III. COMMENT AMÉLIORER LA RECONNAISSANCE DES PERSONNES « INTERSEXES » DANS NOTRE SOCIÉTÉ ET LE RESPECT DE LEUR VIE PRIVÉE ?

Cette dernière partie se concentre sur la problématique centrale de la reconnaissance des personnes « intersexes » dans notre société et sur les moyens qui seraient susceptibles de garantir au mieux le respect de leur vie privée .

Dans un premier temps, elle présente la stigmatisation et les risques de discrimination dont peuvent être victimes les personnes « intersexes » tout au long de leur vie , ainsi que les atteintes qui sont portées à leur dignité et à leur vie privée , à travers, notamment, l'obligation de révéler son identité sexuée dans de nombreuses démarches administratives.

Elle ébauche ainsi quelques pistes de solutions pour sensibiliser davantage la société à l'existence et à la situation des personnes « intersexes » , mais aussi mieux former les intervenants médicaux, éducatifs et sociaux .

Dans un second temps, elle s'intéresse à la reconnaissance juridique des personnes « intersexes » dans une société marquée par la binarité des sexes . À cet égard, elle analyse les difficultés particulières auxquelles sont confrontées ces personnes en matière d'état civil et recherche des orientations possibles pour améliorer la situation, tout en saluant des évolutions récentes qui devraient y contribuer.

Enfin, cette dernière partie présente les défis que poserait la reconnaissance d'un « troisième sexe » 98 ( * ) , à l'ordre juridique français, notamment du point de vue du droit de la filiation.

Plus généralement, les co-rapporteures relèvent que plusieurs pays, notamment européens, ont récemment fait évoluer leur législation pour mieux prendre en compte les revendications des personnes « intersexes » en matière d'état civil , avec la préoccupation de restreindre les risques de stigmatisation et de discrimination de ces personnes.

A. UN RISQUE QUOTIDIEN DE STIGMATISATION ET DE MARGINALISATION OU D'EXCLUSION

1. Des personnes exposées à un risque de stigmatisation

Les risques de stigmatisation et de discrimination au détriment des personnes « intersexes » sont élevés dans notre société où la binarité des sexes est la règle.

C'est le cas dans différents domaines (à l'école, dans le sport, en matière de santé, dans les démarches administratives), tout au long de leur vie, ce qui mène bien souvent à leur précarisation, voire à leur exclusion.

Il convient donc de faire progresser la sensibilisation de chacun-e aux difficultés rencontrées par les personnes « intersexes » .

a) Des personnes qui s'estiment « niées » par la société en général

Les membres de la délégation ont été particulièrement interpellés par les témoignages très forts des personnes « intersexes » au cours de la table ronde du 12 mai 2016, qui ont exprimé le sentiment d'être une « population niée » par notre société, d'être considérées comme des « monstres », et qui estiment avoir subi de nombreuses atteintes à leur dignité .

Vincent Guillot raconte ainsi son sentiment d'avoir été exhibé devant les étudiants des médecins : « Pendant les rendez-vous trimestriels à l'hôpital, j'étais traité comme un monstre de foire et les médecins examinaient toujours mes organes génitaux, prenaient des photos et me montraient nu aux étudiants. »

Selon lui, les personnes « intersexes » sont des « parias, des bannis de la République qui n'ont accès à aucun droit aussi essentiel que le droit à la santé, à l'éducation, au logement ou au travail ». Il a également souligné que les personnes « intersexes » songent souvent au suicide pour mettre fin à une vie « rendue abjecte par une société qui ne leur donne aucune possibilité d'exister. Les violences institutionnelles quotidiennes que ces personnes subissent sont inacceptables. »

On retrouve la même détresse dans les propos de Nadine Coquet , qui a évoqué son impression d'appartenir « à un « tiers humain » que personne ne veut voir ni connaître » , estimant que les personnes « intersexes » sont « ignorées par l'État, par les statistiques, par nos concitoyens. » 99 ( * )

b) Le cas particulier de la santé et du sport

Les personnes « intersexes » sont exposées aux discriminations et à différents abus dans diverses sphères de la vie quotidienne , notamment dans les domaines de la santé et du sport, sur lesquels ont plus particulièrement souhaité insister les co-rapporteures.

(1) En matière de santé

Les personnes « intersexes » se retrouvent parfois dans l'incapacité de consulter un médecin, même en cas de problème grave, en raison du manque de confiance qu'elles accordent au corps médical .

Sur ce point, le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe note que ces craintes peuvent être justifiées, car les personnes « intersexes » font face à une discrimination directe et indirecte dans l'accès aux services de santé . Ainsi, elles se voient parfois privées de soins lorsque leur anatomie atypique est dévoilée.

Il relève également que ces personnes peuvent faire l'objet de discrimination indirecte, dans la mesure où certains traitements médicaux ne peuvent être appliqués qu'à l'un ou l'autre sexe (par exemple, traitement du cancer de l'ovaire), et ne prennent pas en compte le cas des personnes « intersexes » qui, bien qu'enregistrées sous un autre sexe, ont besoin d'être soignées.

Nadine Coquet a évoqué au cours de la table ronde du 12 mai 2016 le refus qui lui a été opposé s'agissant d'un recours à la procréation médicalement assistée (PMA) : « Ma gynécologue m'a tenu un discours plus positif et optimiste en insistant sur le fait que j'avais un utérus qui me permettrait d'avoir des enfants avec un don d'ovocytes. Soulignons que, dix-sept ans plus tard, on m'a refusé le droit à ce don en prétextant un risque de morbidité. »

En outre, selon le rapport du commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe 100 ( * ) , les personnes « intersexes » rencontrent parfois des difficultés à contracter une couverture d'assurance maladie, notamment en matière d'assurance privée , lorsqu'une telle couverture est exclue si l'assuré présente une maladie médicalement attestée.

(2) Dans le domaine sportif

Le sport est également un domaine où la discrimination à l'encontre des personnes « intersexes » est plus particulièrement marquée .

Ainsi, Mathieu le Mentec a évoqué la honte qu'il ressentait lorsqu'il pratiquait du sport, enfant , et la conscience de sa différence par rapport aux autres, qui l'exposait aux moqueries de ses camarades : « J'ai subi les premières humiliations lors des sorties scolaires ou sous les douches . Dès le CM1, j'ai débuté ma puberté : j'avais une pilosité très précoce. J'ai alors évité toute pratique sportive pour éviter les douches. » 101 ( * )

Au cours de la réunion de délégation du 16 février 2017, Corinne Bouchoux, co-rapporteure, a évoqué le « supplice des vestiaires » pour ces enfants et adolescents.

En outre, le rapport du commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe insiste sur le cas de l'athlète Caster Semenya . Cette personne a remporté en août 2009 la médaille d'or à l'épreuve du 800 mètres femmes du 12 ème championnat du monde d'athlétisme. Son intersexualité a été révélée après sa victoire et l' Association internationale des fédérations d'athlétisme ( IAFFG ) l'a soumise à un « test de féminité », à l'issue duquel on lui interdit de participer à des compétitions internationales jusqu'en juillet 2010.

Le rapport du commissaire note également que « d'autres sportifs avant Semenya, et aussi après elle, ont connu un sort semblable » et indique que plusieurs organisations sportives internationales ont édicté des lignes directrices en matière de vérification du sexe , avec des conséquences parfois dramatiques . Ainsi, ce type de politiques a incité plusieurs jeunes sportives de pays en développement (âgées de dix-huit à vingt-et-un ans) à subir une gonadectomie ou une clitoridectomie partielle pour se conformer aux lignes directrices et pouvoir participer aux compétitions.

c) Une interrogation sur la possibilité de ne pas faire figurer le sexe dans certains documents administratifs
(1) Une obligation trop fréquente de révéler son identité sexuée dans les démarches administratives, susceptible de porter atteinte à la vie privée des personnes « intersexes »

Selon Mila Petkova, avocate, entendue par la délégation dans le cadre de la table ronde du 12 mai 2016, de nombreuses démarches administratives impliquent aujourd'hui la révélation de l'identité sexuée, sans pour autant que cela soit justifié par un but légitime . Elle a cité l'exemple des formulaires de demande de logement social ou de demande d'un hébergement d'urgence, domaines dans lesquels elle a jugé que le sexe de la personne ne devrait pas conditionner la délivrance des prestations demandées.

Par ailleurs, des textes obligent à mentionner l'identité sexuée de la personne sur des titres d'identité, alors que le sexe ne permet pas selon elle d'identifier la personne au même titre que le nom, le prénom, la date et le lieu de naissance. Elle a noté à cet égard que le permis de conduire français ou la carte d'identité allemande ne comportent pas de mention de sexe .

En outre, Mila Petkova a rappelé qu'en application de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CESDH), l'identité sexuée appartient à la vie privée. En conséquence, elle estime que l'obligation de révéler son identité sexuée dans les situations précédemment mentionnées crée des discriminations à l'encontre des personnes intersexuées lorsqu'il existe une différence entre le sexe perçu et la mention indiquée sur les documents d'identité (suspicion d'usurpation d'identité notamment).

Dans cet esprit, Nadine Coquet a évoqué « l'humiliation lors de contrôles de police, de démarches administratives ou simplement pour retirer un colis à La Poste », « pour les personnes transidentitaires ou intersexes dont l'apparence ne correspond pas au sexe mentionné. » 102 ( * )

Au nom du respect du droit à la vie privée, Mila Petkova estime donc que le sexe ne devrait pas figurer sur les pièces d'identité, ou qu'au moins la possibilité pourrait être reconnue à chacun-e de décider s'il souhaite ou non la mention de son sexe sur ses papiers d'identité .

Plus globalement, elle estime que la loi devrait prévoir que l'obligation de révéler son identité sexuée n'est justifiée que si elle est rendue nécessaire.

Dès lors, peut-on limiter les cas où l'on requiert des informations sur l'identité sexuée des personnes dans les démarches administratives , afin de garantir le respect de leur droit à la vie privée ?

Interrogé sur ce point par les co-rapporteures, le ministère de la Justice n'a pas exclu une telle évolution . Il a d'abord rappelé que l'obligation de révéler les éléments de son identité répond en général à deux objectifs : identifier la personne, par exemple dans le cadre d'un contrôle d'identité, ou lui appliquer un traitement ou un cadre différencié, comme cela peut être le cas d'un tarif préférentiel en matière de transports publics ou dans le domaine de la pratique sportive.

Pour autant, il a admis que parmi les éléments les plus communément utilisés de l'identité d'une personne, la mention du sexe n'est qu'un élément parmi d'autres comme le nom, les prénoms, date et lieu de naissance, domicile, nationalité...

Il en conclut que « l'apport discriminant de la mention de sexe est relatif dans certains domaines en comparaison des autres éléments d'identification, de sorte que celle-ci ne semble pas en soi un élément indispensable à l'identification des personnes devant être reproduit sur une demande d'accès à certains services , sous réserve de ce que l'élément ne puisse être considéré, dans certains cas, comme un critère de vulnérabilité, en particulier en matière d'attribution de logement social ou d'hébergement d'urgence. » 103 ( * )

Enfin, en ce qui concerne le respect de la vie privée des personnes intersexes, les co-rapporteures notent avec intérêt que la loi de modernisation de la justice du XXI ème siècle 104 ( * ) permet désormais que seul l'extrait avec filiation de l'acte de naissance soit sollicité auprès des futurs époux dans le cadre d'un projet de mariage, et non plus la copie intégrale de leur acte de naissance 105 ( * ) .

D'après les informations communiquées aux co-rapporteures, il est par ailleurs envisagé qu'il en soit de même pour la conclusion d'un Pacte civil de solidarité (PACS), dans le cadre du décret d'application de l'article 48 de la loi précitée qui transfère la gestion des PACS des greffes des tribunaux d'instance aux officiers de l'état civil. Ainsi, l'éventuel changement de sexe et/ou de prénom d'un futur époux ou d'un futur partenaire d'un PACS ne serait plus porté à la connaissance de l'officier de l'état civil qui sera amené à célébrer le mariage ou le PACS . Pour le ministère, une telle disposition serait de nature à préserver la vie privée des intéressés. Il a également estimé envisageable d'étendre cette mesure à d'autres démarches administratives, sans toutefois préciser lesquelles.

En outre, les co-rapporteures notent que le Défenseur des droits s'est montré favorable à ce que les informations sur la rectification ou la modification du sexe ou du prénom à l'état civil ne soient pas mentionnées sur les extraits d'actes de naissance . Aujourd'hui, les changements relatifs au sexe et au prénom portés à l'état civil figurent en effet dans les mentions marginales de la copie intégrale de l'acte de naissance, mais également dans les mentions de l'extrait de naissance, avec ou sans filiation, en raison de l'absence de pratique uniforme par les officiers d'état civil.

(2) Ne pas faire figurer le sexe d'une personne sur les pièces d'identité ?

Une autre piste d'évolution envisageable consisterait à ne pas faire figurer la mention du sexe sur certains documents d'identité . Interrogé sur ce point, le ministère de l'Intérieur a souhaité rappeler que la mention du sexe sur les titres d'identité et de voyage est prévue par les textes réglementaires relatifs à la carte nationale d'identité (CNI) 106 ( * ) et au passeport 107 ( * ) , car les mentions figurant sur ces titres sont celles de l'état-civil.

Selon lui, la suppression de la mention du sexe sur les documents d'identité ne serait envisageable qu'en conséquence de la suppression de cette mention sur les documents d'état-civil .

En outre, il a indiqué que la mention du sexe sur le passeport ne résulte pas seulement du droit national mais découle de la documentation 9303 de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) reprise à l'annexe au règlement du Conseil n° 2252-2004 du 13 décembre 2004 établissant des normes pour les éléments de sécurité et les éléments biométriques intégrés dans les passeports et les documents de voyage délivrés par les États membres.

Enfin, il a précisé que la détention d'une carte nationale d'identité ou d'un passeport n'est pas obligatoire en France, pas même pour prouver son identité , qui se prouve « par tout moyen », ce principe étant rappelé à l'article 1 er de la loi n° 2012-410 du 27 mars 2012 relative à la protection de l'identité. Les co-rapporteures souhaitent toutefois rappeler que, dans les faits, une carte d'identité ou un passeport sont obligatoires pour passer un examen ou pour voyager.

Selon le ministère de l'Intérieur, la demande de titre d'identité (CNI ou passeport) peut être différée autant que le souhaitent les parents, et au moins jusqu'à ce que le sexe de l'enfant soit établi , ce qui lui paraît de nature à répondre à certaines des problématiques soulevées au cours de la table ronde du 12 mai 2016.

Au regard de ces éléments de réponse, la proposition visant à ne pas faire figurer le sexe sur les pièces d'identité ou à laisser le choix aux personnes de la faire figurer semble difficilement envisageable à court terme, puisqu'elle nécessiterait une modification non seulement des textes réglementaires en vigueur mais aussi, principalement, des textes européens et internationaux actuellement applicables.

(3) Ne pas faire figurer la référence au sexe dans le numéro de l'Insee ?

Sur la question plus générale de l'obligation de révéler son identité sexuée dans les démarches administratives, une autre piste suggérée aux co-rapporteures consisterait à modifier le numéro de l'Insee, qui apparaît sur certains documents administratifs, en enlevant le 1 ou le 2 renseignant sur l'identité sexuée des personnes .

En effet, comme l'a rappelé Astrid Marais, professeure de droit à l'Université de Bretagne Occidentale, entendue le 13 décembre 2016, pour mettre le droit français en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) en matière de respect du droit à la vie privée des personne transsexuelle s, il avait été envisagé de supprimer la référence au sexe dans le numéro de l'Insee qui apparaît dans de nombreux documents administratifs. Il s'agissait ainsi de préserver la vie privée de ces personnes en évitant de les contraindre à révéler leur situation. Une telle jurisprudence pourrait être reprise au bénéfice des personnes « intersexes » .

Interrogé sur ce point, le ministère de la Justice a exclu cette formule : « Sous réserve de l'avis du ministère de l'économie et des finances, la modification du numéro de l'Insee, en supprimant le 1 ou le 2, ne pourrait se concevoir que dans l'hypothèse de la création d'une mention de sexe autre que « masculin » ou « féminin », ou de la suppression de la mention du sexe sur les actes de naissance, ce qui n'est pas l'option actuellement retenue par le ministère de la justice. » 108 ( * ) ( cf. infra ).

Les co-rapporteures notent par ailleurs que Mila Petkova, avocate, a indiqué que l'Insee, saisi de cette question, refuse d'enregistrer les personnes « intersexes » : « Le droit d'appartenir à une catégorie non binaire n'étant pas reconnu par les textes, il n'est pas reconnu par les autorités administratives. Par exemple, l'Insee, qui a été saisi de cette question, refuse toujours d'enregistrer les personnes intersexuées. » 109 ( * )

D'une façon plus générale, le Défenseur des droits a mis en avant au cours de son audition, le 16 février 2017, que le fait de supprimer la mention du sexe à l'état civil ou sur les pièces d'identité irait à l'encontre des politiques actuelles de lutte contre la discrimination fondées sur le sexe telles que les quotas définis en matière d'accès aux responsabilités.

Au contraire, a-t-il fait observer, on constate actuellement, à travers cet objectif, un mouvement de « resexualisation » des normes juridiques, notamment en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Le fait de supprimer la mention du sexe à l'état civil pourrait donc s'avérer contre-productif au regard, par exemple, de la lutte contre les inégalités entre les hommes et les femmes .

2. Sensibiliser la société et mieux former les intervenants médicaux, éducatifs et sociaux pour améliorer la reconnaissance des personnes « intersexes » dans notre société et éviter qu'elles soient victimes d'exclusion

Compte tenu des nombreuses difficultés auxquelles sont confrontées les personnes dites « intersexes » dans les différents domaines de la vie et dans leurs démarches administratives, en raison de l'obligation fréquente de révéler son identité sexuée, les co-rapporteures sont convaincues qu'un travail pédagogique significatif reste à mener pour sensibiliser notre société à leur situation et faire en sorte que la prise de conscience de cette question progresse dans notre pays .

L'objectif est de briser les tabous pour que ces personnes ne se sentent plus stigmatisées et reléguées aux marges de notre société.

Selon la professeure Nihoul-Fékété, il est en effet particulièrement important de « banaliser » les variations du développement sexuel pour permettre une meilleure acceptation et reconnaissance des personnes qui en sont atteintes .

Le rapport du commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe précédemment cité sur les droits des personnes « intersexes » relève à cet égard que « Dans tous les pays examinés (...), l'intersexuation est considérée comme un tabou et les personnes intersexes se heurtent à des préjugés. » 110 ( * )

La situation en France n'est donc pas, à cet égard, exceptionnelle.

Les co-rapporteures estiment que l'un des enjeux principaux pour améliorer la sensibilisation de notre société aux personnes « intersexes » réside dans la formation de tous les intervenants éducatifs et sociaux qui sont plus particulièrement au contact des enfants et des adolescents .

Les co-rapporteures sont convaincues également qu'une autre perspective d'amélioration de la sensibilisation de tous et toutes aux variations du développement sexuel et aux souffrances des personnes qui en sont atteintes, réside dans le contenu des enseignements prodigués dans le cadre de l'éducation à la sexualité .

Ce point semble d'ailleurs recueillir une certaine unanimité parmi les témoins entendus.

Comme l'a indiqué Vincent Guillot au cours de la table ronde du 12 mai 2016, l' Organisation internationale des intersexes ( OII ) souhaite « l'inscription positive de l'existence de ces personnes dans les cours de biologie et d'éducation sexuelle tout au long des cursus scolaires. »

Daniela Truffer, co-fondatrice de l'association Stop Intersex Genital Mutilations (IGM) , proche de l' OII , est convaincue que l'éducation sexuelle est le meilleur instrument pour briser les tabous sociaux .

Ces réflexions et revendications rejoignent d'ailleurs le point de vue exprimé par Jacqueline Descarpentries, maître de conférences en sciences de l'éducation à l'Université de Paris VIII-Vincennes, au cours de la table ronde du 12 mai 2016 : « La question de l'intersexualité n'est pas abordée par ces programmes et/ou n'est pas connue . (...) Nous avons donc une responsabilité majeure à assumer en termes de formation des éducateurs à la santé ».

En conséquence, elle estime qu'« un travail doit donc être résolument mené dans les écoles (éducateurs, acteurs de la prévention) mais aussi dans les facultés de médecine pour qu'elles intègrent ces questions. » 111 ( * )

À cet égard, les co-rapporteures notent avec intérêt que des initiatives intéressantes ont été menées dans plusieurs pays .

Par exemple, en Autriche , il existe une brochure sur l'éducation sexuelle des enfants âgés de six à douze ans , qui présente des informations sur l'intersexualité , ainsi qu'une initiation à la façon de mener une activité sur ce thème avec des enfants.

De même, en Australie , le ministère de l'Éducation et du Développement de la petite enfance de l'État de Victoria a adopté une directive pour veiller à ce que les écoles prennent en compte le cas des élèves transgenres ou « intersexes » . Ce document exige que les chefs d'établissement prévoient par exemple que les toilettes, les douches et les vestiaires soient adaptés au genre choisi par l'élève. Il indique également comment veiller à ce que le personnel scolaire s'adapte au changement d'identité sexuée d'un élève qui reste dans le même établissement et précise comment les documents de scolarité doivent être modifiés pour correspondre au nom et au sexe choisi par l'élève .

Au cours de son audition, le 16 février 2017, le Défenseur des droits a mentionné une plateforme vidéo pédagogique dédiée à l'égalité des sexes 112 ( * ) ( matilda.education ) sur laquelle on peut voir des vidéos relatives à l'égalité, réalisées avec l'aide de professionnels de l'éducation nationale et de spécialistes de toutes les disciplines. Parmi elles, l'une traite de la détermination du sexe et aborde la question de l'intersexualité.

De telles initiatives doivent être valorisées et encouragées .

En outre, les co-rapporteures notent avec intérêt que la réforme annoncée des établissements d'information, de consultation ou de conseil familial (EICCF) a « notamment pour objectif d'actualiser et clarifier la nature des activités de ces établissements et d'améliorer leur articulation avec les autres dispositifs intervenant dans les champs du soutien à la parentalité, d'une part, et de la santé sexuelle, d'autre part ». Dans ce cadre, est prévu de « citer expressément la promotion du respect des orientations sexuelles, des identités de genre, des personnes intersexuées. » 113 ( * )

Plus généralement, beaucoup reste à faire pour atteindre la population générale, d'où l'importance d'inclure dans les campagnes pour l'égalité des messages sur les personnes « intersexes » .

À cet égard, le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe note l'apport des structures nationales de protection des droits de l'homme , telles que les ombudsmans , ou les organismes de promotion de l'égalité ou de lutte contre les discriminations pour aider les personnes « intersexes » dans leurs démarches et contribuer à leur reconnaissance au sein de la société .

La délégation est favorable à un effort de sensibilisation aux difficultés vécues par les personnes atteintes d'une variation du développement sexuel, afin de briser les tabous et d'éviter l'exclusion et la marginalisation de ces personnes.

Elle recommande donc, dans cette perspective :

- de promouvoir l'information de toutes les personnes travaillant au contact avec les enfants et les adolescents sur la situation des personnes concernées par les variations du développement sexuel et sur les difficultés qu'elles rencontrent tout au long de leur vie ;

- d'intégrer l'information sur les variations du développement sexuel aux programmes d'éducation sexuelle ;

- de favoriser la réalisation et la diffusion de thèses de sciences humaines et sociales sur cette thématique.

Elle formulera une recommandation en ce sens.


* 98 Par exemple à travers la mention « neutre » ou « autre » ou « indéterminé ».

* 99 Compte rendu de la table ronde du 12 mai 2016.

* 100 Droits de l'homme et personnes intersexes, rapport du commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, mai 2015.

* 101 Compte rendu de la table ronde du 12 mai 2016.

* 102 Compte rendu de la table ronde du 12 mai 2016.

* 103 Réponse du ministère de la Justice au questionnaire des co-rapporteures.

* 104 Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI ème siècle.

* 105 Aux termes du nouvel article 70 du code civil.

* 106 Article 1 er du décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 modifié instituant la carte nationale d'identité.

* 107 Article 1 er du décret n° 2005-1726 du 20 décembre 2005 relatif aux passeports.

* 108 Réponses du ministère de la Justice au questionnaire des co-rapporteures.

* 109 Compte rendu de la table ronde du 12 mai 2016.

* 110 Rapport du commissaire aux droits de l'homme du conseil de l'Europe : Droits de l'homme et personnes intersexes , p. 45.

* 111 Compte rendu de la table ronde du 12 mai 2016.

* 112 http://www.educavox.fr/formation/les-ressources/matilda-une-plateforme-video-pedagogique-dediee-a-l-egalite-des-sexes

* 113 Réponse de la Direction générale de la santé au questionnaire des co-rapporteures.

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