masse salariale en fin de gestion 2016

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après le présent projet de décret d'avance

c) 100 millions d'euros de crédits supplémentaires ouverts pour l'hébergement d'urgence (mission « Égalité des territoires et logement »)

De façon désormais classique, des crédits sont aussi ouverts au profit de l'hébergement d'urgence , à hauteur de 100 millions d'euros (en AE=CP). 55 millions d'euros sont également prévus par le projet de loi de finances rectificative et 84 millions d'euros avaient déjà été ajoutés par le précédent décret d'avance, que la commission des finances avait examiné en septembre.

Dotation initiale et exécution budgétaire du programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables »

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Au total, 239 millions d'euros devraient être ouverts en cours d'exercice 2016 au profit de l'hébergement d'urgence , soit un dépassement de plus de 15 % de la dotation allouée en loi de finances initiale.

La budgétisation initiale pour 2017 est donc d'ores et déjà inférieure de 12,5 millions d'euros à l'exécution prévisionnelle pour 2016 .

Le Gouvernement explique les besoins d'ouverture de crédits par la crise migratoire et les évacuations de campements parisiens . Le besoin complémentaire lié à la mise à l'abri des personnes évacuées des campements de Calais et Paris s'élève à 12,2 millions d'euros . Le complément, qui s'élève à 87,8 millions d'euros, touche les dispositifs de droit commun .

Ces ouvertures ne constituent pas une surprise et votre rapporteur général avait déjà souligné en septembre dernier que les crédits prévus ne suffiraient sans doute pas à couvrir les besoins jusqu'à la fin de l'année .

d) 105 millions d'euros au titre de divers dispositifs d'intervention

Enfin, le reliquat des ouvertures, soit 118 millions d'euros, se répartit entre plusieurs dépenses d'intervention.

Répartition des ouvertures de crédits de paiement au titre de diverses dépenses d'intervention

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après le présent projet de décret d'avance

En autorisations d'engagement, les deux agrégats les plus importants sont l'aide à la recherche au premier emploi (ARPE) , pour 30 millions d'euros, et, pour un montant de 33 millions d'euros, la contribution française à ITER , un réacteur de recherche en fusion nucléaire dont le financement associe une trentaine de pays.

Les bourses de l'enseignement scolaire et de l'enseignement supérieur nécessitent l'ouverture de 20 millions d'euros.

12 millions d'euros sont consacrés aux contrats de service civique et 10 millions d'euros à divers contentieux du ministère de l'intérieur . En réponse au questionnaire de votre rapporteur général, le Gouvernement n'a pas précisé la nature des affaires en cours mais il a indiqué que « les 10 millions d'euros de crédits sollicités dans le cadre du décret d'avance sont destinés à financer des dossiers de contentieux de différentes natures (relatifs notamment à la protection fonctionnelle, aux refus de concours de la force publique, aux attroupements, aux accidents de la circulation, aux contentieux des étrangers ou à d'autres mises en cause de l'État ), portant sur les décisions de justice les plus coûteuses ou à fort enjeu ».

Enfin, doit également être signalé le fonds de soutien pour le développement des activités périscolaires (fonds de soutien pour les rythmes scolaires), qui donne lieu à l'ouverture de 8,5 millions d'euros.

B. LES ANNULATIONS

Le projet de décret d'avance prévoit des annulations d'un montant équivalent aux ouvertures. Elles portent sur la quasi-totalité des missions du budget général .

1. Des annulations réparties sur la quasi-totalité des missions

Les annulations portent sur la quasi-totalité des missions .

En autorisations d'engagement, les annulations nettes les plus importantes portent sur les missions « Crédits non répartis », pour près de 230 millions d'euros, « Justice », pour 172 millions d'euros et « Engagements financiers de l'État », à hauteur de 133 millions d'euros.

En crédits de paiement, les missions les plus touchées sont les missions « Relations avec les collectivités territoriales » et « Outre-Mer ».

Annulations par mission

(en millions d'euros et en %)

Missions contributrices nettes

AE (en M€)

CP (en M€)

AE (en % des crédits
ouverts en LFI)

CP (en % des crédits
ouverts en LFI)

Crédits non répartis

-228,34

-8,34

-68,1%

-23,5%

Outre-mer

-91,29

-114,69

-4,4%

-5,6%

Relations avec les collectivités territoriales

-41,50

-147,17

-1,1%

-4,9%

Politique des territoires

-11,80

-20,27

-1,8%

-2,9%

Action extérieure de l'État

-71,01

-60,07

-2,3%

-1,9%

Écologie, développement et mobilité durables

-120,29

-98,56

-1,3%

-1,1%

Direction de l'action du Gouvernement

-75,41

-14,41

-5,1%

-1,1%

Aide publique au développement

-49,17

-25,43

-2,5%

-1,0%

Santé

-12,51

-11,81

-1,0%

-0,9%

Culture

-12,65

-18,28

-0,5%

-0,7%

Conseil et contrôle de l'État

-17,75

-4,11

-2,7%

-0,6%

Justice

-172,86

-46,94

-2,0%

-0,6%

Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation

-15,98

-14,76

-0,6%

-0,6%

Gestion des finances publiques et des ressources humaines

-52,89

-58,10

-0,5%

-0,5%

Médias, livre et industries culturelles

-4,75

-2,75

-0,9%

-0,5%

Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales

4,19

-12,58

0,2%

-0,5%

Administration générale et territoriale de l'État

-10,52

-8,78

-0,4%

-0,3%

Économie

-1,71

-5,70

-0,1%

-0,3%

Engagements financiers de l'État

-133,28

-82,20

-0,3%

-0,2%

Solidarité, insertion et égalité des chances

-31,26

-25,25

-0,2%

-0,1%

Travail et emploi

-4,72

-5,14

0,0%

0,0%

Recherche et enseignement supérieur

-8,21

-8,71

0,0%

0,0%

Sécurités

-0,73

-0,49

0,0%

0,0%

Égalité des territoires et logement

-6,96

12,74

0,0%

0,1%

Source : commission des finances, d'après le présent projet de décret d'avance et la loi de finances initiale pour 2016

2. 95 % des crédits de paiement annulés étaient gelés

Comme à l'accoutumée, une part très importante des annulations porte sur les crédits mis en réserve : c'est le cas de 72 % des annulations en AE et de 95 % des crédits annulés en CP.

Officiellement, la mise en réserve n'est pas ventilée par action ou par dispositif. Il n'est donc pas possible de savoir sur quels dispositifs portent les annulations de crédits « gelés ».

Répartition des crédits de paiement annulés entre crédits « frais »
et mise en réserve

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances, d'après les réponses du Gouvernement au questionnaire du rapporteur général

Le Parlement ne peut pas, par conséquent, identifier les dispositifs touchés par les redéploiements .

Le secrétaire d'État chargé du budget et des comptes publics Christian Eckert avait bien précisé, lors d'une audition le 18 mai 2016 devant l'Assemblée nationale, que « cette réserve, comme son nom l'indique, est mise en place par simple précaution. Tous les crédits mis en réserve n'ont pas vocation à être annulés, loin de là ». De fait, seuls 15 % en AE et 20 % en CP des crédits mis en réserve sur les programmes concernés par le présent projet de décret d'avance devraient être annulés, ce qui démontre l'inadaptation du taux actuel de mise en réserve qui réduit la portée de l'autorisation parlementaire .

3. 672 millions d'euros d'annulations artificielles sur la mission « Défense »

L'analyse des crédits annulés montre que l'équilibre entre ouvertures et annulations est artificiel : 290 millions d'euros en AE et 672 millions d'euros en CP sont annulés sur le programme 146 de la mission « Défense », mais des crédits de même montant devraient être ouverts sur le même programme par le projet de loi de finances rectificative.

En d'autres termes, l'annulation de ces crédits n'est qu'une astuce comptable, qui ne correspond aucunement à de réelles économies .

Certes, la préservation des moyens de la défense est nécessaire et il ne semble pas qu'une annulation de près de 700 millions d'euros sur la mission « Défense » soit soutenable au regard des tensions budgétaires qu'elle connaît et des nombreuses opérations dans lesquelles est engagée l'armée française .

Cependant, ce jeu d'écriture témoigne de l'incapacité du Gouvernement à réaliser de réelles économies pour faire jouer la solidarité interministérielle .

Un mouvement de même nature avait, certes, déjà été mis en oeuvre dans le cadre du schéma de fin de gestion pour 2010 . Cependant, dans ce cas, les montants en jeu étaient beaucoup moins significatifs : il ne s'agissait que de 231,4 millions d'euros, soit 17 % des autorisations d'engagement annulées et 20 % des crédits de paiement, contre 40 % dans le cas présent.

II. LA RÉGULARITÉ DU PROJET DE DÉCRET AU REGARD DE LA LOI ORGANIQUE DU 1ER AOÛT 2001 RELATIVE AUX LOIS DE FINANCES

Après analyse des ouvertures et annulations de crédits proposées par le présent projet de décret d'avance, il apparaît que sa conformité à la loi organique est très incertaine .

Les conditions de régularité organiques du projet de décret d'avance

Source : commission des finances du Sénat

A. DES CRITÈRES DE RÉGULARITÉ TECHNIQUES FORMELLEMENT RESPECTÉS, MAIS 40 % D'ANNULATIONS ARTIFICIELLES

1. Des ouvertures et des annulations de crédits par décret d'avance s'élevant à moins de 1 % des crédits prévus en loi de finances pour 2016

L'article 13 de la LOLF dispose que « le montant cumulé des crédits (...) ouverts (par décret d'avance) ne peut excéder 1 % des crédits ouverts par la loi de finances de l'année », et l'article 14 que « le montant cumulé des crédits annulés par décret en vertu du présent article et de l'article 13 ne peut dépasser 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l'année en cours » .

Le présent projet de décret d'avance prévoit l'ouverture et l'annulation de 1 749 millions d'euros en autorisations d'engagement et 1 735 millions d'euros en crédits de paiement. La somme des ouvertures et annulations prévues par le présent projet de décret d'avance, le décret n° 2016-732 du 2 juin 2016 et le décret n° 2016-1300 du 3 octobre 2016 portant ouverture et annulation de crédits à titre d'avance représente 0,77 % des autorisations d'engagement et 0,56 % des crédits de paiement ouverts par la loi de finances initiale pour 2016 .

Rapport entre les ouvertures prévues par la loi de finances initiale pour 2016 et les ouvertures et annulations de crédits du présent projet de décret d'avance et du décret d'avance de juin 2016

(en euros et en %)

AE

CP

Crédits ouverts LFI

Budget général

417 352 017 665

409 899 972 213

Budgets annexes

2 303 164 320

2 297 181 534

Comptes spéciaux

196 522 043 932

196 187 322 481

Total ouvertures LFI

616 177 225 917

608 384 476 228

Décrets d'avance

Crédits ouverts et annulés DA juin

1 449 650 000

988 450 000

Crédits ouverts et annulés DA septembre

1 532 250 403

698 718 934

Crédits ouverts et annulés projet de DA novembre

1 748 716 860

1 735 171 935

Total décrets d'avance 2016

4 730 617 263

3 422 340 869

% Total DA/Total ouvertures LFI

0,77%

0,56%

Source : commission des finances, d'après la loi de finances initiale pour 2016, le décret n° 2016-732 du 2 juin 2016 portant ouverture et annulation de crédits à titre d'avance et le présent projet de décret d'avance

Les deux plafonds fixés par la LOLF sont donc respectés .

2. Un respect incertain de l'équilibre budgétaire : des ouvertures certes intégralement gagées par des annulations de crédits, mais des « économies » largement artificielles

Les ouvertures de crédits, aussi bien en autorisations d'engagement qu'en crédits de paiement, doivent s'accompagner d'annulations de même montant, conformément à l'article 13 de la LOLF qui dispose que les décrets d'avance ne doivent pas porter atteinte à l'équilibre budgétaire défini par la dernière loi de finances de l'année en cours.

Le présent projet de décret d'avance ne déroge pas à cette règle : les ouvertures de crédits demandées sont compensées par des annulations à due concurrence.

Cependant, comme cela a été indiqué précédemment, 672 millions d'euros ne correspondent pas à des annulations réelles dans la mesure où l'ouverture de ces crédits est d'ores et déjà prévue par le projet de loi de finances rectificative pour 2016.

En outre, c'est la seconde fois cette année que la commission des finances est amenée à se prononcer sur un décret d'avance financé par des « économies » qui n'en sont pas : en septembre, votre rapporteur général avait déjà relevé que l'annulation de près de 900 millions d'euros en autorisations d'engagement sur le compte spécial « Participations financières de l'État » ne constituait pas une économie réelle dans la mesure où les montants inscrits sur ce compte sont largement conventionnels et se rapprochent davantage de crédits évaluatifs que de crédits limitatifs.

B. DES DÉPENSES DONT L'URGENCE EST MANIFESTE, MAIS PAS L'IMPRÉVISIBILITÉ

Une fois de plus, le Gouvernement utilise l'outil réglementaire pour financer des dépenses qui ne sont devenues urgentes qu'en raison de sous-budgétisations ou de choix de politique budgétaire , détournant la procédure du décret d'avance de son objet.

1. L'urgence : nécessité et imprévisibilité

L'article 13 de la LOLF dispose que les décrets d'avance sont pris « en cas d'urgence ».

Votre rapporteur général considère, à l'instar de la Cour des comptes 2 ( * ) , que le critère d'urgence répond « aux deux conditions que sont la nécessité , constatée au moment où est préparé le décret d'avance, et l' imprévisibilité des dépenses auxquelles ce dernier doit faire face ».

Ces deux composantes ne sont pas précisées explicitement dans la loi organique relative aux lois de finances, mais elles se déduisent du caractère dérogatoire du décret d'avance.

En effet, l'urgence ne saurait s'apprécier au seul regard de la nécessité d'ouvrir les crédits dans un délai contraint : toutes les dépenses du budget de l'État pourraient alors être considérées, à un moment ou à un autre de l'année, « urgentes ». En outre, le décret d'avance est défini comme un dispositif exceptionnel puisqu'il contrevient au principe selon lequel les crédits budgétaires ne peuvent être modifiés que par une loi de finances . Le caractère dérogatoire du décret d'avance implique donc que les dépenses qu'il finance n'auraient pas pu être intégrées à une loi de finances.

2. Des dépenses qui ne paraissent pas imprévisibles

La grande majorité des postes de dépenses concernés par le présent projet de décret d'avance font l'objet d'ouvertures chaque année en fin de gestion : il n'y a là rien d'imprévisible.

En particulier, la sous-budgétisation des opérations extérieures et intérieures du ministère de la défense est manifeste. Elle fragilise la mission : des ouvertures en cours de gestion ne se substituent pas à une budgétisation initiale sincère, lisible pour le Parlement comme pour les services gestionnaires.

La sur-exécution de la dotation allouée à l'hébergement d'urgence est elle aussi systématique , de même que le dépassement de l'enveloppe votée en loi de finances initiale au titre de la masse salariale de l'État .

Au total, les dépenses réellement imprévisibles ne paraissent pas constituer la majorité des ouvertures prévues par le présent projet de décret d'avance.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 29 novembre 2016, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a entendu une communication de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, sur le projet de décret d'avance notifié le 23 novembre 2016 relatif au financement de dépenses urgentes, transmis pour avis à la commission, en application de l'article 13 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances.

Mme Michèle André , présidente . - Le Gouvernement a transmis à la commission, mercredi dernier, un projet de décret d'avance dont vous avez eu connaissance le même jour.

La loi organique relative aux lois de finances dispose que nous devons émettre un avis dans un délai de sept jours.

Le rapporteur général a préparé un projet d'avis qui vous a été distribué.

Monsieur le rapporteur général, je vous cède la parole pour présenter à la fois vos observations sur ce projet et le projet d'avis.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - La commission des finances a été notifiée mardi dernier d'un projet de décret d'avance - ce qui est relativement classique en cette période de fin d'année - portant ouverture et annulation de crédits à hauteur de 1,7 milliard d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement.

Conformément à l'article 13 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), notre commission doit faire connaître son avis sur ce projet de décret au Premier ministre dans un délai de sept jours à compter de sa notification.

Le recours au décret d'avance constitue une exception au principe de l'autorisation parlementaire des crédits. C'est pourquoi il est strictement encadré par la loi organique relative aux lois de finances, qui définit quatre conditions de validité du recours au décret d'avance.

Ainsi, les annulations doivent être au moins égales aux ouvertures, afin de ne pas affecter l'équilibre budgétaire défini par la dernière loi de finances. Les montants de crédits ouverts ne doivent pas dépasser 1 % des crédits prévus en loi de finances initiale et les crédits annulés ne peuvent être supérieurs à 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l'année en cours.

Ces trois premiers critères purement mathématiques sont respectés.

Cependant, une part substantielle des annulations est artificielle : en effet, alors que 672 millions d'euros sont annulés sur la mission « Défense », la réouverture des crédits est d'ores et déjà prévue par le projet de loi de finances rectificative en cours d'examen à l'Assemblée nationale. J'y reviendrai.

Le dernier critère, celui de l'urgence, est plus qualitatif. Je souscris à l'analyse de la Cour des comptes selon laquelle l'urgence signifie à la fois que l'ouverture des crédits doit être nécessaire et que le besoin budgétaire était imprévisible.

La vérification du caractère urgent des dépenses supplémentaires exige un examen détaillé des ouvertures.

Les ouvertures prévues par le présent projet de décret d'avance concernent douze missions et se répartissent en quatre grands ensembles : 831 millions d'euros, soit près de la moitié des ouvertures, visent à financer les opérations extérieures (Opex) et intérieures du ministère de la défense ; 700 millions d'euros, soit 40 % des ouvertures, concernent la masse salariale de l'État ; 105 millions d'euros sont ouverts au titre de divers dispositifs d'intervention, en particulier les bourses de l'enseignement scolaire et de l'enseignement supérieur, le service civique et l'aide à la recherche du premier emploi, l'ARPE ; enfin, 100 millions d'euros, soit près de 6 % des ouvertures, sont liés au financement de l'hébergement d'urgence - un phénomène récurrent, comme le rapporteur spécial Philippe Dallier pourra nous le confirmer.

Presque tous ces postes de dépenses ont déjà fait l'objet d'ouvertures par décret d'avance en fin de gestion les années passées. Il est donc difficile de considérer que les besoins sont imprévisibles ! La sous-budgétisation des Opex ou de l'hébergement d'urgence est récurrente et dénoncée ab initio lors de l'examen de chaque projet de loi de finances de l'année.

En outre, les crédits ouverts par le présent projet de décret d'avance doivent être analysés en tenant compte du projet de loi de finances rectificative, en cours d'examen à l'Assemblée nationale.

Le présent projet de décret d'avance s'inscrit en effet au sein du schéma de fin de gestion pour 2016, c'est-à-dire de l'ajustement en fin d'exercice des crédits alloués afin d'éviter des impasses budgétaires tout en assurant le respect de la norme de dépenses.

Les ouvertures auxquelles procède le décret d'avance sont concentrées sur les besoins les plus urgents, pour lesquels les délais associés au vote du projet de loi de finances rectificative poseraient des problèmes : les

crédits de personnel et d'intervention en forment donc, comme chaque année, la plus large part, dans la mesure où le Gouvernement ne peut différer le paiement du traitement des fonctionnaires ou de certaines allocations.

Si l'ouverture de crédits par décret d'avance en fin d'année constitue une procédure somme toute classique, l'ampleur du schéma de fin de gestion pour 2016 mérite quant à elle d'être relevée. Ce sont ainsi 7 milliards d'euros en crédits de paiement qui doivent être ouverts, dont 1,7 milliard d'euros par décret d'avance et 5,3 milliards d'euros par le projet de loi de finances rectificative, auxquels il faut ajouter 539 millions d'euros de redéploiement des fonds issus du programme d'investissements d'avenir, ou PIA.

L'importance du schéma de fin de gestion pour 2016 confirme le constat fait en 2015 : les redéploiements en fin d'année sont de plus en plus importants, car le Gouvernement peine à tenir le cap qu'il s'est fixé en loi de finances initiale.

C'est la raison pour laquelle 831 millions d'euros de crédits doivent être ouverts au profit des opérations extérieures (Opex) et intérieures (Opint) du ministère de la défense. Sur ce total, 686 millions d'euros financeraient les Opex et 145 millions d'euros les Opint.

La répartition du coût des opérations extérieures est précisée dans le tableau qui figure sur le document vous ayant été distribué ; je pourrai y revenir, si vous le souhaitez.

La sous-budgétisation de ces opérations en loi de finances initiale est manifeste : au total, le besoin de financement des Opex en 2016 est plus de 2,5 fois supérieur aux crédits alloués en budgétisation initiale. Concernant les opérations intérieures, l'exécution devrait être 5,6 fois plus importante que la dotation votée en loi de finances initiale.

L'écart à la prévision en 2016 est le plus important constaté sur la mission depuis plus de quinze ans. L'insincérité de la budgétisation initiale nuit à la lisibilité de la politique budgétaire du Gouvernement et fragilise l'exécution budgétaire de la mission « Défense ».

Si la nécessité d'une ouverture rapide des crédits ne peut être contestée, l'imprévisibilité de la dépense ne paraît pas établie.

Le deuxième grand poste de dépense nécessitant des ouvertures concerne la masse salariale de l'État. Cette dernière a donné lieu à des ouvertures de crédits en fin de gestion chaque année depuis 2012. Près de 700 millions d'euros sont ouverts à ce titre, un dérapage inédit depuis le début du quinquennat et supérieur de 290 millions d'euros à la moyenne du dépassement constaté entre 2012 et 2016 sur ce poste.

Au total, six ministères, en dehors de celui de la défense, sont concernés. Le ministère de l'éducation nationale, pour la mission « Enseignement scolaire », représente plus de 86 % des ouvertures avec 602 millions d'euros. Ces besoins proviennent principalement d'une anticipation erronée du glissement vieillesse technicité (GVT), et de la hausse du point d'indice décidée en mars 2016 par le Gouvernement.

Là encore, l'imprévisibilité de ces dépenses peut être remise en question : une partie des besoins découle d'une décision prise par le Gouvernement et non d'un événement de force majeure. Ces ouvertures de crédits démontrent surtout l'incapacité du Gouvernement à maîtriser la masse salariale de l'État.

De façon désormais classique, des crédits sont aussi ouverts au profit de l'hébergement d'urgence, à hauteur de 100 millions d'euros - 55 millions d'euros sont également prévus par le projet de loi de finances rectificative et 84 millions d'euros avaient déjà été ajoutés par le précédent décret d'avance, que nous avions examiné en septembre dernier.

Au total, 239 millions d'euros devraient être ouverts en cours d'exercice au profit de l'hébergement d'urgence, soit un dépassement de plus de 15 % de la dotation allouée en loi de finances initiale. La budgétisation initiale pour 2017 est donc d'ores et déjà inférieure de 12,5 millions d'euros à l'exécution prévisionnelle pour 2016.

Le Gouvernement explique les besoins d'ouverture de crédits par la crise migratoire et les évacuations de campements parisiens. Le besoin complémentaire lié à la mise à l'abri des personnes évacuées des campements de Calais et Paris s'élève à 12,2 millions d'euros. Le

complément, qui s'élève à 87,8 millions d'euros, concerne les autres dispositifs de droit commun.

Ces ouvertures ne sont pas une surprise. Nous avions déjà souligné, en septembre dernier, que les crédits prévus ne suffiraient sans doute pas à couvrir les besoins jusqu'à la fin de l'année.

Enfin, le reliquat des ouvertures, soit 118 millions d'euros, se répartit entre plusieurs dépenses d'intervention.

En autorisations d'engagement, les deux agrégats les plus importants sont l'aide à la recherche au premier emploi, l'ARPE, pour 30 millions d'euros et, pour un montant de 33 millions d'euros, la contribution française à ITER, un réacteur de recherche en fusion nucléaire, dont le financement associe une trentaine de pays.

Les bourses de l'enseignement scolaire et de l'enseignement supérieur nécessitent l'ouverture de 20 millions d'euros, 12 millions d'euros sont consacrés aux contrats de service civique et 10 millions d'euros à divers contentieux du ministère de l'intérieur.

Enfin, doit également être signalé le fonds de soutien pour le développement des activités périscolaires qui donne lieu à l'ouverture de 8,5 millions d'euros.

J'évoquerai rapidement les annulations de crédits permettant de gager les ouvertures. Elles portent sur la quasi-totalité des missions.

Le tableau figurant sur le document vous ayant été distribué ne présente que les missions qui sont contributrices nettes, c'est-à-dire celles pour lesquelles les annulations sont supérieures aux ouvertures.

En autorisations d'engagement, les annulations nettes les plus importantes portent sur les missions « Crédits non répartis », pour près de 230 millions d'euros, « Justice », pour 172 millions d'euros et « Engagements financiers de l'État », à hauteur de 133 millions d'euros.

En crédits de paiement, les missions les plus touchées sont les missions « Relations avec les collectivités territoriales » et « Outre-mer ».

Comme à l'accoutumée, une part très importante des annulations porte sur les crédits mis en réserve : c'est le cas de 72 % des annulations en autorisations d'engagement et de 95 % des crédits annulés en crédits de paiement.

Officiellement, la mise en réserve n'est pas ventilée par action ou par dispositif. Il n'est donc pas possible pour la représentation nationale de savoir sur quels dispositifs portent les annulations de crédits « gelés ». Le Parlement ne peut pas identifier les dispositifs touchés par les redéploiements.

Comme je l'indiquais en préambule, l'analyse des crédits annulés montre que l'équilibre entre ouvertures et annulations est artificiel : 290 millions d'euros en autorisation d'engagement et 672 millions d'euros en crédits de paiement sont annulés sur le programme 146 de la mission « Défense », alors que des crédits de même montant devraient être ouverts sur le même programme par le projet de loi de finances rectificative. C'est le sapeur Camember !

En d'autres termes, l'annulation de ces crédits n'est qu'une astuce comptable qui ne correspond aucunement à de réelles économies dans la mesure où les crédits annulés sont rouverts en loi de finances rectificative.

Certes, la préservation des moyens de la défense est nécessaire et je ne considère pas qu'une annulation de près de 700 millions d'euros sur la mission soit soutenable au regard des tensions budgétaires. Toutefois, ce jeu d'écriture témoigne de l'incapacité du Gouvernement à réaliser de réelles économies pour faire jouer la solidarité interministérielle.

Certes, un mouvement de même nature a déjà été mis en oeuvre dans le cadre du schéma de fin de gestion pour 2010. Cependant, dans ce cas, les montants en jeu étaient beaucoup moins significatifs : il ne s'agissait que de 231,4 millions d'euros, soit 17 % des autorisations d'engagement annulées et 20 % des crédits de paiement.

En outre, c'est la seconde fois cette année que nous examinons un décret d'avance financé par des « économies » qui n'en sont pas. En septembre, nous avions déjà relevé que l'annulation de près de 900 millions d'euros en autorisations d'engagement sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » ne constituait pas une économie réelle dans la mesure où les montants inscrits sur ce compte sont largement conventionnels.

Pour conclure, je ne conteste pas le caractère urgent des dépenses. Les crédits doivent être engagés rapidement. Toutefois, je ne suis pas convaincu de l'imprévisibilité de bon nombre des dépenses que ce projet de décret d'avance vise à financer. La grande majorité des postes de dépenses font l'objet d'ouvertures chaque année en fin de gestion.

Je pense notamment à la sous-budgétisation de l'hébergement d'urgence ou des opérations extérieures. Les ouvertures en cours de gestion ne sauraient se substituer à une budgétisation initiale sincère, lisible pour le Parlement comme pour les services gestionnaires. L'usage répété de la procédure du décret d'avance, ainsi que la mise en réserve toujours plus importante de crédits, réduisent la portée de l'autorisation parlementaire.

En outre, l'équilibre entre les ouvertures et les annulations est artificiel : 40 % des crédits annulés devraient être ouverts de nouveau par la loi de finances rectificative.

Le projet d'avis qui vous est soumis, et qui vous a été distribué, reprend l'ensemble des réserves que j'ai exprimées.

Je vous propose de rendre un avis défavorable sur ce projet de décret d'avance.

M. Gérard Longuet . - Je voudrais avoir la certitude que les dépenses relatives aux opérations extérieures correspondent à la totalité des dépenses effectivement engagées, au-delà des dépenses salariales et des consommations. Je pense notamment au maintien en condition opérationnelle, ou MCO, et à l'amortissement des matériels engagés sur des théâtres particulièrement difficiles, voire destructeurs pour ce même matériel.

S'agissant de la masse salariale de l'État, pouvez-vous nous préciser si les enseignants et, de manière plus globale, les fonctionnaires ont tendance à repousser leur âge de départ en retraite pour augmenter leur nombre d'années de service ?

M. Dominique de Legge . - Ce quinquennat s'est ouvert sous le signe - sinon le slogan - de la transparence. Que penser aujourd'hui devant autant de manipulations ? La concomitance de ce décret d'avance avec l'examen du projet de loi de finances rectificative ne peut que nous laisser penser qu'on nous cache quelque chose ! Il s'agit d'un problème de fond.

Comme l'a souligné le rapporteur général, cela fait plusieurs années que le financement des Opex fait débat. On nous oppose le même argument depuis quatre ans : le coût global de ces opérations ne peut être connu à l'avance. Pourtant, nous savons tous très bien qu'il se situera entre 1 milliard et 1,2 milliard d'euros ! Dès lors, pourquoi n'inscrire que 450 millions d'euros en budgétisation initiale ?

On nous dit encore qu'il s'agit d'une bonne nouvelle pour le budget du ministère de la défense qui n'aura pas à supporter cette charge en fin d'exercice. Mais la seule question qui importe ici est celle de la sincérité du budget.

Je voudrais dire un mot du programme 146 « Équipement des forces ». Depuis quatre ans, ce programme sert de variable d'ajustement de la trésorerie de l'État. Cela commence à bien faire !

Comme vient de le souligner Gérard Longuet et comme je l'ai démontré dans mon rapport, le mode de calcul relatif aux Opex ne donne pas entière satisfaction. La majorité gouvernementale est en train de vendre les bijoux de famille ! Le maintien en condition opérationnelle et le renouvellement des matériels ne sont pas assurés. Non contente de faire de la cavalerie sur le programme 146, la majorité gouvernementale n'est pas capable d'assumer les conséquences de ses engagements.

M. Claude Raynal . - L'exposé du rapporteur général s'inscrit dans une tradition désormais « trimestrielle » d'exposés extrêmement à charge. C'est sans doute la période qui veut ça.

Peut-on dire d'un budget qu'il est insincère en raison du seul surcoût des Opex ? Dès le projet de loi de finances initiale, nous savons bien que les opérations extérieures entraîneront des dépenses supplémentaires.

Le problème des Opex n'est pas nouveau et remonte à des années en arrière, bien avant ce quinquennat. Nous savons tous comment les choses fonctionnent : une partie du surcoût lié aux Opex est prise en charge par la solidarité interministérielle en fin de gestion. La seule question qui vaille est celle de savoir si cette procédure est pertinente ou non.

Refuser d'appliquer cette méthode reviendrait à faire porter par le budget de la défense le montant total des Opex, ce qui ne serait pas sans conséquence sur d'autres actions au sein de ce même budget.

Ce procédé permet aujourd'hui de répartir en fin d'année le poids des Opex sur l'ensemble des missions de l'État. On peut discuter du fond, de la méthode, mais pas des montants. Je crois savoir que le ministère de la défense ne souhaite pas supporter intégralement la charge des opérations extérieures, ce qui pourrait s'avérer assez douloureux.

Je fais une lecture inverse de la vôtre, monsieur le rapporteur général. Selon moi, ce décret d'avance démontre la volonté du Gouvernement de soutenir et de structurer le budget de la défense.

Nous avons toujours unanimement dénoncé le problème de la sous-budgétisation récurrente de l'hébergement d'urgence. Je m'étonne que vous vous montriez critique sur les montants retenus pour 2017. Un différentiel de 0,7 %, ce n'est vraiment pas grand-chose... Il me semble que le budget prévisionnel retenu en loi de finances initiale pour 2017 est comparable aux crédits consommés en 2016. On ne peut parler ici d'insincérité ! L'exécution peut toujours être différente à la marge, mais l'ordre de grandeur retenu est juste.

Sur les Opex comme sur l'hébergement d'urgence, il n'y a donc pas de sujet.

Enfin, vous parlez d'un équilibre « factice » au motif que l'annulation de crédits serait compensée par l'ouverture d'autres crédits en projet de loi de finances rectificative. Alors là, c'est le pompon ! Il s'agit d'un grand classique du décret d'avance. Vous savez très bien que c'est en loi de finances rectificative que l'on trouve les ressources qui permettent d'équilibrer le système. Rien de nouveau sous le soleil !

M. Philippe Dallier . - Je voudrais saluer les efforts de Claude Raynal pour justifier l'injustifiable. À partir du moment où une dépense est certaine, la règle du jeu voudrait qu'elle soit inscrite en loi de finances initiale.

On ne peut justifier les acrobaties de fin d'année ni les faire perdurer au prétexte qu'il s'agit d'un procédé classique !

M. Claude Raynal . - Nous verrons ce qu'il en sera l'an prochain !

M. Philippe Dallier . - Claude Raynal, votre majorité a atteint des sommets en matière d'acrobatie. S'agissant de l'hébergement d'urgence, la plus étonnante eut peut-être lieu l'an dernier quand, par décret d'avance, des crédits furent inscrits en loi de finances rectificative avant d'être annulés le 20 décembre pour respecter la norme de dépense ! Après avoir tout utilisé en matière d'acrobaties budgétaires, vos leçons sont pour le moins malvenues !

Cela étant dit, je vais aller en partie dans votre sens. Nous avions dit, en examinant le projet de loi de finances pour 2016, qu'il manquait 239 millions d'euros pour l'hébergement d'urgence. La sous-budgétisation de ces crédits apparaît ici de manière évidente. Or, Claude Raynal, comme je l'ai souligné la semaine dernière lorsque nous avons examiné les crédits de la mission « Logement » en commission, pour la première fois depuis quatre ans, les crédits inscrits en loi de finances pour 2017 devraient être quasi équivalents à ceux consommés l'année précédente. Il s'agit d'une bonne chose, mais c'est une première.

M. Michel Bouvard . - Je voudrais pour ma part revenir sur la problématique des crédits mis en réserve. L'ampleur des « gels » de crédits monte en puissance depuis quelques années, ce qui pousse à s'interroger sur la visée de la mise en réserve. Pourriez-vous nous indiquer le taux d'annulation des crédits mis en réserve ?

Par ailleurs, je m'interroge sur la pertinence de la publication d'un décret d'avance à quelques jours seulement d'un collectif budgétaire. Certaines dispositions de ce décret ne pouvaient-elles trouver leur place dans le projet de loi de finances rectificative ? Il serait instructif de se pencher sur cette question.

Je m'étonne des annulations de crédits sur le programme 309 « Entretien des bâtiments de l'État », dont on sait qu'il est déjà insuffisamment doté en début d'année eu égard à l'importance des travaux d'entretien et de maintenance du patrimoine. Lorsqu'on interroge les différents services, ils nous font davantage part d'un retard dans le déblocage des fonds que dans la conduite de leurs travaux. Je suis donc quelque peu dubitatif devant une annulation de crédits d'environ 14 millions d'euros.

Je mentionnerai enfin, bien évidemment, le poids supporté par les collectivités locales avec près de 150 millions d'euros de crédits de paiement annulés sur la mission « Relations collectivités territoriales ».

M. Marc Laménie . - On peut comprendre qu'il soit nécessaire de procéder à des ajustements et d'inscrire de nouveaux crédits.

Malheureusement, ces ajustements se font au détriment de beaucoup de missions. Je pense, par exemple, à la mission « Relations avec les collectivités territoriales », amputée de 147 millions d'euros, ou à la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation », qui perd 14,7 millions d'euros. La gendarmerie nationale, dont ne soulignera jamais assez l'importance, perd également 10 millions d'euros. Enfin, alors que nous tentons de défendre - modestement - l'égalité entre les femmes et les hommes dans le cadre de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes que notre présidente connaît bien, je ne peux que regretter de voir les crédits du programme « Égalité entre les femmes et les hommes » diminuer de 2,915 millions d'euros.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Les questions ont essentiellement porté sur les Opex.

Très concrètement, la difficulté est double : elle provient à la fois d'une annulation de crédits de 672 millions d'euros sur la mission « Défense » et d'une ouverture de 831 millions d'euros pour financer les opérations extérieures et intérieures de l'armée française, alors même - comme l'a souligné Gérard Longuet - que l'usure accélérée des matériels n'est pas comptabilisée, ce qui est paradoxal.

Concernant les ouvertures, la question n'est pas de savoir si les crédits doivent ou non être ouverts rapidement, Claude Raynal. Si le Gouvernement a fait le choix du décret d'avance, c'est justement parce que les personnels doivent être payés sans attendre. Je n'ai donc pas contesté la nécessité d'une ouverture rapide des crédits, mais l'imprévisibilité des dépenses, beaucoup plus sujette à caution.

Une autre disposition présente un caractère inédit : l'annulation de 672 millions d'euros au titre du programme 146 « Équipement des forces » est compensée par une ouverture de crédits exactement identique dans le projet de loi de finances rectificative en cours d'examen à l'Assemblée nationale. Il s'agit donc bien d'une annulation artificielle.

L'article 13 de la LOLF dispose : « En cas d'urgence, des décrets d'avance pris sur avis du Conseil d'État et après avis des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances peuvent ouvrir des crédits supplémentaires sans affecter l'équilibre budgétaire défini par la dernière loi de finances. »

Or, en l'absence d'annulation, l'équilibre budgétaire est évidemment affecté. Le Conseil d'État se penchera sans doute sur cette question.

Michel Bouvard, le taux d'annulation par ce projet de décret d'avance des crédits mis en réserve est de 15 % en autorisations d'engagement et de 20 % en crédits de paiement. Les crédits gelés sont de plus en plus importants, mais la réserve n'est pas consommée en totalité.

Gérard Longuet, je ne dispose pas des éléments nécessaires pour répondre à votre question sur le départ en retraite des fonctionnaires de l'éducation nationale.

Toutes vos observations me conduisent à vous proposer un avis défavorable sur ce décret d'avance.

La commission a donné acte de sa communication au rapporteur général et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information ; elle a adopté l'avis défavorable sur le projet de décret d'avance.

ANNEXES

Répartition par mission et programme du budget général
des ouvertures de crédits proposées

(en euros)

Intitulé de la mission, du programme, de la dotation

Numéro du programme ou de la dotation

Autorisations d'engagement ouvertes

Crédits de paiement ouverts

Action extérieure de l'État

36 840 918

36 840 918

Action de la France en Europe et dans le monde

Dont titre 2

105

26 033 635

26 033 635

26 033 635

26 033 635

Français à l'étranger et affaires consulaires

Dont titre 2

151

7 321 800

7 321 800

7 321 800

7 321 800

Diplomatie culturelle et d'influence

Dont titre 2

185

3 485 483

3 485 483

3 485 483

3 485 483

Administration générale et territoriale de l'État

10 000 000

10 000 000

Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur

216

10 000 000

10 000 000

Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales

27 152 283

27 152 283

Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation

Dont titre 2

206

15 887 210

15 887 210

15 887 210

15 887 210

Conduite et pilotage des politiques de l'agriculture

Dont titre 2

215

11 265 073

11 265 073

11 265 073

11 265 073

Aide publique au développement

11 031 920

11 031 920

Solidarité à l'égard des pays en développement

Dont titre 2

209

11 031 920

11 031 920

11 031 920

11 031 920

Culture

3 534 560

3 534 560

Transmission des savoirs et démocratisation de la culture

Dont titre 2

224

3 534 560

3 534 560

3 534 560

3 534 560

Défense

831 000 000

831 000 000

Préparation et emploi des forces

178

636 900 000

636 900 000

Soutien de la politique de la défense

Dont titre 2

212

194 100 000

187 000 000

194 100 000

187 000 000

Économie

805 583

Stratégie économique et fiscale

305

805 583

Intitulé de la mission, du programme, de la dotation

Numéro du programme ou de la dotation

Autorisations d'engagement ouvertes

Crédits de paiement ouverts

Égalité des territoires et logement

100 000 000

100 000 000

Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables

177

100 000 000

100 000 000

Enseignement scolaire

631 872 339

631 635 206

Enseignement privé du premier et du second degrés

Dont titre 2

139

65 000 000

65 000 000

65 000 000

65 000 000

Enseignement scolaire public du premier degré

Dont titre 2

140

281 297 053

281 297 053

281 297 053

281 297 053

Enseignement scolaire public du second degré

Dont titre 2

141

194 000 000

194 000 000

194 000 000

194 000 000

Soutien de la politique de l'éducation nationale

Dont titre 2

214

36 000 000

36 000 000

36 000 000

36 000 000

Vie de l'élève

Dont titre 2

230

55 575 286

24 346 654

55 338 153

24 346 654

Justice

5 907 039

5 907 039

Protection judiciaire de la jeunesse

Dont titre 2

182

5 907 039

5 907 039

5 907 039

5 907 039

Recherche et enseignement supérieur

65 844 495

53 342 286

Formations supérieures et recherche universitaire

Dont titre 2

150

1 662 139

1 662 139

1 662 139

1 662 139

Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires

172

35 238 435

2 111 403

Vie étudiante

231

28 943 921

49 568 744

Sécurités

12 727 723

12 727 723

Sécurité civile

Dont titre 2

161

1 265 934

1 265 934

1 265 934

1 265 934

Police nationale

Dont titre 2

176

11 461 789

11 461 789

11 461 789

11 461 789

Sport, jeunesse et vie associative

12 000 000

12 000 000

Jeunesse et vie associative

163

12 000 000

12 000 000

Totaux

Dont titre 2

1 748 716 860

886 500 289

1 735 171 935

886 500 289

Source : projet de décret d'avance

Répartition par mission et programme du budget général
des annulations de crédits proposées

(en euros)

Intitulé de la mission, du programme, de la dotation

Numéro du programme ou de la dotation

Autorisations d'engagement annulées

Crédits de paiement annulés

Action extérieure de l'État

107 852 526

96 909 150

Action de la France en Europe et dans le monde

105

85 748 781

77 522 204

Diplomatie culturelle et d'influence

185

8 118 804

8 118 804

Français à l'étranger et affaires consulaires

151

10 217 707

11 172 314

Conférence « Paris Climat 2015 »

341

3 767 234

95 828

Administration générale et territoriale de l'État

20 524 607

18 784 626

Administration territoriale

Dont titre 2

307

19 157 490

10 089 964

17 417 509

10 089 964

Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur

Dont titre 2

216

1 367 117

1 367 117

1 367 117

1 367 117

Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales

22 959 340

39 732 895

Forêt

149

13 676 776

19 952 223

Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation

206

9 260 705

19 411 039

Conduite et pilotage des politiques de l'agriculture

215

21 859

369 633

Aide publique au développement

60 197 224

36 464 462

Aide économique et financière au développement

110

31 300 000

33 300 000

Solidarité à l'égard des pays en développement

209

28 897 224

3 164 462

Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation

15 977 365

14 761 766

Liens entre la Nation et son armée

167

2 411 205

897 356

Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant

169

10 038 111

10 038 111

Indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie pendant la seconde guerre mondiale

158

3 528 049

3 826 299

Intitulé de la mission, du programme, de la dotation

Numéro du programme ou de la dotation

Autorisations d'engagement annulées

Crédits de paiement annulés

Conseil et contrôle de l'État

17 747 802

4 113 651

Conseil d'État et autres juridictions administratives

Dont titre 2

165

16 113 193

1 813 193

1 979 042

1 813 193

Cour des comptes et autres juridictions financières

Dont titre 2

164

1 500 000

1 500 000

2 000 000

1 500 000

Haut conseil des finances publiques

Dont titre 2

340

134 609

9 609

134 609

9 609

Crédits non répartis

228 336 694

8 336 694

Provision relative aux rémunérations publiques

Dont titre 2

551

8 336 694

8 336 694

8 336 694

8 336 694

Dépenses accidentelles et imprévisibles

552

220 000 000

Culture

16 183 856

21 813 746

Patrimoines

175

7 765 369

7 664 592

Création

131

20 820

20 820

Transmission des savoirs et démocratisation de la culture

224

8 397 667

14 128 334

Défense

290 364 972

671 867 617

Équipement des forces

146

290 364 972

671 867 617

Direction de l'action du Gouvernement

75 414 658

14 412 291

Coordination du travail gouvernemental

Dont titre 2

129

9 916 242

1 873 314

8 541 580

1 873 314

Protection des droits et libertés

Dont titre 2

308

2 433 384

490 018

2 531 195

490 018

Moyens mutualisés des administrations déconcentrées

Dont titre 2

333

63 065 032

635 519

3 339 516

635 519

Intitulé de la mission, du programme, de la dotation

Numéro du programme ou de la dotation

Autorisations d'engagement annulées

Crédits de paiement annulés

Écologie, développement et mobilité durables

120 288 119

98 560 218

Infrastructures et services de transport

203

42 101 376

47 466 674

Sécurité et affaires maritimes, pêche et aquaculture

205

15 920 235

13 716 277

Météorologie

170

1 046 100

1 046 100

Paysages, eau et biodiversité

113

11 111 142

11 111 142

Information géographique et cartographique

159

738 146

738 146

Prévention des risques

181

37 671 656

11 333 744

Énergie, climat et après-mines

174

10 924 077

11 112 436

Conduite et pilotage des politiques de l'écologie, du développement et de la mobilité durables

217

775 387

2 035 699

Économie

2 519 970

5 700 137

Développement des entreprises et du tourisme

134

990 053

2 200 919

Statistiques et études économiques

220

1 529 917

711 560

Stratégie économique et fiscale

305

2 787 568

Égalité des territoires et logement

106 959 768

87 257 117

Aide à l'accès au logement

109

81 288 695

81 288 695

Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat

135

25 671 073

5 968 422

Engagements financiers de l'État

133 284 951

82 195 046

Épargne

145

75 556 998

75 556 998

Majoration de rentes

168

2 712 953

2 712 953

Fonds de soutien relatif aux prêts et contrats financiers structurés à risque

344

55 015 000

3 925 095

Enseignement scolaire

13 100 022

20 956 769

Enseignement scolaire public du premier degré

140

1 111 564

1 149 261

Enseignement scolaire public du second degré

141

5 410 216

5 237 376

Enseignement privé du premier et du second degrés

139

889 071

889 071

Soutien de la politique de l'éducation nationale

214

5 689 171

13 681 061

Intitulé de la mission, du programme, de la dotation

Numéro du programme ou de la dotation

Autorisations d'engagement annulées

Crédits de paiement annulés

Gestion des finances publiques
et des ressources humaines

52 888 929

58 104 776

Gestion fiscale et financière de l'État et du secteur public local

156

28 316 744

24 122 775

Facilitation et sécurisation des échanges

302

10 781 001

Entretien des bâtiments de l'État

309

8 595 169

13 688 278

Fonction publique

Dont titre 2

148

15 977 016

75 222

9 512 722

75 222

Justice

178 764 946

52 847 266

Justice judiciaire

Dont titre 2

166

26 651 641

26 651 641

26 651 641

26 651 641

Administration pénitentiaire

Dont titre 2

107

139 355 902

7 637 622

13 000 339

7 637 622

Protection judiciaire de la jeunesse

182

358 667

Accès au droit et à la justice

101

10 914 349

12 081 619

Conduite et pilotage de la politique de la justice

Dont titre 2

310

1 302 711

931 991

931 991

931 991

Conseil supérieur de la magistrature

Dont titre 2

335

181 676

181 676

181 676

181 676

Médias, livre et industries culturelles

4 750 000

2 750 000

Presse

180

4 750 000

2 750 000

Outre-mer

91 293 699

114 694 509

Emploi outre-mer

138

74 071 111

76 917 786

Conditions de vie outre-mer

123

17 222 588

37 776 723

Politique des territoires

11 798 684

20 267 551

Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire

112

9 894 792

17 203 309

Interventions territoriales de l'État

162

1 829 241

2 989 591

Politique de la ville

Dont titre 2

147

74 651

74 651

74 651

74 651

Intitulé de la mission, du programme, de la dotation

Numéro du programme ou de la dotation

Autorisations d'engagement annulées

Crédits de paiement annulés

Recherche et enseignement supérieur

74 054 330

62 051 852

Formations supérieures et recherche universitaire

150

36 727 141

24 522 498

Recherche spatiale

193

3 702 987

3 702 987

Recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durables

190

24 873 203

25 335 490

Recherche duale (civile et militaire)

191

7 800 000

7 800 000

Recherche culturelle et culture scientifique

186

200 234

449

Enseignement supérieur et recherche agricoles

142

750 765

690 438

Relations avec les collectivités territoriales

41 503 970

147 165 248

Concours financiers aux collectivités territoriales et à leurs groupements

119

41 503 970

147 165 248

Santé

12 511 387

11 812 029

Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins

204

12 511 387

11 812 029

Sécurités

13 458 775

13 219 402

Gendarmerie nationale

152

10 100 000

9 500 000

Sécurité et éducation routières

207

3 358 775

3 719 402

Solidarité, insertion et égalité des chances

31 258 590

25 253 898

Égalité entre les femmes et les hommes

137

2 863 882

2 915 463

Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative

Dont titre 2

124

28 394 708

2 623 899

22 338 435

2 623 899

Travail et emploi

4 721 676

5 139 209

Amélioration de la qualité de l'emploi et des relations de travail

111

1 372 116

1 372 116

Conception, gestion et évaluation des politiques de l'emploi et du travail

Dont titre 2

155

3 349 560

2 176 506

3 767 093

2 176 506

Totaux

Dont titre 2

1 748 716 860

66 468 636

1 735 171 935

66 468 636

Source : projet de décret d'avance


* 1 Ou la constatation de recettes supplémentaires - mais, dans la pratique, ce dernier cas est très rare.

* 2 Cour des comptes, « Rapport sur les crédits du budget de l'État ouverts par décret d'avance », décembre 2014, p. 12.

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