B. L'ENVIRONNEMENT ET L'ÉNERGIE

En matière d'énergie et d'environnement, la simplification du droit de l'Union européenne peut être obtenue pour des raisons et par des moyens très différents, selon que l'on considère l'énergie, la lutte contre le changement climatique ou la protection générale de l'environnement : pour l'énergie, la problématique dominante porte sur la notion de compétence partagée (1) ; l'accent mis de façon indiscriminée sur toutes les énergies renouvelables, en omettant la distinction fondée sur l'intermittence (2) ; la protection de l'environnement contre les pollutions chimiques donne parfois lieu à des interdits ou à des procédures excessives (3).

1. La Commission européenne tend à empiéter sur les compétences énergétiques des États membres

Le traité de Lisbonne (article 194) a introduit une nouvelle base juridique qui a habilité l'Union européenne dans le domaine de l'énergie sur trois points : assurer le bon fonctionnement du marché de l'énergie ; assurer la sécurité de l'approvisionnement énergétique ; promouvoir l'efficacité énergétique et l'interconnexion des réseaux. Ainsi, l'énergie fait partie des domaines de compétence partagée entre les États membres et l'Union. Bien que la détermination du mix énergétique soit une attribution incontestée des gouvernements, la Commission européenne éprouve manifestement des difficultés à contenir sa tendance à élargir subrepticement son champ d'attribution.

Trois exemples peuvent illustrer cette propension : les contrats d'achats gaziers (a) ; la coopération régionale entre États membres tendant à garantir l'approvisionnement en gaz, ainsi que les dispositions organisant la préparation aux risques dans le domaine de l'électricité (b) ; l'obligation uniforme d'interconnexions électriques indépendamment des besoins (c).

a) La surveillance des contrats liés au gaz pourrait conduire à une tutelle directe de la Commission européenne sur la politique énergétique des États membres

Le « paquet d'hiver », présenté le 16 février 2016, tend à mettre sous tutelle toute négociation d' accord intergouvernemental portant sur la fourniture de gaz par un grand État tiers, avec l'obligation d'associer la Commission européenne à des discussions diplomatiques ne relevant pourtant pas de ses attributions.

La procédure devrait s'appliquer même aux accords « non contraignants ».

La résolution européenne portant avis motivé, adoptée par notre commission le 24 mars 2016, avait observé que le dispositif ne respectait pas le principe de subsidiarité.

b) Les modalités de la « coopération régionale » en matière d'approvisionnement gazier ou de préparation au risque dans le secteur de l'électricité tendent à déposséder les États membres d'attributions capitales pour leur sécurité énergétique

Le même « paquet d'hiver » du 16 février 2016 tend également à imposer une coopération dite « régionale » entre États membres frontaliers les uns des autres, afin d'assurer leur approvisionnement gazier.

Par nature, la préoccupation n'est pas étrangère au concept d'Union de l'énergie, mais les modalités souhaitées par la Commission européenne vont très au-delà de ce que l'objectif en question peut justifier :

- la Commission européenne entend déterminer unilatéralement les « régions » pertinentes, indépendamment des structures de coopération déjà instituées à la satisfaction des États membres participants - comme « gas platform » associant la France, l'Allemagne et le Benelux -, la Commission européenne préférant créer un ensemble englobant le Portugal, l'Espagne, la France et le Benelux ;

- les nouveaux plans régionaux seraient purement et simplement substitués aux plans nationaux en vigueur, que ceux-ci soient ou non complétés par des accords avec certains États voisins ;

- enfin, la Commission européenne aurait le premier et le dernier mot sur le dispositif de solidarité !

Plus récemment publié, le second paquet d'hiver, dénommé « Énergie propre pour tous les Européens », ou « Énergie propre pour tous », comportait une proposition de règlement sur la préparation au risque dans le secteur de l'électricité.

La Commission européenne a motivé sa proposition par trois constats :

- l'intégration croissante des systèmes électriques nationaux amplifie l'effet transfrontalier d'une éventuelle crise électrique, ainsi que les conséquences transfrontalières de décisions prises par un État membre sur une base purement nationale ;

- l'évaluation réalisée par la Commission européenne des cadres juridiques nationaux actuels montre que les États membres évaluent les risques chacun à leur façon, qu'ils adoptent des mesures de prévention ou de gestion en fonction de critères propres, enfin qu'il n'y a pas de conception partagée quant à ce qu'est une situation de crise ni quant à ce qu'il faut faire lorsqu'elle survient ;

- le cadre juridique actuel du droit de l'Union - à savoir les directives 2005/89/CE et 2009/72/CE dont la première vise à garantir la sécurité de l'approvisionnement en électricité, la deuxième concernant les règles communes pour le marché intérieur de l'électricité - laisse aux États membres le soin d'atteindre les objectifs inscrits dans ces deux textes.

La Commission européenne estime en outre que des approches régionales permettraient d'obtenir des résultats plus efficaces et moins coûteux, sans étayer son affirmation.

Elle propose en conséquence d'édicter dans le corpus juridique de l'Union les règles que les États membres devront mettre en oeuvre, dans le cadre d'une coopération régionale à renforcer. Le nouveau dispositif a pour finalité de prévenir plus efficacement les crises et d'éviter des coupures inutiles ou disproportionnées.

La proposition de règlement comporte deux grandes familles de dispositions :

- des règles communes imposées aux États membres afin de prévenir les crises et de renforcer la coopération transfrontalière , par application d'une méthode arrêtée par l'Agence européenne de coopération des régulateurs de l'énergie (ACER), sur proposition du Réseau européen des gestionnaires des réseaux de transport d'électricité (ENTSO-E). La principale disposition consiste à élaborer des plans nationaux de préparation aux risques, soumis pour consultation aux autorités compétentes des autres États membres dans la région avant d'être transmis à la Commission européenne ;

- un cadre commun pour la gestion des situations de crise , la première étape étant l'information des États membres voisins et de la Commission dès lors qu'une crise est crainte à court terme ou constatée. Les mesures de gestion devraient être fondées sur les règles du marché interne d'électricité, toute mesure ne reposant pas sur cette base ne devant intervenir qu'en dernier recours et à titre temporaire, toujours sous réserve d'être proportionnée et non discriminatoire.

Cette proposition de règlement se rapporte à des situations rares, voire exceptionnelles, qui peuvent se propager entre États membres. À ce titre, une coordination de méthode au plan de l'Union n'est pas infondée. D'autre part, les acteurs principaux de l'intégration dans ce domaine politiquement sensible sont l'ENTSO-E et l'ACER, donc deux émanations des autorités nationales directement confrontées aux situations de crise.

Il reste que la philosophie du nouveau texte consiste à remplacer des objectifs communs, dont la réalisation est confiée aux seuls États membres, pour aboutir à un dispositif contraignant dans la façon d'atteindre lesdits objectifs.

c) L'obligation uniforme souhaitée par la Commission européenne en matière d'interconnexion des réseaux électriques néglige les besoins des États membres

Dans le cadre de l'Union de l'énergie, chaque État membre devra pouvoir transférer vers les pays voisins au moins 10 % de l'électricité produite par ses centrales . Placé en apparence sous le signe de la simplicité, ce critère n'échappe pas aux inconvénients du simplisme, puisqu'il néglige tout à la fois le coût des connexions à réaliser, ainsi que l'éventuelle déstabilisation des réseaux nationaux provoquée par l'arrivée massive d'énergie électrique ne correspondant à aucune demande locale.

L'exemple typique de dysfonctionnement induit par une règle inadaptée à force d'être uniforme et, pour tout dire, arbitraire : la liaison entre la France et l'Espagne, qui tend à reporter sur l'Hexagone les variations aléatoires induites en Espagne par l'ampleur des capacités de production électrique dépendant de sources intermittentes comme le vent ou l'ensoleillement. En effet, l'Espagne est le deuxième producteur européen d'électricité éolienne, celle-ci satisfaisant plus de 18 % de la consommation nationale avec un facteur de charge moyen avoisinant 25 % ; parallèlement, la production photovoltaïque assure plus de 3 % de la production nationale, avec un facteur de charge moyen de 20 %. Au total, ces deux sources intermittentes peuvent donc satisfaire 0 % à 85 % de la demande. En l'absence d'installation massive de stockage via des stations de transfert d'énergie par pompage (STEP) dans les Pyrénées, le réseau ibérique tire donc un grand profit du déversoir constitué par le réseau français...

Le droit de l'Union - et singulièrement la stratégie pour l'Union de l'énergie - ont-ils pour but d'exempter les États membres d'une politique énergétique cohérente ? Poser la question, c'est y répondre.

2. La lutte contre le changement climatique est instrumentalisée pour pousser abusivement à l'essor des énergies renouvelables, intermittentes ou non

Énergies renouvelables et filière nucléaire au sens large contribuent de façon équivalente à limiter les émissions de gaz carbonique (a) ; l'approche à long terme devrait placer ITER au coeur de la stratégie climatique pour le secteur de l'énergie (b).

a) L'Union privilégie abusivement les énergies renouvelables

Les hydrocarbures et le charbon sous toutes ses formes (houille et lignite) contribuent incontestablement aux émissions de gaz carbonique. Il est donc logique d'inciter à en réduire l'usage dans un but climatique. Les préoccupations sanitaires induites par la pollution de l'air au moyen de substances chimiques toxiques conduit à la même conclusion. Encore faut-il respecter les dispositions inscrites dans le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne 51 ( * ) .

En revanche, les centrales nucléaires n'émettent aucun gaz à effet de serre lorsqu'elles fonctionnent. Il en va de même pour les STEP fonctionnant en liaison avec la filière électronucléaire. Pourtant, la contribution de ces installations est explicitement ou implicitement négligée (au mieux) lorsqu'il est question de ralentir le réchauffement de l'atmosphère.

La transition énergétique a pour fondement la lutte contre le changement climatique, mais les dispositifs présentés en ce sens assimilent de façon abusive les énergies décarbonées aux sources renouvelables d'énergie, qui plus est en considérant avec beaucoup de détachement la répartition des compétences et les obligations de procédure gravées dans le marbre des traités.

Traité sur le fonctionnement de l'union européenne

Article 192

1. Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire et après consultation du Comité économique et social et du Comité des régions, décident des actions à entreprendre par l'Union en vue de réaliser les objectifs visés à l'article 191.

2. Par dérogation à la procédure de décision prévue au paragraphe 1 et sans préjudice de l'article 114, le Conseil statuant à l'unanimité conformément à une procédure législative spéciale, et après consultation du Parlement européen, du Comité économique et social et du Comité des régions, arrête :

a) des dispositions essentiellement de nature fiscale ;

b) les mesures affectant :

- l'aménagement du territoire ;

- la gestion quantitative des ressources hydrauliques ou touchant directement ou indirectement la disponibilité des dites ressources ;

- l'affectation des sols, à l'exception de la gestion des déchets ;

c) les mesures affectant sensiblement le choix d'un État membre entre différentes sources d'énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique.

Le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, du Comité économique et social et du Comité des régions, peut rendre la procédure législative ordinaire applicable aux domaines visés au premier alinéa.

3. Des programmes d'action à caractère général fixant les objectifs prioritaires à atteindre sont arrêtés par le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire et après consultation du Comité économique et social et du Comité des régions.

Les mesures nécessaires à la mise en oeuvre de ces programmes sont adoptées conformément aux conditions prévues au paragraphe 1 ou au paragraphe 2, selon les cas.

4. Sans préjudice de certaines mesures adoptées par l'Union, les États membres assurent le financement et l'exécution de la politique en matière d'environnement.

5. Sans préjudice du principe pollueur-payeur, lorsqu'une mesure fondée sur le paragraphe I implique des coûts jugés disproportionnés pour les pouvoirs publics d'un État membre, cette mesure prévoit les dispositions appropriées sous forme :

- de dérogations temporaires ;

et/ou

- d'un soutien financier du Fonds de cohésion créé conformément à l'article 177.

TITRE XXI

ÉNERGIE

Article 194

1. Dans le cadre de l'établissement ou du fonctionnement du marché intérieur et en tenant compte de l'exigence de préserver et d'améliorer l'environnement, la politique de l'Union dans le domaine de l'énergie vise, dans un esprit de solidarité entre les États membres :

a) à assurer le fonctionnement du marché de l'énergie ;

b) à assurer la sécurité de l'approvisionnement énergétique dans l'Union ;

c) à promouvoir l'efficacité énergétique et les économies d'énergie ainsi que le développement des énergies nouvelles et renouvelables ;

et

d) à promouvoir l'interconnexion des réseaux énergétiques.

2. Sans préjudice de l'application d'autres dispositions des traités, le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, établissent les mesures nécessaires pour atteindre les objectifs visés au paragraphe 1. Ces mesures sont adoptées après consultation du Comité économique et social et du Comité des régions.

Elles n'affectent pas le droit de l'État membre de déterminer les conditions d'exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d'énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique, sans préjudice de l'article 192, paragraphe 2, point c).

3. Par dérogation au paragraphe 2, le Conseil, statuant conformément à une procédure législative spéciale, à l'unanimité et après consultation du Parlement européen, établit les mesures qui y sont visées lorsqu'elles sont essentiellement de nature fiscale.

b) L'approche à long terme de la lutte contre le changement climatique fait l'impasse sur le projet ITER

L'Union européenne n'est pas étrangère à cette gigantesque recherche d'une source d'énergie nucléaire ne produisant quasiment pas de déchets radioactifs, mais les documents publiés par la Commission européenne paraissent l'ignorer avec superbe.

Il serait plus cohérent de proposer des stratégies énergétiques et climatiques devant conduire vers l'utilisation à grande échelle de la fusion nucléaire, source quasiment inépuisable d'énergie à bon marché qui devrait assurer l'essentiel des besoins à l'horizon d'un siècle.

C'est du long terme ? Oui, tout comme la politique climatique. Il serait donc parfaitement cohérent de ne pas l'oublier dans le cadre d'une démarche de développement durable.

3. La protection générale de l'environnement peut motiver des normes absurdes

Un exemple unique suffit amplement à illustrer cette dérive : la « tolérance » prononcée tous les cinq ans pour utiliser - pendant cinq ans - du plomb dans la fabrication du cristal.

Le sujet a été récemment traité par notre commission, sur le rapport de M. René Danesi 52 ( * ) .

Faisant suite à une directive de 2003, une directive du 8 juin 2011 a repris la limitation drastique imposée au recours à certaines substances dangereuses, notamment au plomb, dans la fabrication d'équipements électriques ou électroniques. Le but poursuivi était d'éviter la pollution des sols et des nappes phréatiques lorsque ces équipements aboutissent dans des décharges. Considérant que les lustres en cristal peuvent être assimilés à des systèmes électriques sous le prétexte que des fils électriques et des ampoules sont fixés sur ces lustres, le législateur européen a jugé opportun de prononcer une interdiction de principe quant à l'utilisation du plomb dans le cristal assortie d'une réserve de dérogation pendant cinq ans, reconductible pour cinq ans sans limitation du nombre de reconductions !

Les objections à ce dispositif curieux ne manquent pas de force et restent inchangées : les lustres en cristal sont particulièrement rares dans les décharges ; en tout état de cause, le plomb utilisé pour fabriquer le cristal reste prisonnier de celui-ci même dans les rares cas où des morceaux de cristal sont jetés « dans la nature ». Pourtant, le dossier scientifique est réexaminé tous les cinq ans, toujours avec le même résultat, parfaitement prévisible puisque la chimie du plomb et du verre ne change pas.

Protéger l'environnement trouve incontestablement son plein épanouissement à grande échelle, mais introduire à son propos des limitations et des procédures excessives donne tout aussi incontestablement l'occasion de simplifier le droit de l'Union tout en confortant le projet européen.


* 51 La combinaison des articles 192 et 194 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) autorise l'Union à empiéter sur cette attribution des États, mais à l'unanimité des États membres, par une procédure législative spéciale. Les prescriptions portant sur le bouquet énergétique font fi à la fois des attributions énergétiques des États membres et de la « procédure spéciale » indispensable en pareille circonstance.

* 52 Lors de sa séance du 17 mars 2016, la commission des affaires européennes a adopté sur ce sujet la proposition de résolution européenne proposée par M. René Danesi.

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