D. UNE PRATIQUE POLICIÈRE ET JUDICIAIRE PERFECTIBLE

Les témoignages des victimes mettent en lumière des dysfonctionnements dans les pratiques policières et judiciaires qui pourraient être évités.

1. Un traitement des affaires par les enquêteurs inégal sur le territoire français

Si d'immenses progrès ont été accomplis ces dernières années, notamment en termes de formation, les affaires d'infractions sexuelles commises à l'encontre de mineurs ou de majeurs restent inégalement traitées par les enquêteurs.

Nombre de victimes témoignent d'une procédure de dépôt de plainte traumatisante. Au manque d'intimité offert par les locaux, s'ajoutent parfois des questions déconcertantes des enquêteurs manquant d'empathie, remettant en cause la crédibilité de leur récit, voire affirmant de pas les croire ou pire culpabilisant les victimes sur leurs comportements.

Les fonctionnaires de gendarmerie ou de police formés à l'audition des victimes d'infractions sexuelles apparaissent peu nombreux 63 ( * ) . Dans de nombreux cas, les victimes se sont vu remettre une convocation pour être entendues à un autre moment, ce qui apparaît inconcevable pour nombre de victimes pour qui il est devenu « urgent » de parler même si les faits sont anciens.

Il convient de noter que la brigade de protection des mineurs de Paris a un système de permanence 24h/24 qui permet l'audition de la victime à tout moment, dès qu'elle se présente à l'accueil.

Les spécificités de l'audition des mineurs, témoins ou victimes

La plupart des enquêteurs suivent le protocole du National Institute of Child Health and Human Development (NICHD), utilisé dans de nombreux pays : il s'agit d'une méthode de recueil de la parole des enfants évaluée scientifiquement qui évite tout risque de suggestion ou de traumatisme chez l'enfant.

Au début de l'audition, après avoir présenté le matériel d'enregistrement, les enquêteurs informent l'enfant de l'importance de dire la vérité. L'enquêteur ou le psychologue informent également le mineur du fait qu'il peut ne pas répondre ou ne pas savoir répondre à une question. En effet, les enfants sont souvent incités à répondre, même quand ils ne savent pas. L'enfant est incité à dire quand il ne comprend pas une question et à ne pas deviner.

Les questions concernant l'enquête sont précédées de question concernant le mineur, ses centres d'intérêts, etc.

Afin de ne pas induire les réponses, les enquêteurs privilégient des questions ouvertes, en particulier au début des auditions. Des questions fermées peuvent faire dériver l'enquête sur des faits non subis.

Les enquêteurs laissent également le temps aux mineurs de répondre. Il est déconseillé d'enchaîner des questions tant que le mineur n'a pas eu le temps d'analyser convenablement la question précédente.

Autant que possible, les enquêteurs répètent les mots de l'enfant et ne fournissent aucun détail supplémentaire que l'enfant n'a pas déjà mentionné.

À la fin, l'enfant est remercié pour son « travail »

Les témoignages des victimes recueillies par votre rapporteur expriment également des difficultés à voir leur plainte enregistrée et traitée avec célérité. Selon les victimes, les enquêteurs insisteraient pour recueillir une main-courante plutôt qu'une plainte. Néanmoins, le recueil d'une main-courante, simple déclaration consignée numériquement et qui permet de retracer l'historique de violences, n'apparaît pas approprié pour ces faits car, en principe, aucune enquête n'est diligentée sur la base d'une main-courante.

De plus, à tort ou à raison, ces affaires n'apparaissent pas aux victimes comme traitées en priorité, a fortiori concernant les faits anciens.

L'unité d'accueil médico-judiciaire (UAMJ) de Saint-Malo

Votre rapporteur s'est déplacé au sein des locaux de l'unité d'accueil médico-judiciaire pédiatrique de Saint-Malo, mais également au sein des locaux de la gendarmerie et de la police de Saint-Malo qui utilisent cette unité.

Dans une annexe de l'hôpital, ont été aménagées à la fois une salle d'audition et une salle d'accueil des familles permettant un échange entre une assistante sociale et les proches pendant l'audition de la victime mineure.

La salle d'audition est spécialement aménagée pour recevoir les victimes mineures avec une table transparente, des fauteuils à la hauteur des enfants, des poupées mais également des pictogrammes permettant de décrire les faits subis. Cette salle permet de filmer distinctement tous les faits et gestes du mineur entendu. À côté de la personne en charge de filmer l'audition (présente dans une pièce annexe), se situe le psychologue qui peut conseiller en direct l'enquêteur sur ses questions et le renseigner sur l'état émotionnel de la victime. Ultérieurement, le psychologue peut également échanger avec l'enquêteur pour améliorer ses pratiques professionnelles.

Votre rapporteur a pu apprécier le dialogue intense qui existe entre tous ces partenaires, mais également avec le parquet, afin de permettre l'audition de la victime mineure dans les meilleures conditions. Elle tient à saluer la qualité de leur engagement professionnel.

Les unités médico-judiciaires pédiatriques, idéalement situées au sein d'un centre hospitalier, permettent une prise en charge sécurisante de l'enfant, de l'audition aux examens médicaux. Elles permettent d'apporter tous les soins, médicaux et psychosociaux, à l'enfant.

S'il existe des structures nationales et locales spécialisées et formées au traitement des infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, demeurent toutefois de réelles disparités et inégalités territoriales : tous les territoires ne disposent pas de services spécialisés dans le recueil de la parole des victimes mineures.

Or, de manière unanime chez les enquêteurs, le travail d'investigation propre à ces infractions exige un personnel formé spécifiquement à intervenir auprès d'enfants et de victimes de violences sexuelles.

2. Des procédures judiciaires qui peuvent être traumatisantes

Lors de son audition par le groupe de travail, M. Rémy Heitz, directeur des affaires criminelles et des grâces, a souligné que la lutte contre les infractions à caractère sexuel , notamment celles commises contre les mineurs, constituait une priorité des acteurs judiciaires et de la chaîne pénale .

a) Une réponse pénale quasi-systématique

Les faits d'agressions sexuelles concernant les mineurs font l'objet d'une réponse pénale quasi-systématique lorsqu'ils sont poursuivables 64 ( * ) (voir ci-après la structure de la réponse pénale).

L'opportunité des poursuites

L'action publique est principalement mise en mouvement par le procureur de la République. Ce dernier dispose d'une prérogative d'appréciation de l'opportunité des poursuites , ce qui explique que toutes les infractions ne sont pas poursuivies. Pilier de la procédure pénale française, le principe d'opportunité des poursuites garantit l'efficacité des procédures en concentrant la réponse pénale sur les faits socialement les plus graves.

En application de l'article 40-1 du code de procédure pénale, le procureur dispose d'un choix :

- engager des poursuites ;

- mettre en oeuvre une procédure alternative aux poursuites 65 ( * ) ou une mesure de composition pénale 66 ( * ) ;

- classer sans suite la procédure dès lors que les circonstances particulières liées à la commission des faits le justifient.

Le classement sans suite est une mesure d'administration judiciaire dépourvue de l'autorité de la chose jugée.

• Néanmoins, très peu d'infractions sont poursuivables. Plus de 73 % des affaires d'agressions sexuelles sur mineurs orientées vers la justice sont classées sans suite pour cette raison.

Dans la très grande majorité des cas, l'infraction n'a pas pu être caractérisée. Les procureurs relatent de grandes difficultés à établir les faits d'infractions sexuelles s'agissant d'infractions généralement commises sans témoin. En l'absence de preuves matérielles, ils s'appuient principalement sur les témoignages indirects, les circonstances de la révélation de l'infraction, les contradictions du mis en cause, la crédibilité de la victime ou encore l'expertise psychologique de la victime.

Si les déclarations de la victime, contredites par celles du mis en cause, ne sont corroborées par aucun autre élément objectif, le parquet décide bien souvent d'un classement sans suite. Ces difficultés sont d'autant plus présentes que, compte tenu des règles dérogatoires de prescription, un délai important s'est souvent écoulé entre les faits et leur dénonciation.

Dans ces dossiers où les preuves matérielles manquent, la révélation précoce des faits et la crédibilité du témoignage de la victime apparaissent donc indispensables .

La part des dénonciations mensongères apparaît marginale (environ 10 %).

Une grande part de classements sans suite est également motivée par l'absence d'identification du mis en cause .

Enfin, de manière résiduelle, une faible part des procédures est classée sans suite en raison de motifs juridiques : l'irresponsabilité de l'auteur , l'irrégularité de la procédure ou la prescription de l'action publique .

• Lorsque les infractions sont caractérisées et que l'auteur est connu, le nombre de classements sans suite en opportunité est très faible . Les parquets justifient ces rares hypothèses en raison du comportement du plaignant (désistement, carence à répondre aux convocations, etc. ). En l'absence d'autres moyens de preuve, la non-coopération de la victime permet rarement de poursuivre l'infraction.

Structure de la réponse pénale pour les affaires d'agression sexuelle sur mineur

Agression sexuelle sur mineur

2012

2013

2014

2015

2016

Affaires orientées

14 960

15 122

15 249

14 839

14 859

Affaires non poursuivables

10 269

10 512

10 611

10 376

10 401

dont infraction insuffisamment caractérisée

6 426

6 746

6 839

6 579

6 570

dont défaut d'élucidation

950

950

868

802

798

Taux d'affaires non poursuivables

68,6 %

69,5 %

69,6 %

69,9 %

70 %

Affaires poursuivables

4 691

4 610

4 638

4 463

4 458

Part des mineurs dans les auteurs des affaires poursuivables

43,8%

42,7%

43,5%

42,2%

45,8%

Classement sans suite pour inopportunité

336

362

426

403

507

Taux de classement sans suite en opportunité

2,2 %

2,4 %

2,8 %

2,7 %

3,4 %

Réponse pénale

4 355

4 248

4 212

4 060

3 951

Taux de réponse pénale

92,8%

92,1%

90,8%

91,0%

88,6%

Procédures alternatives

975

1 013

1 061

980

1 050

Taux de procédures alternatives

22,4%

23,8%

25,2%

24,1%

26,6%

dont composition pénale

21

15

13

23

16

Poursuites

3 380

3 235

3 151

3 080

2 901

Taux de poursuites

77,6%

76,2%

74,8%

75,9%

73,4%

Source : Ministère de la justice/SG-SDSE - SID-Cassiopée - Traitement DACG-PEPP

• Concernant ce contentieux sensible, les mesures alternatives aux poursuites restent marginales : les parquets les mobilisent pour les faits les moins graves ou lorsque les auteurs sont des mineurs particulièrement jeunes.

• Les pratiques d'ouverture d'information judiciaire concernant les délits restent très variables selon les juridictions. Si certains procureurs déclarent ouvrir systématiquement une information judiciaire lorsque les délits concernent des mineurs ou une pluralité de victimes, d'autres estiment possible de recueillir les mêmes éléments de preuve dans le cadre plus souple de l'enquête préliminaire.

Le recours à la procédure d'instruction reste principalement motivé par la volonté ou non du parquet de placer le mis en cause en détention provisoire.

La charge de travail des juges d'instruction est également un facteur pris en compte par les procureurs.

Structure de la réponse pénale pour les affaires de viol sur mineur

Viol sur mineur

2012

2013

2014

2015

2016

Affaires orientées

5 942

6 296

6 260

6 178

6 472

Affaires non poursuivables

3 708

4 096

4 066

4 104

4 376

dont infraction insuffisamment caractérisée

2 361

2 702

2 712

2 699

2 884

dont défaut d'élucidation

318

346

349

315

322

Affaires poursuivables

2 234

2 200

2 194

2 074

2 096

Part des mineurs dans les auteurs des affaires poursuivables

36,9%

35,3%

34,8%

35,6%

34,8%

Classement sans suite pour inopportunité

189

187

235

211

293

Réponse pénale

2 045

2 013

1 959

1 863

1 803

Taux de réponse pénale

91,5%

91,5%

89,3%

89,8%

86,0%

Procédures alternatives

140

146

140

119

132

Taux de procédures alternatives

6,8%

7,3%

7,1%

6,4%

7,3%

dont composition pénale

4

2

1

5

Poursuites

1 905

1 867

1 819

1 744

1 671

Taux de poursuites

93,2%

92,7%

92,9%

93,6%

92,7%

Source : Ministère de la justice/SG-SDSE - SID-Cassiopée - Traitement DACG-PEPP

Dans la mesure du possible, deux modes de poursuites sont privilégiés par les juridictions : la comparution sur procès-verbal assortie d'une mesure de contrôle judiciaire ou la convocation par officier de police judiciaire.

Très peu protectrices de l'intérêt des victimes, les procédures de comparution immédiate sont parfois utilisées, notamment dans les juridictions qui présentent des délais d'audiencement importants.

• Plus de 93 % des condamnés 67 ( * ) pour viol à l'encontre d'un mineur de 15 ans l'ont été à des peines d'emprisonnement ou de réclusion criminelle. En moyenne, concernant les peines de réclusion criminelle, les condamnations étaient environ de 12,4 années et concernant les peines d'emprisonnement ferme, de 52,3 mois.

Quant aux condamnations pénales pour agressions sexuelles à l'encontre d'un mineur de 15 ans, les peines d'emprisonnement sont en moyenne de 22,8 mois et le taux de prononcé de l'emprisonnement est de 82,35 %.

Structure de la réponse pénale pour les infractions sexuelles commises
à l'encontre des mineurs à Paris

Nombre de plaintes, PV et dénonciations traités

Nombre d'infractions poursuivables/ non poursuivables

Nombre de classement sans suite sur les affaires poursuivables

Classement sans suite pour défaut d'élucidation

Réponse pénale

2015

324

203 / 121

32

9

89

2016

292

201 / 91

24

4

67

Source : Tribunal de grande instance de Paris

Structure de la réponse pénale pour les affaires de corruption de mineur,
de pédopornographie et d'atteintes sexuelles sur mineurs

Corruption de mineur, pédopornographie
et atteinte sexuelle

2012

2013

2014

2015

2016

Affaires orientées

3 530

3 573

3 787

4 286

4 861

Affaires non poursuivables

2 001

2 026

2 242

2 549

2 916

dont infraction insuffisamment caractérisée

995

1 038

1 226

1 292

1 432

dont défaut d'élucidation

395

427

407

564

690

Affaires poursuivables

1 529

1 547

1 545

1 737

1 945

Part des mineurs dans les auteurs des affaires poursuivables

14,9%

13,8%

18,1%

20,3%

23,3%

Classement sans suite inopportunité

85

81

99

148

193

Réponse pénale

1 444

1 466

1 446

1 589

1 752

Taux de réponse pénale

94,4%

94,8%

93,6%

91,5%

90,1%

Procédures alternatives

356

372

452

460

558

Taux de procédures alternatives

24,7%

25,4%

31,3%

28,9%

31,8%

dont composition pénale

21

18

16

19

21

Poursuites

1 088

1 094

994

1 129

1 194

Taux de poursuites

75,3%

74,6%

68,7%

71,1%

68,2%

Source : Ministère de la justice/SG-SDSE - SID-Cassiopée - Traitement DACG-PEPP

b) L'absence de pédagogie des pratiques judiciaires

Nombre de victimes ont dénoncé des enquêtes et des procédures judiciaires « traumatisantes ». Selon le Défenseur des droits, les modalités de travail de la police et de la justice « peuvent engendrer une véritable maltraitance à l'égard du mineur victime ».

Selon un sondage « Impact des violences sexuelles de l'enfance à l'âge adulte (IVSEA) » mené en 2015 par l'association « Mémoire traumatique et victimologie », 89 % des victimes ayant répondu disent avoir mal vécu le procès, 81 % estiment que la justice n'a pas joué son rôle et 70 % ne se sentent pas reconnues comme victimes par la police et la justice.

(1) Des délais excessifs de traitement des affaires judiciaires

La plupart des victimes ont également dénoncé la lenteur des procédures policières et judiciaires , malgré la priorité accordée par les parquets aux plaintes concernant des faits de nature sexuelle, en particulier ceux commis à l'encontre de mineurs. Obligatoires en matière criminelle, les informations judiciaires ont une durée souvent supérieure à deux ans.

Les enquêtes sur des faits anciens sont particulièrement longues : il est nécessaire pour les enquêteurs de se déplacer, d'organiser des visio-conférences ou de se concerter avec d'autres services pour recueillir le témoignage des mis en causes ou des témoins, qui ont souvent déménagé.

En 2015, une procédure pour viol (toutes victimes confondues) durait en moyenne 79,6 mois, tandis qu'une procédure pour agression sexuelle durait 26,4 mois.

Ce phénomène n'est pas propre aux infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs même si leur complexité légitime souvent des enquêtes ou des instructions longues. Cette longueur des procédures est particulièrement préjudiciable pour ces affaires : la victime mineure au moment de la dénonciation des faits est souvent majeure au moment du procès, ce qui n'est pas sans conséquence devant les cours d'assises.

(2) La « correctionnalisation » des viols

L'arsenal répressif est inégalement utilisé . D'une part, certaines qualifications pénales apparaissent inutilisées en raison de l'abondance de dispositions similaires plus simples à mobiliser : les qualifications pénales de corruption de mineur, par exemple, peuvent être plus facilement utilisées que les infractions spécifiques de mise en péril des mineurs. D'autre part, les crimes de viol peuvent être poursuivis sous une qualification pénale correctionnelle (par exemple, agression sexuelle).

Cette pratique judiciaire s'appelle la « correctionnalisation ».

La « correctionnalisation » des viols , au sens large, peut recouvrir plusieurs hypothèses :

- soit il s'agit de faits dont les investigations n'ont pas permis d'établir la nature criminelle ; il convient également de souligner que pour des raisons procédurales, afin de disposer d'une large palette de techniques d'enquêtes, les enquêteurs retiennent fréquemment la qualification de viol pour mener leurs investigations, même en l'absence de pénétration par exemple 68 ( * ) ;

- soit il s'agit de faits criminels requalifiés en une qualification correctionnelle : la « correctionnalisation » en opportunité. Il s'agit alors d'un mensonge juridique où, soit certaines circonstances aggravantes objectivables ne sont pas relevées, soit certains actes de la commission de l'infraction sont ignorés pour permettre une qualification correctionnelle.

Cette dernière hypothèse est très décriée par les associations de victimes qui considèrent à raison que la « correctionnalisation » minimise la gravité du viol subi.

La correctionnalisation des viols peut avoir lieu :

- ab initio , sur décision du parquet, avant toute ouverture d'une information judiciaire, à l'issue d'une garde à vue, en vue d'une comparution immédiate ou d'un jugement à brève échéance ;

- dès le stade de l'ouverture d'une information judiciaire, ouverte sous une qualification délictuelle 69 ( * ) ,

- ou requise à la fin de l'information judiciaire.

Plusieurs explications peuvent être apportées à ce phénomène.

La correctionnalisation ab initio s'explique en raison de l'engorgement des pôles d'instruction. Une information judiciaire en matière de viol sur mineur dure au minimum deux ans.

De même, la première motivation des procureurs pour un renvoi d'un « viol » devant le tribunal correctionnel au lieu d'un renvoi devant les assises est liée à la question de l'encombrement des cours d'assises. Une qualification correctionnelle garantit un jugement plus rapide. En ce sens, la correctionnalisation est une technique procédurale permettant de gérer au mieux « les flux » d'affaires et correspond à une « logique gestionnaire » décriée par beaucoup. Selon certains auteurs 70 ( * ) , la correctionnalisation est également perçue comme « une résistance à la surenchère répressive » que les juridictions pénales ne sont pas à même d'absorber pour des raisons d'effectifs et de temps.

La procédure criminelle suivie aux assises est particulièrement lourde et exige de nombreuses expertises, notamment psychologiques. Elle est également coûteuse en indemnisation des jurés, des témoins et en rémunération des experts. Au regard des délais constatés (environ 2,5 jours d'audience en cour d'assises), il serait aujourd'hui impossible de juger tous les viols devant les cours d'assises.

La procédure criminelle peut également être très éprouvante pour les victimes (voir ci-après). En application du principe de l'oralité des débats, tout doit être décrit, souvent répété. La victime est nécessairement confrontée à son agresseur. De plus, un procès peut durer plusieurs jours.

De plus, comme l'a souligné M. Rémy Heitz, directeur des affaires criminelles et des grâces, dans nombre de qualifications, le tribunal correctionnel peut prononcer des peines jusqu'à dix ans d'emprisonnement . Même si les cours d'assises peuvent prononcer des peines jusqu'à la réclusion criminelle à perpétuité, les peines prononcées par celles-ci sont généralement inférieures à dix ans. Dans ce contexte, le renvoi devant les cours d'assises ne présente pas nécessairement, pour l'accusation, un avantage répressif supplémentaire.

Enfin, le verdict d'un procès aux assises apparaît pour un certain nombre d'enquêteurs et de magistrats, à tort ou à raison, trop aléatoire en raison de la présence d'un jury populaire. Ce risque est renforcé lorsque les circonstances d'un viol présentent un fort risque d'acquittement ou qu'elles concernent ce que les sociologues appellent de manière provoquante « les mauvaises victimes », c'est-à-dire des victimes qui ne correspondent pas à l'image idéale de la victime selon l'opinion publique. L'acquittement en novembre 2017 d'un majeur poursuivi pour viol sur une mineure de 11 ans semble confirmer cet aléa.

Conformément au cadre légal, l'accord de la victime est indispensable en cas de correctionnalisation. Néanmoins, nombre d'avocats soulignent les pressions exercées sur leurs clients séduits par l'idée d'une réponse pénale rapide, quitte à ce qu'elle soit moindre. La loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (dite Perben II), a renforcé les droits des victimes face au phénomène de « correctionnalisation » : lorsque la partie civile, mais également le mis en examen, estiment que les faits renvoyés devant le tribunal correctionnel devraient en réalité être renvoyés devant une cour d'assises, ils peuvent faire appel de l'ordonnance de renvoi.

Selon la Chancellerie, aucune étude quantitative précise ne peut être réalisée afin d'évaluer ce phénomène.

(3) La violence des classements sans suite et du procès

Nombre de victimes ont témoigné de la « violence » ressentie à l'annonce du classement sans suite de « leur affaire ». De manière générale, le manque de pédagogie et d'information de la part des acteurs de la justice est très critiqué.

Certains parquets choisissent d'envoyer un courrier personnalisé aux victimes ou de notifier personnellement la décision aux victimes par un magistrat, un délégué du procureur ou une association d'aide aux victimes. L'expérience des parquets démontre que la notification personnalisée permet de limiter les recours contre les décisions de classement sans suite.

Les victimes relatent également la violence de certaines audiences où la parole de la victime est niée par la partie adverse, voire questionnée par les magistrats. Comme le résume une avocate entendue par le groupe de travail : « Parfois, la présomption d'innocence fait mal ». Force est de constater qu'il semble y avoir une part irréductible de violence dans le procès pénal, qui peut avoir pour conséquence une seconde victimisation. En effet, le procès doit arriver à la manifestation de la vérité et donc confronter les parties.

Enfin, les audiences de comparution immédiate sont également très traumatisantes pour les victimes qui ne peuvent pas nécessairement témoigner. Les victimes apparaissent souvent surprises et déçues par la faible durée consacrée par la justice à leur affaire.


* 63 La formation consiste en un stage de cinq semaines sur les spécificités procédurales et psychologues des victimes de violences sexuelles.

* 64 Selon les termes de l'article 40-1 du code de procédure pénale, une infraction est poursuivable quand elle répond à deux conditions :

- elle a été commise par une personne dont l'identité et le domicile sont connus ;

- aucune disposition légale ne fait obstacle à la mise en mouvement de l'action publique.

* 65 Mentionnées à l'article 41-1 du code de procédure pénale, les mesures alternatives aux poursuites sont le rappel à la loi, l'orientation vers une structure sanitaire, sociale ou professionnelle (stage, formation), la régularisation de la situation par l'auteur afin de mettre fin à une infraction, la réparation du dommage résultant des faits, la mesure de médiation pénale ou l'éloignement de l'auteur de l'infraction.

* 66 La mesure de composition pénale, prévue par l'article 41-2 du code de procédure pénale, est une transaction (les sanctions possibles sont limitativement énumérées) proposée par le procureur de la République à l'auteur d'un ou plusieurs délits punis à titre principal d'une peine d'amende ou d'une peine d'emprisonnement d'une durée inférieure ou égale à cinq ans.

* 67 Entre 2012 et 2016, plus de 65 % des condamnés étaient également mineurs.

* 68 Audrey Darsonville, « La légalisation de la correctionnalisation judiciaire » , Droit pénal 2007, étude n° 4.

* 69 Les informations judiciaires sont obligatoires en matière criminelle.

* 70 S. Grunvald, « La correctionnalisation de l'infraction de viol dans la chaîne pénale », AJ Pénal, juin 2017, page 270.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page