F. LE MÉCANISME DE RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE MONTRE SES LIMITES

Le mécanisme de péréquation, créé par la circulaire du 31 mai 2013 puis par la loi du 14 mars 2016 et ses textes d'application, montre aujourd'hui ses limites et est de ce fait mal accepté par les départements.

1. L'effet de péréquation est brouillé par la saturation générale des capacités d'accueil

Premièrement, ce mécanisme a été conçu à un moment où certains départements voyaient leurs capacités d'accueil arriver à saturation tandis que d'autres n'étaient concernés que de manière marginale par l'arrivée des MNA. Aujourd'hui, des départements ruraux, éloignés des routes migratoires classiques ou des points d'arrivée en France, sont concernés par des arrivées spontanées de mineurs non accompagnés, notamment en raison de l'adaptation dont font preuve les filières de passeurs. Dans un contexte où les capacités d'accueil sont aujourd'hui partout saturées, un mécanisme visant à instituer une péréquation ne peut donner satisfaction.

2. La cellule nationale n'est pas toujours saisie

Le mécanisme de répartition repose sur la saisine de la MMNA par le juge ou le procureur appelé à prendre une décision de placement. Si les recommandations de la MMNA sont, à de rares exceptions près, suivies par les magistrats, cette dernière n'est dans les faits pas toujours saisie.

Premièrement, la mission MNA de la DPJJ a indiqué à vos rapporteurs que certaines juridictions ne transmettent pas les informations requises, alors même que c'est une obligation posée par la loi du 14 mars 2016 75 ( * ) .

Deuxièmement, la rédaction de l'article 375-5 76 ( * ) du code civil n'oblige les magistrats à saisir la MMNA que dans les cas où c'est le service de l'ASE qui leur signale la situation d'un mineur. Une telle obligation n'existe donc pas en cas de saisine directe du juge des enfants, par exemple suite à un refus de prise en charge.

Ainsi, une décision de placement sur cinq (soit plus de 1 600 cas en 2016) est prise sans que la MMNA n'ait pu formuler une recommandation d'orientation 77 ( * ) . De plus, ces décisions de placement ne sont alors connues qu'avec retard par la MMNA qui ne peut en tenir compte dans ses recommandations ultérieures.

Un bon fonctionnement du mécanisme de répartition suppose donc une pleine application de l'obligation faite aux magistrats par l'article 375-5 du code civil et l'extension de cette obligation aux cas de saisine directe. Il convient de rappeler que la recommandation de la MMNA n'est pas contraignante pour le juge, qui prend sa décision en considération de l'intérêt de l'enfant. Il ne s'agit donc en rien d'une immixtion de l'administration dans l'office du juge.

Proposition n° 22 : veiller au respect par les magistrats de l'obligation de transmission, prévue par l'article 375-5 et étendre cette obligation à l'ensemble des cas dans lesquels l'autorité judiciaire est appelée à prendre une mesure de placement d'un MNA.

3. Les limites intrinsèques de la formule de calcul de la clé de répartition

Les limites du mécanisme de répartition tiennent enfin au manque de pertinence de la clé de répartition. Cette clé est en effet calculée sur la base des données arrêtées en fin d'année précédente, ce qui est problématique dans un contexte d'augmentation continue du nombre de MNA. De plus, il n'est tenu compte que des mineurs confiés à chaque département par décision de justice. Or, les départements ont également à leur charge l'ensemble des personnes en cours d'évaluation ainsi que celles dont la minorité a été reconnue mais pour lesquelles le juge, qui doit alors être saisi, ne s'est pas encore prononcé.

Si la complexité de la formule de calcul définie par l'article R. 221-13 du CASF témoigne d'une volonté de développer un outil aussi précis que possible, la clé de répartition ne tient donc pas compte de la réalité de la charge supportée par les départements.

À titre d'exemple, les Alpes-Maritimes continuent d'accueillir des jeunes réorientés par d'autres départements sur proposition de la MMNA alors même que ce département prend en charge un nombre important de jeunes interpellés par les forces de l'ordre après avoir passé la frontière 78 ( * ) .

Une évolution de cette clé doit donc être envisagée. Vos rapporteurs ne formulent pas de proposition quant à la formule qui devrait être retenue, cette question relevant d'une négociation entre l'État et les départements afin d'être pleinement acceptée par ces derniers 79 ( * ) .

Proposition n° 23 : faire évaluer la formule de calcul de la clé de répartition afin de mieux prendre en compte le nombre réel de personne prises en charge.


* 75 Cette absence de transmission peut s'expliquer par une réticence de certains juges face à ce qu'ils voient comme une mise en cause de leur pouvoir d'appréciation.

* 76 Art. 375-5 du code civil : « Lorsqu'un service de l'aide sociale à l'enfance signale la situation d'un mineur privé temporairement ou définitivement de la protection de sa famille, selon le cas, le procureur de la République ou le juge des enfants demande au ministère de la justice de lui communiquer, pour chaque département, les informations permettant l'orientation du mineur concerné ».

* 77 Source : MMNA.

* 78 Une forte proportion de ces jeunes quitte les structures dans lesquelles ils sont hébergés pour continuer leur route avant que le juge n'ait pu prononcer une mesure de placement et ne sont donc pas comptabilisés pour le calcul de la clé de répartition.

* 79 L'annulation des dispositions de la circulaire du 31 mai 2013 par le Conseil d'État résulte d'un recours formé par plusieurs départements alors même que le mécanisme retenu résultait d'un accord entre les départements et l'ADF.

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