B. DES DIFFICULTÉS D'INSTALLATION PARFOIS PLUS PRONONCÉES POUR LES FEMMES QUE POUR LES HOMMES

La problématique de l'installation est un enjeu pour l'agriculture dans son ensemble et pas seulement pour les agricultrices, alors que le nombre d'agriculteurs en Europe baisse de 25 % tous les dix ans 98 ( * ) .

Les personnes qui souhaitent s'installer en tant qu'exploitant agricole se heurtent ainsi à deux principales difficultés : l'accès aux capitaux pour les aider à financer leurs investissements de départ, et l'accès à la terre, en raison de la pression foncière qui a été évoquée dans plusieurs témoignages.

La délégation souhaite à cet égard citer les paroles de Michelle Luneau, agricultrice drômoise : « Nos paysans ne peuvent même plus vivre sur leurs exploitations (...) Il est devenu difficile d'avoir des baux de fermage, chez nous le prix des terres s'envole alors on ne s'encombre pas d'un fermier, puis si c'est une femme... »

Le frein principal à l'installation des agriculteurs vient donc de son coût, notamment pour les personnes extérieures au monde agricole.

Selon Sabrina Dahache, docteure en sociologie, chargée de cours à l'université Toulouse Jean Jaurès, ces difficultés sont plus marquées pour les femmes : « Tout au long de la construction du projet d'installation se creusent des disparités entre les hommes et les femmes. L'accès aux moyens de production, condition nécessaire à l'installation, demeure complexe pour les femmes non héritières dans un environnement où la pression est forte et concurrentielle. Le manque de ressources propres (foncier, bâti) et d'appuis solides s'ajoutent à la défiance des organismes prêteurs et des bailleurs de terres potentiel s. Ces éléments conjugués font que les femmes sont contraintes de se reporter vers de plus petites unités de production (40 % inférieur par rapport aux hommes). Les prêts bancaires sont plus modiques pour elles que ceux qui sont consentis pour leurs homologues masculins . Le recours à d'autres structures financières (coopératives, abattoirs) accroît leur taux d'endettement au démarrage de l'activité. Il en découle des écarts en termes de durée de prêts allant de 25 ans en moyenne pour les femmes à dix ans pour les hommes » 99 ( * ) .

Cette analyse est partagée par la Commission nationale des agricultrices de la FNSEA, qui rappelle qu'en 2010, les femmes représentaient 24 % des installations des moins de 40 ans (cette proportion est passée à 29 % en 2014 selon la MSA). Leur âge moyen à l'installation est également plus tardif : 31 ans (contre 29 ans pour les hommes). Elles représentent en 2014 44 % des installations des plus de 40 ans, hors transferts entre époux.

En outre, en 2010, 28 % seulement d'entre elles ont bénéficié de la dotation jeune agriculteur (DJA), contre 39 % des hommes installés au même âge , en raison de surfaces plus petites à l'installation 100 ( * ) et de l'absence de formation agricole. En effet, près de la moitié des exploitantes de moins de 40 ans ne sont pas passées par l'enseignement agricole, ce qui n'est le cas que pour un cinquième des hommes.

De surcroît, selon la Commission nationale des agricultrices, au moment de leur installation, l'accès au foncier et aux capitaux reste toujours plus défavorable aux femmes, car les retraités préfèrent souvent céder leur exploitation à un homme qu'à une femme ; les banques se montrent parfois plus réticentes à prêter à une femme.

Enfin, il faut garder en tête que la grande majorité des agricultrices accèdent encore au métier par le mariage (en 2007, 82 % des femmes installées étaient conjointes du précédent chef d'exploitation).

Ces différents points sont développés ci-après.

1. Une orientation souhaitable : faciliter l'installation des agricultrices en faisant mieux connaître les aides existantes et en adaptant certains de leurs critères d'attribution
a) Des aides à l'installation peu adaptées au profil des agricultrices

Les aides à l'installation visent à soutenir financièrement les jeunes agriculteurs pour leur première installation et à favoriser la viabilité économique de leur projet . Elles sont financées par les crédits européens sur le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) et par des crédits nationaux.

Le dispositif national des aides à l'installation comprend :

- la dotation jeune agriculteur (DJA) : c'est une aide au démarrage , dont le montant peut varier en fonction des handicaps liés à la zone d'installation, de la nature du projet et des priorités fixées dans les régions. Elle est versée au minimum en deux fractions sur une durée maximale de cinq ans. Il s'agit de procurer au jeune agriculteur qui s'installe la trésorerie nécessaire pour financer son activité. Les montants de base pour chaque zone ont été définis au niveau national, ainsi que trois modulations nationales (agro-écologie, valeur ajoutée emploi, hors cadre familial) qui majorent (par le biais de pourcentage) le montant de base ;

- les prêts bonifiés : il s'agit d'une aide à l'investissement (prêts moyens à taux spéciaux jeunes agriculteurs (MTS JA). Ils sont destinés à assurer le financement de la reprise de l'exploitation et des premiers investissements nécessaires à la réalisation du projet d'installation. D'après les informations transmises à la délégation par le syndicat Jeunes agriculteurs , ces prêts sont en cours de réforme et seraient remplacés par une quatrième modulation nationale de la DJA à compter de 2017 : coût de reprise et effort de modernisation.

La demande d'aides à l'installation

Les aides à l'installation concernent toute personne qui souhaite s'installer comme exploitant agricole à titre individuel ou au sein d'une société agricole. Les conditions d'accès à ces aides sont les suivantes :

- s'installer pour la première fois comme chef d'exploitation individuel ou en société ;

- être âgé de plus de 18 ans et de moins de 40 ans au moment de la présentation de la demande d'aides à l'installation ;

- disposer de la capacité professionnelle à la date du dépôt de la demande d'aide à l'installation, attestée par la possession d'un diplôme agricole conférant le niveau IV et par la possession d'un plan de professionnalisation personnalisé (PPP) ;

- présenter un plan d'entreprise (PE) qui va se réaliser sur une période de cinq ans et dégager un revenu au moins égal à un SMIC net annuel à son terme.

Par ailleurs, le bénéficiaire s'engage notamment pendant cinq ans minimum à rester chef d'exploitation ; tenir une comptabilité de gestion ; mettre en oeuvre son plan d'entreprise.

Le candidat doit remplir les critères d'éligibilité au moment où il fait sa demande, laquelle est déposée antérieurement à la reprise de l'exploitation par le candidat à l'installation.

Le circuit de gestion des aides à l'installation est défini au niveau régional . Le traitement des dossiers prévoit une étape d'instruction puis de sélection avant attribution des aides à l'installation par l'autorité de gestion et les différents financeurs. Le dossier de demande d'aide doit être accompagné du PPP validé et du Plan d'Entreprise.

Les candidats à l'installation peuvent solliciter soit la DJA, soit les prêts bonifiés, les deux aides n'étant pas conditionnées l'une à l'autre.

En revanche, le versement de ces deux aides est conditionné à la mise en oeuvre d'un plan d'entreprise qui précise notamment la situation initiale et les étapes de développement de l'exploitation sur cinq ans .

Une fois la décision d'octroi de l'aide notifiée, le bénéficiaire devra mettre en oeuvre son plan d'entreprise dans un délai de neuf mois .

Comme l'indiquent les statistiques, les jeunes femmes qui souhaitent s'installer ne sont pas toujours éligibles aux aides à l'installation - ou plus difficilement que les hommes - pour plusieurs raisons 101 ( * ) :

- Premièrement, pour bénéficier de l'aide, le projet doit remplir les conditions d'Activité minimale d'assujettissement (AMA) 102 ( * ) , ce qui permet au candidat à l'installation d'être affilié à l'assurance-maladie des exploitants agricoles (AMEXA) et de bénéficier du régime social des exploitants agricoles, sous le statut d'exploitant agricole. L'AMA est un seuil défini par plusieurs critères, permettant de déterminer si le projet est suffisamment pertinent pour bénéficier des aides de l'État. Comme le détaille l'encadré ci-après, elle est fondée sur trois critères : le temps de travail sur l'exploitation, le revenu généré et l'apport de capital.

L'activité minimale d'assujettissement (AMA)

L'AMA englobe trois critères :

1/ la surface minimale d'assujettissement (SMA) : la superficie mise en valeur doit avoir une importance au moins égale à une SMA du département dans lequel se trouve l'exploitation ;

2/ Le temps de travail consacré à l'activité agricole, lorsque la surface agricole ne peut pas être prise pour référence. Il doit être au minimum de 1 200 heures par an ;

3/ Les revenus professionnels générés par l'activité agricole des cotisants de solidarité non retraités. Ces revenus seront pris en compte pour les affilier en qualité de chef d'exploitation ou d'entreprise agricole, dès lors que ces revenus sont supérieurs ou égaux à 800 Smic.

Source : site Internet de la MSA

Or, bien souvent, les surfaces exploitées par les femmes sont inférieures à celles exploitées par les hommes . Plusieurs des agricultrices rencontrées par les co-rapporteur-e-s ont ainsi indiqué n'avoir pu bénéficier des aides pour cette raison . C'est le cas de Christine Riba, représentante de la Confédération Paysanne , lors de son audition par la délégation : « Lorsque j'ai démarré l'exploitation, je ne pouvais pas bénéficier du statut agricole, parce que la surface était insuffisante ».

De même, dans le cadre d'un déplacement des co-rapporteures 103 ( * ) dans la Drôme, la présidente de la caisse locale du Crédit agricole a indiqué que, sur cinq dossiers d'installation traités en 2016 par la banque, aucun n'émanait d'une femme . Elle a estimé ce fait lié à la spécificité des dossiers des agricultrices , qui se caractérisent généralement par de la pluriactivité et de petites surfaces , et ne nécessitent donc pas forcément un apport en capital tel qu'il nécessite une demande de prêt. De manière générale, dans ce département, les installations féminines sont souvent atypiques, hors cadre DJA voire hors cadre familial ; au total, seulement 50 % de l'ensemble des dossiers d'installation (hommes et femmes confondus) passent par une demande de DJA dans la Drôme.

Enfin, il faut garder en tête que la proportion élevée de femmes qui reprennent l'exploitation de leur mari à la suite de sa retraite ou de son décès ne peut par définition pas bénéficier des aides à l'installation (DJA ou prêts).

- Deuxièmement, le critère de l'âge limite , fixé à 40 ans, pour prétendre à ces aides. Or la décision de s'installer comme exploitante peut intervenir plus tard pour les femmes que pour les hommes, par exemple après les maternités, ce qui retarde l'âge de l'installation. Interrogé sur la pertinence d'un éventuel recul de cet âge limite, le syndicat Jeunes agriculteurs s'est déclaré réservé sur cette question, alléguant les exigences européennes en matière de non-discrimination.

La délégation propose de mettre à l'étude une évolution des critères d'attribution de la dotation jeune agriculteur (DJA) , de façon à les rendre davantage compatibles avec le profil des agricultrices, qui s'installent généralement plus tard que les hommes.

Dans ce cadre, pourrait être plus particulièrement étudiée la possibilité de :

- moduler le critère de surface minimale d'exploitation pour l'obtention de la DJA ;

- remplacer le critère d'âge limite par un critère fondé sur la notion de première installation à titre principal ;

- considérer la grossesse comme une circonstance exceptionnelle justifiant la non-réalisation des engagements prévus dans le plan d'entreprise et repousser ce délai si une grossesse survient pendant les neuf mois au cours desquels celui-ci doit être mis en oeuvre ;

- modifier l'intitulé de cette aide pour la dénommer « Dotation nouvel agriculteur » (DNA) .

- Troisièmement, le critère de diplôme (disposer de la capacité professionnelle agricole). On l'a vu précédemment, beaucoup d'agricultrices ont un niveau de diplôme supérieur à celui des agriculteurs, mais n'ont pas forcément suivi de formation agricole. Cela les incite donc à s'inscrire à des stages préparant à l'installation en formation continue dans des Centres de formation professionnelle et de promotion agricole (CFPPA), caractérisés par une féminisation croissante. De plus en plus d'agricultrices s'inscrivent en effet à de telles formations pour obtenir la dotation jeune agriculteur (DJA). Ainsi, d'après les données transmises par le SNETAP-FSU, on constate depuis plusieurs années une participation presque égale de femmes et d'hommes dans les stages préparant à l'installation, par exemple. De même, selon Philippe Vinçon, DGER, « parmi les nouveaux détenteurs du brevet professionnel « reprise d'une exploitation agricole », sésame qui donne la clé de l'installation, on compte aujourd'hui 40 % de jeunes femmes ».

Les formations à l'installation sont déterminantes et permettent bien souvent de surmonter les obstacles financiers, bancaires et fonciers . Ce point a en particulier été souligné lors du déplacement des co-rapporteures en Haute-Garonne, au cours de la rencontre avec la directrice du CFPPA d'Ondes. Il a également été commenté par Karen Serres, présidente régionale de la Commission des agricultrices de la Fédération régionale des syndicats d'exploitants agricoles de Midi-Pyrénées, présidente de TRAME (Organisation nationale de développement de l'agriculture auprès des agriculteurs et des salariés agricoles) et présidente du lycée agricole Cahors-Le Montat, au cours du colloque du 22 février : « Toute cette formation destinée aux adultes est très importante. Elle est même fondamentale pour permettre aux agricultrices d'acquérir les compétences qui conditionnent les aides à l'installation ».

Par ailleurs, les témoignages rassemblés montrent que les stagiaires sont de plus en plus diplômées , ont eu un parcours professionnel avant leur projet d'installation et celui-ci rompt avec les schémas d'installation antérieurs. Ces futures agricultrices se disent soucieuses de produire autrement (petites exploitations, moins mécanisées), de diversifier leur activité et de créer du lien social sur le territoire.

La délégation réaffirme le rôle fondamental des centres de formation professionnelle et de promotion agricole (CFPPA) en tant qu'acteurs clé de la formation adulte et de la promotion sociale des agricultrices .

Sur la question des aides à l'installation, la délégation note avec intérêt que la loi d'avenir pour l'agriculture du 13 octobre 2014 104 ( * ) permet l'accompagnement des créations d'entreprises agricoles par des femmes au moyen d'aides au démarrage des petites exploitations et de conseils à l'investissement, dans le cadre de l'entrepreneuriat et des programmes de développement rural (PDR).

La feuille de route 2015/2016-2017 du ministère de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt élaborée dans le cadre du Comité interministériel des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes mentionne par ailleurs que la programmation du développement rural 2014-2020 prévoit une ventilation entre hommes et femmes spécifiquement pour deux mesures :

- mesure 4 : investissements dans les exploitations agricoles ;

- mesure 6 : développement des exploitations agricoles.

Ce point a d'ailleurs été souligné dans le discours du ministre lu par notre collègue Marie-Pierre Monier, co-rapporteure, au cours du colloque du 22 février 2017 : « La loi d'avenir et la réforme de la PAC ont permis, dans les programmes de développement rural régionaux, l'accompagnement des créations d'entreprises agricoles par des femmes grâce à des aides au démarrage des petites exploitations et des conseils à l'investissement ciblés. Fin 2015, les Programmes de développement rural remis par les régions ont ainsi intégré des initiatives en faveur des femmes . On y retrouve des initiatives heureuses et très innovantes en matière de parité , parfois pour la première fois ».

b) Le dispositif du Fonds de garantie à l'initiative des femmes (FGIF)

D 'autres aides dédiées à la création d'entreprises par les femmes peuvent être mobilisées par les agricultrices dans le cadre de leur projet d'installation. C'est notamment le cas du Fonds de garantie à l'initiative des Femmes (FGIF) qui permet à toute femme, sans condition de ressources ni de diplôme , d'accéder au crédit bancaire pour créer, reprendre ou développer une entreprise, sans mettre en garantie ses biens propres.

Ce dispositif n'est pas spécifiquement conçu pour les entreprises agricoles, mais il peut être mobilisé dans ce contexte.

Ces prêts, réservés aux femmes, sont attribués quelles que soient la forme juridique de l'entreprise et l'activité. Ils visent à accompagner la création ou la reprise d'entreprises ou le développement d'entreprises créées depuis moins de cinq ans.

Le montant de ces prêts est de 5 000 € minimum et ils sont attribués pour une durée de deux à sept ans. Le FGIF couvre 70 % du prêt dans la limite de 45 000 €. Le financement peut être destiné à des investissements ou à des besoins de fonds de roulement . La banque s'engage à ne pas prendre de caution personnelle.

Les dossiers de demande doivent être retirés auprès des déléguées départementales ou régionales aux droits des femmes, des plates-formes d'initiative locales d'Initiative France et sur le site franceactive.org (réseau d'accompagnement spécialisé dans le financement de la création d'entreprise et l'accompagnement des porteur-e-s de projet).

c) Le recours aux plateformes de dons et prêts en ligne

Le syndicat Jeunes agriculteurs , entendu par la délégation le 1 er juin 2017, encourage par ailleurs la diversification des financements : il a mentionné un partenariat avec une plateforme de don en ligne ( Miimosa ) et une plateforme de prêt en ligne ( Lendosphere ) à l'intérêt certain.

Or, dans bien des cas, ces aides ne sont pas suffisamment connues. La délégation encourage ce type de financement, qui présente un réel intérêt.

La délégation recommande, à destination des futures agricultrices (élèves de l'enseignement agricole scolaire, apprenties et stagiaires à l'installation), une communication active et soutenue sur les aides spécifiquement dédiées à la création d'entreprise par des femmes , comme le Fonds de garantie à l'initiative des femmes (FGIF), et sur la diversification des financements à l'installation (partenariat avec des plateformes de dons ou prêts en ligne).

2. Un impératif : faciliter l'accès au foncier
a) Des difficultés pour les hommes comme pour les femmes ?

Plus encore que l'obtention des aides, l'accès à la terre constitue souvent la principale difficulté à laquelle se heurtent les personnes souhaitant s'installer en agriculture , surtout lorsqu'elles ne sont pas issues du milieu agricole (on parle d'installation hors-cadre familial).

L'opposition entre héritiers et non héritiers agricoles a été évoquée à de très nombreuses reprises au cours des travaux de la délégation, en particulier par Karen Serres au cours du colloque du 22 février 2017 : « Il y a d'un côté, dans l'agriculture, les agricultrices qui s'installent en individuel ou en tant que filles d'agriculteurs sur le patrimoine familial et, de l'autre côté, celles qui entrent dans l'agriculture en tant que bru, c'est-à-dire qui rejoignent l'exploitation de leur mari ou de leur conjoint. Ces deux formes d'exercice du métier sont vécues différemment . Malheureusement, si ce n'était qu'une question générationnelle, on pourrait dire que le problème est derrière nous. Mais même chez les jeunes, dès lors qu'une agricultrice s'installe sur l'exploitation qui est issue du patrimoine de son mari, elle est regardée différemment par la banque, par ses collègues agriculteurs, par la société en général ».

La problématique de l'accès au foncier concerne aussi bien les hommes que les femmes, même si les difficultés peuvent être accentuées pour les femmes. En effet, l'agriculture demeure très patrimoniale et, comme cela a déjà été mentionné, les propriétaires sont souvent des agriculteurs à la retraite qui ne sont pas toujours enclins à louer ou à céder leurs terres à une femme.

Durant leurs travaux, les co-rapporteur-e-s ont entendu plusieurs témoignages corroborant ce point, aussi bien pendant le colloque du 22 février 2017 qu'au cours des auditions à Paris ou lors des déplacements sur le terrain.

À cet égard, les co-rapporteur-e-s souhaitent rappeler ici le témoignage particulièrement éclairant de Véronique Léon, représentante de la Confédération paysanne , entendue par la délégation le 7 juin 2017 : « L'accès au foncier est, en matière d'installation, l'un des problèmes les plus aigus. Voilà vingt ans que mon mari et moi sommes installés : nous avons péniblement obtenu trois hectares, la mairie nous en a donné trois autres en fermage pour nous aider, et tout le reste des 74 hectares que nous déclarons à la PAC relève d'accords précaires, y compris les trois hectares de châtaigniers.

« Il est vraiment difficile d'obtenir un bail ou une vente, et l'accroissement des fermes et l'urbanisation restreignent encore plus l'accès au sol .

« Je ne pense pas que, en la matière, il y ait une véritable différence entre un homme et une femme, mais le combat est encore plus rude lorsqu'on est une femme . Je pense à une jeune maraîchère de ma région qui, cherchant depuis dix ans des terres en céréales avec le projet de devenir paysanne boulangère, a dû batailler ferme pour récupérer dix hectares de terres céréalières qui se sont libérées voilà un an et sur lesquelles tous les agriculteurs du coin se sont jetés comme des voraces. Elle aussi a reçu des lettres dans lesquelles on l'appelait « monsieur », et ce n'était pas une erreur ! ».

Ghislaine Dupeuble, viticultrice dans le Rhône, a pour sa part exprimé lors du colloque du 22 février 2017 le sentiment d'avoir rencontré des difficultés précisément parce qu'elle était une femme : « Je suis arrivée en 1997 sur le domaine. Mes parents n'étant pas encore à la retraite, j'ai recherché une exploitation pas trop loin pour agrandir le domaine et apporter une valeur ajoutée à l'exploitation existante. J'ai passé mon diplôme en juin 1997. Ce n'est pas du tout pour me vanter, mais j'avais de très bonnes notes, de très bonnes appréciations . J'ai postulé en avril-mai 1997 auprès de la SAFER (Société d'aménagement foncier et d'établissement rural), qui contrôle les ventes des exploitations, mais ma candidature a été refusée sous prétexte qu'il n'était pas certain que j'obtienne mon diplôme... Pourtant, les notes que j'avais eues en contrôle continu m'assuraient l'obtention de mon diplôme . Je l'ai d'ailleurs eu avec mention, mais je n'ai pas pu acheter l'exploitation que je convoitais. Encore maintenant, cela ne passe pas... ».

La société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER)

La SAFER est une société anonyme, sans but lucratif. Quatre missions de service public lui ont été confiées :

- protéger les espaces agricoles, naturels et forestiers ;

- concourir à la diversité des paysages, à la protection des ressources naturelles et au maintien de la diversité biologique ;

- contribuer au développement durable des territoires ruraux ;

- assurer la transparence du marché foncier rural.

Après mise en publicité des biens qu'elle offre à la vente ou à la location, la SAFER recueille des candidatures et présente les différents projets d'aménagement des candidats à une instance décisionnelle : le comité technique départemental.

Les choix d'attribution, sous contrôle de deux commissaires du Gouvernement, sont examinés par ce comité et validés par le conseil d'administration, lequel est présidé par un agriculteur.

Les administrateurs sont des représentants d'organismes professionnels agricoles, de collectivités territoriales et d'associations environnementales . Chaque attribution est soumise à un cahier des charges d'une durée minimale de quinze ans.

Pour mener à bien ses missions, la SAFER pratique principalement la négociation amiable avec les propriétaires vendeurs ou a recours à l'utilisation de son droit de préemption . Celui-ci s'exerce avec l'accord exprès des commissaires du Gouvernement et au regard des priorités fixées par la loi, dans un but d'intérêt général, pour maintenir la vocation agricole d'un bien ou protéger l'environnement, et pour lutter contre la spéculation foncière.

Les SAFER mènent des actions foncières (par exemple en réorientant des terres pour la réalisation de projets individuels ou collectifs) et rendent des services aux agriculteurs (par exemple en accompagnant des cédants dans leur futur projet de transmission).

Source : Guide pratique pour les femmes en agriculture - les réponses à vos questions - FRSEA Haute Normandie

Le ressenti par la viticultrice Ghislaine Dupeuble contraste avec l'affirmation, par le syndicat Jeunes agriculteurs , que les femmes ne rencontrent pas plus de difficultés que les hommes dans l'accès au foncier. Selon les représentants de ce syndicat entendus par la délégation, le principal frein pour accéder au foncier tient au fait de ne pas être issu d'une famille d'agriculteur , car celui qui cède ses terres peut se méfier de l'utilisation qui en sera faite, et aura plus facilement confiance en un agriculteur issu du cadre familial.

Dans la même logique, les agricultrices rencontrées dans la Drôme ont mis en exergue la problématique de l'accès au foncier et de la disponibilité des terres pour les agriculteurs dans le département , tant pour les hommes que pour les femmes, en raison d'une importante pression foncière qui induit les propriétaires fonciers à refuser de louer leur terre en fermage . Selon elles, les femmes se heurtent parfois à davantage d'obstacles pour louer des terres, a fortiori si elles ne sont pas issues d'une famille d'agriculteurs.

Dans ce contexte, l'installation semble généralement plus aisée lorsqu'elle se fait dans un cadre familial , car elle offre aussi plus de sécurité économique.

Par ailleurs, Véronique Léon, de la Confédération paysanne , a estimé lors de son audition par la délégation que, « du fait de la faiblesse des retraites, les agriculteurs partant à la retraite ont souvent du mal à laisser la terre pour un prix relativement bas », ce qui accentue également la pression foncière . Le lien entre la faiblesse des pensions et le renchérissement des terres vendues par les cédants , au détriment des jeunes qui souhaitent s'installer, a également été relevé par les interlocutrices bretonnes des co-rapporteur-e-s, le 14 juin 2017. Ces dernières ont évoqué les hésitations de certains cédants, réticents à vendre leur exploitation à une femme, reconnaissant toutefois qu'il ne s'agissait pas là d'une difficulté quantifiable, mais plutôt d'un ressenti relayé par divers témoignages .

La délégation recommande une étude systématique, en partenariat avec les chambres d'agriculture et les syndicats, sur les difficultés à l'installation ressenties par les hommes et les femmes , qu'il s'agisse de l'accès aux aides, aux financements ou à la terre.

La délégation encourage aussi les différents partenaires des agriculteurs et agricultrices qui s'installent (MSA, chambres d'agriculture, syndicats) à identifier un-e référent-e dédié-e en cas de difficulté .

b) Un levier d'action : diversifier la composition des instances statuant en matière d'attribution de terres

Le témoignage d'une agricultrice rencontrée à Toulouse a particulièrement interpellé les co-rapporteures. Cette personne a en effet fait part des difficultés rencontrées au moment de son installation . Elle a un parcours atypique, puisqu'elle a décidé de s'installer sur le tard, dans la filière équine (élevage et production de chevaux) avec sa fille, après une carrière au Crédit Agricole. Elle a repris l'exploitation familiale lorsqu'elle s'est retrouvée au chômage. Dans ce contexte, elle a passé un brevet professionnel pour obtenir la capacité agricole, ce qui lui a également permis de devenir formatrice dans un CFPPA.

Selon elle, il est très compliqué de reprendre une exploitation quand il y a un fermier sur le terrain et que l'on est « hors-cadre familial » , qui plus est quand on choisit la filière équine. L'interruption du fermage a nécessité le recours au tribunal des baux ruraux, qu'elle a présenté comme une instance dominée par des hommes issus du monde agricole et selon elle peu ouverts aux personnes qui n'y appartiennent pas.

Au regard de son expérience, cette agricultrice estime nécessaire de faire en sorte de renouveler et de diversifier la composition des instances et des commissions qui ont à statuer sur l'attribution des terres, des aides ou sur les autorisations d'exploitation , de façon à ce qu'elles ne soient pas uniquement composées d'hommes qui viennent du milieu agricole, mais ouvertes aussi à des personnes au profil atypique : femmes, « hors cadre familial », néo-ruraux, etc.

Une telle évolution paraît d'autant plus nécessaire que le renouvellement de l'agriculture passe aujourd'hui beaucoup par des gens qui ne sont pas issus de ce milieu 105 ( * ) et qu'il importe donc d'accélérer l'évolution des mentalités.

Les suggestions émises par le syndicat Jeunes agriculteurs sur le foncier agricole semblent aller dans la même direction, puisqu'il propose, entre autres, d'assurer une rotation tous les cinq ans des personnes qui siègent dans les instances gérant l'attribution des aides et des terres .

La délégation partage ce diagnostic et juge souhaitable d'encourager le renouvellement des structures statuant en matière d'attribution des terres .

La délégation recommande de mettre à l'étude un renouvellement et une diversification de la composition des instances et commissions qui statuent sur l'attribution des terres, des aides et sur les autorisations d'exploitation, de façon à l'adapter davantage aux profils actuels des candidat-e-s à l'installation (hors cadre familial, femmes, néo-ruraux, etc.)

La délégation souhaite sensibiliser les organismes de financement à la nécessité de ne pas méconnaître les besoins des agricultrices en matière de crédits lors de leur installation.

De ce point de vue, la délégation approuve le principe acté, à l'initiative du ministère de l'Agriculture, d'une composition équilibrée (30 % de femmes minimum) des conseils d'administration des SAFER , évoqué dans le discours du ministre de l'Agriculture lu par notre collègue Marie-Pierre Monier lors du colloque du 22 février 2017.

c) Une nécessaire réflexion sur la transmission des exploitations

Au-delà de la problématique de l'installation, la question foncière implique aussi une réflexion sur la transmission , comme l'ont très justement souligné les représentantes de la Confédération paysanne au cours de leur audition devant la délégation, le 7 juin 2017 :

« Christine Riba . - Les questions de l'installation et de la transmission vont de pair. Si nous progressons en matière d'installation, il reste beaucoup à faire au niveau de la transmission, qui met en jeu beaucoup de facteurs humains. Seul un voisin ou un collègue - et non un technicien - peut aborder ce sujet avec un paysan proche de la retraite. Il est alors possible de lui présenter un jeune ou un moins jeune avec un projet d'installation. Il y a donc là un véritable travail de coordination et d'animation à mener . Or, dans certaines régions, comme en Auvergne-Rhône-Alpes, les financements manquent pour cela. Il en va de même pour les pépinières , qui existent dans plusieurs endroits. Ce sont soit des lieux achetés par des collectivités locales, soit des terres cédées par des paysans ou des paysannes, qui permettent à de jeunes porteurs de projets de tester et d'expérimenter leur projet . Ces dispositifs, qui donnent des résultats assez intéressants, exigent également un minimum d'animation et de coordination.

« Véronique Léon . - Il existe un document qui est adressé à ceux qui sont sur le point de partir à la retraite : la DICAA ou déclaration d'intention de cessation d'activité agricole . Une fois renvoyée à la chambre d'agriculture, celle-ci est censée mettre en relation les cédants avec des porteurs de projets. Nous souhaiterions rendre cette déclaration obligatoire, afin de faciliter les travaux d'approche. Par ailleurs, il me semble que le stage « Reprise d'exploitation agricole » existe dans toutes les régions, peut-être avec des modalités et un financement différents . S'agissant de notre cas, la personne qui va me remplacer sur la ferme perçoit pendant un an 710 euros par mois, auquel nous ajoutons 450 euros. Elle est en outre nourrie et dispose d'une assurance sociale. Le financement est assuré par la région. Il n'est donc sans doute pas uniforme selon les territoires ».

La délégation recommande une homogénéisation de l'offre, des modalités et des conditions de financement des stages « Reprise d'exploitation agricole » dans les différents territoires, de façon à garantir une égalité d'accès à ce dispositif à tous les agriculteurs et agricultrices.

Dans la même logique, elle souhaite sensibiliser les collectivités territoriales et les chambres d'agriculture à l'intérêt d' initiatives telles que les « pépinières » , qui permettent l'expérimentation des projets en conditions réelles, avant l'installation.

Des préoccupations prises en compte au niveau européen

Le Parlement européen a adopté, à l'occasion de la Journée Internationale des droits des femmes, le 8 mars 2017, un rapport sur les femmes et leurs rôles dans les zones rurales 106 ( * ) , précédemment mentionné.

Ce texte met particulièrement en avant la problématique de l'accès au foncier et aux capitaux pour les femmes , ce qui confirme que les difficultés identifiées dans notre pays se retrouvent dans d'autres pays européens .

La délégation souhaite citer ici le considérant et les recommandations du Parlement européen portant sur cette question :

« Considérant que, pour que les femmes travaillant dans l'agriculture puissent bénéficier de régimes d'aides en leur faveur, il faudrait qu'elles soient reconnues en tant que propriétaires ou copropriétaires ; considérant que l'accès des femmes à la propriété ou à la copropriété d'exploitations devrait être encouragé par l'Union européenne , ce qui aurait des effets positifs sur leur situation sur le marché du travail, sur leurs droits sociaux et sur leur indépendance économique, en améliorant leur visibilité (avec une meilleure reconnaissance de leur contribution à l'économie et aux revenus) dans les zones rurales et en facilitant leur accès à la terre ;

« [...] Encourage les États membres à veiller à ce que la participation des femmes à la gestion des exploitations soit pleinement reconnue, tout en promouvant et en facilitant leur accès à la propriété ou à la copropriété des terres agricoles ;

« [...] Souligne qu'il faut accorder davantage d'attention à l'élaboration de statistiques actualisées concernant la propriété des terres par les femmes ;

« [...] Demande aux États membres de faciliter un accès équitable des femmes à la terre , de garantir leurs droits de propriété et leurs droits à la succession et de faciliter leur accès au crédit, afin de les encourager à s'installer dans les zones rurales et à jouer un rôle actif dans le secteur agricole ; encourage les États membres à s'atteler au problème de l'accaparement et de la concentration des terres au niveau de l'Union ».


* 98 Chiffre cité par Guy Sigala, secrétaire général du SEA-UNSA Éducation au cours de la table ronde du 30 mars 2017.

* 99 Voir les actes du colloque : Chantal Jouanno, Être agricultrice en 2017 , Sénat, 2016-2017.

* 100 36 hectares contre 62 en 2010.

* 101 On notera que la DJA a été créée en 1973 mais qu'il a fallu attendre 1988 pour voir attribuer la première DJA à une jeune femme, agricultrice tarnaise.

* 102 La loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt du 13 octobre 2014 modifie les conditions d'affiliation des personnes non-salariées au régime agricole. Pour évaluer l'importance de l'activité agricole de l'exploitant, la surface minimale d'installation (SMI) est remplacée par l'activité minimale d'assujettissement (AMA) et les activités de prolongement sont prises en compte dans le calcul du seuil.

* 103 La délégation était composée de Corinne Bouchoux et Marie-Pierre Monier, co-rapporteures, accompagnées de Chantal Deseyne, membre de la délégation.

* 104 Loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt.

* 105 Christiane Lambert a indiqué au cours de son audition que 35 % des jeunes agriculteurs qui s'installent actuellement le font hors succession familiale.

* 106 Rapport sur les femmes et leurs rôles dans les zones rurales (2016/2204(INI)), Parlement européen, 2014-2019, A8-0058/2017 .

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page