EXAMEN EN COMMISSION

Le 5 juin 2017

Réunie le mercredi 7 juin 2017, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a entendu une communication de Mme Michèle André, présidente, sur le contrôle de l'application des lois .

Mme Michèle André , présidente . - La conférence des présidents avait organisé en janvier 2017 un débat sur l'application des lois emblématiques de la législature qui s'achève. Nous nous livrons aujourd'hui à notre exercice classique de contrôle de l'application des lois examinées au fond par la commission des finances au cours de la session précédente, et plus particulièrement des lois promulguées entre le 1 er octobre 2015 et le 30 septembre 2016. Je précise que les compteurs des statistiques ont été arrêtés au 31 mars 2017, soit six mois plus tard.

Claude Bérit-Debat, chargé par le bureau du Sénat de suivre l'application des lois, devrait présenter à la conférence des présidents une synthèse des analyses des différentes commissions.

Nous avons étudié moins de lois que l'année précédente mais nous attendions plus de mesures d'application : 114 contre 103 ; 75 % d'entre elles ont été prises, contre 80 % l'année précédente. Moins de 30 % ont été prises dans le délai de six mois prescrit par une circulaire du Premier ministre du 29 février 2008, contre 39 % l'année dernière et 75 % en 2012-2013.

Nos statistiques et nos investigations portent sur les cinq projets de loi que nous avons examinés au fond au cours de la période - dont deux ne prévoyaient pas de mesures d'application. Je pense que nous devrions porter également notre attention sur la législation par ordonnance, très importante en matière financière. En cette fin de législature, douze ordonnances intervenues dans le domaine financier depuis 2015 sont en vigueur sans avoir été ratifiées, et huit projets de loi de ratification sont en instance : quatre sur le bureau de l'Assemblée et quatre sur le bureau du Sénat.

Nous suivons également la remise des rapports au Parlement. Au cours de la période, douze rapports ont été demandés et sept ont été remis. On peut observer que le Gouvernement avait lui-même demandé, en loi de finances pour 2016, un rapport sur le crédit et la réduction d'impôt en faveur du logement social outre-mer, qui n'a pas été rendu.

Dans l'ensemble, les textes réglementaires attendus sont publiés et sont conformes à leur objet, qui est de préciser les modalités d'application de mesures voulues par le législateur.

Nous mesurons l'application des textes par l'administration mais la mise en oeuvre de certaines mesures peut aussi relever d'autorités indépendantes. À cet égard je salue la réactivité avec laquelle l'Autorité des marchés financiers (AMF) a mis en oeuvre une mesure introduite par Albéric de Montgolfier à l'article 79 la loi du 9 décembre 2016 dite « Sapin 2 », même si cette loi est trop récente pour être incluse dans le champ de notre contrôle d'aujourd'hui. L'AMF a en effet modifié son règlement général le mois dernier pour organiser le contrôle des investissements dits « atypiques » (manuscrits, métaux précieux, terres rares etc) qu'elle n'effectuait pas jusqu'à ce que notre commission ait l'idée de lui confier cette mission, et ce alors même que 40 % des Français ayant réalisé ce type de placements se déclarent avoir été victime d'une « arnaque ».

Le pouvoir réglementaire a vocation à préciser les modalités de mise en oeuvre des mesures votées par le Parlement. Il est parfois tenté d'aller au-delà, comme notre rapporteur spécial du logement, Philippe Dallier, en a fait l'expérience en 2016, lorsqu'il a pris connaissance d'un projet de décret qui prévoyait des règles de vote au sein du conseil d'administration du Fonds national des aides à la pierre (FNAP) contraires à l'esprit de l'article 144 de la loi de finances pour 2016.

M. Philippe Dallier . - En effet.

Mme Michèle André , présidente . - Philippe Dallier a alors rencontré l'administration et fait connaître sa désapprobation, qui rejoignait celle d'autres acteurs de la politique du logement. Le décret finalement publié est plus conforme à l'intention du législateur.

Nous n'avons pas toujours les moyens d'être vigilants en amont de la prise des textes réglementaires et nous découvrons parfois que le pouvoir réglementaire est effectivement allé au-delà de ce que le législateur a souhaité, comme en témoigne le décret pris pour mettre en oeuvre les dispositions de l'article 111 de la loi de finances pour 2016 relatif au crédit d'impôt cinéma. Cet article a modifié le régime de ce crédit d'impôt dans le but de favoriser la relocalisation de tournages en France. Pourtant, le décret crée une possibilité qui n'existait pas jusqu'ici et dont il n'a jamais été question dans le débat parlementaire : celle d'accorder aux films d'animation, sous certaines conditions, le bénéfice du crédit d'impôt même lorsqu'ils ne sont pas réalisés sur le territoire national.

M. André Gattolin . - C'est un vrai problème.

Mme Michèle André , présidente . - Une telle possibilité existait pour les oeuvres cinématographiques et son extension aux films d'animation aurait été concevable. Elle a cependant été décidée sans consultation du législateur.

Nous attendions également cette année les choix du Gouvernement pour mettre en oeuvre la disposition de l'article 24 de la loi de finances rectificative pour 2015, introduite encore une fois à l'initiative d'Albéric de Montgolfier et qui visait à plafonner les frais facturés par des intermédiaires dans le cadre du dispositif ISF-PME, qui pouvaient atteindre 50 % des montants investis et donc reprendre 100 % de l'avantage fiscal. Le seuil retenu pour le plafond global reste élevé - 30 % - mais l'économie générale du dispositif prévu dans le décret devrait permettre de mettre fin aux pratiques les plus abusives.

Dans le souci d'encadrer le développement du shadow banking , notre rapporteur général avait également souhaité, à l'article 27 de la loi de finances rectificative pour 2015, fixer dans la loi les grands principes devant être respectés par les fonds d'investissement alternatifs lorsqu'ils octroient des prêts aux entreprises. Ces grands principes ont été déclinés dans un décret de novembre 2016 et doivent sur certains points, et en particulier les conditions dans lesquelles ces fonds peuvent s'endetter, être précisées par un arrêté à venir.

Les textes réglementaires ne correspondent pas toujours à ce que nous attendions mais ils ont le mérite d'exister.

Au contraire, certains dispositifs ne sont pas appliqués depuis plusieurs années faute de textes d'application.

La plus ancienne disposition législative relevant de notre contrôle qui reste toujours en attente de texte d'application est l'article 126 de la loi de finances pour 2011 relatif au régime juridique de déduction des redevances de concession de brevet. Un décret doit fixer les conditions d'établissement de la documentation présentant l'économie générale de la licence et, malgré un premier projet rédigé en 2013, aucun texte n'a vu le jour.

Un autre exemple de ce type peut être trouvé dans la loi de séparation et de régulation des activités bancaires de juillet 2013. Un seul article de ce texte n'est toujours pas appliqué. Il s'agit de l'article 63 dont les dispositions étaient pourtant présentées dans le projet de loi du Gouvernement comme une mesure importante pour la compétitivité de la place de Paris, sujet qui nous a déjà beaucoup occupés ce matin. Il s'agit de la création d'un « référentiel de place » qui permettrait de faciliter et de sécuriser les échanges d'informations entre les intervenants de la gestion financière, ainsi que de favoriser la commercialisation des fonds français à l'étranger.

De même, plus récemment, le dispositif Malraux de réduction d'impôt au titre d'opérations de restauration immobilière doit être étendu à certains quartiers relevant de la politique de la ville. Il ne l'est toujours pas et la loi de finances rectificative pour 2015 a repoussé la date d'expiration du dispositif du 31 décembre 2017 au 31 décembre 2019. Mais aujourd'hui, à deux ans et demi de son expiration, le dispositif n'est toujours pas en vigueur, alors qu'il était censé s'appliquer pendant quatre ans.

Pour conclure, j'évoquerai l'application des lois en matière de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, sur trois points en particulier.

Le premier est l'article 121 de loi de finances pour 2016, relatif au reporting pays par pays en matière fiscale, que la France a inséré très rapidement dans sa législation, conformément aux prescriptions de l'OCDE et du projet BEPS. Le décret précisant le contenu des informations devant figurer dans la déclaration a été publié en septembre 2016, mais nous sommes toujours dans l'attente de l'arrêté qui dresse la liste des pays avec lesquels nous avons conclu un accord d'échange automatique. Or cet arrêté est indispensable pour parachever le mécanisme. Sur la base de cette liste, nous pourrons en effet requérir des filiales d'un groupe dont le siège est établi dans un territoire ne procédant pas à l'échange de déposer une déclaration pour le compte de l'ensemble du groupe. La quantité d'informations collectée en sera accrue, et les conditions de concurrence entre groupes, mieux assurées.

Le deuxième concerne la liste des États et territoires non coopératifs (ETNC), qui doit en principe être actualisée chaque année. Vous vous en souvenez, celle-ci avait été par une heureuse coïncidence modifiée par l'arrêté du 8 avril 2016 pour y ajouter le Panama - cinq jours après les révélations des Panama Papers , et alors que notre commission avait mis en garde le Gouvernement dès 2011 sur le manque de transparence de ce pays. Cette année, au début du mois de juin, l'arrêté n'a pas été publié. En revanche, au niveau européen, les négociations se poursuivent en vue de l'élaboration d'une liste européenne des juridictions non coopératives.

Le troisième est le « jaune » annexé au projet de loi de finances de chaque année sur l'échange d'informations fiscales entre la France et ses partenaires. Il s'agit d'un document important, qui permet notamment au législateur de se faire une opinion sur le bien-fondé de l'ajout ou du retrait d'un pays de la liste des ETNC. Or ce document n'a pas été publié pour l'année 2015, ni pour l'année 2016, ni à ce jour pour l'année 2017, en dépit des demandes répétées de notre commission et de l'engagement pris ici même par les représentants de la direction de la législation fiscale. Cette situation est d'autant plus regrettable que le passage à l'échange automatique d'informations à compter de 2018 modifie profondément la donne.

La commission a donné acte de sa communication à Mme Michèle André, présidente, et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

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