B. UNE ÉVOLUTION DE LA PRISE EN CHARGE MÉDICALE DES PERSONNES « INTERSEXES » EN FAVEUR DE L'INFORMATION ET DE L'ACCOMPAGNEMENT DES PATIENTS

1. Des pratiques influencées par une prise de conscience progressive des limites des opérations précoces systématiques

À travers les différentes auditions réalisées, les co-rapporteures ont le sentiment que l'on peut distinguer deux types de situations entre les pratiques actuelles et celles du passé .

Une époque que l'on espère révolue, marquée par une opacité certaine et de nombreux tabous. Les personnes concernées, notamment parmi celles qui se sont exprimées au cours de la table ronde du 12 mai 2016, ressentent une colère légitime, car elles ont été privées de la vérité et ont l'impression d'avoir été prises pour des objets d'expérimentation.

Aujourd'hui, les pratiques médicales ont évolué de façon positive, et on constate une volonté d'information, de préparation et d'accompagnement au profit des patients et de leurs familles, ce qui facilite l'acceptation de la maladie. Là où le silence a été cause de souffrances et de difficultés, la parole aujourd'hui est plus apaisante .

Cette évolution tient à plusieurs facteurs : une prise de conscience de l'échec de la « théorie de Money », les progrès de la médecine et l'amélioration de la relation patients/médecins à travers une transparence accrue.

Néanmoins, des interrogations se posent toujours sur la temporalité des opérations - faut-il intervenir en urgence ? - et sur leur nécessité.

a) Le changement d'attitude du corps médical

Comme l'a indiqué de façon très claire le professeur Mouriquand au cours de son audition, le 25 mai 2016, le corps médical a pris conscience des problèmes éthiques soulevés par les opérations systématiques, à l'occasion d'une affaire tragique qui a marqué l'échec de la « théorie de Money » .

L'affaire Joan/John ou l'échec de la « théorie de Money »

« Au début des années 2000, aux États-Unis, l'affaire « »Joan/John » a probablement été l'un des événements déclencheurs dans le changement d'attitude du corps médical : lors d'une circoncision, à cause d'une erreur médicale, un bébé de huit mois a été amputé de son pénis. John Money, psychologue et sexologue, convaincu que l'identité sexuelle d'un enfant était déterminée par la manière dont on l'élève et non par la biologie, les chromosomes et les hormones, a convaincu les parents que leur fils, dès qu'il aurait été opéré, deviendrait pleinement une fille. L'enfant « John », après avoir subi une castration et une chirurgie génitale, est devenu « Joan ». Habillée de vêtements féminins, cette enfant a vécu pendant douze ans dans un environnement social, mental et hormonal destiné à ancrer sa transformation physique dans sa psyché.

« Or, cela a été observé, pendant son enfance, Joan était agressive, mal dans sa peau ; elle n'avait pas d'amis, ne voulait pas jouer avec des poupées et affirmait qu'elle était un garçon. En grandissant, son corps est devenu très masculin, tout comme sa voix . Lorsqu'elle a eu quatorze ans, un médecin a conseillé à ses parents de lui révéler la vérité . Elle a aussitôt demandé à être opérée pour redevenir un garçon, a subi toute une série d'opérations délicates pour faire coïncider son organisme avec son identité . Toutefois, ces opérations ne pouvaient pas lui permettre d'avoir des enfants. John est resté très marqué par la torture psychologique qu'a représentée pour lui l'obligation de vivre dans un corps qu'il ne ressentait pas comme étant le sien . Il s'est suicidé en 2004, à l'âge de 38  ans . Cette histoire est l'un des événements importants qui sont à l'origine de cette fameuse conférence de Chicago. Toutes les spécialités médicales y étaient représentées, y compris les psychologues, les psychiatres et les associations. »

Source : compte rendu de l'audition du professeur Mouriquand, le 25 mai 201 6

Selon Philippe Reigné, juriste, professeur du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), les échecs de Money « montrent que ni les caractéristiques génitales, ni l'attribution d'un rôle social ne déterminent nécessairement l'identité de genre d'un être humain . Il est maintenant recommandé, selon la Haute Autorité de Santé (HAS), d'attendre que l'identité de genre des enfants intersexués se développe avant de recourir à une chirurgie arbitraire irréversible. » 68 ( * )

b) L'évolution des pratiques médicales et de la relation patients-médecins
(1) Les progrès de la médecine avec l'apport du diagnostic prénatal et des examens génétiques

Comme l'a souligné Claire Nihoul-Fékété, chirurgien pédiatrique, professeure émérite de chirurgie infantile et membre du CCNE de 1994 à 1999, on a pu constater une importante évolution au cours des trente dernières années en ce qui concerne la prise en charge des enfants dits « intersexes », liée aux progrès réalisés par la médecine . Aujourd'hui, un diagnostic prénatal est possible, grâce aux échographies de plus en plus précises, mais cela n'était pas le cas par le passé 69 ( * ) .

On mesure tout l'intérêt de cette évolution dans la mesure où, selon Sylvaine Telesfort, présidente de l' Association Maison Intersexualité et Hermaphrodisme Europe ( Amihe ), « une pathologie intersexes est avant tout un dossier médical de maladie rare. Il peut s'agir d'une mutation génétique simple ou d'une intrication de maladie rare, ce qui rend le diagnostic difficile. De nos jours, on procède de moins en moins à ces opérations. En effet, la génétique a fait des progrès fulgurants depuis quelques années. Les chirurgiens ne sont plus les seuls « maîtres à bord » pour décider du bien-fondé d'une opération. Les équipes médicales disposent aujourd'hui d'importants moyens d'exploration qui leur permettent de poser rapidement un diagnostic précis de la pathologie, particulièrement si l'on soupçonne une maladie rare . Face à un cas d'intersexes, c'est l'ADN qui sera analysé, avec l'espoir de comprendre les mutations génétiques dont est victime l'enfant concerné. Chaque personne intersexes est spécifique et le diagnostic est donc strictement individuel » 70 ( * ) .

Claire Nihoul-Fékété, professeure émérite de chirurgie infantile, a également souligné l'importance du diagnostic prénatal précoce . Par exemple, selon elle, lorsqu'une hyperplasie congénitale des surrénales est bien diagnostiquée et bien traitée, on constate une évolution satisfaisante des patient-e-s, même au prix d'un traitement à vie.

Au cours de l'audition du 25 mai 2016, Claudine Colin, présidente de l'association Surrénales , a elle aussi insisté sur l'intérêt du diagnostic précoce , en rappelant que le dépistage à la naissance de cette maladie est généralisé depuis 1996.

Enfin, Claire Bouvattier, endocrinologue, au cours de la même audition, a mis en avant la fréquence, voire le caractère désormais systématique, des examens génétiques, en rappelant que le diagnostic est posé « par un examen génétique qui sera de toute façon effectué à la vue des anomalies physiques présentées par l'enfant. En France, le diagnostic se fait chez le nourrisson, grâce à l'examen avant la sortie de la maternité. » 71 ( * )

(2) Une transparence accrue

Divers facteurs ont convergé vers une transparence accrue et une meilleure information des intéressés.

(a) Un impact positif des réseaux sociaux et d'Internet en général

Le développement d'Internet et des réseaux sociaux a permis de créer une communauté de parents qui peuvent échanger à propos des maladies de leurs enfants.

C'est ce qu'a indiqué Claudine Colin, présidente de l'association Surrénales, au cours de son audition du 25 mai 2016 : « Je peux témoigner qu'il y a eu une énorme évolution des relations entre les médecins et les patients . Aujourd'hui, les patients exigent plus d'explications et n'hésitent pas à reposer plusieurs fois une question à laquelle le médecin n'a pas répondu. De la même façon, si la relation avec le médecin ne les satisfait pas, les patients et leurs familles n'ont aucune difficulté à changer de praticien. Les réseaux sociaux et Internet ont beaucoup contribué à cette évolution . »

Elle a mentionné à titre d'exemple la création d'un groupe de discussion Facebook sur l'hyperplasie congénitale des surrénales.

De même, Nadine Coquet, au cours de la table ronde du 12 mai 2016, a évoqué Internet comme la source d'information lui ayant permis de comprendre qu'elle était une personne « intersexes ».

(b) La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades

La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a apporté une plus grande transparence dans la relation entre les médecins et leurs patients , en instaurant le droit du malade à accéder à son dossier médical , défini à l'article L. 1111-7 du code de la santé publique.

Article L. 1111-7 du code de la santé publique

« Toute personne a accès à l'ensemble des informations concernant sa santé détenues, à quelque titre que ce soit, par des professionnels et établissements de santé , qui sont formalisées ou ont fait l'objet d'échanges écrits entre professionnels de santé, notamment des résultats d'examen, comptes rendus de consultation, d'intervention, d'exploration ou d'hospitalisation, des protocoles et prescriptions thérapeutiques mis en oeuvre, feuilles de surveillance, correspondances entre professionnels de santé, à l'exception des informations mentionnant qu'elles ont été recueillies auprès de tiers n'intervenant pas dans la prise en charge thérapeutique ou concernant un tel tiers .

« Elle peut accéder à ces informations directement ou par l'intermédiaire d'un médecin qu'elle désigne et en obtenir communication, dans des conditions définies par voie réglementaire au plus tard dans les huit jours suivant sa demande et au plus tôt après qu'un délai de réflexion de quarante-huit heures aura été observé (...).

« Sous réserve de l'opposition prévue aux articles L. 1111-5 et L. 1111-5-1, dans le cas d'une personne mineure, le droit d'accès est exercé par le ou les titulaires de l'autorité parentale. À la demande du mineur, cet accès a lieu par l'intermédiaire d'un médecin (...).

« La consultation sur place des informations est gratuite . Lorsque le demandeur souhaite la délivrance de copies, quel qu'en soit le support, les frais laissés à sa charge ne peuvent excéder le coût de la reproduction et, le cas échéant, de l'envoi des documents ».

Sur ce point, il convient de souligner que, comme l'indiquent les réponses adressées par le ministère de la Santé aux co-rapporteures, « Certaines pratiques médicales qui notamment ne respectent pas le droit à l'information, rapportées lors de la table ronde du 12 mai 2016 au Sénat, témoignent de pratiques désormais obsolètes et contraires à nos textes, et ne reflètent pas l'évolution en cours . La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des patients et à la qualité du système de santé a consacré, dans la suite de la loi relative au respect du corps humain et des lois bioéthiques de 1994, le principe du consentement « libre et éclairé » et établit le droit à l'information des patients comme préalable indispensable à tout consentement. » 72 ( * )

On peut donc penser que le problème de l'accès aux dossiers médicaux , mentionné par plusieurs représentants des personnes « intersexes » au cours de la table ronde du 12 mai 2016, concernait spécifiquement une certaine catégorie d'âge , notamment les personnes opérées jusque dans les années 1980, mais que cette question ne se pose plus dans les mêmes termes aujourd'hui.

(c) Une parole bénéfique qui a permis une remise en question de la part du corps médical

Les différentes auditions menées par les co-rapporteures ont aussi révélé l'importance de la parole pour permettre de faire évoluer les pratiques . En effet, c'est à travers la prise de parole des personnes « intersexes » que les questions relatives à leur statut et à leur prise en charge médicale ont émergé, ce qui a permis une remise en question, par le corps médical, de ses pratiques et l'évolution de celles-ci .

Mathieu Le Mentec a rappelé que « La question des intersexes n'est apparue sur la scène sociale que depuis le milieu des années 1990, alors que les opérations étaient systématiques depuis les années 1960/1970, car c'est une vraie bataille pour accéder à une parole libre. » 73 ( * )

Selon Claire Bouvattier , endocrinologue , «Si les patients d'il y a vingt-cinq ans n'avaient pas pris la parole et ouvert ce débat, nous n'aurions pas évolué. S'ils n'avaient pas été capables d'exprimer leurs souffrances, s'ils ne nous avaient pas - parfois rudement - interpellés, nous serions-nous posé des questions ? Ce débat est donc positif. » 74 ( * )

Le professeur Mouriquand a également mis en avant le caractère cathartique de la prise de parole des personnes « intersexes », qui a abouti à une prise en charge beaucoup plus collégiale au niveau médical : « Je suis tout à fait d'accord, cette prise de parole, aussi dure qu'elle soit, a un effet positif. Nous ne pourrons pas continuer ce type d'approche du diagnostic et de la thérapeutique à mettre en oeuvre sans nous entourer d'un collège de personnes - psychiatres, juristes, etc. » 75 ( * )

Pour autant, Laurence Brunet, juriste du Centre d'éthique clinique de l'hôpital Cochin, a rappelé que l'évolution des pratiques n'est pas encore généralisée à l'ensemble du corps médical : « Certains professionnels et hôpitaux sont effectivement très ouverts à la discussion pour faire évoluer les pratiques médicales et les approches thérapeutiques. (...) Lorsque j'entends la réalité de ce qui existe encore aujourd'hui, je conçois tout à fait que les militants intersexes ne puissent pas entendre cet argument du « contexte du moment », puisque ce moment est toujours d'actualité dans certaines équipes médicales qui ne sont pas toutes ouvertes à la discussion et favorables au changement . » 76 ( * )

(d) Une certaine prise de conscience et une relative amélioration de la visibilité des personnes « intersexes »

Conséquence de la prise de parole des personnes « intersexes », la prise de conscience de leur existence a progressé . Claire Nihoul-Fékété, chirurgien pédiatrique, professeure émérite de chirurgie infantile et membre du CCNE de 1994 à 1999, a estimé que des personnes « intersexes » avaient pu être considérées comme des « monstres », mais que cette attitude lui semblait appartenir au passé.

La question « intersexes » est donc actuellement moins taboue, et fait d'ailleurs l'objet d'une visibilité accrue, à travers des créations littéraires 77 ( * ) , des thèses en médecine ou sciences humaines 78 ( * ) , voire le travail de certains artistes 79 ( * ) .

Par ailleurs, les co-rapporteures notent avec intérêt que, depuis juin 2015, dans le cadre du festival du cinéma des minorités de Douarnenez , l'Organisation internationale des Intersexes ( OII ) accueille des personnes « intersexes » du monde entier , ainsi que des juristes, des médecins, des sociologues et le représentant du commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe. Le festival de Douarnenez, qui reçoit plus de 10 000  visiteurs chaque année, est ainsi l'occasion pour des personnes et des militants « intersexes » de différents continents de se rencontrer, de partager leurs expériences, d'élaborer de nouvelles stratégies de sensibilisation et de trouver des soutiens.

2. Une information plus complète et transparente et un meilleur accompagnement des patients et de leurs familles
a) Des patients mieux informés sur les traitements envisageables et mieux accompagnés dans leurs démarches médicales

Dans le droit fil des évolutions précédemment mentionnées, on constate aujourd'hui une meilleure prise en charge des personnes concernées par les variations du développement sexuel et de leurs familles, qu'il s'agisse de l'information ou de l'accompagnement.

C'est ce qui ressort notamment du témoignage des représentantes de l'association Surrénales , entendues le 19 octobre 2016, qui ont insisté sur la bonne information, la qualité de l'accueil et la disponibilité des médecins dont elles ont pu bénéficier , en opposant les pratiques actuelles à celles d'un passé que l'on espère révolu.

Selon Claudine Colin, présidente de l'association, « l'information qui nous a été faite était bonne, même si elle n'a évidemment rien à voir avec celle qui peut être donnée aujourd'hui ». Ce témoignage laisse supposer un progrès constant en faveur de l'information des familles et du dialogue avec les médecins, que l'on ne peut que saluer.

Mme D. a exprimé le même ressenti, soulignant que la décision d'opérer sa fille atteinte d'hyperplasie congénitale des surrénales ne lui avait pas été imposée, et qu'elle avait été bien informée : « On nous a expliqué qu'il y aurait une opération si nous étions d'accord. Nous avions le choix, nous ne nous sommes jamais sentis obligés de le faire . » Ainsi, selon elle, « Les témoignages négatifs que l'on rencontre sur les forums Internet concernent plutôt des personnes des générations précédentes. Les pratiques que ces personnes mettent en cause n'ont rien à voir, il me semble, avec celles d'aujourd'hui. » 80 ( * )

Ce discours contraste avec celui des personnes entendues au cours de la table ronde du 12 mai 2016.

En outre, le docteur Claire Bouvattier, endocrinologue, a valorisé lors de l'audition du 25 mai 2016 le rôle des centres de protection maternelle et infantile (PMI) en ce qui concerne l'information susceptible d'être apportée aux parents : « En France, les parents demandent un examen dès qu'ils soupçonnent - ou constatent - un développement de leur enfant qui leur semble anormal. Les centres de protection maternelle et infantile (PMI) peuvent aider les parents dans leur recherche des services médicaux appropriés. » 81 ( * )

b) L'hypothèse des traitements hormonaux

Il peut exister des solutions alternatives aux opérations . Ainsi, le professeur Mouriquand a évoqué les traitements hormonaux auxquels il peut être recouru pour éviter une opération, tout en soulignant que dans certains cas, le traitement hormonal reste insuffisant : « Quelles sont les alternatives à la chirurgie ? Un traitement hormonal bien administré peut permettre d'éviter certaines chirurgies - celle visant par exemple à la réduction de la taille du clitoris. Mais un traitement hormonal ne peut en aucun cas remplacer une opération visant à ouvrir le vagin sur le périnée. »

Plusieurs personnes entendues par les co-rapporteures ont également souligné la possibilité pour les mères enceintes d'une fille atteinte d'une hyperplasie congénitale des surrénales de prendre un traitement hormonal au cours de la grossesse , non sans en mentionner les effets secondaires.

D'après le professeur Mouriquand, « Pour éviter la chirurgie, lorsque l'on prescrit un traitement hormonal, lors de sa grossesse, à une femme qui porte une fille atteinte d'une HCS, il est possible de réduire considérablement la virilisation de l'enfant. Ce traitement est très controversé car les effets secondaires peuvent être sérieux , non seulement chez la mère, mais également chez l'enfant. C'est la raison pour laquelle certains pays comme la Suède et les États-Unis ont abandonné ces traitements hormonaux. » Les co-rapporteures notent cependant que ce n'est pas le cas en France.

Le docteur Bouvattier, endocrinologue, a indiqué que « La consigne officielle est l'abandon de ces traitements hormonaux sauf si les parents, par l'intermédiaire d'un centre de référence par exemple, sont parfaitement informés sur les risques encourus. Certains gynécologues en prescrivent également. » 82 ( * )

Au cours de son témoignage, Mme D., mère d'une petite fille atteinte d'une hyperplasie congénitale des surrénales, a indiqué avoir suivi un traitement à la dexaméthasone pendant sa seconde grossesse, tout en ayant pleinement connaissance des risques liés aux effets secondaires de ce traitement.

c) L'hypothèse des opérations

Les auditions réalisées ont permis de faire apparaître une évolution des pratiques médicales, s'agissant des opérations, dans le sens d'une plus grande collégialité , ainsi qu'une plus grande implication des patients dans leurs parcours thérapeutiques.

Selon le professeur Mouriquand, « Aucun praticien ne décide plus, aujourd'hui, seul, des moyens à mettre en oeuvre (...). C'est à l'issue de réunions nationales fréquentes réunissant des psychologues, des pédopsychiatres, des chirurgiens, des endocrinologues, des généticiens, des biologistes, de imageurs, que nous procédons à la synthèse de chaque situation. »

Par ailleurs, il a mis en exergue le fait que « Le corps médical ne prend plus aujourd'hui de décision contre l'avis des parents », lesquels ont désormais un « rôle prioritaire ».

Il a, à cet égard, rappelé la position retenue par le corps médical à l'égard des opérations des enfants « intersexes » qui, lorsqu'elles sont indiquées, consistent à ne pas intervenir de manière trop précoce, afin de laisser à l'enfant l'opportunité de participer à la décision lorsque cela est possible : « À sa naissance, l'enfant ne peut par définition participer à la discussion concernant sa situation. Lorsqu'il est possible d'attendre pour permettre à l'enfant de prendre une décision, il est évident que nous préférons pouvoir l'associer. »

Cela se comprend d'autant mieux que ces opérations « étaient, et sont encore en majorité, irréversibles. » Dès lors, « cela pose des problèmes si le sujet n'a pas été consulté et n'a pas donné son consentement. »

À cette occasion, il a également reconnu que cette position n'a pas toujours été la règle, comme l'ont dénoncé les représentants des personnes « intersexes » au cours de la table ronde du 12 mai 2016 : « Je suis cependant suffisamment âgé pour avoir connu une période où les choses ne se passaient pas de cette façon, ce qui est sans doute à l'origine d'une grande partie des remarques. »

De surcroît, le professeur Mouriquand a insisté sur la précision beaucoup plus grande des informations et des explications qui sont aujourd'hui apportées aux patients et à leurs familles , notamment dans le cadre du Centre de références des maladies rares (CRMR) en charge des variations du développement sexuel : « Nous sommes désormais beaucoup plus précis dans les explications que nous donnons aux parents, que ce soit sur le diagnostic ou sur le traitement. Nous avons mis en place au CHU de Lyon un conseil d'éthique pédiatrique - composé notamment de juristes, de psychiatres, de religieux. Ce conseil d'éthique rencontre les parents autant de fois que nécessaire de manière à ce qu'ils comprennent les « troubles » ressentis par les médecins . Il me semble que nous avons perdu une certaine arrogance au profit de l'expression de nos doutes. » 83 ( * )

d) Une réflexion obligatoire sur la nécessité et la temporalité des opérations pour permettre le consentement éclairé de la personne lorsque cela est possible

Bien que les pratiques médicales aient favorablement évolué ces dernières années, il existe encore des positions différentes sur la nécessité, et surtout, sur la temporalité des opérations réalisées sur les personnes « intersexes » .

Les co-rapporteures constatent à cet égard des points de vue presque irréconciliables entre celui de l' Organisation internationale des intersexes ( OII ), qui proscrit toute opération précoce lorsque le pronostic vital n'est pas engagé et quand le consentement des intéressé-e-s ne peut être recueilli, et celui des médecins ou des représentant-e-s de l'association Surrénales , qui plaident au contraire pour des interventions précoces, avec le consentement des parents.

(1) La question de la nécessité des opérations

Le professeur Mouriquand a exposé les raisons invoquées par le corps médical pour opérer les enfants présentant des variations du développement sexuel . Elles sont, selon lui, de deux ordres.

D'une part, elles répondent à une nécessité médicale ; d'autre part, elles revêtent une importante portée psychologique : « Nous essayons de reconstruire les organes génitaux externes pour permettre au patient d'avoir des rapports sexuels et de faciliter la reproduction (...). Un certain nombre de ces enfants présentent des problèmes urologiques liés à l'anatomie de leurs organes génitaux externes. Les infections urinaires successives accompagnées de fièvre peuvent détruire leur fonction rénale : le risque médical est important. Cette chirurgie n'est pas que « cosmétique » . Elle vise à éviter, au moment de la puberté, les rétentions liquidiennes dans l'utérus et le vagin, à éviter la virilisation tardive chez le garçon élevé en fille et, à l'inverse, à éviter le développement de seins chez l'individu élevé en garçon. Nous travaillons aussi, par le biais de ces opérations, à réduire les cancers des gonades qui sont la cause de trop de décès chez les enfants. Ces opérations visent également à favoriser la construction identitaire : je pense qu'il est important pour un enfant de pouvoir s'identifier au monde qui l'entoure . La majorité des consultations dans mon service sont motivées par la volonté des parents d'éviter la stigmatisation de leur enfant (...). Nous pensons également aux parents et à leur souhait, très légitime, que leur enfant vive dans les meilleures conditions possibles au sein de la société qui est la nôtre. »

En outre, au cours de l'audition de l'association Surrénales , le 19 octobre 2016, Mme D. a souligné le caractère nécessaire de l'opération pour sa fille, atteinte d'hyperplasie congénitale des surrénales : « Il était inenvisageable que ma fille soit sous antibiotiques pendant quinze ans. L'opération allait de soi. »

De même, Mme C. a jugé positif d'avoir été opérée le plus tôt possible dans le cadre d'une hyperplasie congénitale des surrénales (HCS) : « Je n'ai jamais reproché à mes parents de m'avoir fait opérer. » 84 ( * )

Pour autant, Claire Nihoul-Fékété, chirurgien pédiatrique, professeure émérite de chirurgie infantile et membre du CCNE de 1994 à 1999, a estimé que, en dehors des cas d'hyperplasie congénitale des surrénales, les opérations des variations du développement sexuel pratiquées sur des nouveau-nés sont des interventions non vitales qui comportent des risques ; il reste en effet toujours dangereux d'opérer un bébé, même s'il est en bonne santé.

(2) La question de la temporalité des opérations et de l'appréciation de l'urgence : le cas particulier des hyperplasies congénitales des surrénales

Le professeur Mouriquand a présenté avec une grande précision, lors de son audition, le 25 mai 2016, les raisons médicales qui peuvent justifier une opération précoce plutôt qu'un report de l'intervention à l'adolescence ou à l'âge adulte . Il a souligné que chez l'enfant post-pubère et chez l'adulte, les pertes sanguines et le risque infectieux sont beaucoup plus importants.

Toutefois, il a également reconnu que cela pose un problème au regard du consentement de la personne : « L'intervention précoce présente l'avantage de la disponibilité des tissus et du climat hormonal de l'enfant (...). D'après ce que nous disent nos psychologues et nos psychiatres, l'impact psychologique d'une intervention chez le bébé est probablement moindre que chez une adolescente au moment de sa puberté (...). Les interventions qui sont décidées à un âge plus avancé permettent de recueillir le consentement de l'individu . C'est un avantage évident. Mais la chirurgie à l'âge de la puberté est beaucoup plus lourde, beaucoup plus complexe, et présente beaucoup plus de risques (hémorragies, infections) . Les médecins ne disposent pas de la même magnitude de chirurgie lors d'une intervention sur un adolescent ou une adolescente que lors d'une intervention sur un nourrisson (...). Nous le savons tous, l'adolescence n'est pas une étape très simple de la vie ; si l'on y ajoute des interventions chirurgicales susceptibles d'entraîner des suites opératoires pénibles, l'impact psychologique peut être très sérieux. » 85 ( * )

À travers les témoignages recueillis au cours de leurs auditions, les co-rapporteures ont le sentiment que les situations d'hyperplasie congénitales des surrénales demeurent des cas à part, à distinguer des autres anomalies du développement génital.

Claire Nihoul-Fékété, chirurgien pédiatrique, professeure émérite de chirurgie infantile et membre du CCNE de 1994 à 1999, recommande ainsi d'opérer le plus tôt possible dans le cas des hyperplasies congénitales des surrénales, l'intervention s'avérant très importante pour « convaincre » les parents que leur enfant est bel et bien une fille , même si cela n'apparaît pas évident quand on regarde les organes génitaux extérieurs. Elle a souligné à cet égard que le bien-être de ces patients dépendra en grande partie de la réaction des parents et de la précocité de la prise en charge de la maladie. Selon elle, moins la maladie aura le temps d'agir, meilleure sera l'évolution psychologique de l'enfant .

Cette appréciation rejoint celle, plus subjective, de Mme C., qui s'est déclarée « convaincue qu'il faut opérer le plus tôt possible pour n'en avoir aucun souvenir et pouvoir se construire. » Comme l'a précisé sa mère, Claudine Colin, présidente de l'association Surrénales , « Ma fille est née en 1983. Elle a été opérée à l'âge de deux ans et demi. À l'époque, les chirurgiens opéraient entre deux et trois ans, car ils craignaient l'impact psychologique de l'opération sur des enfants de plus de trois ans. » 86 ( * )

En outre, le professeur Mouriquand a mentionné des publications récentes relatives à la chirurgie des personnes atteintes d'hyperplasie congénitale des surrénales qui feraient état d'un ressenti plutôt positif des patients en cas d'intervention précoce : « Les publications récentes sur le sujet de la chirurgie précoce font état, pour les patients atteints de ces pathologies ayant subi à la fois des interventions précoces et à l'âge adulte, d'une très nette préférence pour les interventions précoces . C'est le cas, par exemple, des patients présentant une hyperplasie congénitale des surrénales (HCS) . Ces résultats concernent le nord des États-Unis, l'Europe du Nord et la France. Dans mon service du CHU de Lyon, nous voyons aujourd'hui des patients devenus adultes qui ont été opérés pour des HCS. Nous leur demandons leur sentiment et leur ressenti sur le choix qui a été fait de les opérer alors qu'ils étaient encore petits. Dans une très grande majorité, ces patients disent qu'il est préférable d'opérer tôt. Nous ne sommes pas opposés à évoluer, mais il faut faire preuve de prudence face à des positions qui sont rigoureusement contradictoires. » 87 ( * )

En revanche, dans les autres cas de variations du développement sexuel, le caractère précoce des opérations est beaucoup moins consensuel . La professeure Claire Nihoul-Fékété estime ainsi que dans toutes les situations autres que l'hyperplasie congénitale des surrénales (HCS), les opérations ne permettront jamais d'atteindre un résultat totalement satisfaisant pour les patients et note que beaucoup d'entre eux seront stériles.

De surcroît, elle a rappelé que, à partir du milieu des années 1980, les médecins n'opéraient plus systématiquement les nouveau-nés. Elle a insisté sur le fait que ce sont surtout les parents qui demandaient à ce que l'on opère leur enfant, soulignant que leur détresse les conduisait parfois à choisir l'opération .

Sur ce point, elle rejoint le témoignage du professeur Mouriquand, qui a évoqué « une certaine pression des parents » pour opérer leur enfant présentant une variation du développement sexuel.

Selon la professeure Claire Nihoul-Fékété, des associations américaines représentant les personnes « intersexes » ont considéré à cet égard que les médecins ont parfois fait primer l'intérêt des parents sur celui des enfants.

Il est par ailleurs difficile de comparer les situations respectives des personnes ayant été opérées dans l'enfance et celles opérées à l'âge adulte . Sur ce point, Laurence Brunet, juriste au Centre d'éthique clinique de l'hôpital Cochin, a jugé compliqué « qu'une personne opérée à un âge très jeune puisse, vingt ans après, répondre qu'elle regrette d'avoir été opérée. Il faudrait qu'elle avoue ne pas être satisfaite de sa condition. » 88 ( * )

De surcroît, au cours de la même audition, Claire Bouvattier, endocrinologue, a souligné l'absence de données sur les patients opérés à l'âge adulte , faute de cohorte de cette catégorie de patients.

e) La prise en charge des patients et leur suivi par des équipes pluridisciplinaires et l'accompagnement des familles : l'approche du ministère de la Santé

Si l'évolution de la prise en charge médicale des personnes « intersexes » a évolué favorablement depuis la fin des années 1990, il reste cependant encore des progrès à réaliser pour garantir une approche collégiale dans le traitement de chaque dossier et pour améliorer l'accompagnement des familles ainsi que le suivi des patients .

Interrogée par les co-rapporteures sur l'action menée pour améliorer la situation médicale des personnes « intersexes », la Direction générale de la santé a estimé que l'approche générale du ministère de la Santé repose sur l'idée d'éviter les interventions précoces lorsqu'elles ne sont pas vitales et de renforcer l'accompagnement offert aux parents : « Le principe de ne pas réaliser d'interventions précocement quand elles ne sont pas indispensables , d'apporter un soutien psychologique et d'attendre que l'enfant acquière un niveau de maturité permettant l'expression de son choix est aujourd'hui partagé par les professionnels. Il doit permettre d'améliorer la situation médicale et psychologique des personnes concernées.

« La définition de règles de bonne pratique fait partie des moyens permettant une amélioration de la prise en charge des patients . Étant donné la diversité des maladies dans le domaine des anomalies du développement génital (ADG) et surtout l 'absence de consensus professionnel pour certaines prises en charge , de telles recommandations peuvent être difficiles à établir. Il peut s'agir cependant d'une des missions des centres de références, avec l'aide de la filière de santé correspondante.

« La mise en place de travaux de recherche clinique et en sciences humaines et sociales, et de bases de données contribue à mieux faire connaître les besoins des patients et de leurs familles, et les résultats des prises en charge.

« L'information sur l'offre de soins et l'orientation en matière de maladies rares doit être renforcée pour que les personnes malades bénéficient de l'expertise des centres de références . La préparation du troisième Plan [Maladies rares] aborde en particulier ces questions. » 89 ( * )

Pour autant, les co-rapporteures prennent acte que le futur plan ne devrait pas contenir un volet spécifique aux variations du développement sexuel : « Ce plan, en préparation, couvrira, comme les deux précédents, l'ensemble des maladies rares, sans volet spécifique pour telle ou telle maladie . »

Il semblerait pertinent que le troisième Plan national « Maladies rares » soit l'occasion de marquer des avancées pour renforcer la connaissance statistique des personnes atteintes de variations du développement sexuel et améliorer leur prise en charge médicale à travers l'élaboration d'un protocole de soins . Sans doute une conférence de consensus pluridisciplinaire devrait-elle être organisée au préalable pour faciliter la rédaction d'un tel document.

Le rapport reviendra sur ce point et la délégation formulera une recommandation à cet égard.

f) Le rôle du Centre de références des maladies rares dans la prise en charge pluridisciplinaire des patients

La prise en charge multidisciplinaire des patients présentant une variation du développement sexuel se fait aujourd'hui au niveau d'un Centre de références des maladies rares (CRMR) dédié, dont le ministère de la Santé ambitionne de renforcer le maillage territorial , dans le cadre du troisième Plan national « Maladies rares ».

Comme l'a indiqué la Direction générale de la santé en réponse au questionnaire des co-rapporteures, « La prise en charge multidisciplinaire est assurée dans le centre de références maladies rares. Les anomalies du développement génital, comme les autres maladies rares, justifient des expertises complémentaires du fait de la rareté et de la complexité des cas pris en charge. L'expertise multidisciplinaire est une de leurs missions de base. La complémentarité urologique et endocrinologique assurée par le Centre de références des maladies rares (CRMR) en charge des anomalies du développement génital (ADG) en est l'exemple même, elle est complétée en tant que de besoin par d'autres spécialités (imagerie, génétique, etc.). Les réunions de concertation pluridisciplinaire régulièrement organisées par le centre de références permettent de définir la prise en charge des situations cliniques les plus délicates en mutualisant l'expertise .

« (...) Dans le cadre de la nouvelle labellisation des CRMR engagée en octobre 2016, le centre de références des maladies rares en charge des anomalies du développement génital devrait soumettre une nouvelle organisation renforçant le maillage territorial , avec un nombre de site de références et des centres de compétences plus important et une meilleure répartition sur le territoire. Le renforcement de ce CRMR permettrait de développer l'information et la formation des professionnels de santé et médico-sociaux dans un objectif d'amélioration de la prise en charge des enfants ayant une ADG . » 90 ( * )

3. Plusieurs pistes d'amélioration

Les personnes entendues au cours des différentes auditions ont fait émerger plusieurs pistes susceptibles d'améliorer la prise en charge médicale des personnes « intersexes » .

a) La formation des professionnel-le-s de santé

Tout d'abord, un travail de formation reste à fournir au niveau de l'ensemble des professionnel-le-s du corps médical susceptibles d'être en contact avec des personnes dites « intersexes » (chirurgiens, psychiatres, généralistes, gynécologues, obstétriciens, spécialiste du diagnostic anténatal, sages-femmes, pédiatres, infirmières, aides-soignantes...).

Les premiers contacts des parents sont en effet déterminants pour le bien-être futur de l'enfant atteint d'une variation du développement sexuel.

Il est impératif que tous les soignant-e-s soient sensibilisés au caractère irréversible des interventions chirurgicales envisageables afin que l'information des parents et des patient-e-s soit complète et leur consentement véritablement éclairé, et que les soignant-e-s soient incité-e-s à apprécier la nécessité médicale de l'opération à l'aune du principe de précaution précédemment évoqué .

En ce qui concerne plus particulièrement les futurs médecins, selon la professeure Nihoul-Fékété, leur formation mériterait d'être densifiée et étendue . Actuellement, les questions relatives aux variations du développement sexuel sont abordées uniquement sous un angle médical, dans les cours d'endocrinologie et de chirurgie. Il serait sans doute pertinent d'appréhender également ces questions à travers le prisme des sciences sociales.

Du reste, la Direction générale de la santé, dans ses réponses au questionnaire des co-rapporteures, reconnaît qu'il est indispensable de « développer des travaux dans le domaine des sciences humaines et sociales sur ces sujets » .

Cette orientation rejoint la nécessité d'un meilleur suivi des patient-e-s, dans la durée, qui ne se limite pas aux aspects strictement médicaux de leur vie, comme cela a été souligné précédemment.

La délégation formulera donc une recommandation :

- pour généraliser la formation des professionnel-le-s du corps médical susceptibles d'être en contact avec des personnes dites « intersexes » aux questions posées par le traitement des variations du développement sexuel ;

- pour que la formation des futur-e-s médecins aux variations du développement sexuel soit renforcée et étendue aux aspects de cette question relevant des sciences sociales.

b) L'élaboration d'un protocole de soins fondé sur le principe de précaution

Dans la perspective d'une meilleure formation des soignant-e-s, il paraît primordial de pouvoir disposer d'un véritable protocole de soins auquel se référer dans ce type de situations , fondé sur une démarche pluridisciplinaire, et de ne pas insister outre mesure auprès des parents sur le caractère pathologique de la variation du développement sexuel de leur enfant.

En tout état de cause, les co-rapporteures estiment qu'il est impératif de bien mesurer toutes les conséquences d'une intervention chirurgicale avant de l'envisager sur un enfant, car elles peuvent être irréversibles . Il convient donc de réaliser un bilan approfondi mettant en balance, pour chaque cas, les bénéfices et les risques associés à toute opération de ce type, et que toute décision en la matière apprécie la nécessité médicale de l'opération ainsi que son urgence.

Sur ce sujet, le Défenseur des droits a plaidé pour qu'un « principe de précaution » guide les équipes médicales pluridisciplinaires du Centre de références des maladies rares dédié, avant d'envisager une intervention chirurgicale sur un enfant concerné par une variation du développement sexuel.

Dans le cadre de l'élaboration du troisième Plan national « Maladies rares », le ministère de la Santé devrait ainsi s'attacher à formaliser un véritable protocole de soins qui devrait orienter les familles vers le centre de références spécialisé, ainsi que vers l'ensemble des centres de compétences associés, afin de leur permettre d'être accueillies par des équipes pluridisciplinaires leur offrant les meilleures garanties. En outre, ce protocole devrait offrir aux familles une vision claire des options en présence, pour leur permettre d'apprécier en toute connaissance de cause le meilleur moment pour envisager une éventuelle opération (avant la naissance, juste après la naissance, au moment de l'adolescence...).

La délégation formule une recommandation pour que soit établi un protocole de traitement des variations du développement sexuel qui, en raison du caractère irréversible des opérations :

- fasse prévaloir le principe de précaution avant toute décision concernant une intervention chirurgicale ;

- préconise d'apprécier la nécessité médicale de l'opération envisagée et de s'interroger sur sa réelle urgence ;

- prévoie que les familles soient systématiquement orientées vers les centres spécialisés où leur enfant pourra être pris en charge par une équipe pluridisciplinaire offrant les meilleures garanties aux patient-e-s.

c) Un aspect déterminant : le suivi psychologique des patients et des familles dans la durée

Un autre aspect important de la prise en charge des variations du développement sexuel concerne le suivi psychologique des patients et de leur famille .

Le ministère de la santé souligne dans ses réponses que « le soutien psychologique des patients et des familles fait partie de la prise en charge. »

De même, Claudine Colin, présidente de l'association Surrénales , a mentionné qu'un nouveau protocole de soins prévoit systématiquement des séances avec un psychologue en cas de chirurgie des anomalies du développement génital.

Claire Nihoul-Fékété, chirurgien pédiatrique, professeure émérite de chirurgie infantile et membre du Comité consultatif national d'éthique de 1994 à 1999, a confirmé qu'un suivi psychologique est proposé aux enfants et à leurs parents s'ils le souhaitent .

En revanche, elle estime que l'accompagnement des familles n'est pas toujours suffisant , alors que la compréhension de la situation par les parents est déterminante. C'est pourquoi elle plaide pour que le corps médical prenne le temps nécessaire pour expliquer les choses aux familles. Elle a à cet égard souligné l'enjeu de la formation des médecins, lesquels devraient être suffisamment experts des différentes variations du développement sexuel pour être en mesure de répondre aux attentes des familles.

d) Un impératif : l'information et l'accompagnement des familles

Les co-rapporteures estiment qu'il faut privilégier le consentement éclairé à la fois des familles et des patient-e-s. Cela passe par un accompagnement renforcé et une meilleure information des patients et de leurs familles, ainsi que par une prise en charge collégiale et multidisciplinaire adaptée à chaque patient et à son environnement familial .

La question de l'accompagnement des enfants atteints de problèmes de santé et de leur famille est d'ailleurs un point sur lequel insiste beaucoup le Comité des droits de l'enfant de l'ONU.

Les co-rapporteures constatent un consensus sur la nécessité de renforcer l'accompagnement des familles , et plus particulièrement des parents. Ce point a été souligné aussi bien de la part des représentant-e-s des personnes « intersexes » que des médecins 91 ( * ) .

Vincent Guillot : « Nous exigeons (...) l'accompagnement à l'autodétermination des personnes concernées et, bien sûr, l'accompagnement psychologique des parents. »

Nadine Coquet : « Il m'apparaît aussi urgent que l'État français se sente concerné par la condition des intersexes en offrant l'accompagnement nécessaire aux enfants et à leurs parents. »

Mathieu Le Mentec : « Il faut mettre en place des dispositifs pour accueillir non seulement les enfants qui naissent en situation d'intersexuation, mais aussi leurs parents . Il faut que ces dispositifs leur permettent de rencontrer d'autres personnes ayant le même vécu. Ces échanges doivent pouvoir aider les familles à prendre des décisions en conscience. »

Sylvaine Telesfort : « Les parents portent une lourde charge . Par conséquent, ils doivent être correctement informés par les équipes médicales dès la naissance de leur enfant. »

Professeur Pierre Mouriquand : « Je voudrais rappeler qu'il existe des situations très difficiles pour lesquelles le résultat, quelle que soit la décision qui va être prise, ne sera pas du tout satisfaisant. Pour ces situations, les anglais ont introduit le concept de coping - to cope with - c'est-à-dire l'accompagnement des enfants et de leurs familles. L'accompagnement est parfois plus important que les traitements ou la chirurgie que l'on propose . Accompagner les parents et l'enfant tout au long de la croissance, répondre à ces questions, constitue la véritable prise en charge des familles. »

Au cours de son audition, le 16 février 2017, le Défenseur des droits a rappelé que deux études américaines, l'une de 1998 et la seconde de 2004, montrent le caractère crucial de la manière dont les parents sont informés de la situation de leur enfant dès les premiers moments du diagnostic .

Ceux à qui l'on a présenté celui-ci sous un angle exclusivement pathologique ont privilégié l'intervention chirurgicale alors même qu'ils étaient informés des risques de perte de sensibilité des zones érogènes susceptibles d'altérer considérablement la qualité de vie de leur enfant devenu adulte.

Ceux en revanche à qui l'on n'a pas parlé de pathologie acceptaient plus facilement de reculer la perspective de l'opération.

La délégation juge donc souhaitable que le ministère des Affaires sociales et de la Santé envisage des mesures permettant de garantir un accompagnement personnalisé aux enfants concernés par les variations du développement sexuel et à leurs parents et à dispenser à ces derniers, dès les premiers instants du diagnostic, une information médicale aussi sereine que possible et sous un angle non exclusivement pathologique.

Elle demande que cet accompagnement ne se limite pas à la période des premières démarches médicales, mais qu'il se poursuive dans la durée, et plus particulièrement au moment décisif de l'adolescence.

Elle formulera une recommandation en ce sens.

e) Généraliser les bonnes pratiques telle que la collégialité des décisions

Les co-rapporteures souhaitent mettre en avant les bonnes pratiques qu'elles ont relevées au cours de leurs auditions.

Par exemple, en ce qui concerne l'hyperplasie congénitale des surrénales, Mme D. a indiqué qu'à l'hôpital Trousseau, site de référence pour cette maladie, les décisions sont prises collégialement au sein d'équipes pluridisciplinaires. Tous les endocrinologues connaissent chaque patient et peuvent à tout moment répondre aux questions des parents .

De même, Claudine Colin, présidente de l'association Surrénales , a indiqué que tous les quatre ans, depuis 2004, des chirurgiens sont invités à intervenir lors des assemblées générales de l'association, de sorte que chacun puisse « apprécier l'évolution de la prise en charge médicale et chirurgicale au fil des ans. » 92 ( * )

En outre, compte tenu de la complexité des variations du développement sexuel, l'association Surrénales encourage les familles à consulter des chirurgiens qui ont une expérience de cette maladie, ou à solliciter au moins un autre avis auprès du Centre de références .

f) Élaborer une liste des équipes spécialisées et réfléchir à la taille critique des centres habilités à opérer

Si l'existence du Centre de références des maladies rares en charge des variations du développement sexuel et des sites associés marque une avancée indéniable, plusieurs des personnes entendues ont également mis en avant l'utilité qu'il y aurait pour les familles à pouvoir disposer d'une liste de chirurgiens ayant une expertise de la maladie afin d'améliorer la qualité de vie des patients .

Dans cette logique, la constitution de réseaux de soins et la désignation officielle des centres habilités à opérer ce type de patients apparaîtraient comme un progrès . Comme l'a rappelé le professeur Mouriquand, entre 1996 et 2003, sur 167 patients diagnostiqués pour une hyperplasie congénitale des surrénales (HCS), seuls 40 % d'entre eux avaient bénéficié d'une prise en charge optimale : « 25 enfants atteints d'une HCS naissent chaque année en France, nous avons 30 CHU sur tout le territoire ». Selon lui, « il n'est pas possible d'avoir une expérience satisfaisante lorsque l'on n'opère qu'un enfant par an. »

Par ailleurs, le professeur Mouriquand a mis en avant la question de la taille critique des établissements susceptibles de traiter les pathologies les plus complexes dans de bonnes conditions, à travers une prise en charge globale, ainsi que la nécessité du dialogue et de la coopération entre les établissements de soins : « Il existe aujourd'hui des centres qui, de par leur petite taille, ne devraient pas prendre en charge un certain nombre de pathologies. Pour cette raison, je pense que des réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) devraient décider des suites à donner à la situation d'un enfant présentant une des situations extrêmement complexes que je viens de vous présenter . Les dossiers devraient être soumis à des groupes d'experts, à des parents, à des associations. Nous avons la chance de pouvoir tenir ces réunions avec certains centres à Paris et en province. Tous les dossiers qui nous posent problème font l'objet d'une décision entre nous afin que la décision soit collégiale. Mais nous avons tous notre ego ! Il existe encore aujourd'hui des services qui refusent de laisser partir un patient vers un centre spécialisé . » 93 ( * )

Claudine Colin, présidente de l'association Surrénales , a abondé dans ce sens : « Donner les coordonnées de notre association est inscrit dans le protocole de diagnostic et de soin qui a été établi pour les HCS. Notre association souhaiterait, tout comme le professeur Mouriquand, qu'il existe une liste des chirurgiens et centres spécialisés dans la prise en charge des patients présentant une HCS . Les parents doivent pouvoir choisir de confier leur enfant à un chirurgien dont l'expertise et l'habitude auront un impact positif sur l'avenir de celui-ci. Dans certains CHU, il n'y a pas de psychologue. Lorsqu'il y a chirurgie, il est nécessaire pour les parents et pour les enfants de pouvoir compter sur une équipe pluridisciplinaire. Il faut une prise en charge globale de ces patients. » 94 ( * )

Enfin, sur le même sujet, le docteur Claire Bouvattier, endocrinologue, a insisté sur les réticences de certains CHU à opérer de tels regroupements . Elle a également souligné l'enjeu associé à la communication et à la diffusion de l'information, donc à la sensibilisation du grand public : « Ces chirurgiens experts sont peu nombreux. Il y a vingt-cinq filles qui naissent, chaque année, avec une HCS. Cinq ne seront pas opérées. Il serait souhaitable de créer, à Paris, deux centres spécialisés dans la prise en charge des vingt autres petites filles. Mais les CHU de province sont contre cette idée. Il n'y a pas, en France, de maladies rares pour lesquelles il existe une liste de médecins. Dans la majorité des cas, les familles se débrouillent. Pour l'hyperplasie congénitale des surrénales, nous avons la chance d'avoir des centres de références, mais il n'est pas certain que le grand public soit au courant de leur existence . » 95 ( * ) .

La délégation formulera donc une recommandation visant à établir des listes d'équipes pluridisciplinaires ayant une expertise en matière de variations du développement sexuel, ainsi qu'à désigner officiellement les centres habilités à opérer ce type de patients.

g) Développer un conseil en génétique auprès des futurs parents

En matière d'information et de sensibilisation, la proposition de l'association Surrénales consistant à développer un conseil en génétique auprès des futurs parents , semble pertinente.

Ainsi que l'a exposé Claudine Colin, sa présidente, « Une personne sur soixante est porteuse de la mutation (maladie génétique récessive). Quand deux porteurs se rencontrent, le risque d'avoir un enfant malade est de un sur quatre. C'est pour cette raison que nous insistons sur la diffusion d'une information et d'un conseil en génétique auprès des futurs parents. » 96 ( * )

La délégation est favorable à la mise à l'étude du développement d'un conseil en génétique des futurs parents.

Elle formulera une recommandation en ce sens.

h) Saisir le Comité consultatif national d'éthique (CCNE)

Enfin, les co-rapporteures rappellent que le Gouvernement avait annoncé en février 2016 une prochaine saisine du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) sur les personnes « intersexes », dans sa réponse à la question orale sans débat de Maryvonne Blondin sur la situation des enfants « intersexes » en France : « Au regard de la complexité d'un sujet qui se rapporte tant aux questions d'éthique qu'aux droits de la personne humaine, à la lutte contre les discriminations et à la santé, le Comité consultatif national d'éthique sera saisi avant que puisse être arrêtée la position du Gouvernement en la matière. » 97 ( * )

Interrogée sur ce point précis, la Direction générale de la santé a fourni les éléments de réponse suivants aux co-rapporteures : « A ce jour, cette saisine est envisagée, mais n'a pas encore été réalisée . Le CCNE a été saisi par un cabinet d'avocats privés, au nom d'une association. Les auteurs de cette saisine n'avaient cependant pas qualité pour le faire, les particuliers ne peuvent en effet saisir le CCNE, selon l'article R 1412-4 du Code de la santé publique. Le CCNE est actuellement en réflexion pour savoir s'il s'autosaisira . Dans cette éventualité, une saisine ministérielle ne s'imposerait pas. Dans le cas contraire, le sujet sera abordé lors [d'une] réunion inter-administrations [le] 27 janvier 2017 afin de déterminer la modalité de cette saisine et l'implication d'autres institutions avant fin mai 2017. »

Les co-rapporteures estiment que cette saisine serait pertinente parce qu'elle contribuerait à l'information et à la sensibilisation du grand public sur la situation des personnes « intersexes ».

La délégation recommande donc la saisine du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) sur la situation des personnes concernées par les variations du développement sexuel, dans les meilleurs délais.

Elle formulera une recommandation en ce sens.


* 68 Philippe Reigné, Sexe, genre et état des personnes , la semaine juridique, Edition générale, n°  42, 17 octobre 2011.

* 69 Pour mémoire, les premières échographies foetales datent des années 1980.

* 70 Compte rendu de la table ronde du 12 mai 2016.

* 71 Compte rendu de l'audition du 25 mai 2016.

* 72 Réponses de la Direction générale de la santé au questionnaire des co-rapporteures.

* 73 Compte rendu de la table ronde du 12 mai 2016.

* 74 Compte rendu de l'audition du 25 mai 2016.

* 75 Compte rendu de l'audition du 25 mai 2016.

* 76 Compte rendu de l'audition du 25 mai 2016.

* 77 On pense en particulier à deux ouvrages : Le Choeur des femmes de Martin Winckler, et Middlesex , de Jeffrey Eugenides.

* 78 Sur ce point, voir la bibliographie indicative en annexe.

* 79 Citons par exemple le photographe américain intersexes Del Grace Volcano.

* 80 Compte rendu de l'audition du 19 octobre 2016.

* 81 Compte rendu de l'audition du 25 mai 2016.

* 82 Compte rendu de l'audition du 25 mai 2016.

* 83 Compte rendu de l'audition du 25 mai 2016.

* 84 Compte rendu de l'audition du 19 octobre 2016.

* 85 Compte rendu de l'audition du 25 mai 2016.

* 86 Compte rendu de l'audition du 19 octobre 2016.

* 87 Compte rendu de l'audition du 25 mai 2016.

* 88 Compte rendu de l'audition du 25 mai 2016.

* 89 Réponse de la Direction générale de la santé au questionnaire des co-rapporteures.

* 90 Réponse de la Direction générale de la santé au questionnaire des co-rapporteures.

* 91 Les citations ci-dessous sont extraites des comptes rendus de la table ronde du 12 mai et de l'audition du 25 mai 2016.

* 92 Compte rendu de l'audition du 19 octobre 2016.

* 93 Compte rendu de l'audition du 25 mai 2016.

* 94 Compte rendu de l'audition du 19 octobre 2016.

* 95 Compte rendu de l'audition du 25 mai 2016.

* 96 Compte rendu de l'audition du 19 octobre 2016.

* 97 Réponse du secrétariat d'État, auprès du ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, chargé de la famille, de l'enfance, des personnes âgées et de l'autonomie, publiée dans le JO du Sénat du 10/02/2016, page 2485.

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