III. AGIR SANS ATTENDRE POUR L'ARCTIQUE ET POUR L'EUROPE

A. UTILISER LES OUTILS EUROPÉENS POUR AGIR DANS L'ARCTIQUE

Des auditions menées par votre rapporteur, il ressort que l'absence actuelle de propositions concrètes par la Commission européenne relève aussi du fait que son action est contrainte par l'actuel cadre financier pluriannuel. En effet, celui-ci n'a pas prévu de budget propre pour la politique intégrée de l'Arctique. Il y a bien la déclinaison des différents programmes européens qui s'appliquent aussi dans le nord de l'Europe, telle que les énumère la Commission européenne. Mais cette absence de budget propre signifie-t-elle que l'Union ne peut rien faire d'ici à 2020 ?

Pour votre rapporteur, l'Union européenne peut adopter certaines décisions et orientations dès à présent, en vue, précisément, d'être en capacité d'action en 2020.

En effet, comme il a été dit, alors qu'on ambitionne le développement économique durable des régions de l'Arctique européen depuis de nombreuses années déjà, on ne dit pas encore comment. Il serait temps de sortir des formules et de donner une forme à l'action. Il s'agit aussi de lui appliquer une meilleure coordination et une certaine visibilité. La politique de l'Union européenne doit pouvoir être identifiée par les citoyens européens.

C'est la raison pour laquelle, votre rapporteur soutient les évolutions institutionnelles et administratives proposées par la Commission et le Parlement européen : création d'un forum des parties prenantes pour définir les principales priorités en matière d'investissement et de recherche ; création d'une représentation des Samis auprès de l'Union européenne ; création d'une unité pour les politique septentrionales au Service européen d'action extérieure.

Un outil de la politique de cohésion présente une certaine pertinence en l'espèce, c'est la stratégie macro-régionale, à l'image de celles qui existent pour le Danube, la région alpine ou encore la mer Baltique. Une politique macro-régionale serait une mutation de la Dimension septentrionale au-delà des quatre partenariats thématiques. Elle donnerait une dimension plus grande à une action européenne plus cohérente. En outre, cet outil s'appuie sur la coopération transfrontalière et autorise l'association d'États non membres de l'Union. Il permettrait d'apporter une réponse aux problèmes communs des Samis des différents pays d'Europe. Le forum des parties prenantes voulu par la Commission européenne pourrait se saisir de cette question dès sa formation.

L'Union européenne souhaite utiliser le plan d'investissement pour l'Europe pour favoriser le développement de l'Arctique. C'est une très bonne chose, car il pourrait permettre que des projets dans la région pour lesquels l'investissement privé fait actuellement défaut trouvent un financement. Néanmoins, ce plan n'est actuellement pas ouvert aux pays et territoires d'outre-mer de l'Union européenne (PTOM), dont fait partie le Groenland. Ceux-ci, en raison de leur éloignement, ne bénéficient que du Fond européen de développement. C'est notamment le cas du territoire français de Saint-Pierre-et-Miquelon qui se situe en zone subarctique. Il conviendrait que le plan Juncker s'adresse également aux PTOM. Cela permettrait à l'Union de prolonger cette action d'ampleur jusqu'à ces territoires qui lui sont rattachés. Cette mesure ne coûterait pas très cher par rapport à l'ensemble du plan mais pourrait avoir une valeur politiquement forte.


Saint-Pierre-et-Miquelon
Un territoire français sous influence arctique

Composé de huit petites îles, l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon couvre une superficie totale de 242 kilomètres carrés, à 20 kilomètres au large de Terre-Neuve (Canada). Il s'agit du seul territoire français en Amérique du Nord. La population, qui est presque entièrement d'origine bretonne, normande et basque, s'élève à 6 000 habitants.

La collectivité d'outre-mer a fêté en 2016 le bicentenaire de sa rétrocession à la France. En effet, le 22 juin 1816, l'Angleterre cédait officiellement Saint-Pierre-et-Miquelon à la France. L'archipel est devenu territoire d'outre-mer en 1946, département d'outre-mer en 1976, collectivité territoriale à statut spécial en 1985, et collectivité d'outre-mer depuis la loi constitutionnelle de 2003.

Avec un port en eau profonde, le chef-lieu, Saint-Pierre, était le centre de la vie économique, consacrée à la pêche de la morue et au conditionnement du poisson jusqu'en 1992, date à laquelle cette activité a disparu après la décision du tribunal arbitral de New York de restreindre la zone économique exclusive et d'interdire la pêche à Terre-Neuve. Le Canada, s'en tenant à cette décision, refuse toute extension des eaux territoriales de l'archipel, qui a entrepris une reconversion dans l'élevage des moutons. Le tourisme canadien et américain constitue une ressource non négligeable, mais l'économie de l'archipel est quasi paralysée. En effet, l'archipel ne s'est jamais vraiment remis de l'effondrement de la pêche industrielle.

L'archipel est soumis à un climat subarctique qui rend son exploitation difficile. Les îles formées de roches paléozoïques recouvertes de dépôts glaciaires pauvres sont soumises à un rude climat maritime frais : température moyenne annuelle de 6 0C, neige abondante, mer gelée en hiver, brume et vent violent presque permanent. De ce fait, elles offrent peu de possibilités à l'agriculture ; les habitants ne peuvent tirer parti que de l'exploitation de la faune marine, très abondante et très riche dans cette partie de l'Atlantique grâce au contact entre le courant froid du Labrador et le Gulf Stream.

Les relations entre Saint-Pierre-et-Miquelon et l'Union européenne (UE) reposent sur le fait que Saint-Pierre-et-Miquelon est un pays et territoire d'outre-mer (PTOM) de l'Union. Le statut de PTOM concerne 26 pays et territoires liés constitutionnellement à un État membre de l'Union européenne mais ne faisant pas partie du territoire de l'Union. Les PTOM sont ainsi simplement « associés » à l'Union européenne, au nom des relations particulières qu'ils entretiennent avec un État membre. Les PTOM français sont la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Saint-Pierre et Miquelon, Saint Barthélémy, les Terres australes et antarctiques française et Wallis et Futuna.

Les relations UE - PTOM sont définies par la quatrième partie du TFUE et par la nouvelle Décision d'association outre-mer du 25 novembre 2013 entrée en vigueur le 1er janvier 2014. Le but de cette association est « la promotion du développement économique et social des pays et territoires, et l'établissement de relations économiques étroites entre eux et l'Union dans son ensemble ». Un forum de dialogue PTOM-UE rassemble annuellement les autorités des PTOM, les représentants des États membres et la Commission.

Contrairement aux régions ultrapériphériques, ces pays et territoires ne font pas partie de l'Union européenne. Le droit de l'Union ne leur est donc pas applicable mais ils sont néanmoins éligibles à de nombreux programmes horizontaux de l'Union européenne.

L'Union a fourni entre 2007 et 2013 un soutien financier à la stratégie de développement des PTOM dans le cadre du Fonds européen de développement (FED). Pour cette période, le montant total de l'aide européenne alloué aux PTOM a été de 286 millions d'euros. Pour 2014-2020, le FED prévoit une enveloppe spécifique de 364,5 millions d'euros, hors Groenland (ce dernier bénéficie d'un accord financier séparé avec l'UE, dont le financement relève du budget général de l'UE). À titre de comparaison, Saint-Pierre-et-Miquelon a bénéficié au titre du 9e Fonds européen de développement de 12,8 millions d'euros et de 16 millions d'euros au titre du 10e. Enfin, Saint-Pierre-et-Miquelon s'est vu attribuer 26,3 millions d'euros pour la période 2014-2020 grâce au 11e Fonds européen de développement.

De nombreux projets émergent concernant l'archipel. Iils concernent notamment : la relance d'une filière pêche, le développement du tourisme, un projet de « hub portuaire », l'appel aux investisseurs privés dans le domaine des nouvelles technologies ou encore une meilleure desserte maritime et aérienne.

Concernant le projet ambitieux de « Grand port », il s'agirait de mettre en oeuvre la réhabilitation des structures portuaires de l'archipel afin créer un terminal de croisières. La première phase des travaux devraient débuter en 2017. À terme, l'idée d'un hub maritime du transbordement est évoquée. La finalité du projet serait de faire de Saint-Pierre-et-Miquelon "un port avancé" pour Halifax, Québec ou Montréal, et accueillir les grands porte-containers.

La politique spatiale de l'Union européenne, avec le lancement et le déploiement actuel de ses satellites, va bientôt entrée en phase active. Galileo apportera un système européen de géolocalisation et Copernicus, programme d'observation de la Terre, va permettre de mieux connaître la géographie, le climat, la météo, etc... Ces deux programmes peuvent s'avérer particulièrement pertinents dans l'Arctique. Mais cela implique qu'ils couvrent bien cette région. Cela figure dans les objectifs des programmes, mais il convient de l'assurer.

Enfin, la situation internationale appelle l'Union à porter sans tarder un message clair à ses partenaires nordiques.

On pense en premier lieu au Brexit. La Norvège et surtout l'Islande seront,-elles-aussi, impactées par la décision du Royaume-Uni de quitter l'Union européenne, car il est un partenaire commercial de premier plan pour elles. Or, ce sont les principaux partenaires de l'Union dans le cadre de l'Espace économique européen (le troisième étant le Liechtenstein). L'Union pourrait, à cette occasion, s'interroger sur la nature de ces liens et peut-être les raffermir ou les renouveler, en prenant plus particulièrement en compte l'intérêt partagé pour l'Arctique.

En second lieu, la relation avec la Russie s'impose comme une question centrale. Il a beau être répété qu'en Arctique, la place est d'abord au dialogue et à la coopération, l'intervention russe en Crimée et en Syrie, la situation en Ukraine, les suppositions autour des cyberattaques et l'activité militaire dans l'Arctique russe interpellent nombre d'États membres de l'Union et de l'OTAN. Le Parlement européen a raison d'intégrer cette question dans la politique européenne pour l'Arctique et de l'inscrire dans une démarche de dialogue lucide.

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