B. EN FRANCE, LA PROBLÉMATIQUE DES MNA DOIT ÊTRE DISTINGUÉE DE CELLE DES MIGRANTS

1. Si le phénomène n'est pas nouveau, son ampleur croît depuis quelques années de manière spectaculaire
a) Une question identifiée depuis plus de 15 ans

La présence en France de mineurs isolés n'est pas nouvelle. Le nombre de ces mineurs a cessé d'être anecdotique à partir des années 1990 avec notamment l'arrivée de mineurs venant de Chine et de Roumanie. Cette question a commencé à faire l'objet de diverses études commandées par les pouvoirs publics à partir des années 2000. Un premier rapport sur le sujet a été rédigé dès 2003 par un groupe de travail présidé par Bernard Landrieu, alors préfet de la région Ile-de-France 11 ( * ) . Dans un rapport publié en janvier 2005 12 ( * ) , l'Igas constatait déjà que la présence de MIE en France était un « phénomène établi » et que, bien que Paris et sa région fussent principalement concernés, la problématique de l'accueil des MIE se diffusait progressivement à l'ensemble du territoire.

En 2009, le Premier ministre confiait à notre collègue Isabelle Debré une mission visant à dégager les voies et moyens d'une amélioration de la réponse des pouvoirs publics à ce phénomène 13 ( * ) .

Différents rapports sur la question des MNA

La problématique de l'accueil des mineurs isolés étrangers ou non accompagnés a donné lieu à la rédaction de plusieurs rapports depuis les années, 2000 :

- rapport du groupe de travail animé par le préfet Bernard Landrieu sur les modalités de prise en charge des mineurs étrangers isolés sur le territoire français (2003) ;

- « Les mineurs isolés étrangers en France, évaluation quantitative de la population accueillie à l'Aide sociale à l'enfance », étude réalisée pour la direction de la population et des migrations par Angélina Etiemble (2002) ;

- rapport de la mission d'analyse et de proposition sur les conditions d'accueil des mineurs étrangers isolés en France de l'Igas (2005) ;

- rapport de Mme Isabelle Debré, parlementaire en mission auprès du Garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés (2010) ;

- « Des typologies pour faire connaissance avec les mineurs isolés étrangers et mieux les accompagner », étude de Angelina Etiemble et Omar Zanna (2013) ;

- « L'évaluation du dispositif relatif aux mineurs isolés étrangers mis en place par le protocole et la circulaire du 31 mai 2013 », rapport conjoint de l'IGSJ, de l'Igas et de l'IGA (2014).

L'ensemble de ces travaux, dont bon nombre de conclusions demeurent d'actualité alors même que le phénomène des MNA continue de prendre de l'ampleur, a nourri les réflexions de vos rapporteurs.

b) La croissance exponentielle du nombre de MNA depuis 2010

S'il est frappant de constater que nombres des observations formulées il y a parfois plus de dix ans demeurent vraies, le phénomène a changé d'échelle, au gré d'une progression exponentielle du nombre de mineurs isolés pris en charge.

Le rapport de l'Igas de 2005 estimait à 2 500 14 ( * ) le nombre de ces mineurs présents dans les services départementaux d'aide sociale à l'enfance (ASE) au 30 septembre 2004. En 2010, le rapport de notre collègue Isabelle Debré constatait que les estimations du nombre de mineurs isolés étrangers variaient entre 4 000 et 8 000 15 ( * ) .

La création d'une mission dédiée (MMNA) au sein de la DPJJ en 2013 a permis d'avoir une connaissance plus robuste du nombre de mesures de placement de MNA par l'autorité judiciaire. Cette mission doit être consultée 16 ( * ) par le juge des enfants ou le procureur préalablement à toute décision de placement et est donc en mesure de connaître précisément le nombre de décisions prises chaque année (« flux ») et le nombre de mesures en cours (« stock »).

En « stock », le nombre de mineurs pris en charge par les conseils départementaux était de 13 008 au 31 décembre 2016, contre environ 10 194 au 31 décembre 2015. Selon l'assemblée des départements de France (ADF), en juin 2017, ce « stock » atteignait 18 000 mineurs en juin 2017. Si cette tendance se poursuit, le nombre de MNA pris en charge pourrait donc avoir presque doublé sur l'année 2017.

Nombre de MNA pris en charge par les conseils départementaux

Source : Informations compilées par les rapporteurs

En termes de « flux », la MMNA a été saisie de 8 054 cas en 2016, soit une progression de 34 % par rapport à 2015 et de 215 % par rapport à 2013, année durant laquelle elle a commencé à fonctionner. Cette tendance semble se confirmer en 2017, puisque 4 065 saisines ont été recensées sur les quatre premiers mois de l'année. En extrapolant, sans tenir compte de la saisonnalité des mouvements migratoires, on peut s'attendre à ce que le nombre de saisines dépasse 12 000 en 2017, soit plus de deux fois le celui de 2015. Il est notable que ce nombre était en augmentation nette entre 2015 et 2016 (+ 28%), alors même que le nombre de demandes d'asile baissait à l'échelle européenne et ne progressait que de 9 % s'agissant de la France.

Source : DPJJ

NB : Les données pour 2017 correspondent à une extrapolation sur la base des saisines recensées sur les quatre premiers mois.

Si elles ont l'avantage de la robustesse, les statistiques de la MMNA ne reflètent que partiellement l'ampleur de la problématique des mineurs non-accompagnés. En effet, les cas recensés par la cellule sont ceux pour lesquels l'autorité judiciaire est amenée à se prononcer. Il convient donc d'ajouter à ces chiffres le nombre de personnes se déclarant MNA recueillies par les services départementaux et dont l'évaluation et en cours ainsi que l'ensemble des mineurs se trouvant sur le territoire national qui n'ont pas fait l'objet d'une prise en charge, parce qu'ils s'y soustraient ou parce qu'ils n'ont pas pu être repérés.

2. Les caractéristiques des MNA les distinguent des migrants adultes

La médiatisation de certaines situations peut conduire à des effets de loupe qui donnent une image trompeuse de la réalité de la problématique des MNA.

a) Une arrivée souvent organisée

La détection des MNA, qui permet leur prise en charge par les pouvoirs publics, passe par différents canaux, qui peuvent varier selon les départements.

Dans les Alpes-Maritimes, département visité par vos rapporteurs, la plupart des MNA pris en charge sont remis aux services du département par les services de police et de gendarmerie, soit après avoir été appréhendés à la frontière soit après avoir été recueillis par des acteurs associatifs ou des particuliers. Les Alpes-Maritimes ne semblent pas être la destination finale de ces jeunes, ainsi que le montre le nombre important de fugues depuis les structures d'accueil.

Le démantèlement de la « lande » de Calais en octobre 2016 a entraîné la création, dans l'urgence, de structures temporaires destinées à accueillir les mineurs isolés qui s'y trouvaient. L'ouverture de ces centres d'accueil et d'orientation pour mineurs (Caomi) a bénéficié d'une forte visibilité, du fait de l'arrivée soudaine de groupes de jeunes. Néanmoins, les jeunes accueillis dans des Caomi ne représentent qu'une faible part du total des MNA présents en France.

De même, les mineurs isolés ne représentent qu'une faible part des personnes présentes dans les camps sauvages qui apparaissent notamment en région parisienne 17 ( * ) .

Les Caomi

Les évacuations de campements sauvages autour de Calais se sont accompagnées de l'ouverture de centres d'accueil et d'orientation (CAO) et de centres spécifiques pour les mineurs isolés (Caomi). Une circulaire du 1 er novembre 2016 du Garde des Sceaux 18 ( * ) présente le fonctionnement de ces structures temporaires visant à assurer l'hébergement des personnes concernées, à apporter une réponse adaptée à leurs besoins sanitaires et à leur permettre de réaliser les démarches nécessaires, notamment au dépôt d'une demande d'asile.

La dernière synthèse réalisée par la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) fait apparaître que, sur les 1 922 jeunes (dont 151 filles) accueillis, 1 764 avaient quitté les Caomi au 18 avril 2017, la quasi-totalité de ces 61 structures ayant pu être fermées :

- 515 ont été transférés vers le Royaume-Uni ou l'Irlande ;

- 194 ont été orientés vers un service d'ASE ;

- 709 avaient fugué ;

- 333 ont été évalués majeurs et dirigés vers un CAO.

Les MNA peuvent également être détectés ou interpellés par les forces de l'ordre. La problématique de la délinquance des MNA est relayée par les médias et constitue parfois localement une réalité constatée quotidiennement par les forces de l'ordre et les magistrats 19 ( * ) . Néanmoins, il semble que ce phénomène demeure d'ampleur limité par rapport à la question des MNA dans son ensemble. Au demeurant, la commission de petits actes de délinquance est parfois un moyen pour des jeunes en détresse de se faire prendre en charge.

Il ressort des auditions menées par vos rapporteurs que, dans une grande majorité de cas, les jeunes se disant mineurs non accompagnés se présentent, directement aux services de l'aide sociale à l'enfance des départements, y compris dans des départements ruraux éloignés des routes migratoires classiques. Ces jeunes sont souvent entrés régulièrement sur le territoire français, le cas échéant avec de faux papiers et accompagnés d'un adulte. Lorsqu'ils se présentent seuls au guichet d'un service d'aide sociale à l'enfance, il arrive fréquemment que ces jeunes connaissent jusqu'au nom d'un des travailleurs sociaux du service. De plus, il est courant que l'arrivée d'un jeune originaire - ou disant être originaire - d'une localité soit suivie, dans les jours et les semaines qui suivent, de l'arrivée dans le même département d'autres jeunes porteur d'un récit similaire. Ces arrivées s'inscrivent donc dans la logique de périples organisés depuis les pays d'origine par de véritables filières qui connaissent très bien le fonctionnement de l'aide sociale à l'enfance en France.

b) Une prépondérance d'adolescents

Il ressort des statistiques de la cellule MNA pour 2016 que la majeure partie des MNA arrivant en France sont âgés de 15 à 18 ans 20 ( * ) , bien qu'un certain rajeunissement soit perceptible sur la période récente. Près de 95 % étaient des garçons, contre 80 % en 2001 et 87 % en 2014 selon le rapport conjoint IGSJ/Igas/IGA. Une partie de la sous-représentation des filles parmi les MNA peut s'expliquer par leur plus grande vulnérabilité aux réseaux de traites des êtres humains. Néanmoins, cette prépondérance des adolescents peut aussi s'expliquer par le fait que nombre d'entre eux sont missionnés par leur famille qui les juge plus aptes à un voyage difficile.

Âge des MNA à l'entrée dans le dispositif
de protection de l'enfance pour l'année 2016

Source : DPJJ

c) Des origines différentes de celles des demandeurs d'asile adultes

En 2017, l'origine des MNA est principalement l'Afrique (71 %) et dans une moindre mesure l'Asie (20 %) 21 ( * ) . Parmi les MNA originaires d'Afrique, 44 % sont d'Afrique de l'Ouest, 14 % d'Afrique du Nord et du Maghreb et 27 % du Sahel. Les personnes originaires de Syrie et d'Irak, d'Afghanistan ou de la Corne de l'Afrique, qui sont fortement représentées à la fois dans les statistiques de Frontex et dans les statistiques de l'Ofpra, le sont nettement moins au sein du public MNA.

Source : DPJJ, rapport annuel de la MMNA 2016

d) Un phénomène qui semble plutôt relever de la recherche d'opportunités économiques que de la fuite de conflits armés

Dans une étude publiée en 2013 22 ( * ) , Angélina Etiemble et Omar Zanna proposaient une typologie qui semble toujours d'actualité.

Une typologie des MNA

Dans ses travaux publiés en 2002 et 2013, Angelina Etiemble dressait une typologie des causes de la migration des MNA. Cette typologie distingue :

- les exilés, originaires de régions marquées par des conflits violents ;

- les mandatés, dont le départ a été incité, voire financé par la famille ou les proches afin qu'ils puissent apprendre un métier et rembourser ultérieurement le coût de leur voyage ;

- les exploités, victimes de filières de traite des êtres humains ;

- les fugueurs, quittant leur milieu de vie en raison de maltraitance ;

- les errants, enfants « de la rue » dans leur pays d'origine ;

- les rejoignants, dont un membre de la famille plus ou moins proche se trouve déjà en Europe.

Si la diversité des situations individuelles interdit toute généralisation, l'étude de l'origine, les modalités d'arrivée en France et le profil des MNA semble indiquer qu'un nombre important d'entre eux correspond davantage à la catégorie des « mandatés » qu'à celle des « exilés » ou des « errants » par exemple, même si ces profils existent également.

Par ailleurs, le nombre de MNA demandeurs d'asile est particulièrement faible en France, (475 sur près de 85 000 demandes en 2016), ce qui semble abonder dans le sens de cette conclusion 23 ( * ) .

Toute réponse à la problématique que représente l'afflux massif de jeunes mineurs doit donc nécessairement avoir pour préalable la lutte contre les filières qui organisent ces arrivées. Cette lutte suppose la coopération des États d'origine des MNA.

Proposition n° 1 : renforcer la lutte contre les filières de passeurs, en coopération av ec les États d'origine des MNA.


* 11 Rapport du groupe de travail sur les modalités de prise en charge des mineurs étrangers isolés sur le territoire français, 2003.

* 12 Igas, mission d'analyse et de proposition sur les conditions d'accueil des mineurs étrangers isolés en France, rapport n° 2005-010, janvier 2005.

* 13 Les mineurs isolés étrangers en France, rapport de Mme Isabelle Debré, parlementaire en mission auprès du Garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés - mai 2010.

* 14 Sur la base des réponses à un questionnaire adressé à 64 conseils généraux.

* 15 L'ADF estimait à 4 000 le nombre de mineurs pris en charge par les départements tandis que estimations des acteurs associatifs sur le nombre de MIE présents sur le territoire allaient jusqu'à 8 000.

* 16 Cf. infra.

* 17 À titre d'exemple, il n'y avait que 73 mineurs parmi les 3 880 personnes prises en chargé à l'issue de l'évacuation du campement dit « Stalingrad » à Paris, le 4 novembre 2016.

* 18 Circulaire du 1 er novembre 2016 de Monsieur le garde des sceaux, ministre de la justice, relative à la mise en oeuvre exceptionnelle d'un dispositif national d'orientation des mineurs non accompagnés dans le cadre des opérations de démantèlement de la lande de Calais, NOR : JUSD1631761C.

* 19 La présence de jeunes marocains dans le quartier de la Goutte-d'Or, à Paris, a ainsi été fortement médiatisée en mars 2017.

* 20 Lorsque la minorité alléguée n'est pas remise en cause, l'âge retenu est celui déclaré par le mineur. Il est donc possible que l'âge réel soit supérieur.

* 21 Source : rapport annuel d'activité de la MMNA.

* 22 Angelina Étiemble et Omar Zanna, Des typologies pour faire connaissance avec les mineurs isolés étrangers et mieux les accompagner, juin 2013. Cette étude actualise une étude précédente de A. Etiemble pour la direction de la population et des migrations réalisée en 2002 ( Les mineurs isolés étrangers en France, évaluation quantitative de la population accueillie à l'aide sociale à l'enfance , 2002).

* 23 Le faible nombre de demandes d'asile par des MNA peut en partie s'expliquer par le fait qu'une telle démarche n'est pas nécessaire pour accéder à la protection de l'ASE. Toutefois, la France n'enregistre qu'environ 1 % des demandes d'asile de MNA dans l'UE, alors qu'elle enregistre 6 % des demandes d'asile, selon les données d'Eurostat.

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