AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

L'Agence nationale de la recherche (ANR) a été créée en 2005 pour assurer le financement sur projets de la recherche française : elle organise des appels à projets compétitifs , reposant sur l'évaluation par les pairs , auxquels les chercheurs participent pour obtenir les financements nécessaires au développement de leurs projets de recherche .

Si, à l'origine, l'État nourrissait pour l'ANR une grande ambition, celle-ci a vu ses crédits d'intervention répartis par appels à projets diminuer de - 40 % en sept ans , passant de 650 millions d'euros en 2009 à 390 millions d'euros en 2015 avant de remonter à 457 millions d'euros en 2016.

Dans le même temps, le nombre de projets déposés par les chercheurs n'a fait que croître , provoquant un redoutable effet ciseau : alors que 22 % des projets déposés bénéficiaient de financements de l'ANR en 2009 , ce taux est tombé à 11 % en 2014 et 2015 avant de remonter légèrement à 15 % en 2016 . Cela signifie donc que d'excellents projets ne sont pas retenus .

Il n'est pas cohérent de prétendre vouloir développer le financement de la recherche sur projets en France et, dans le même temps, de confier à l'agence de moyens chargée de répartir les financements des crédits notoirement insuffisants .

Cette situation, qui provoque la défiance et le découragement des chercheurs , doit prendre fin , grâce à une hausse résolue des crédits d'intervention de l'ANR , comme l'a promis le nouveau Président de la République .

Il est indispensable de permettre à l'Agence nationale de la recherche de retrouver d'ici 2020 au plus tard son niveau de crédits d'intervention répartis par appels à projets compétitifs de 2009 , soit 650 millions d'euros , ce qui correspond à un budget de 850 millions d'euros de crédits d'intervention pour l'agence.

Car si l'ANR devait voir ses moyens stagner à un niveau similaire à celui qu'elle a connu ces dernières années, la question de sa pertinence , voire de sa survie , serait posée.

Parallèlement, l'ANR doit également poursuivre le travail engagé pour remédier aux deux défauts qui nuisent à son image : la technocratie et la bureaucratie .

PREMIÈRE PARTIE - LA CRISE DU FINANCEMENT DE LA RECHERCHE SUR PROJETS EN FRANCE : L'AGENCE NATIONALE DE LA RECHERCHE A-T-ELLE ENCORE UN AVENIR ?

I. LE FINANCEMENT DE LA RECHERCHE SUR PROJETS, CoeUR DE MÉTIER DE L'AGENCE NATIONALE DE LA RECHERCHE

A. LE FINANCEMENT DE LA RECHERCHE SUR PROJETS, UN OUTIL AU SERVICE DE L'EXCELLENCE

Depuis maintenant une quinzaine d'années, dans les pays industrialisés qui se situent à la frontière de la connaissance, les équipes de chercheurs doivent candidater lors d'appels à projets compétitifs pour obtenir les financements nécessaires au développement de leurs projets de recherche .

Cette mise en concurrence est censée permettre l'émergence de projets ambitieux , quelles que soient les institutions qui les portent, sans nécessairement favoriser les opérateurs historiques.

Elle a vocation à dynamiser la recherche , sans pour autant constituer son unique mode de financement, puisque les crédits récurrents des organismes de recherche demeurent largement majoritaires .

C'est l'Agence nationale de la recherche , créée en 2005, qui est chargée d'assurer le financement sur projets de la recherche française .

Or, l'attrition de ses crédits d'intervention fragilise aujourd'hui ce mode de financement pratiqué par tous les grands pays de la recherche dans le monde .

1. Le financement de la recherche sur projets permet de dynamiser le système de recherche d'un pays

Le financement sur projets est un mode de financement de la recherche dont l'introduction est relativement récente en France , même s'il préexistait à la création de l'Agence nationale de la recherche.

Ce mode de financement n'a nullement remplacé les postes de dépenses classiques de la recherche publique française que sont les crédits récurrents des organismes de recherche et des universités ou les crédits affectés aux grandes infrastructures de recherche .

Il demeure en réalité, malgré sa forte visibilité, très minoritaire dans le financement de notre écosystème de recherche .

Mais il possède des caractéristiques indispensables pour dynamiser celui-ci et permettre l'émergence de projets de très haut niveau aux frontières de la recherche .

a) Encourager l'excellence en concentrant les moyens sur les meilleurs projets et sur les meilleures équipes de recherche

Le financement de la recherche sur projets repose sur l'organisation d'appels à projets compétitifs régis par des standards internationaux . La sélection des projets est effectuée par des experts scientifiques de très haut niveau dotés d'une totale indépendance et qui doivent apporter la preuve de leur absence de conflits d'intérêt .

Le but de ce processus est de concentrer les financements sur les équipes de recherche les plus performantes et de s'assurer que l'argent public finance d'excellents projets . La communauté scientifique s'accorde à juger qu'un taux de sélection de l'ordre de 20 % à 25 % permet de garantir la qualité des projets financés .

Simultanément, le financement sur projets encourage l'excellence de la recherche nationale par le biais d'une saine compétition entre chercheurs et équipes .

Cette mise en concurrence permet à la fois de favoriser l'émergence de jeunes chercheurs et d'éviter que ne s'installent ou ne perdurent des situations de rente , qui verraient certaines équipes capter à leur profit des financements publics de façon systématique au détriment d'autres équipes plus créatives mais moins insérées dans le système institutionnel de la recherche.

b) Orienter les recherches sur des enjeux scientifiques et sociétaux en favorisant les collaborations entre équipes issues de différentes institutions

Le financement de la recherche sur projets peut également permettre d'encourager des priorités de recherche que les politiques publiques souhaitent promouvoir ou développer .

Ces priorités sont souvent présentées sous la forme de défis scientifiques ou de défis sociétaux.

Pour y répondre, les chercheurs doivent faire preuve de créativité et accepter des collaborations entre équipes scientifiques de différentes disciplines et d'institutions publiques et privées (organismes, universités, entreprises, écoles), rassemblées autour d'objectifs communs.

Ces projets thématisés favorisent ainsi les décloisonnements institutionnels dans la mesure où les défis scientifiques et les défis sociétaux correspondent tous à des problématiques complexes nécessitant la mobilisation de champs disciplinaires variés .

c) Assurer un suivi complet des projets de recherche grâce au contrat de financement conclu entre une équipe de chercheurs et la société

Le financement de la recherche sur projets garantit un suivi financier très précis du développement d'un projet de recherche et donne aux chercheurs la possibilité de gérer des crédits sur une base pluriannuelle , ce que ne permettent pas les crédits récurrents des établissements publics.

En outre, la notion de projet permet de structurer une activité de recherche en lui donnant un début et une fin. Qu'ils répondent à des appels à projets aux objectifs précis ou qu'ils soient libres de leurs objectifs, les projets se définissent toujours par leur finalité, leur aboutissement et leur impact .

Dans cette optique, on peut considérer qu'un projet de recherche publique est en quelque sorte le fruit d'un contrat conclu entre les chercheurs et la société , qui doit donner lieu à des « livrables » .

Le mode projet permet ainsi d'identifier clairement les moyens alloués à un projet et d'en évaluer les coûts , ce qui est d'autant plus légitime qu'il s'agit d'activités de recherche financées par les deniers publics.

d) Rétablir un indicateur de suivi permettant de mesurer la part du financement de la recherche sur projets dans le financement de la recherche en France

Jusqu'au projet de loi de finances pour 2013, les projets annuels de performance et les rapports annuels de performance du programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » contenaient un indicateur qui avait pour objet de mesurer l'évolution des parts respectives du financement sur projets et du financement récurrent des organismes de recherche et des universités .

Cet indicateur très utile a été supprimé au début de la précédente législature et n'a plus jamais été mesuré, en dépit des demandes récurrentes de votre rapporteur spécial .

Son rétablissement est indispensable , puisqu'il permettrait de vérifier si le financement de notre système de recherche se modernise ou si au contraire il évolue trop lentement , voire régresse .

Recommandation n° 1 : rétablir un indicateur mesurant l'évolution des parts respectives du financement de la recherche sur projets et du financement récurrent des organismes de recherche et des universités .

2. Les autres grands pays de la recherche ont davantage recours au financement de la recherche sur projets que la France

Comme en France, les modalités de financement de la recherche par les pouvoirs publics sont de deux ordres dans les pays de l'OCDE : le financement institutionnel par crédits récurrents et le financement sur projets .

Le financement institutionnel contribue à assurer la stabilité du financement de la recherche à long terme , alors que le financement sur projets peut favoriser la concurrence au sein du système de recherche et le ciblage de domaines stratégiques .

Les modalités de financement public de la recherche sont très diverses et reflètent le contexte institutionnel des systèmes de recherche propres à chaque pays. En Allemagne, en Israël et en Nouvelle-Zélande, le financement institutionnel demeure largement majoritaire alors qu'en Belgique et en Corée du Sud le financement sur projets est privilégié.

Financement public de la recherche dans le secteur de l'enseignement supérieur, par type de financement, 2008

Source : ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation

Les grands pays situés à la frontière de la recherche (États-Unis, Allemagne, Royaume-Uni, etc.) disposent tous d'agences de financement de la recherche sur projets , depuis parfois plusieurs décennies . Ils possèdent rarement une agence unique - modèle qu'a choisi notre pays - mais plutôt une pluralité d'agences en fonction des types de programme de financement (programmes « blancs » non thématisés ou programmes thématisés) et du type de recherche financées (fondamentale ou finalisée).

Ainsi, la National Sanitation Foundation (NSF) aux États-Unis, la Japan Society for the Promotion of Science (JSPS) au Japon et la Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG) 1 ( * ) en Allemagne financent la recherche non thématique grâce à des programmes « blancs » non ciblés et répartis par disciplines .

Ces agences ne définissent pas ou peu de priorités thématiques. L'excellence scientifique est le principal , voire le seul critère de sélection , sans que ne soient pris en compte des critères de pertinence au regard de telle ou telle politique publique.

Au niveau européen, le Conseil européen de la recherche (ERC) joue ce rôle d'agence de financement de la recherche non thématique , dans le cadre du premier pilier du programme Horizon 2020.

Ce sont d'autres agences qui financent les recherches thématiques dans le cadre de programmes prioritaires : la Japan Science and Technology agency (JST) au Japon, qui encourage aussi les partenariats publics-privés, les départements fédéraux aux États-Unis, comme le Department of Energy (DoE) par exemple dans le domaine de l'énergie ou bien le ministère de la recherche en Allemagne, le Bundesministerium für Bildung und Forschung (BMBF).

Au niveau européen, les deuxième et troisième piliers du programme cadre sont consacrés à la recherche ciblée , collaborative et partenariale . Les critères d'évaluation ne sont pas uniquement la qualité des projets déposés, mais également leur pertinence par rapport aux objectifs des appels à projets .

Que leurs appels à projets soient des appels « blancs » ou des appels ciblés, toutes ces agences utilisent un système d'évaluation par les pairs (« peer review system ») , qui fait appel à des comités d'évaluation internes et à des experts extérieurs.


* 1 La DFG est une structure privée indépendante, constituée en association, qui ne relève d'aucune tutelle publique. Elle fonctionne comme une agence de moyens et d'expertise au service de la recherche scientifique dans toutes les disciplines. Elle a aussi un rôle consultatif grâce à son réseau de comités d'experts, ses manifestations et ses publications. Les 25 000 projets qu'elle finance chaque année sont soumis à une évaluation périodique.

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