Rapport d'information n° 335 (2016-2017) de M. Maurice VINCENT , fait au nom de la commission des finances, déposé le 25 janvier 2017

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N° 335

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 janvier 2017

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la politique de dividendes de l' État actionnaire ,

Par M. Maurice VINCENT,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André , présidente ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Vincent Delahaye, Mmes Fabienne Keller, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. André Gattolin, Charles Guené, Francis Delattre, Georges Patient, Richard Yung , vice-présidents ; MM. Michel Berson, Philippe Dallier, Dominique de Legge, François Marc , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, François Baroin, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Jean-Claude Boulard, Michel Bouvard, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Serge Dassault, Bernard Delcros, Éric Doligé, Philippe Dominati, Vincent Éblé, Thierry Foucaud, Jacques Genest, Didier Guillaume, Alain Houpert, Jean-François Husson, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Marc Laménie, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Hervé Marseille, François Patriat, Daniel Raoul, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Maurice Vincent, Jean Pierre Vogel .

LES OBSERVATIONS ET RECOMMANDATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

Les observations

Observation n° 1 : la doctrine de l'État actionnaire consiste à intervenir dans la politique de distribution des entreprises comme un investisseur de droit commun. L'importance prise par l'objectif de réduction du déficit public a toutefois suscité la crainte que l'État privilégie la recherche d'un rendement à court terme de ses participations , au détriment des intérêts de long terme des entreprises.

Observation n° 2 : ces inquiétudes ont été renforcées par l'observation que, depuis la crise européenne de la dette souveraine, le rendement du portefeuille coté de l'État actionnaire est devenu significativement supérieur à celui du CAC 40 , en rupture avec la tendance observée au cours de la période précédente. En effet, la dégradation de la valeur des principales entreprises du portefeuille ne s'est pas accompagnée d'une diminution de même ampleur du montant des dividendes versés.

Observation n° 3 : en réalité, la divergence observée s'explique principalement par l'absence de recours aux rachats d'actions et le biais sectoriel du portefeuille de l'État actionnaire. En outre, les taux de distribution des principales entreprises du portefeuille restent en ligne avec ceux des sociétés comparables du même secteur, à l'exception d'Engie. Par rapport aux actionnaires privés, il ne semble donc pas avéré que l'État encourage les entreprises à faire preuve d'un plus grand « court-termisme » en matière de dividendes .

Observation n° 4 : le cas d'EDF rappelle toutefois la nécessité pour l'État actionnaire d' adapter rapidement sa politique de distribution à l'évolution de la trajectoire financière des entreprises de son portefeuille . En effet, le groupe a été contraint de recourir à l'endettement pour verser son dividende.

Observation n° 5 : en l'espèce, le fait que trois entreprises (EDF, Engie et Orange) aient représenté jusqu'à 80 % du montant des dividendes versés par l'ensemble du portefeuille de l'État actionnaire a pu conduire à renforcer le poids des considérations budgétaires dans le processus de décision. En outre, l'État actionnaire a parfois compté sur l'État régulateur pour préserver la soutenabilité de la politique de distribution. Enfin, les inquiétudes exprimées par les services et les projets de refonte de la politique de distribution n'ont jamais été suivis d'effet.

Les recommandations

Recommandation n° 1 : instaurer un mécanisme d'alerte imposant à l'État, lorsqu'une entreprise du portefeuille a été contrainte d'accroître son endettement pour verser son dividende, de justifier, dans le cadre du rapport relatif à l'État actionnaire, la politique de distribution qu'il a soutenue devant l'assemblée générale.

Recommandation n° 2 : mettre en perspective, dans le cadre du rapport relatif à l'État actionnaire, le taux de distribution, le rendement et la rentabilité des principales participations du portefeuille avec les données des entreprises comparables du même secteur.

Recommandation n° 3 : faire du taux de rotation des personnels chargés du suivi des participations un indicateur de performance du programme, afin d'inciter à sa réduction.

Recommandation n° 4 : prévoir que la décision de prélever un dividende sur le résultat des établissements publics soit prise uniquement par le ministre chargé de l'économie - et non plus conjointement avec le ministre chargé du budget.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

En 2015, les dividendes perçus par l'État actionnaire s'élevaient à 3,9 milliards d'euros - dont 3 milliards d'euros en numéraire et 0,9 milliard d'euros en actions -, contre 0,9 milliard d'euros en 2003. Depuis la mise en place en place de l'Agence des participations de l'État (APE) en 2004, le montant des dividendes prélevés sur les entreprises du portefeuille a ainsi été multiplié par plus de quatre .

Évolution des dividendes perçus par l'État actionnaire depuis 2003

(en milliards d'euros)

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

Dividendes en numéraire

0,9

1,2

1,4

2,9

4,8

5,6

3,3

4,3

4,4

3,2

4,2

4,1

3

Dividendes en actions

-

-

-

-

-

-

2,2

0,1

-

1,4

0,2

-

0,9

Total

0,9

1,2

1,4

2,9

4,8

5,6

5,5

4,4

4,4

4,6

4,4

4,1

3,9

Source : commission des finances du Sénat (d'après les rapports relatifs à l'État actionnaire)

Or, depuis le déclenchement de la crise européenne de la dette souveraine, plusieurs rapports émanant d'entités tant publiques 1 ( * ) que privées 2 ( * ) ont exprimé des inquiétudes concernant la politique de distribution menée par l'État actionnaire, qui serait dominée par des considérations budgétaires , au risque de fragiliser la trajectoire financière des entreprises. À titre d'illustration, la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (iFRAP) estime que, « paradoxalement, (...) l'État (...) s'avère (...) être un actionnaire plutôt gourmand, jusqu'à nuire parfois au fonctionnement de certaines entreprises » 3 ( * ) .

Dans le même sens, mais en se limitant au cas particulier d'EDF - sur lequel nous reviendrons en détail dans la suite de ce rapport -, Emmanuel Macron, alors ministre de l'économie, avait lui-même affirmé devant notre commission des finances que l'État a prélevé des dividendes « déconnectés de la réalité des performances économiques » en poursuivant approche « trop budgeìtaire » 4 ( * ) .

Plusieurs exemples étrangers suggèrent que ce risque de « dominance budgétaire » est bien réel . À titre d'illustration, la Russie a décidé en avril 2016 d'augmenter brutalement le taux de distribution des entreprises publiques afin de diminuer de 1,5 milliard de dollars son déficit public, dans un contexte marqué par la chute des cours de l'énergie 5 ( * ) .

C'est donc précisément pour évaluer la pertinence de ces inquiétudes que le choix a été fait de mener une mission de contrôle sur la politique de distribution de l'État actionnaire. Le champ du contrôle a été limité au portefeuille géré par l'APE, ce qui exclut les participations de la Caisse des dépôts et consignations et de Bpifrance - même si les responsables de ces deux institutions ont été entendus par votre rapporteur spécial, dans une perspective comparative.

En outre, si l'APE assure le suivi de 81 entreprises, les dix entités ayant versé le plus de dividendes représentent 93,6 % du montant total perçu par l'État actionnaire sur l'exercice 2015.

Décomposition par entreprise
des dividendes versés à l'État en 2015

(en %, en millions d'euros)

% détenu

par l'État

Montant versé à l'État

sur l'exercice

Part du total

EDF

84,9 %

1 965

50,4 %

Engie

32,8 %

804

20,6 %

Orange

13,4 %

214

5,5 %

La Poste

73,7 %

126

3,2 %

ADP

50,6 %

122

3,1 %

Renault

19,7 %

111

2,8 %

Airbus Group

10,9 %

103

2,6 %

Safran

15,4 %

80

2,1 %

SNCF

Épic

63

1,6 %

Thales

26,0 %

62

1,6 %

Autres

-

250

6,4 %

Source : commission des finances du Sénat (d'après les données transmises par l'APE)

Ce sont donc naturellement sur ces entreprises que le travail de contrôle de votre rapporteur spécial s'est concentré.

I. L'IMPORTANCE PRISE PAR L'OBJECTIF DE RÉDUCTION DU DÉFICIT PUBLIC A RAVIVÉ LA CRAINTE QUE L'ÉTAT PRIVILÉGIE LA RECHERCHE D'UN RENDEMENT À COURT-TERME DE SES PARTICIPATIONS

A. L'ÉTAT S'EST FIXÉ POUR OBJECTIF D'INTERVENIR DANS LA POLITIQUE DE DISTRIBUTION DES ENTREPRISES DONT IL EST ACTIONNAIRE COMME UN INVESTISSEUR DE DROIT COMMUN

1. L'objectif de la politique de dividendes consiste à ne permettre à l'entreprise de réinvestir son résultat que lorsqu'elle dispose de projets d'investissement porteurs de valeur

Si, chaque année, le montant des dividendes versés par les entreprises tant privées 6 ( * ) que publiques 7 ( * ) fait l'objet d'importants débats dans l'espace médiatique, le choix de mener un travail de contrôle spécifique sur la politique de distribution peut apparaître discutable sur le plan théorique .

Pour l'actionnaire, les dividendes ne constituent en effet qu'un élément de la rentabilité d'un investissement, qui dépend également de l'ajustement de la valeur de l'action. De ce fait, l'État actionnaire retient désormais une approche globale pour mesurer la performance de son portefeuille . L'indicateur de performance 1.3 « Taux de rendement de l'actionnaire » du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » mesure ainsi la rentabilité totale du portefeuille de l'État actionnaire en agrégeant, pour une période donnée, la plus-value latente ou réalisée ainsi que les dividendes distribués. Le montant des dividendes versés ne fait donc l'objet d'aucun indicateur de performance spécifique .

a) Sous certaines conditions restrictives, la politique de dividendes n'a aucune incidence sur la valeur des entreprises

Suivant cette logique, l'école dite de la neutralité du dividende , qui trouve ses fondements dans les travaux de Franco Modigliani et Merton Miller 8 ( * ) , va jusqu'à considérer que la politique de dividendes est un « simple détail » 9 ( * ) .

Comme le rappelle le professeur Aswath Damodaran, « l'idée principale de la proposition de la neutralité du dividende est simple : les firmes qui paient plus de dividendes offrent moins de potentiel d'appréciation du titre mais proposent à leurs actionnaires le même rendement total » 10 ( * ) .

Les hypothèses sous-jacentes à la théorie de la neutralité du dividende sont toutefois très restrictives :

- absence de coûts de transaction , tant pour l'investisseur qui souhaite vendre ses titres que pour l'entreprise qui veut lever des fonds sur les marchés de capitaux ;

- absence d'asymétrie d'information entre actionnaires et dirigeants ;

- absence de distorsions fiscales , s'agissant notamment du traitement respectif des dividendes et des plus-values mobilières.

Dans ces conditions, il est mathématiquement possible de démontrer que la valeur de la firme et le rendement total pour l'actionnaire restent identiques quel que soit le montant des dividendes versés. Ce qui importe, c'est l'existence pour l'entreprise de projets d'investissement porteurs de valeur, et non la politique de distribution.

Cette neutralité vaut :

- pour la firme : s'il existe des projets porteurs de valeur, ils sont perçus comme tels sur les marchés financiers et l'entreprise peut donc lever des capitaux pour investir si elle a distribué la totalité de ses excédents ;

- pour l'actionnaire : un actionnaire qui souhaite tirer un revenu récurrent de son placement est indifférent au fait de percevoir des dividendes ou de vendre ses actions pour réaliser une plus-value.

Même si ces hypothèses sont très restrictives, cette théorie reste aujourd'hui au coeur du cadre d'analyse de la politique de distribution car elle permet de saisir deux idées fortes .

Tout d'abord, « une firme qui investit dans de mauvais projets ne peut espérer augmenter sa valeur pour les investisseurs en leur proposant des dividendes plus généreux » 11 ( * ) . Inversement, une firme avec des opportunités d'investissement pourra maintenir sa valeur sans verser de dividendes : à titre d'exemple, l'entreprise Apple n'a versé aucun dividende entre 1995 et 2012 12 ( * ) .

En outre, les dividendes n'enrichissent pas, en principe, les actionnaires. En effet, c'est l'actionnaire qui finance les dividendes, dans la mesure où la valeur de ses actions baisse à proportion du montant du dividende versé. Ainsi, lorsque la valeur d'une action est de cent euros et que le dividende versé est de deux euros, la valeur de l'action diminue d'environ deux euros après versement du dividende. Si tel n'était pas le cas, les arbitragistes bénéficieraient d'une opportunité d'enrichissement infini : il leur suffirait d'acheter l'action à cent euros la veille du jour du versement du dividende, de percevoir le dividende de deux euros puis de revendre l'action à cent euros.

En relâchant les différentes hypothèses sous-jacentes à la théorie de la neutralité du dividende, il est toutefois possible de justifier l'importance accordée à cette question et de tracer les contours d'une politique de distribution optimale.

b) En relâchant les différentes hypothèses sous-jacentes à la théorie de la neutralité du dividende, la littérature économique a progressivement tracé les contours de la politique de distribution optimale

Tout d'abord, les intérêts des actionnaires et des dirigeants ne sont pas toujours alignés, en raison de l'existence d'asymétries d'information . Aussi, le risque est que les dirigeants qui disposent d'une trésorerie importante investissent dans des projets qui ne sont pas porteurs de valeur pour les actionnaires. La distribution de dividendes permet alors aux actionnaires de limiter la trésorerie disponible susceptible d'être « gaspillée » par des dirigeants tentés par des aventures industrielles ou technologiques sans lendemain. La politique de distribution constitue ainsi un moyen pour les actionnaires d'exercer un contrôle effectif sur les dirigeants.

En outre, la fiscalité n'est généralement pas neutre, tant pour l'actionnaire que pour l'entreprise . Par exemple, si les dividendes sont moins taxés que les plus-values mobilières, l'investisseur préfère percevoir des dividendes plutôt que de devoir vendre ses titres pour obtenir un revenu récurrent. Aussi, une firme qui verserait des dividendes dans une proportion moins importante que ses concurrentes serait « sanctionnée » par les marchés financiers via une moindre valorisation de son cours.

Enfin, les coûts de transaction sont loin d'être nuls : il est en particulier toujours coûteux pour une firme de lever des capitaux sur les marchés . Aussi, s'il existe des projets d'investissement porteurs de valeur, il est préférable pour une entreprise de réinvestir son résultat plutôt que de distribuer des dividendes puis de lever des capitaux. Les entreprises qui versent « trop » de dividendes se retrouvent donc pénalisées, dans la mesure où elles ne peuvent émettre des actions sans coûts.

Dès lors que la politique de distribution est susceptible d'avoir un impact significatif sur la valeur des entreprises, il est parfaitement légitime qu'elle fasse l'objet d'une analyse spécifique.

L'objectif consiste à se rapprocher d'une politique de distribution qualifiée d'optimale, définie par la littérature économique comme celle qui permettrait à l'entreprise de réinvestir son résultat jusqu'à ce qu'il n'existe plus de projets dont la rentabilité est supérieure à celle des opportunités d'investissement de même niveau de risque dans le reste de l'économie . Le surplus devrait alors être versé sous forme de dividendes, les actionnaires pouvant obtenir sur les marchés une meilleure rentabilité pour un niveau de risque identique 13 ( * ) .

Concrètement, la politique de distribution doit donc permettre de trouver un équilibre satisfaisant entre les besoins de liquidité de l'entreprise, la juste rémunération des investisseurs et la nécessité d'aligner les intérêts des dirigeants avec ceux des actionnaires.

Ce sont précisément ces principes qui sont désormais censés guider la politique de dividendes de l'État actionnaire.

2. Les principes guidant la politique de dividendes de l'État actionnaire ne diffèrent pas de ceux des actionnaires privés
a) L'État actionnaire entend intervenir dans la politique de distribution des entreprises de son portefeuille comme un investisseur de droit commun

Si, comme le rappelle le rapport relatif à l'État actionnaire, il est « difficile de conduire une politique de distribution homogène pour l'ensemble du portefeuille, compte tenu de son hétérogénéité », l'État s'appuie toutefois dans la détermination des dividendes sur trois grands principes 14 ( * ) :

- la « recherche d'un niveau de distribution soutenable compte tenu de la trajectoire financière à moyen et long terme de l'entreprise, notamment les investissements nécessaires à son développement et la maîtrise de son endettement » ;

- la « rémunération de l'actionnaire en ligne avec celle accordée par leurs principaux comparables, en particulier dans les secteurs régulés et aux revenus peu volatils » ;

- la « maîtrise du risque de réinvestissement dans des projets à la rentabilité inférieure au coût du capital ».

Ces trois objectifs recoupent manifestement les critères de la politique de distribution optimale dégagés par la littérature économique. Autrement dit, comme le relève l'APE, l'État actionnaire s'est fixé pour objectif d'intervenir dans la politique de distribution des entreprises de son portefeuille « selon les principes d'un investisseur de droit commun » 15 ( * ) .

Si les principes guidant la politique de distribution de l'État actionnaire ne diffèrent pas de ceux des actionnaires privés, ses modalités d'intervention peuvent toutefois s'en écarter sensiblement selon la nature juridique de l'entité concernée.

b) Ses modalités d'intervention varient néanmoins selon le statut juridique de l'entité concernée

Les 81 entités relevant du périmètre de l'APE présentent une diversité de statuts juridiques , avec :

- 55 sociétés anonymes ;

- 4 sociétés anonymes d'économie mixte (ex : Semmaris) ;

- 6 établissements publics à caractère industriel et commercial (ex : Régie autonome des transports parisiens) ;

- 3 établissements publics à caractère administratif (ex : Caisse nationale des autoroutes) ;

- 14 établissements publics (principalement des ports).

Si l'État entend obtenir une « juste rémunération » de l'ensemble de son patrimoine, ses modalités d'intervention varient fortement selon le statut juridique de l'entité concernée.

S'agissant des sociétés anonymes, qui représentent 70 % du portefeuille de l'APE, les modalités d'intervention de l'État actionnaire sont identiques à ceux des actionnaires privés .

Ainsi, comme tout actionnaire, l'État intervient dans la politique de distribution de l'entreprise par :

- sa présence au conseil d'administration , organe qui soumet chaque année à l'assemblée générale, pour approbation, une résolution sur le projet d'affectation du résultat de l'exercice ;

- son vote en assemblée générale , cette dernière étant chargée de statuer sur le projet d'affectation du résultat de l'exercice.

L'affectation du résultat des sociétés de capitaux

Aux termes de l'article L. 232-11 du code de commerce, le bénéfice distribuable est constitué par « le bénéfice de l'exercice, diminué des pertes antérieures, ainsi que des sommes à porter en réserve en application de la loi ou des statuts, et augmenté du report bénéficiaire ».

En application de l'article L. 232-12 du même code, c'est à l'assemblée générale ordinaire qu'il revient de déterminer la part attribuée aux associés sous forme de dividendes, après approbation des comptes annuels et constatation de l'existence de sommes distribuables.

Sa convocation doit intervenir dans les six mois de la clôture de l'exercice.

S'agissant de la mise en paiement des dividendes, elle doit avoir lieu au maximum neuf mois après la clôture de l'exercice, en vertu de l'article L. 232-13 du même code.

Si le deuxième alinéa de l'article L. 232-12 précité autorise expressément le versement d'acomptes, cette pratique est subordonnée au respect de strictes exigences :

- établissement d'un bilan au cours ou à la fin de l'exercice, certifié par un commissaire aux comptes ;

- réalisation d'un bénéfice depuis la clôture de l'exercice précédent (après prise en compte des pertes antérieures, des sommes à porter en réserve et du report bénéficiaire) ;

- limitation de l'acompte au montant du bénéfice ainsi défini.

Pour les sociétés anonymes, le délit de distribution de dividendes fictifs est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende, conformément à l'article L. 242-6 du code de commerce.

Source : commission des finances du Sénat

En pratique, l'État actionnaire réexamine tous les ans la politique de distribution de l'ensemble des entreprises du portefeuille coté avant la tenue des conseils d'administration fixant la politique d'affectation du résultat proposée à l'assemblée générale.

Depuis 2014, la position de l'État actionnaire est « formalisée dans une lettre dite "d'actionnaire" que le commissaire aux participations de l'État adresse dès le début de l'année civile aux dirigeants des entreprises du portefeuille coté » 16 ( * ) .

Cette concertation en amont de l'assemblée générale explique le fait que l'État a, au cours des cinq dernières années, systématiquement voté en assemblée générale en faveur des résolutions portant sur le montant et les modalités des dividendes 17 ( * ) .

Le degré d'influence de l'État actionnaire varie toutefois selon son niveau de participation. Dans la mesure où l'assemblée générale, en première consultation, statue à la majorité simple sur le projet d'affectation du résultat de l'exercice, une distinction doit être opérée entre la situation où l'État possède au moins 50 % du capital et constitue ainsi l'actionnaire majoritaire (ex : EDF) et celle où il ne constitue qu'un simple actionnaire de référence (ex : Airbus Group).

S'agissant des établissements publics, les conditions de fixation des dividendes s'écartent naturellement du cadre prévu par le droit des sociétés.

L'article 79 de la loi n° 2001-1276 du 28 décembre 2001 de finances rectificative pour 2001 prévoit un dispositif permanent autorisant l'État à percevoir un dividende sur le résultat des établissements publics placés sous sa tutelle.

Si le II dudit article précise que le dividende est prélevé « par priorité sur le bénéfice distribuable de l'exercice », notion qui est définie par renvoi à l'article L. 232-11 du code de commerce, il peut également être prélevé sur les « réserves disponibles ». En effet, la mention selon laquelle le dividende constitue « le mode exclusif de rémunération de l'État actionnaire », qui figurait au II dans la version initiale de l'article introduit en 2001, a été supprimée en 2003 18 ( * ) .

Par opposition au droit des sociétés, la décision présente un caractère unilatéral , dans la mesure où c'est au ministre chargé de l'économie et au ministre chargé du budget qu'il revient de déterminer par arrêté le montant du dividende versé à l'État.

La procédure aboutissant à cette décision unilatérale est toutefois encadrée afin d'assurer un examen contradictoire de la situation de l'entreprise . Elle impose au préalable :

- un examen de la situation financière de l'établissement public ;

- la constatation de l'existence de sommes distribuables ;

- un rapport du conseil d'administration, du conseil de surveillance ou de l'organe délibérant en tenant lieu.

Les comptes annuels de tout établissement public qui verse un dividende doivent en outre comporter une annexe financière détaillée relative à la politique de distribution.

B. L'IMPORTANCE PRISE PAR L'IMPÉRATIF DE RÉDUCTION DU DÉFICIT PUBLIC A TOUTEFOIS RAVIVÉ LES CRAINTES D'UNE « DOMINANCE BUDGÉTAIRE » DE LA POLITIQUE DE DISTRIBUTION DE L'ÉTAT ACTIONNAIRE

Si l'État actionnaire entend intervenir dans la politique de distribution des entreprises et des établissements de son portefeuille comme un investisseur de droit commun, l'importance prise par l'impératif de réduction du déficit public a ravivé les craintes que les prélèvements opérés ne soient pas en adéquation avec leur situation financière . Autrement dit, l'État actionnaire mènerait en pratique une politique de distribution éloignée des principes supposés guider son action en la matière.

Il est vrai que les règles de la comptabilité publique sont susceptibles, dans un contexte de consolidation budgétaire, d'inciter les États à imposer à leur portefeuille un taux de distribution trop élevé.

1. Pour réduire son déficit public, l'État peut être tenté d'imposer aux entreprises dont il est actionnaire un taux de distribution trop élevé
a) En principe, les investisseurs institutionnels sont relativement neutres par rapport à la politique de distribution

En principe, les investisseurs institutionnels sont relativement neutres par rapport à la politique de distribution , dans la mesure où une modification du montant des dividendes est compensée par un ajustement de la valeur de l'action.

Ce principe se vérifie d'autant mieux que, pour cette catégorie d'investisseurs, il n'existe en général pas de distorsion liée à la fiscalité : la politique de distribution est alors essentiellement perçue comme un moyen d'aligner les intérêts des actionnaires et des dirigeants et de « signaler » les perspectives de croissance.

À l'inverse, l'État actionnaire n'est pas indifférent entre ces deux éléments de la rentabilité, en raison du traitement comptable des dividendes.

b) Les règles comptables propres à l'État sont néanmoins susceptibles d'induire un « biais » en faveur des dividendes

Les dividendes en numéraire ont un impact positif tant sur le solde du budget général que sur le déficit au sens de Maastricht, dans la mesure où leur versement se traduit par un encaissement budgétaire. En application de l'article 3 de la loi organique relative aux lois de finances, ils ne relèvent pas du compte d'affection spéciale « Participations financières de l'État » mais sont versés au budget général.

La situation des dividendes en actions est plus complexe . Du fait de la nature mobilière de ces dividendes, leur versement ne permet pas d'améliorer le solde du budget général . Contrairement aux dividendes en numéraire, ils sont affectés au compte spécial. Toutefois, si « recevoir des dividendes sous formes de titres ne se traduit pas par un encaissement budgétaire », cette opération « constitue pourtant bien une recette au sens du Système européen des comptes » 19 ( * ) . En effet, que le dividende soit versé en numéraire ou en actions ne modifie en rien le besoin de financement des administrations publiques, l'État actionnaire recevant dans les deux cas un actif financier de même valeur. Lorsque l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) corrige le résultat d'exécution des lois de finances pour obtenir le déficit de l'État au sens de Maastricht, les dividendes versés en actions font donc l'objet d'un retraitement. Ainsi, d'un point de vue

maastrichtien, il est indifférent pour l'État actionnaire de percevoir un dividende en actions ou en numéraire.

À l'inverse, le produit des cessions de titres n'a d'impact ni sur le solde du budget général, ni sur le déficit de l'État au sens de Maastricht . En effet, dans la mesure où l'État reçoit en contrepartie de son désinvestissement un actif financier de même valeur, il n'y a pas de modification du besoin de financement des administrations publiques.

D'un point de vue budgétaire, l'État n'est donc pas indifférent au fait de percevoir des dividendes en numéraire ou de vendre des actions pour réaliser une plus-value , dans la mesure où cette dernière opération n'a aucun impact sur les indicateurs maastrichtiens et le solde du budget général.

Traitement comptable de différentes opérations
liées au portefeuille de l'État actionnaire

Déficit maastrichtien

Solde du budget général

Versement d'un dividende en numéraire

Amélioration

Amélioration

Versement d'un dividende en actions

Amélioration

Aucun impact

Cession d'actions

Aucun impact

Aucun impact

Source : commission des finances du Sénat

Pour afficher un déficit maastrichtien plus faible et améliorer le solde du budget général, l'État peut donc être tenté d'imposer aux entreprises dont il est actionnaire un taux de distribution supérieur au niveau optimal, au risque de les fragiliser sur un plan financier.

C'est précisément pour se prémunir d'un tel risque que certains pays ont fait le choix de se « lier les mains » , comme l'illustre une étude comparative menée par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en 2014 20 ( * ) . Ainsi, un taux de distribution fixe exprimé en pourcentage du résultat net de l'entreprise est défini en Irlande (30 %), en Lituanie (entre 7 % et 80 % selon l'entreprise), aux Pays-Bas (40 %), en Slovénie (au moins 33 %) et en Suisse (pourcentage variable selon le type d'entreprise) 21 ( * ) . Des marges de négociation demeurent néanmoins en cas d'évolution de la situation financière des entreprises.

Les ratios financiers permettant de comparer les politiques de distribution

Pour comparer les politiques de distribution des entreprises cotées, deux ratios financiers sont couramment utilisés :

- le taux de rendement , qui rapporte le montant des dividendes versés par l'entreprise à son cours de bourse ;

- le taux de distribution , qui représente la part du résultat net de l'entreprise versée aux actionnaires sous forme de dividendes.

Source : commission des finances du Sénat

Dans le cas français, l'État actionnaire se limite à inciter les entreprises du portefeuille à mettre en place une « 'guidance' à moyen terme » concernant l'évolution de leur politique de distribution, afin de « donner de la visibilité tant aux marchés qu'aux finances publiques » 22 ( * ) . À titre d'illustration, le groupe Engie a pris l'engagement, sur la période 2017-2018, de verser un dividende de 0,7 euro par action.

En l'absence de « garde-fous » analogues à ceux mis en place dans les pays de l'OCDE précités, l'observation que le rendement du portefeuille géré par l'APE diverge de celui du CAC 40 depuis le déclenchement de la crise européenne de la dette souveraine a relancé le débat concernant la « dominance budgétaire » de la politique de distribution menée par l'État actionnaire.

2. Cette crainte a été renforcée par l'observation que le niveau des dividendes versés par les entreprises dont l'État actionnaire a divergé de la moyenne des sociétés du CAC 40 depuis le déclenchement de la crise européenne de la dette souveraine

Alors que le poids économique du portefeuille de l'État actionnaire a baissé de 40 % entre 2003 et 2015 23 ( * ) , le montant des dividendes perçus a été multiplié par quatre .

Évolution des dividendes perçus par l'État actionnaire
depuis 2003

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les rapports relatifs à l'État actionnaire)

Au cours de la même période, le montant des dividendes perçus par l'ensemble des groupes du CAC 40 a été multiplié par 2,7 - passant de 14,15 milliards d'euros à 37,5 milliards d'euros 24 ( * ) .

La forte hausse relative des dividendes perçus par l'État actionnaire semble clairement traduire jusqu'à la crise un simple phénomène de « rattrapage » lié à la volonté de ce dernier de « normaliser » sa politique de distribution en exigeant une « juste rémunération » de l'ensemble de son patrimoine. Le taux de distribution du portefeuille n'était ainsi que de 18,9 % en 2005, contre 40,3 % en 2008 25 ( * ) .

Ainsi, le rendement du portefeuille côté de l'État actionnaire est resté en ligne avec celui du CAC 40 au cours de la période 2007-2011.

a) Au cours de la période 2007-2011, le rendement du portefeuille coté de l'État actionnaire était en ligne avec celui du CAC 40

Entre 2007 et 2011, le rendement annuel moyen du portefeuille coté de l'État actionnaire s'élevait à 3,44 %, soit un niveau très proche de celui observé pour l'ensemble du CAC 40 (3,67 %).

Comparaison du taux de rendement annuel du portefeuille coté de l'État actionnaire avec celui du CAC 40 entre 2007 et 2011

(en %)

Portefeuille coté de l'État

CAC 40

2007

3,46 %

3,25 %

2008

2,93 %

3,07 %

2009

3,80 %

4,48 %

2010

3,16 %

3,63 %

2011

3,83 %

3,93 %

Moyenne

3,44 %

3,67 %

Source : commission des finances du Sénat (d'après les données transmises par l'APE)

Il peut en outre être observé que les évolutions du montant global des dividendes perçus par l'État actionnaire et versés par les firmes du CAC 40 sont tout à fait synchrones lors des différentes phases conjoncturelles.

Comparaison de l'évolution du montant global des dividendes perçus par l'État actionnaire et versés par les sociétés du CAC 40 entre 2003 et 2011

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les rapports relatifs à l'État actionnaire)

b) Depuis le déclenchement de la crise européenne de la dette souveraine, le rendement du portefeuille coté de l'État actionnaire se situe à un niveau significativement supérieur à celui du CAC 40

À l'inverse, depuis le déclenchement de la crise européenne de la dette souveraine, le rendement du portefeuille coté de l'État actionnaire a divergé de celui du CAC 40.

Évolution du taux de rendement annuel du portefeuille coté de l'État actionnaire et du CAC 40 depuis 2007

(en %)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les données transmises par l'APE)

Depuis 2012, le taux de rendement du portefeuille coté de l'État se situe ainsi 1,5 point au-dessus de celui du CAC 40 , alors que les cinq années précédentes ne faisaient pas apparaître de différence notable.

Comparaison du taux de rendement annuel du portefeuille coté de l'État actionnaire avec celui du CAC 40 entre 2012 et 2015

(en %)

Portefeuille coté de l'État

CAC 40

2012

5,82 %

4,61 %

2013

6,92 %

4,01 %

2014

4,53 %

3,35 %

2015

4,36 %

3,53 %

Moyenne

5,41 %

3,88 %

Source : commission des finances du Sénat (d'après les données transmises par l'APE)

Il peut être noté que l'écart reste du même ordre lorsque la comparaison est effectuée à partir d'un panel plus large incluant l'ensemble des entreprises françaises cotées pour lesquelles des données sont disponibles. D'après la base de données du professeur Aswath Damodaran, le rendement moyen s'élève en effet à 2,87 % en 2015 pour les 716 entreprises françaises répertoriées, soit 1,5 point en-deçà du rendement du portefeuille de l'État actionnaire 26 ( * ) .

Ce constat a fortement contribué aux interrogations sur le retour d'une « dominance budgétaire » de la politique de distribution de l'État actionnaire. À titre d'illustration, c'est à partir du constat que « de nombreuses entreprises dont l'État est actionnaire (neuf entreprises sur douze des plus grandes entreprises suivies par l'Agence des participations de l'État) ont affiché en 2014 des taux de distribution des résultats plus élevés que la majorité des entreprises du CAC 40 » que la Cour des comptes soulevait le « risque pour l'État de privilégier un rendement à court terme de ses participations au détriment, potentiellement, des intérêts de long terme des entreprises et des siens » dans un rapport publié en mai 2015 27 ( * ) .

Il ne semble toutefois pas avéré que l'État encourage les entreprises à faire preuve d'un plus grand « court-termisme » en matière de dividendes.

II. CETTE CRAINTE APPARAÎT LARGEMENT INFONDÉE, MÊME SI L'EXEMPLE D'EDF TÉMOIGNE DE LA NÉCESSITÉ DE RENFORCER L'ADAPTABILITÉ DE LA POLITIQUE DE DISTRIBUTION DE L'ÉTAT ACTIONNAIRE

A. LA DIVERGENCE OBSERVÉE PAR RAPPORT À LA MOYENNE DU CAC 40 S'EXPLIQUE PRINCIPALEMENT PAR L'ABSENCE DE RACHATS D'ACTIONS ET LE BIAIS SECTORIEL DU PORTEFEUILLE DE L'ÉTAT ACTIONNAIRE

Si la divergence observée entre le rendement du portefeuille de l'État actionnaire et celui du CAC 40 interpelle, il n'est toutefois pas possible d'en tirer des conclusions immédiates. En effet, deux principaux éléments sont susceptibles de biaiser la comparaison.

1. L'absence de recours aux rachats d'actions par les entreprises du portefeuille explique la moitié de l'écart de rendement mesuré entre le portefeuille géré par l'APE et le CAC 40
a) Les rachats d'actions constituent une alternative aux dividendes pour rémunérer les actionnaires

Le rachat par les entreprises de leurs propres actions constitue en effet une alternative au versement de dividendes pour distribuer l'excédent de trésorerie aux actionnaires.

Quel arbitrage entre dividendes et rachats d'actions ?

« Le versement de dividendes implique généralement un engagement à maintenir le même versement dans l'avenir, ce à quoi n'oblige pas le rachat d'actions. C'est une décision importante pour les entreprises qui distribuent des dividendes pour la première fois ou pour celles dont les résultats sont volatils. Le dividende serait ainsi utilisé pour une distribution de revenus permanents alors que le rachat d'actions est plutôt réservé aux revenus exceptionnels.

Ensuite, le rachat d'actions laisse aux actionnaires le choix entre recevoir leurs rémunérations en liquide ou en capital puisqu'ils sont libres de vendre ou de garder leurs actions.

En outre, l'entreprise a la possibilité de répartir les rachats sur une période plus longue, ce que ne permet pas la distribution des dividendes, sachant encore que l'opération de rachat permet à l'entreprise de racheter un pourcentage du capital inférieur à celui initialement annoncé.

Enfin, l'intérêt des programmes de rachat d'actions réside aussi dans les avantages fiscaux qui y sont associés. Le dividende est imposé comme un revenu alors que le rachat est considéré comme une plus-value, généralement moins fortement taxée. »

Source : Maher Abida, Sabri Boubaker, « Rachats d'actions : les raisons d'un engouement », Sociétal, n° 17, 2012, pp. 5-6

Si les dividendes restent le principal mode de rémunération des actionnaires, les rachats d'actions ont connu une forte croissance au cours des dernières décennies 28 ( * ) .

Ils représentent désormais 37 % de l'ensemble des revenus de détention au niveau mondial , même si les statistiques varient fortement selon les régions.

Décomposition des revenus de détention selon les régions en 2015

(en %)

Rendement hors rachats d'actions

Rendement après prise en compte des rachats d'actions

Part des rachats d'actions

Afrique et Moyen-Orient

3,87 %

4,03 %

3,83 %

Canada

3,01 %

4,63 %

34,99 %

Chine

2,40 %

2,45 %

2,07 %

Europe

2,64 %

3,93 %

32,82 %

États-Unis

2,06 %

4,79 %

57,08 %

Source : commission des finances du Sénat (d'après : Aswath Damodaran, « Dividends, Potential Dividends and Cash Balances », précité )

S'agissant des entreprises du CAC 40 , sur la période 2012-2015, les rachats d'actions s'élèvent chaque année, en moyenne, à 6,7 milliards d'euros, pour un montant de dividendes de 39,1 milliards d'euros 29 ( * ) . La part des rachats d'actions atteint donc 15 % .

b) La préférence de l'État actionnaire pour les dividendes par rapport aux rachats d'actions explique la moitié de l'écart de rendement observé entre le portefeuille coté géré par l'APE et le CAC 40

Or, sauf lorsque le cours est perçu comme étant significativement dévalué, l'État actionnaire privilégie le versement de dividendes exceptionnels par rapport aux rachats d'actions car « l'impact favorable sur l'ensemble des actionnaires est direct et immédiat » 30 ( * ) . Ainsi, « la dernière utilisation significative par une entreprise du portefeuille (...) est intervenue à l'été 2011 pour France Telecom, alors que les cours étaient très bas dans un contexte marqué par la crise grecque » 31 ( * ) .

Si les entreprises cotées du portefeuille de l'État avaient fait le choix de rémunérer leurs actionnaires à hauteur de 15 % sous la forme de rachats d'actions sur la période 2012-2015, ce qui correspond à la moyenne observée pour le CAC 40, le taux de rendement mesuré aurait été inférieur de 0,8 point.

La préférence de l'État actionnaire pour les dividendes par rapport aux rachats d'actions explique ainsi la moitié de l'écart de rendement observé entre le portefeuille coté géré par l'APE et le CAC 40.

2. Une fois le biais sectoriel pris en compte, l'État actionnaire ne semble pas avoir fait preuve d'un plus grand « court-termisme » que les actionnaires privés dans la gestion de ses participations
a) Le biais sectoriel du portefeuille de l'État actionnaire peut justifier les différences de rendement observées par rapport au CAC 40 en matière de dividendes

Le biais sectoriel du portefeuille de l'État actionnaire constitue le deuxième facteur susceptible de justifier les différences de rendement observées par rapport au CAC 40 en matière de dividendes.

Ce biais est susceptible de jouer à deux niveaux.

Il peut tout d'abord expliquer une différence structurelle de niveau de rendement entre les deux portefeuilles.

En effet, il est établi empiriquement que le niveau de distribution varie significativement selon les secteurs économiques , même si les avis divergent concernant les causes de ce phénomène 32 ( * ) .

En pratique, « les valeurs à rendement pauvres en dividendes sont fréquemment des sociétés dont les marchés sont en croissance, ayant une forte empreinte concurrentielle » ou « pour lesquelles l'activité oblige le franchissement de hautes barrières à l'entrée » 33 ( * ) .

À l'inverse, les valeurs dites « de rendement » se trouvent « dans les secteurs mûrs, régulés ou concentrés » 34 ( * ) . À titre d'illustration, entre 1992 et 2011, en France, le secteur de l'énergie a distribué 16 % du total des dividendes, alors même qu'il ne représente que 6 % du PIB.

Or, la composition du portefeuille de l'État actionnaire apparaît structurellement biaisée vers ces secteurs « à haut rendement ».

Composition sectorielle du portefeuille coté
de l'État actionnaire

(en %)

Source : commission des finances du Sénat (d'après le rapport relatif à l'État actionnaire)

Ainsi, en dépit de l'évolution particulièrement défavorable des valeurs énergétiques du portefeuille, ces dernières continuent de représenter 51 % du portefeuille de l'État actionnaire.

Il existe donc des raisons légitimes de penser que le portefeuille de l'État actionnaire devrait, sur longue période, afficher un rendement plus élevé que la moyenne , sans que cela ne signifie pour autant que les entreprises qui le composent soient pénalisées par le « court-termisme » de la puissance publique.

Si l'existence d'un biais sectoriel peut justifier une différence structurelle de niveau de rendement entre deux portefeuilles, il est également susceptible d'expliquer une divergence conjoncturelle , en raison de la stabilité qui caractérise les dividendes.

Empiriquement, la littérature financière a mis en évidence que les dividendes « ont une évolution plus lisse que les profits » 35 ( * ) . Ainsi, la variabilité historique des dividendes est trois fois plus faible que celle des bénéfices 36 ( * ) .

D'après les études économétriques, « les facteurs qui expliquent le mieux le montant de dividende versé sont le dividende passé et le bénéfice par action actuel » 37 ( * ) . Autrement dit, si une baisse des bénéfices conduit à une diminution du montant des dividendes distribués, « l'ajustement n'est pas immédiat puisque le coupon versé l'année précédente joue un rôle non négligeable » 38 ( * ) .

La moindre variabilité des dividendes s'explique donc par la réticence des firmes à modifier leur politique de distribution . Si les causes de cette appréhension sont discutées, les trois facteurs les plus communément admis sont :

- « la réaction très souvent négative du marché à l'annonce de baisse de dividendes », en raison de leur rôle pour « signaler » les perspectives de croissance ;

- les « préoccupations des firmes sur leur capacité à maintenir des dividendes supérieurs dans les périodes futures » 39 ( * ) ;

- le fait qu'un nombre important d'entreprises prennent des engagements pluriannuels en matière de dividendes.

La plupart des modèles visant à prédire la politique de distribution des firmes sont ainsi inspirés du célèbre modèle d'ajustement partiel de Lintner , dans lequel la variation du dividende est expliquée par le bénéfice par action de l'année, le taux de distribution cible de l'entreprise et un coefficient de vitesse d'ajustement du dividende 40 ( * ) .

En cas de baisse des profits, la faible variabilité des dividendes par rapport aux bénéfices conduit donc nécessairement à une hausse conjoncturelle du taux de rendement pendant la phase d'ajustement . Comme le relèvent les professeurs Pascal Quiry et Yann Le Fur, la hausse du taux de rendement d'une action, « qui ravit les naïfs », n'est ainsi souvent que « l'indicateur d'une anticipation de réduction future du dividende, qui le fera revenir à un niveau normal » 41 ( * ) .

En cas de choc spécifique à un secteur, le biais sectoriel d'un portefeuille peut ainsi conduire à une divergence temporaire du taux de rendement par rapport à l'indice de référence.

Or, le portefeuille de l'État actionnaire a précisément connu un choc de cette nature au cours de la période récente - marquée par une forte baisse des valeurs énergétiques -, comme en témoigne l'évolution divergente de sa valeur par rapport à celle du CAC 40.

Comparaison de l'évolution de la valeur du portefeuille de l'État actionnaire
et du CAC 40 entre juin 2014 et juin 2016

(en %)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les rapports relatifs à l'État actionnaire)

La divergence observée entre le rendement du portefeuille de l'État actionnaire et celui du CAC 40 pourrait donc tout à fait s'expliquer par la faible variabilité qui caractérise les dividendes . Lorsque la diminution des prix de l'électricité observée à partir 2011 s'est traduite par une forte baisse des profits des entreprises énergétiques du portefeuille, la stabilité relative des dividendes par rapport aux profits aurait ainsi conduit à une hausse conjoncturelle du taux de rendement.

Il est d'ailleurs intéressant d'observer que les valeurs énergétiques du portefeuille ont déjà commencé à ajuster leur politique de distribution .

À titre d'illustration, s'agissant d'Engie, l'État actionnaire a consenti une première baisse d'un tiers du dividende - de 1,5 euro à 1 euro par action - pour l'exercice 2014. Par la suite, Engie a annoncé en février 2016, avec l'accord de l'État actionnaire, une nouvelle baisse de son dividende à compter de l'exercice 2017 - de 1 euro à 0,7 euro par action -, en marge d'un plan stratégique à trois ans.

In fine , le comportement de l'État actionnaire ne semble donc pas différer sur ce point de celui des actionnaires privés , avec un ajustement progressif de la politique de distribution en cas d'évolution des bénéfices - qui provoque mécaniquement une variation conjoncturelle du taux de rendement.

Sur le plan budgétaire, il doit être noté que l'effet de l'évolution de la politique de distribution d'une entreprise ne se matérialise pas immédiatement. Comme le rappelait votre rapporteur spécial lors de l'examen du projet de loi de finances 2017, « un acompte au titre de l'exercice en cours est généralement payé aux actionnaires en octobre. Le solde n'est versé que l'année suivante (le plus souvent en juin), une fois le résultat de l'exercice connu. Ainsi, au cours de l'année 2017, l'État percevra le solde du dividende d'Engie au titre de l'exercice 2016 et l'acompte du dividende d'Engie au titre de l'exercice 2017. La baisse du dividende décidée par Engie à compter de l'exercice 2017 ne se matérialisera donc complètement qu'en 2018 dans le budget de l'État » 42 ( * ) .

b) Les taux de distribution des principales entreprises du portefeuille sont en ligne ou inférieurs à ceux des sociétés comparables, à l'exception d'Engie

Pour évaluer la pertinence de la thèse du « court-termisme » de l'État actionnaire, il est donc nécessaire d' examiner si les politiques de distribution des principales entreprises du portefeuille sont en ligne avec ceux des sociétés comparables du même secteur , et non avec l'ensemble du CAC 40 - afin de neutraliser le « biais sectoriel » précédemment décrit.

Le secteur de l'énergie doit à cet égard faire l'objet d'une attention particulière, dans la mesure où EDF et Engie ont représenté, en 2015, 71 % des 3,9 milliards d'euros de dividendes perçus par l'État actionnaire.

Part du secteur énergétique dans le montant total des dividendes perçus
par l'État actionnaire sur l'exercice budgétaire 2015

(en %, en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les données transmises par l'APE)

Si le taux de distribution d'EDF est globalement similaire aux pratiques des valeurs énergétiques européennes, il ressort néanmoins de la comparaison que le niveau de distribution d'Engie est significativement supérieur à la moyenne du secteur sur la période 2011-2014 (+ 24 points).

Taux de distribution du résultat net dans le secteur de l'énergie entre 2011 et 2015

(en %)

2011

2012

2013

2014

2015

E.ON

76 %

50 %

51 %

60 %

64 %

EDF

60 %

55 %

70 %

52 %

59 %

Enel

59 %

42 %

38 %

48 %

50 %

Engie

94 %

91 %

68 %

79 %

ns*

Gas Natural

30 %

63 %

41 %

76 %

111 %

Iberdrola

68 %

78 %

77 %

77 %

70 %

RWE

43 %

50 %

27 %

48 %

34 %

Moyenne

62 %

61 %

51 %

63 %

65 %

* Résultat négatif

Note de lecture : le taux de distribution retenu a été calculé selon une méthode uniforme. Il peut donc différer du taux calculé par les entreprises. À titre d'exemple, EDF communique sur un résultat net dit courant, qui exclut les éléments non récurrents et la variation nette de juste valeur sur certains instruments dérivés.

Source : commission des finances du Sénat (d'après les données transmises par l'APE)

Interrogée sur ce point, l'APE justifie la spécificité de la politique de distribution du groupe par la « recherche d'un statut de valeur de rendement auprès des investisseurs », l'existence d'une « forte réserve distribuable » et une « génération de trésorerie non affectée par les éléments exceptionnels » 43 ( * ) . En tout état de cause, la forte exposition du groupe aux prix mondiaux de l'énergie a conduit à remettre en cause cette politique , comme en témoignent les deux baisses du niveau de distribution précédemment décrites.

En revanche, pour l'ensemble des autres secteurs, « la mise en perspective avec les principaux comparables sectoriels des entreprises du périmètre montre que leur politique de dividendes est soit du même ordre, soit à un niveau légèrement inférieur » 44 ( * ) .

Dans le secteur des infrastructures de transports , dont il faut rappeler que les titres « sont considérés par le marché comme de "quasi-obligations", les investisseurs (souvent des fonds d'infrastructure ou investisseurs longs) réclamant des taux de distribution proches de 100 %, en l'absence de projets d'investissements rentables » 45 ( * ) , Aéroports de Paris (ADP) se situe ainsi en-deçà de la moyenne .

Taux de distribution du résultat net dans le secteur
des infrastructures de transport en 2014

(en %)

ADP

60 %

Aéroports

Sydney

100 %

Auckland

100 %

Heathrow

100 %

Venise

87 %

AENA

50 %

Vienne

48 %

TAV

46 %

Fraport

46 %

Zurich

46 %

Moyenne

42 %

Gestionnaires d'infrastructures

Ferrovial

100 %

Eurotunnel

100 %

Albertis

81 %

Atlantia

80 %

Vinci

50 %

Eiffage

40 %

Moyenne

75 %

Moyenne globale

71 %

Source : commission des finances du Sénat (d'après les données transmises par l'APE)

S'agissant du secteur des télécommunications , le taux de distribution d'Orange apparaît en ligne avec ceux de ses concurrents , même si les pratiques au sein du secteur sont « très hétérogènes et fortement dépendantes de la position concurrentielle de l'entreprise » 46 ( * ) .

Taux de distribution du cash-flow opérationnel dans le secteur
des télécommunications entre 2011 et 2013

(en %)

2011

2012

2013

Orange

40 %

26 %

30 %

Deutsche Telecom

26 %

31 %

44 %

Telefonica

72 %

0 %

31 %

Vodafone

35 %

40 %

48 %

KPN

44 %

7 %

0 %

Moyenne

43 %

21 %

31 %

Source : commission des finances du Sénat (d'après les données transmises par l'APE)

Dans le secteur aéronautique-défense , le taux de distribution des entreprises du portefeuille est comparable à ceux du secteur, « voire se situe en dessous si on considère qu'il s'agit d'une industrie qui a souvent recours au rachat d'actions plutôt qu'aux dividendes dans sa politique de retour aux actionnaires » 47 ( * ) .

Taux de distribution du résultat net dans le secteur aéronautique-défense
entre 2011 et 2015

(en %)

2011

2012

2013

2014

2015

Airbus

32,3 %

26,8 %

26,6 %

35,7 %

38,1 %

Bae Systems

41,3 %

50,3 %

47,8 %

53,9 %

56,7 %

Cobham

77,7 %

92,1 %

44,8 %

131,3 %

120,8 %

Dassault Aviation

26,7 %

18,5 %

19,6 %

31,9 %

25,0 %

Finmeccanica

0,0 %

0,0 %

0,0 %

25,0 %

25,0 %

Meggitt

43,7 %

37,9 %

43,4 %

62,5 %

66,1 %

Mtu Aero Engines

29,8 %

29,2 %

28,8 %

29,0 %

29,0 %

Rheinmetall

32,4 %

39,6 %

52,3 %

63,7 %

29,5 %

Rolls-Royce

36,5 %

33,3 %

33,9 %

35,7 %

43,2 %

Safran

39,0 %

39,9 %

39,1 %

40,0 %

38,9 %

Thales

29,6 %

30,0 %

35,0 %

40,7 %

34,9 %

Zodiac

27,1 %

24,1 %

23,8 %

25,0 %

47,2 %

Moyenne

34,7 %

35,1 %

32,9 %

47,9 %

46,2 %

Source : commission des finances du Sénat (d'après les données transmises par l'APE)

Dans le secteur automobile , les situations de Renault et de Peugeot doivent être distinguées.

Si le taux de distribution de Renault reste proche de la moyenne du secteur, Peugeot n'a pas distribué de dividendes depuis 2011, compte tenu des difficultés financières qu'a connues le groupe.

Taux de distribution du résultat net dans le secteur automobile
entre 2010 et 2015

(en %)

2010

2011

2012

2013

2014

2015

BMW

26,3 %

30,9 %

32,2 %

32,1 %

32,8 %

32,7 %

Daimler

44,8 %

41,4 %

38,5 %

35,1 %

37,6 %

40,2 %

Fiat

138,2 %

0,0 %

0,0 %

0,0 %

0,0 %

0,0 %

Peugeot

22,0 %

0,0 %

0,0 %

0,0 %

0,0 %

0,0 %

Porsche

2,9 %

18,8 %

7,8 %

25,6 %

20,3 %

39,5 %

Renault

2,4 %

15,1 %

26,4 %

80,5 %

27,6 %

23,3 %

Volkswagen

14,5 %

9,1 %

7,5 %

21,4 %

22,0 %

8,7 %

Moyenne

35,9 %

16,5 %

16,1 %

27,8 %

20,0 %

20,6 %

Note de lecture : le taux de distribution de Renault pour l'exercice 2013 apparaît artificiellement élevé du fait de l'impact des provisions sur l'Iran sur le résultat net de l'entreprise.

Source : commission des finances du Sénat (d'après les données transmises par l'APE)

Au total, les taux de distribution des principales entreprises du portefeuille apparaissent ainsi inférieurs ou comparables à ceux de leurs principaux concurrents, à l'exception d'Engie. Par rapport aux actionnaires privés, il ne semble donc pas avéré que l'État encourage systématiquement les entreprises à faire preuve d'un plus grand « court-termisme » en matière de dividendes.

L'exemple d'EDF suggère toutefois qu'il serait opportun que l'État actionnaire adapte plus rapidement sa politique de distribution en cas d'évolution défavorable de la situation financière des entreprises de son portefeuille.

B. L'EXEMPLE D'EDF RAPPELLE LA NÉCESSITÉ QUE L'ÉTAT ACTIONNAIRE ADAPTE RAPIDEMENT SA POLITIQUE DE DISTRIBUTION AUX ÉVOLUTIONS DE LA TRAJECTOIRE FINANCIÈRE DES ENTREPRISES DE SON PORTEFEUILLE

1. La dégradation de la situation financière d'EDF ne s'est pas accompagnée d'une évolution parallèle de sa politique de distribution
a) À plusieurs reprises, l'État actionnaire a su adapter rapidement sa politique de distribution pour soutenir les fonds propres des entreprises de son portefeuille

Comme cela a été rappelé, la soutenabilité figure parmi les trois objectifs que l'État poursuit dans la détermination de sa politique de distribution . Ainsi, le niveau de distribution doit être compatible avec « la trajectoire financière à moyen et long terme de l'entreprise, notamment les investissements nécessaires à son développement et la maîtrise de son endettement » 48 ( * ) .

Si ce principe est déterminant pour préserver les fonds propres des entreprises en cas de baisse de leur profitabilité, sa mise en oeuvre est malaisée , dans la mesure où, comme cela a été précédemment indiqué, les firmes sont généralement réticentes à modifier leur politique de distribution.

À plusieurs reprises, l'État actionnaire a toutefois démontré sa réactivité en acceptant une inflexion rapide de la politique de distribution de certaines entreprises de son portefeuille, afin de tenir compte de l'évolution de leur situation financière.

Ainsi, la baisse du dividende versé par Orange depuis 2012 - passé de 1,4 euro par action à 0,6 euro par action -, a permis de soutenir les fonds propres du groupe, dans un contexte renouvelé marqué par l'arrivée de Free sur le marché de la téléphonie mobile et la dégradation de la situation macroéconomique.

Les conséquences budgétaires étaient pourtant significatives , dans la mesure où le groupe représentait 11 % du montant global des dividendes perçus par l'État actionnaire en 2012. Au sein du portefeuille, il s'agissait ainsi de la troisième entreprise versant le plus de dividendes, après EDF et Engie.

Évolution du montant versé par Orange à l'État actionnaire
entre 2012 et 2015

(en millions d'euros, en %)

Note de lecture : il s'agit du montant perçu pour un exercice budgétaire donné (acompte et solde), quel que soit l'exercice de rattachement du dividende.

Source : commission des finances du Sénat (d'après les données transmises par l'APE)

Dans le cas d'Areva, la politique de distribution a également été adaptée rapidement, le groupe n'ayant plus versé de dividende à compter de l'exercice 2010 , soit un an avant la constatation de la première perte - même si l'on peut bien évidemment regretter l'absence de réaction des actionnaires face à la mise en oeuvre de la stratégie d'expansion très ambitieuse financée entre 2006 et 2012 par le recours à un endettement croissant et la cession de nombreux actifs, comme votre rapporteur spécial l'a déjà souligné 49 ( * ) .

Évolution du chiffre d'affaires et du résultat net d'Areva depuis 2010

(en millions d'euros)

2010

2011

2012

2013

2014

2015

Chiffre d'affaires

9 104

8 872

9 342

9 062

8 336

4 199

Résultat net

883

- 2 503

- 99

- 494

- 4 833

- 2 038

Dividende versé

0

0

0

0

0

0

Note de lecture : il s'agit du dividende versé au titre de l'exercice.

Source : commission des finances du Sénat (d'après les résultats annuels du groupe)

Enfin, la politique de distribution soutenue par l'État depuis qu'il est devenu l'un des actionnaires-clés de PSA Peugeot Citroën témoigne d'une volonté de restaurer durablement les marges de manoeuvre financières du groupe très éloignée des considérations budgétaires .

Alors même que Peugeot a réalisé en avance les objectifs fixés dans son plan de reconstruction - avec un résultat net positif de 1,2 milliard d'euros et un flux de trésorerie disponible de 3,8 milliards d'euros en 2015 50 ( * ) , qui ont notamment permis de verser une prime aux salariés de 2 000 euros en moyenne 51 ( * ) -, il n'a pas été proposé de verser de dividende au titre de cet exercice 52 ( * ) .

Dans le cas d'EDF, la dégradation de la situation financière ne s'est toutefois pas accompagnée d'une évolution parallèle de sa politique de distribution.

b) Dans le cas d'EDF, le groupe a toutefois été contraint de s'endetter pour verser son dividende

Le flux de trésorerie disponible - aussi appelé free cash flow - constitue l'un des principaux indicateurs financiers permettant d'évaluer la soutenabilité d'une politique de distribution. Il se calcule traditionnellement à partir de l'excédent brut d'exploitation, en imputant la variation du besoin en fonds de roulement (BFR), l'impôt sur le résultat d'exploitation et les investissements nets.

Ainsi, le free cash flow correspond au flux de liquidités « généré par l'exploitation après que les investissements nécessaires pour que l'entreprise maintienne ou développe son outil de production aient été payés » 53 ( * ) . Concrètement, il s'agit donc des liquidités à la disposition de l'entreprise pour rembourser ses dettes, verser un dividende, racheter ses propres actions ou procéder à des opérations de croissance externe .

Un free cash flow négatif signifie ainsi que les flux de liquidités générés par l'exploitation sont insuffisants pour couvrir les besoins d'investissement : l'entreprise est alors contrainte de s'endetter pour verser un dividende.

Or, l'évolution de la situation financière d'EDF se singularise précisément par l'apparition, à partir de 2011, d'un flux de trésorerie disponible fortement négatif.

Évolution du flux de trésorerie disponible dans le secteur de l'énergie
entre 2011 et 2014

(en millions d'euros)

2011

2012

2013

2014

E.ON

394

2 429

1 969

2 484

EDF

- 2 293

- 2 874

- 1 794

- 2 442

Enel

4 756

3 893

1 943

4 037

Engie

3 394

2 883

4 226

3 274

Gas Natural

685

1 999

1 924

1 455

Iberdrola

425

1 453

1 073

2 477

RWE

- 843

- 686

1 733

3 123

Note de lecture : le choix de retenir les données du Wall Street Journal permet de disposer de comparables. Le flux de trésorerie disponible diffère toutefois du free cash flow indiqué par EDF dans son document de référence, le mode de calcul retenu par le Wall Street Journal étant différent. Dans les deux cas, le flux de trésorerie disponible reste fortement négatif sur l'ensemble de la période.

Source : commission des finances du Sénat (d'après les données du Wall Street Journal )

Si, comme cela a été précédemment montré, la politique de distribution d'EDF est restée en ligne avec celle de ses principaux concurrents, la dégradation de ses marges de manoeuvre financières ne s'est pas accompagnée d'une évolution synchrone de sa politique de distribution .

En effet, en dépit de l'absence de liquidités, EDF a continué en moyenne à verser chaque année à ses actionnaires 2,2 milliards d'euros de dividendes en numéraire sur l'ensemble de la période.

Évolution du flux de trésorerie disponible et des dividendes
versés par EDF entre 2009 et 2014

(en millions d'euros)

Note de lecture : le flux de trésorerie disponible correspond ici au cash flow après investissements nets hors opérations stratégiques et variations de BFR net retenu par EDF dans son document de référence.

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents de référence 2009 à 2014)

Depuis 2011, le groupe a ainsi été contraint de s'endetter fortement pour verser son dividende - à l'exception de l'année 2013, marquée par l'autorisation accordée par l'État d'affecter aux actifs dédiés la créance au titre de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) détenue par EDF, qui a permis au groupe d'afficher un flux positif exceptionnel sur actifs dédiés de 2,4 milliards d'euros 54 ( * ) .

Évolution du montant cumulé de l'endettement financier net
et des emprunts hybrides d'EDF depuis 2011

(en millions d'euros, en %)

Note de lecture : si la dette hybride est comptabilisée en capitaux propres, elle est toutefois prise en compte dans le ratio d'endettement des entreprises calculé par les principales agences de notation.

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents de référence 2011 à 2015)

Pour la Cour des comptes, le versement de dividendes est ainsi devenu incompatible avec la situation des besoins de trésorerie , « sauf à considérer que la recherche de financements extérieurs est destinée non seulement à financer les investissements du groupe mais également à rémunérer les actionnaires » 55 ( * ) .

La première évolution de la politique de distribution du groupe n'est finalement intervenue qu'en 2015 .

En effet, le groupe a laissé le choix à ses actionnaires de percevoir le dividende 2015 en actions afin de préserver sa trésorerie et de consolider ses fonds propres. L'État, qui détient 85 % du capital d'EDF, a consenti à cette option.

En avril 2016, la reconduction de cette mesure pour les exercices 2016 et 2017 a été annoncée dans le cadre d'un plan d'action plus large incluant également une augmentation de capital, une diminution des charges opérationnelles et un plan de cessions. L'État actionnaire a d'ores et déjà annoncé qu'il acceptera de percevoir son dividende en actions au titre des exercices 2016 et 2017.

Si la perte de recettes en année pleine pour le budget général s'élève à 2 milliards d'euros, cette évolution n'a toutefois aucun impact sur le déficit de l'État au sens de Maastricht , comme cela a été précédemment rappelé.

Ainsi, il apparaît nécessaire de comprendre les raisons qui ont conduit à retarder l'ajustement de la politique de distribution du groupe, au risque de fragiliser sa situation financière.

2. Les leçons de cet épisode doivent être tirées
a) Trois principaux facteurs contribuent à expliquer l'absence d'évolution de la politique de distribution d'EDF

La consultation des documents préparatoires aux décisions prises en matière de distribution par l'État actionnaire sur l'ensemble de la période suggère que trois principaux facteurs ont joué.

Premièrement, le fait que les trois entreprises (EDF, Engie, Orange) qui représentaient 80 % du montant des dividendes versés par l'ensemble du portefeuille de l'État actionnaire en 2010 aient simultanément traversé une période difficile sur le plan financier a vraisemblablement conduit à renforcer le poids des considérations budgétaires dans le processus de décision.

La réactivité dont l'État a fait preuve en acceptant une diminution progressive du dividende versé par Orange à partir de 2012 et par Engie à compter de 2014 pourrait ainsi paradoxalement expliquer sa réticence à modifier la politique de distribution d'EDF . Dans son rapport particulier, la Cour des comptes estime ainsi que « la préoccupation majeure de l'État actionnaire a été que le groupe continue à servir un dividende substantiel, malgré une situation financière fragile et même au prix d'un surcroît d'endettement » 56 ( * ) .

Cette rigidité à la baisse a pu être favorisée par le rôle joué par la direction du budget dans le processus décisionnel .

Interrogé en 2014 sur ce point par nos collègues députés, David Azéma, alors directeur général de l'APE, indiquait pourtant que s'il est fourni « chaque année à ce service, au cours d'une réunion de calage, (les) prévisions relatives aux dividendes qui seront probablement servis par les entreprises lors de l'exercice budgétaire suivant (...) (l'APE) ne (subit) cependant pas une forte pression de cette direction, qui considère cette information comme une donnée de son exercice de prévision budgétaire » 57 ( * ) .

En pratique, l'accord de la direction du budget reste sollicité dans certains cas et la nécessité d'intégrer la trajectoire du dividende dans les prévisions budgétaires a pu justifier de différer son inflexion .

S'agissant des établissements publics, il peut d'ailleurs être observé que l'article 79 de la loi de finances rectificative pour 2001 dispose que le montant du dividende versé à l'État est déterminé par arrêté du ministre chargé de l'économie et du ministre chargé du budget .

Deuxièmement, l'État actionnaire a parfois compté sur l'État régulateur pour préserver la soutenabilité de la trajectoire financière du groupe.

Dans sa note relative au dividende 2011, l'APE indique ainsi que le niveau négatif des free cash flow sur le périmètre français « devra être pris en compte dans la définition des futures trajectoires tarifaires ».

De façon moins anecdotique, la note relative au dividende 2012 indique qu'une « réflexion avec la direction du budget et la direction générale de l'entreprise » sera engagée par l'APE « s'agissant de l'inflexion de la trajectoire du dividende pour 2013 et au-delà ». Pourtant, on ne trouve aucune mention de cette réflexion ni des inquiétudes concernant la soutenabilité de la trajectoire financière du groupe dans la note relative au dividende 2013.

Or, c'est précisément en 2013 que l'État a accordé à EDF l'autorisation d'affecter aux actifs dédiés la créance CSPE, ce qui a permis au groupe d'afficher un cash flow avant dividendes positif de 2,2 milliards d'euros.

Si cette décision a également sa logique propre, elle semble s'inscrire dans un compromis de court terme entre l'État et le groupe, ce dernier acceptant de ne pas modifier la trajectoire du dividende en contrepartie d'une évolution lui permettant d'éviter transitoirement d'accroître son endettement.

Troisièmement, les inquiétudes exprimées par les services de l'APE et les projets de refonte de la politique de distribution n'ont jamais été suivis d'effet.

Si cela pourrait s'expliquer par un simple défaut de volonté politique, les auditions menées par votre rapporteur spécial suggèrent que le taux de rotation rapide et le profil des personnels chargés du suivi des participations de l'État pourraient avoir joué un rôle.

Comme le relevait il y a deux ans David Azéma, alors directeur général de l'APE, devant la commission des finances de l'Assemblée nationale, le service « compte cinquante personnes lorsqu'(il) est à effectif plein. (...) Trente d'entre elles assurent des tâches opérationnelles - rédaction de notes, instruction de dossiers, recommandations au ministre -, dont vingt-cinq suivent des participations. Il s'agit, pour la plupart, de jeunes fonctionnaires ayant un profil d'ingénieur et effectuant chez nous leur premier ou leur deuxième poste. Restant parmi nous pendant deux ans et demi au maximum , ils n'ont pas la capacité d'accumuler un savoir ni de le transmettre » 58 ( * ) .

Il peut être noté que ce problème avait déjà été mis en évidence par la Cour des comptes en 2008 dans son rapport sur les apports et limites de l'État actionnaire, qui estimait alors que « la rotation excessivement rapide des personnels reste (...) un handicap chronique » 59 ( * ) .

À cet égard, certaines évolutions pourraient utilement contribuer à renforcer l'adaptabilité de la politique de distribution de l'État actionnaire.

b) Certaines évolutions pourraient utilement contribuer à remédier à ces difficultés

Une première piste consiste à renforcer le rapport annuel relatif à l'État actionnaire , dont le contenu est prévu à l'article 142 de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relatif aux nouvelles régulations économiques.

Tout d'abord, un « mécanisme d'alerte » pourrait être instauré imposant à l'État, lorsqu'une entreprise du portefeuille a été contrainte d'accroître son endettement pour verser un dividende - autrement dit, lorsque le flux de trésorerie disponible n'a pas été suffisant pour absorber le montant du dividende -, de justifier dans le cadre du rapport la politique de distribution qu'il a soutenue devant l'assemblée générale.

Cette évolution aurait le double mérite d'attirer l'attention des parlementaires sur la situation de l'entreprise et de contraindre l'État à justifier de la soutenabilité de la politique de distribution menée.

Recommandation n° 1 : instaurer un mécanisme d'alerte imposant à l'État, lorsqu'une entreprise du portefeuille a été contrainte d'accroître son endettement pour verser son dividende, de justifier, dans le cadre du rapport relatif à l'État actionnaire, la politique de distribution qu'il a soutenue devant l'assemblée générale.

En complément, afin de tenir compte du biais sectoriel du portefeuille géré par l'APE, il serait utile de mettre en perspective, dans le cadre du rapport relatif à l'État actionnaire, le taux de distribution, le rendement et la rentabilité globale des principales participations du portefeuille avec les données des entreprises comparables du même secteur.

L'État actionnaire serait également tenu de justifier le choix des comparables retenus.

Recommandation n° 2 : mettre en perspective, dans le cadre du rapport relatif à l'État actionnaire, le taux de distribution, le rendement et la rentabilité des principales participations du portefeuille avec les données des entreprises comparables du même secteur.

Une deuxième piste consiste à modifier le dispositif de performance du compte spécial, en faisant du taux de rotation des personnels chargés du suivi des participations un indicateur du programme, afin d'inciter à sa réduction.

Recommandation n° 3 : faire du taux de rotation des personnels chargés du suivi des participations un indicateur de performance du programme, afin d'inciter à sa réduction.

Enfin - et quand bien même une telle évolution aurait une portée essentiellement symbolique -, l'article 79 de la loi de finances rectificative pour 2001 pourrait opportunément être modifié afin de prévoir que la décision de prélever un dividende sur le résultat des établissements publics soit désormais uniquement prise par le ministre chargé de l'économie - et non plus conjointement avec le ministre chargé du budget.

Une telle évolution apparaît naturelle dans la mesure où, comme le rappelle l'APE, « les principes guidant la politique de dividende de l'État actionnaire relèvent de considérations d'actionnaire, et non de considérations budgétaires » 60 ( * ) .

Recommandation n° 4 : prévoir que la décision de prélever un dividende sur le résultat des établissements publics soit prise uniquement par le ministre chargé de l'économie - et non plus conjointement avec le ministre chargé du budget.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission a entendu une communication de M. Maurice Vincent, rapporteur spécial, sur la politique de dividendes de l'État actionnaire.

M. Maurice Vincent , rapporteur spécial . - La question que j'ai souhaité aborder dans ce rapport de contrôle est bien connue et fait parfois polémique : celle de savoir si l'État utilise de façon excessive la distribution de dividendes de sociétés qu'il contrôle pour participer à l'équilibre du budget de l'État. C'est une question qui est posée par la Cour des comptes notamment et plusieurs groupes de réflexion, qui se sont inquiétés de ce risque de dérives. La réponse que j'y apporterai, c'est une réponse négative : il n'y a pas d'utilisation excessive, et je vais tenter de vous le montrer, dans la période récente, à l'exception d'un cas - qui est celui d'EDF - sur lequel je reviendrai de manière spécifique.

Sur les éléments qui pouvaient conduire à avoir ces inquiétudes, le premier est que nous avons observé que depuis la création de l'Agence des participations de l'État (APE) en 2004, le montant des dividendes prélevés sur le portefeuille des entreprises dont l'État est actionnaire a été multiplié par plus de quatre. Cet élément pouvait a priori inquiéter. En réalité, on peut se féliciter de voir que la création de l'APE a conduit à une meilleure gestion des participations de l'État, qui s'est rapprochée de celle du secteur privé - ce qui a conduit à cette augmentation. Il n'y a pas de raison que l'État se prive - à condition de ne pas déséquilibrer la situation des entreprises - d'une juste rémunération de son patrimoine. Cette logique de fonctionnement de l'APE a été globalement vérifiée. C'est une logique d'intervention qui se rapproche de celle d'un actionnaire privé : distribuer des dividendes quand cela est possible, le faire au meilleur moment, mais sans excès. Je ne reviendrai pas sur les éléments théoriques qui peuvent d'ailleurs justifier le choix de cette approche : ils sont détaillés dans le rapport.

Je souhaite également souligner le fait que dans le cadre de ces entretiens nous avons observé deux éléments complémentaires qui pouvaient renforcer la crainte d'une distribution excessive. Premièrement, les règles de la comptabilité publique sont plutôt biaisées en faveur des dividendes. La distribution de ces dividendes participe en effet à une amélioration du solde général de l'État et réduit le déficit au sens de Maastricht. À l'inverse, si l'État privilégiait l'augmentation de la valeur des actions, la plus-value en cas de revente ne bénéficierait pas au budget général de l'État et n'améliorerait pas le défi de Maastricht.

Enfin, je voudrais souligner un dernier facteur d'inquiétude : à partir du moment où nous avons connu la crise des dettes souveraines, en 2011, nous avons pu constater que le rendement moyen du portefeuille de l'État actionnaire s'est accru par rapport à la moyenne du CAC 40. Entre 2007 et 2011, le rendement annuel moyen du portefeuille coté de l'État actionnaire s'élevait à 3,44 %, soit un niveau très proche de celui observé pour l'ensemble du CAC 40 (3,67 %). Ce n'est plus tout à fait vrai à partir de 2011, le rendement des actions de l'État actionnaire étant plus élevé. Cela pouvait laisser penser que devant la pression favorable à la recherche de la diminution des déficits publics, on utilisait davantage la variable des dividendes que par le passé. En réalité, un examen détaillé me permet de dire que cette crainte est infondée : cet écart - qui apparaît très étonnant - à partir de 2011 s'explique de deux façons. La première est que, dans le secteur privé, les entreprises ont beaucoup utilisé la technique du « rachat d'actions », qui n'a pas été utilisée dans le cas de l'État actionnaire, ce qui explique ainsi la moitié de l'écart. La deuxième est celle du « biais sectoriel » : le portefeuille de l'État actionnaire est très fortement marqué par les poids du secteur énergétique et du secteur de l'aéronautique-défense, qui sont des valeurs de rendements plus rémunératrices que la moyenne des autres valeurs. Ainsi, la crainte que nous avions trouve son explication. Pour nous en assurer, nous avons comparé secteur par secteur la distribution de dividendes du portefeuille de l'État avec celle des entreprises européennes concurrentes et nous n'avons pas observé de divergences, à l'exception de la société Engie, qui, pour des raisons particulières, distribue davantage de dividendes.

Un examen détaillé nous montre donc qu'il n'y a pas de biais systématique et que l'État n'a pas utilisé de façon significative la distribution de dividendes pour équilibrer son budget, et ce depuis la création de l'APE. La création de l'APE s'est avérée positive sur l'ensemble de la gestion des participations de l'État.

Reste un cas particulier, qu'est celui d'EDF. Ce cas avait été évoqué l'an dernier par Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, qui avait reconnu une difficulté. À partir de 2009, on observe que bien que le flux de trésorerie se soit très nettement dégradé, les dividendes versés en numéraire sont restés globalement les mêmes. Il y a eu des compensations : l'État régulateur a notamment permis à EDF d'affecter la créance au titre de la Contribution au service public de l'électricité (CSPE) aux actifs dédiés. Mais il y a bien eu un problème : l'État, en continuant à prélever de manière excessivement longue des dividendes de l'ordre de 2 milliards d'euros - soit près de la moitié des dividendes du portefeuille de l'État - a conduit à une augmentation de l'endettement de l'entreprise. C'est évidemment un point négatif que nous devons constater au moment où la restructuration du secteur énergétique s'impose, comme je le précisais dans mon rapport spécial sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ». Pourquoi l'État a-t-il réagi tardivement ? Je tiens à préciser en préambule qu'à partir de 2015, sa réaction a été de ne plus continuer à prélever de dividendes en numéraire sur EDF - et ce sera encore le cas en 2016 et 2017 - l'État ayant accepté de percevoir son dividende en actions. C'est une réaction réelle mais qui est trop tardive, ce qui peut s'expliquer de plusieurs façons. Tout d'abord, l'essentiel du dividende du portefeuille de l'État - qui est de 4 milliards d'euros - provient de trois entreprises que sont EDF, Engie et Orange. Or, dans le même temps, Engie et Orange avaient diminué leurs distributions de dividendes pour des raisons propres à leurs secteurs : il y a peut-être eu une volonté, consciente ou non, de compensation. Il y a aussi eu, je le disais, cette intervention de l'État régulateur concernant la créance de CSPE.

Je terminerai en vous faisant part de plusieurs recommandations. La première est qu'il serait souhaitable de renforcer le rapport relatif à l'État actionnaire en introduisant un « mécanisme d'alerte » lorsqu'une divergence telle que celle observée sur EDF apparaît, afin d'avoir des informations transparentes et des explications. Une deuxième piste consiste à modifier le dispositif de performance du compte spécial, en prenant en compte le taux de rotation des personnels chargés du suivi des participations. Cela peut poser un problème dans la force de l'avis qui émane de l'APE, qui ne bénéficie pas d'une continuité et d'une vision suffisamment longue. Enfin - et cette recommandation est peut-être plus symbolique -, il pourrait être envisagé de prévoir que la décision de prélever un dividende sur le résultat des établissements publics soit désormais prise exclusivement par le ministre chargé de l'économie - et non plus conjointement avec le ministre chargé du budget, comme c'est le cas actuellement.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Lorsque nous avions reçu le ministre de l'économie, j'avais souligné toutes les ambiguïtés de l'État actionnaire. La Cour des comptes vient de publier ce matin son rapport posant une question : « L'État est-il un bon actionnaire ? ». La synthèse du rapport montre que la réponse est plutôt négative. Il y a une ambiguïté de départ : l'État poursuit des objectifs contradictoires, contrairement à un actionnaire classique qui recherche avant tout du rendement ou des plus-values. Cette contradiction est visible dans le cas, par exemple, du secteur de l'énergie, avec la volonté d'avoir un meilleur rendement mais aussi de limiter pour des raisons sociales la hausse des tarifs. Les intérêts de l'État sont parfois inconciliables. Malheureusement, la synthèse du rapport de la Cour des comptes montre que l'État a plutôt du mal à être un bon actionnaire. Il y a sans doute un problème de turn over à l'APE, mais aussi le poids politique de l'APE. Il y a également une autre ambiguïté : l'État est actionnaire via l'APE mais il y a également l'actionnariat à travers Bpifrance et la Caisse des dépôts et consignations : les participations de l'État sont réparties entre différentes instances. En outre, face à la perte de compétitivité et à la désindustrialisation, le fait d'être actionnaire n'est pas forcément le meilleur moyen aujourd'hui d'intervenir.

L'éclairage qu'apporte la Cour des comptes est assez préoccupant. Il faudrait vraiment clarifier les objectifs de l'État. J'ai peur que le portefeuille de l'État soit plutôt une charge qu'une ressource dans les prochaines années, compte tenu des besoins en recapitalisation dans certains secteurs : il faudra regarder de très près la question des interventions en capital. Le jugement de la Cour des comptes est sévère.

Est-ce que notre rapporteur spécial a pu évaluer les besoins de recapitalisations que va nécessiter le portefeuille de l'État dans les prochaines années, qui risquent de peser lourdement sur les finances publiques ?

M. Michel Bouvard . - La politique de distribution de dividendes de l'État actionnaire est plus raisonnable depuis plusieurs années. En revanche, une pratique a tendance à se développer, en lien avec la recommandation de notre rapporteur spécial sur la seule décision du ministre de l'économie : certains ministres flèchent désormais l'affectation des dividendes. C'est une tentation récurrente que les dividendes n'entrent pas directement dans le budget de l'État mais soient mobilisés sur une politique. Nous l'avons vu dans le cadre du ministère de l'environnement. Cette pratique porte atteinte à l'universalité budgétaire et est un moyen de contourner la norme de dépenses. Nous devrions donc préciser qu'il ne peut y avoir de fléchage de l'utilisation des dividendes en dehors du budget de l'État, notamment dans le cas des entreprises où l'État est majoritaire au capital.

M. Marc Laménie . - Combien de sociétés en tout sont concernées ? Vous avez souligné qu'une forte partie provient du secteur de l'énergie.

M. Vincent Delahaye . - Que l'État ne soit pas un très bon actionnaire n'est pas nouveau, l'interrogation est récurrente. Pour beaucoup de sociétés, on se demande pourquoi l'État est toujours à leur capital. Depuis quelques années, on voit que le Gouvernement a visiblement cherché d'une certaine manière à compenser la baisse des dividendes versés par Orange et Engie par le versement de dividendes de la part d'EDF - en empruntant. EDF est dans un domaine d'activité qui nécessite beaucoup d'investissements et de moyens financiers et je suis donc surpris de cette politique, qu'on emprunte pour verser un dividende plutôt que pour investir. Je voudrais connaitre le montant global sur le quinquennat des dividendes financés par l'emprunt. Je vois que depuis trois ans l'emprunt d'EDF a augmenté de près de 6 milliards d'euros : ces 6 milliards ont-ils été suscités par l'endettement ? Ce serait de l'endettement détourné de la part de l'État.

M. Éric Bocquet . - A-t-on, concernant la période 2003-2015, un tableau de la part consacrée à l'investissement, dans les entreprises concernées ?

M. André Gattolin . - Concernant EDF, je souhaite rappeler que l'ouverture du capital en 2005 a été opérée à hauteur de 15 %. Il faudrait avoir une analyse sur ce qu'a apporté cette ouverture du capital, quand on voit le faible poids des actionnaires extérieurs à l'État. À qui reverse-t-on des dividendes ? Aujourd'hui, il y a un besoin très rapide de 4 milliards d'euros de recapitalisation sur EDF, de 4,5 milliards sur les anciennes structures d'Areva. On peut se poser des questions sur l'équilibre économique et le modèle de fonctionnement de la filière du nucléaire, qu'on essaye de regrouper au moment où on est à limite de la capacité de ces entreprises à se maintenir durablement. La question de la politique de dividendes est essentielle mais elle devrait être analysée plus globalement, au regard de la capitalisation et des choix faits pour cette filière. Cela devient alors plus inquiétant : on risque d'aboutir à des projets de loi de finances rectificative comme dans le cas de Dexia, demandant de mobiliser plusieurs milliards d'euros.

M. Vincent Capo-Canellas . - La réponse de notre rapporteur spécial à la question posée est claire. Je voudrais nuancer le propos qui est tenu lorsque nous parlons de « l'État actionnaire ». En effet, l'État n'est pas toujours en situation dans les conseils d'administration de décider de la politique de dividendes seul : il y a d'autres instances, d'autres actionnaires. Il faudrait distinguer les entreprises entre celles dans lesquelles l'État est majoritaire et dans une situation de contrôle et celles où il est minoritaire et a moins de poids sur ce type de décision.

Notre rapporteur général l'évoquait, il faut mettre en évidence le rôle de l'État sur la stratégie, sur le long terme. L'État fait-il du court terme budgétaire ou apporte-t-il une plus-value à l'entreprise en étant présent sur le long terme et en jouant sur la stratégie mieux que ne le ferait le marché ? La question est aussi celle des entreprises présentes dans un marché ouvert, notamment celles de la défense ou de l'aéronautique par exemple, où l'État est certes présent, mais le marché est très concurrentiel. La politique de dividendes alors ressort aussi du marché. Au contraire, les sociétés d'infrastructures - la question se pose notamment sur les aéroports - sont dans un état de quasi-monopole, où l'on peut soupçonner l'État de jouer un jeu budgétaire et de faire payer cher un service aux utilisateurs. L'État n'handicape-t-il pas le reste l'économie ? L'État régulateur et l'État actionnaire ont des intérêts divergents, on peut le voir avec le cas d'Aéroports de Paris et d'Air France. Comment se fait l'arbitrage et comment l'APE gère-t-elle ce type de conflits ?

Mme Fabienne Keller . - Ma première question porte sur l'analyse des dividendes, qui doit nécessairement tenir compte de l'évolution de la valeur du portefeuille. Si l'on distribue beaucoup, la valeur de l'actif baisse du même montant. Il est intéressant de vérifier si la distribution du dividende est issue du résultat de l'année ou si l'on mange les ressources propres ?

Ma deuxième question porte sur la gouvernance de la représentation de l'État, que j'ai eu l'occasion moi-même d'observer au sein de différents EPIC. Les représentants de l'État se coordonnent en amont mais ont fréquemment dans les conseils d'administration des positions contradictoires. Je voudrais ajouter un élément d'actualité : lors de la réunion hier sur l'indemnisation de la fermeture de la centrale de Fessenheim, les représentants de l'État n'ont pas pris part au vote. Il faut regarder en face cette difficulté de la gouvernance et porter une position cohérente.

M. Philippe Dominati . - La vraie question qui se pose est celle de savoir s'il faut s'inquiéter. Un portefeuille devrait être équilibré or ici nous voyons que 51 % proviennent de deux entreprises du secteur énergétique. Sur une vision de long terme, ce n'est pas nécessairement le signe d'une bonne gestion des participations de l'État. Une autre difficulté est celle de la situation d'EDF. En moins de dix ans, sa valeur a été presque divisée par dix : une longue descente aux enfers. Pour assurer le dividende, on est obligé d'emprunter. Il faudrait savoir quelle est la perspective de l'État pour cette entreprise.

M. Richard Yung . - La finalité, la justification du portefeuille de participations l'État est de mener une politique industrielle ou de restructuration. L'État n'a pas de vocation particulière à gérer un portefeuille comme le ferait quelqu'un possédant un patrimoine privé. L'exemple de Peugeot il y a deux ans le montre. Mais nous voyons parfois des résultats peu probants : le recours à l'emprunt pour verser des dividendes, dans le cas d'EDF, est surprenant. Je partage l'opinion de notre rapporteur spécial sur la décision de prélèvement du dividende : elle doit être celle du ministre de l'économie, pas du budget. Le portefeuille de l'État n'est pas là pour alimenter le budget. Il faut également s'intéresser au débat relatif aux droits de vote. Chez Renault, on se souvient d'un conflit assez fort opposant Emmanuel Macron, ministre de l'économie, et Carlos Ghosn, PDG de Renault, lorsque le ministre voulait imposer les droits de vote double de l'État.

M. Bernard Lalande . - Sur cette politique de dividendes de l'État, on a bien entendu qu'il y avait un État stratège. Mais les dividendes tombent-ils dans un pot commun ?

Je voudrais également reprendre la question de notre rapporteur général : un certain nombre d'établissements publics interviennent dans l'économie de notre pays, Bpifrance, la Caisse des dépôts et consignations. Il y a donc des soutiens économiques soit sous forme de participations, soit sous forme d'emprunt. Existe-t-il un état général des interventions de l'État ?

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - La dégradation de la performance du portefeuille de l'APE est inquiétante. La Cour des comptes indique qu'entre 2010 et 2016, le portefeuille de l'APE a baissé de 29 %, quand le CAC 40 a augmenté de 28 %. Les chiffres sont quasi identiques, mais dans des sens opposés. Ce n'était pas le cas avant 2010. Ces résultats sont sans doute en partie dus au poids du secteur de l'énergie.

M. Maurice Vincent , rapporteur spécial . - Notre rapporteur général parlait de la qualité de l'État en tant qu'actionnaire et des logiques potentiellement inconciliables qui l'animent. Il est probable que la multiplicité des objectifs poursuivis, sur certains dossiers et à certains moments particuliers, conduise à des décisions complexes voire sous-optimales. Cependant, cette sous-optimalité ponctuelle n'induit pas comme conséquence que l'intérêt de l'État actionnaire d'une manière générale soit contestable.

Pour répondre à Richard Yung, Bernard Lalande et Philippe Dominati sur l'optimisation de la structure du portefeuille : la question de l'État stratège implique des prises de participations, qui peuvent être revues. Il y a un intérêt à ce que l'État ne se comporte pas exactement de la même manière qu'un actionnaire privé. L'originalité de l'État actionnaire est de pouvoir avoir, au moins dans les secteurs stratégiques, une vision de long terme et de défense des intérêts de la France. Si l'on considère que ces raisons n'ont plus lieu d'être, on peut proposer un retrait général, mais ce n'est pas ce que proposent la Cour des comptes et l'Institut Montaigne dans leurs rapports. On peut considérer qu'ils proposent de recentrer les participations de l'État sur les secteurs stratégiques ou relevant de la sécurité ou d'un intérêt national majeur. En effet, il y a un intérêt à ce que l'État intervienne dans un certain nombre de circonstances, on l'a vu avec Peugeot de manière très claire mais aussi avec Alstom. La question est de savoir, dans un capitalisme de plus en plus mondialisé, s'il y a un intérêt ou non à préserver l'intérêt du territoire français.

Concernant la question de notre rapporteur général sur la moins bonne performance des sociétés contrôlées par l'État sur la dernière période comparées au CAC 40 : avant 2010, la performance était plus importante. D'une certaine façon, et je le développe dans ce rapport, cette performance dépend de facteurs largement extérieurs à la qualité de la gestion. On a eu des résultats supérieurs avant 2010, notamment parce que la structure du portefeuille de l'État, très marquée par le secteur de la défense et le secteur de l'énergie, a induit des résultats supérieurs car ces domaines étaient plus rentables globalement. Ce phénomène s'inverse sur la dernière période, avec un cas particulier qu'est EDF.

Pour répondre à Michel Bouvard sur le respect du principe d'universalité budgétaire, je n'ai pas noté de biais de ce type pour les principales participations de l'État qui constitueraient effectivement un dysfonctionnement. En revanche, Bpifrance, hors du champ de l'APE, a tendance à garder ses résultats plutôt que de les redistribuer à l'État.

L'APE contrôle 81 sociétés, pour répondre à Marc Laménie. Cependant, il faut noter que dix de ces sociétés représentent plus de 90 % du montant des dividendes perçus.

Vincent Delahaye m'interrogeait, sur le quinquennat, sur le montant de la dette imposée à EDF. Une réponse sur le quinquennat serait difficile : la période en cause court sur deux quinquennats. La dernière ponction de 2 milliards d'euros a eu lieu en 2014. On peut estimer qu'au total, la dette que l'on a fait supporter à EDF en contrepartie d'une distribution excessive de dividendes venant alimenter le budget de l'État s'élève à 8 milliards d'euros.

Je n'ai pas à ma disposition le tableau que demande Éric Bocquet, mais celui-ci doit être réalisable. En tout cas, il est évident que sur les trois sociétés que sont Orange, Engie et EDF, le montant des investissements a été important. Le fait que nous n'observions pas de divergence dans les taux de distribution des résultats des entreprises contrôlées par l'APE comparées aux entreprises privées hors APE, suggère également que la capacité d'investissement des entreprises publiques, à l'exception de la dernière période pour EDF, a été préservée.

Pour répondre à André Gattolin qui m'interrogeait sur la raison de la cotation d'EDF : je ne suis pas choqué par le fait qu'une entreprise très majoritairement contrôlée par l'État soit devenue une société anonyme. Il y a un avantage en termes de transparence. Cela permet également d'avoir un point de vue extérieur, même s'il est minoritaire. L'Institut Montaigne préconise d'ailleurs que l'État reprenne totalement le contrôle de certaines entreprises d'intérêt national manifeste, sous la forme d'« agences-entreprises ». Qu'un think tank libéral demande presque la renationalisation de grandes entreprises pour en faire quasiment des agences m'a un peu étonné. Je ne suis pas favorable à cette position. Davantage de transparence et la prise en considération d'avis extérieurs dans les conseils d'administration peuvent contribuer à l'amélioration de la gestion d'une entreprise qui par ailleurs reste majoritairement publique.

Concernant la filière nucléaire et la question de Philippe Dominati sur la situation d'EDF : la filière nucléaire a été considérablement mise en danger et dégradée entre 2003 et 2011 en raison d'une gestion catastrophique d'Areva et d'une non coopération manifeste entre les deux principaux acteurs de la filière. Cette situation, qui n'a pas été contrôlée par l'État
- et il y a là une grave déficience - a conduit à la nécessité de recapitaliser à hauteur de 7 milliards d'euros. Derrière ce choix, il y a la stratégie générale de la France en matière de nucléaire. Si l'on décide de baisser fortement - pour des raisons de politique énergétique - la part du nucléaire dans les années à venir, il faudra prendre des décisions différentes. La décision stratégique jusqu'à présent, illustrée avec Hinkley Point, que l'on peut discuter, est celle de continuer d'investir dans la filière nucléaire française, pour des raisons industrielles, énergétiques, et peut-être aussi géopolitiques, compte tenu de la présence de la Chine et du Japon dans ce secteur. Cette décision est plutôt en continuité avec le passé. On peut la contester mais elle a forcément des conséquences en termes de soutien aux entreprises, de restructuration et reconfiguration de la filière nucléaire. On ne peut déconnecter ces questions, et dès lors que ce choix a été fait, la recapitalisation est inévitable.

Pour répondre à Vicent Capo-Canellas : le taux de distribution du résultat net d'ADP est de 60 % alors que la moyenne globale des sociétés comparables est de 71 %. Certes ADP rapporte beaucoup de dividendes à l'État, mais non, il n'y a pas d'utilisation supérieure à la moyenne. L'État ne peut avoir qu'une stratégie globale, aussi bien pour Air France que pour ADP et veiller à ne pas accentuer les difficultés de l'un pour bénéficier des dividendes de l'autre. Les chiffres dont je dispose me conduisent à penser que l'État se comporte normalement.

Fabienne Keller m'interrogeait sur la question de la valeur du portefeuille. Effectivement la distribution de dividendes fait courir le risque d'une non-appréciation de l'action. La valeur du portefeuille de l'État a évolué de manière extrêmement heurtée, avec une très forte valorisation jusqu'à la fin des années 2010, puis une forte dépréciation, notamment liée à l'énergie et aux difficultés particulières d'EDF. L'ensemble du secteur énergétique européen est en difficulté, avec la baisse des prix de l'électricité. Ce n'est pas lié à la politique de dividendes qui, à l'exception d'EDF, a été correcte. Sur la gouvernance des administrations, je reconnais qu'il peut y avoir selon les cas des positionnements différents selon les ministères. L'APE - ou le Premier ministre - devrait coordonner ou arbitrer ex ante la position du Gouvernement dans les conseils d'administration.

Je partage enfin les positions qu'ont pu défendre Richard Yung et Bernard Lalande sur l'État stratège.

La commission a donné acte de sa communication à M. Maurice Vincent et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L'ÉTAT (APE)

- M. Martin VIAL, commissaire aux participations ;

- M. Jérôme BARON, secrétaire général ;

- Mme Lucie MUNIESA, directrice générale adjointe.

BPIFRANCE

- M. Arnaud CAUDOUX, directeur exécutif ;

- M. Jean-Baptiste MARIN LAMELLET, responsable des relations institutionnelles.

CAISSE DES DÉPÔTS ET CONSIGNATIONS

- M. Franck SILVENT, directeur du pôle finances, stratégie et participations ;

- M. Olivier MAREUSE, directeur des finances ;

- Mme Brigitte LAURENT, directrice des relations institutionnelles, internationales et européennes.

CFE-CGC ÉNERGIES

- M. Alexandre GRILLAT, secrétaire national aux affaires publiques ;

- Mme Catherine HALBWACHS, déléguée fédérale stratégies et prospectives.

CFDT FÉDÉRATION CHIMIE ÉNERGIE (CFDT FCE)

- M. Vincent RODET, délégué fédéral.

ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES COMMERCIALES DE PARIS (HEC)

- M. François DERRIEN, professeur de finances.

ORANGE

- M. Jérôme BERGER, directeur du financement et de la trésorerie ;

- M. Nicolas GUÉRIN, directeur juridique ;

- M. Pierre PÉTILLAULT, adjoint du directeur des affaires publiques, M. Laurentino LAVEZZI.

ENGIE

- M. Thierry KALFON, directeur du plan et du contrôle de gestion à la direction financière Groupe ;

- M. Étienne GIRON, délégué aux affaires réglementaires (direction Institutions France et territoire).

AUTRES

- M. Thomas PIQUEMAL, responsable fusions et acquisitions de Deutsche Bank monde et président activités de banque d'investissement de Deutsche Bank France ; ancien directeur financier du groupe EDF.


* 1 Cour des comptes, « Le budget de l'État en 2014 (résultats et gestion) », p. 80.

* 2 Margaux Barbier, « L'État actionnaire, plus gourmand qu'un actionnaire privé », Fondation Ifrap, 23 mai 2016.

* 3 Ibid .

* 4 Compte rendu de l'audition le 25 mai 2016 d'Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, devant la commission des finances du Sénat.

* 5 Financial Times , « Russia orders companies to pay higher dividends to state », 19 avril 2016.

* 6 Cf. « 2016, année très rentable pour les actionnaires du Cac 40 », Magazine Marianne , 10 janvier 2017 ; Pierre Fay, « Bourse : les dividendes records du Cac 40 », Les Échos , 10 janvier 2017.

* 7 Cf. Cyrille Lachèvre, « L'État français, un actionnaire plus gourmand qu'un fonds de pension américain », L'Opinion, 6 novembre 2013.

* 8 Franco Modigliani et Merton Miller, « Dividend Policy, Growth and the Valuation of Shares », Journal of Business , Vol. 34, n° 4, 1961, pp. 411-433.

* 9 Pascal Barneto et Georges Gregorio, DSCG 2 - Finance : Manuel et Applications , Dunod , 4 e édition, 2013, p. 486.

* 10 Aswath Damodaran, Finance d'entreprise : Théorie et pratique , De Boeck, 2 e édition, 2006, p. 906.

* 11 Ibid ., p. 910.

* 12 Sarah Belouezzane, « Apple verse son premier dividende depuis 1995 », Le Monde , 20 mars 2012.

* 13 Pour une analyse plus complète, voir sur ce point : Thomas Philippe, Principes de finance d'entreprise , RB Édition, 2014.

* 14 Rapport relatif à l'État actionnaire 2015-2016, p. 33.

* 15 Réponses de l'APE au questionnaire adressé par votre rapporteur spécial.

* 16 Réponses de l'APE au questionnaire adressé par votre rapporteur spécial.

* 17 Ibid .

* 18 Article 88 de la loi n° 2003-1312 du 30 décembre 2003 de finances rectificative pour 2003.

* 19 INSEE, « 3.107 - Passage du résultat d'exécution des lois de finances au déficit de l'État (S13111) au sens de Maastricht », p. 3.

* 20 OCDE, « Financing State-Owned Enterprises : An Overview of National Practices », 2014.

* 21 Ibid ., pp. 38-39.

* 22 Réponses de l'APE au questionnaire adressé par votre rapporteur spécial.

* 23 D'après les comptes combinés présentés dans le rapport relatif à l'État actionnaire, le chiffre d'affaires global s'élevait à 247,8 milliards d'euros en 2003, contre 147,6 milliards d'euros en 2015. Cf. Rapport relatif à l'État actionnaire 2003, p. 21 ; Rapport relatif à l'État actionnaire 2015-2016, p. 41.

* 24 Pascal Quiry et Yann Le Fur, « Rachats d'actions et dividendes en 2015 », Vox-Fi, 26 janvier 2016.

* 25 Rapport relatif à l'État actionnaire 2010, p. 13.

* 26 Aswath Damodaran, « Dividends, Potential Dividends and Cash Balances », Musings on Markets , 27 janvier 2016.

* 27 Cour des comptes, « Le budget de l'État en 2014 (résultats et gestion) », 2015, pp. 80-81.

* 28 Aswath Damodaran, « Stock Buybacks : They are big, they are back and they scare some people ! », Musings on Markets , 22 septembre 2014.

* 29 Pascal Quiry et Yann Le Fur, « Rachats d'actions et dividendes en 2015 », précité.

* 30 Réponses de l'APE au questionnaire adressé par votre rapporteur spécial.

* 31 Ibid .

* 32 Pour une illustration empirique récente, voir par exemple : Aswath Damodaran, « Dividends, Potential Dividends and Cash Balances », précité.

* 33 Simon Parienté, Analyse financière et évaluation d'entreprise , Pearson , 2013, p. 109.

* 34 Ibid .

* 35 Aswath Damodaran, Finance d'entreprise : Théorie et pratique , précité, p. 456.

* 36 Ibid ., p. 457. Sur la période 1906-2003, l'écart-type des dividendes est de 5 %, alors que celui des profits est de 15 %.

* 37 Michel Albouy, « La politique de dividendes des entreprises », Revue d'économie financière , 1990, volume 10, numéro 1, p. 245.

* 38 Ibid .

* 39 Aswath Damodaran, Finance d'entreprise : Théorie et pratique , précité, p. 456.

* 40 John Lintner, « Distribution of Incomes of Corporations Among Dividends, Retained Earnings, and Taxes », The American Economic Review , volume 46, numéro 2, 1956, pp. 97-113.

* 41 Pascal Quiry et Yann Le Fur, « Les grands groupes pétroliers doivent-ils réduire leurs dividendes ? », La lettre Vernimmen , n° 139, avril 2016.

* 42 Rapport n° 140 (2016-2017) de Maurice Vincent, fait au nom de la commission des finances et déposé le 24 novembre 2016, p.  34.

* 43 Réponses au questionnaire adressé à l'APE par votre rapporteur spécial.

* 44 Ibid .

* 45 Ibid .

* 46 Ibid.

* 47 Ibid .

* 48 Rapport relatif à l'État actionnaire 2015-2016, p. 33.

* 49 Rapport n° 140 (2016-2017) de Maurice Vincent, fait au nom de la commission des finances et déposé le 24 novembre 2016, pp. 9-10.

* 50 « Résultats annuels 2015 : PSA triple son résultat opérationnel courant et finalise sa reconstruction économique », communiqué de presse du mercredi 24 février 2016.

* 51 La Tribune , « PSA : Carlos Tavares offre une prime de 2.000 euros à ses salariés », 24 février 2016.

* 52 À partir de l'exercice 2016, une politique de distribution « en ligne avec celle du secteur » devrait néanmoins être présentée, d'après le communiqué précité.

* 53 « Questions et réponses : définition du free cash flow », Vernimmen.net, disponible en ligne.

* 54 EDF, Document de référence, Rapport financier annuel 2013, p. 201.

* 55 Cour des comptes, « La stratégie internationale d'EDF », rapport particulier, novembre 2015, p. 11.

* 56 Cour des comptes, « La stratégie internationale d'EDF », rapport particulier, novembre 2015, p. 7.

* 57 Compte rendu n° 71 de la commission des finances de l'Assemblée nationale, XIV e législature, mardi 6 mai 2014, p. 14.

* 58 Ibid ., p. 12.

* 59 Cour des comptes « L'État actionnaire : apport et limites de l'Agence des participations de l'État », 2008, p. 13.

* 60 Réponses au questionnaire adressé à l'APE par votre rapporteur spécial.

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