B. FAVORISER L'EXPRESSION ET LA PRISE EN COMPTE DE LA PAROLE DES VICTIMES LE PLUS TÔT POSSIBLE

Les taux de plainte estimés concernant les violences sexuelles sur mineurs sont excessivement faibles. En outre, lorsque les faits sont dénoncés aux forces de l'ordre, les victimes semblent porter plainte tardivement.

Or, afin de permettre une condamnation efficace des violences sexuelles commises à l'encontre des mineurs , cette dénonciation doit intervenir le plus tôt possible : tout doit être mis en oeuvre pour augmenter le taux de révélation des infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs et réduire leurs délais.

Pour cela, il est nécessaire d'accompagner les victimes qui ne peuvent répondre à l'injonction de « libérer leur parole » et de « briser le silence » pour les aider dans leurs démarches judiciaires.

1. Lutter contre le faible taux de dénonciation des viols à la justice

Contrairement aux conclusions des enquêtes de victimation qui laissent à penser que la majorité des viols se dérouleraient avant 18 ans, le nombre de faits de viols sur mineurs traités par la justice est nettement inférieur au nombre de viols sur majeurs . Les violences sexuelles infligées aux mineurs sont donc très peu dénoncée s.

De manière générale, les violences sexuelles sont très difficilement dénoncées. Dans l'enquête « Contexte de la sexualité en France » (CSF), 46 % des femmes et 62 % des hommes déclarant avoir subi une violence sexuelle disaient n'avoir parlé à personne de ces faits avant de répondre à l'enquête. 57 % des femmes interrogées par l'enquête Virage ayant déclaré avoir été victimes d'agressions sexuelles au cours de leur enfance n'en avaient jamais parlé à personne avant l'enquête .

Selon l'enquête CSF, les femmes révèlent en priorité les violences subies à leur famille (31 % des cas), même en cas de violence intrafamiliale, puis aux médecins (8 %) et à la gendarmerie et la police (4 %). Les hommes parlent très peu des agressions sexuelles subies : 20 % à des amis, 14 % à un membre de la famille et 0,6 % à la police.

Depuis 2006, probablement en raison des campagnes d'information, les rapports forcés commis par un membre de la famille sont plus souvent divulgués que les rapports forcés commis par des tiers ou des conjoints : 78 % des agressions commises par un père et 62 % des faits commis par une personne de la famille sont dénoncés à des tiers (contre seulement 40 % des cas pour une agression commise par un conjoint).

Votre rapporteur estime prioritaire d'identifier et de résorber les obstacles à la révélation de ces faits .

Selon les spécialistes entendus par le groupe de travail, le faible taux de dénonciation des infractions sexuelles infligées aux mineurs s'explique par la vulnérabilité des victimes mais également par les stratégies mises en place par les auteurs de ces violences pour dissuader les victimes de parler. Les témoignages reçus par votre rapporteur relatent une « immense pression exercée sur les victimes », qui peut se manifester par un « chantage affectif », des menaces, du harcèlement psychologique. Lorsque les victimes sont dans un rapport de proximité avec l'auteur, voire lorsque l'auteur est un membre de leur famille, les dénoncer leur est très difficile.

Les victimes peuvent également avoir peur d'être rejetées par leur famille ou de ne pas être entendues ou crues. Ces sentiments de peur, de honte, voire de culpabilité les incitent à minimiser les violences subies, ou à les nier.

D'autres facteurs peuvent avoir une influence sur le délai de dénonciation des faits. Si la victime est très jeune, le mineur n'a pas forcément conscience d'avoir subi un viol.

Dès lors, l'intervention des proches est déterminante pour constater et dénoncer les faits . Un mineur est généralement placé sous la surveillance d'un adulte pour la plupart de ses activités, qu'il s'agisse de ses parents ou du personnel éducatif ou de la protection de l'enfance. Ces tiers sont susceptibles de découvrir et de dénoncer ces infractions.

Les témoignages indiquent également que la libération de la parole des victimes mineures peut être facilitée par l'éloignement géographique : par exemple, les faits peuvent être admis plus facilement lorsque leur auteur est en déplacement ou lorsque la victime est en vacances avec d'autres proches.

Enfin, avec l'âge, les victimes peuvent gagner en assurance et trouver le courage de signaler les faits à la justice .

Selon une étude menée à Paris 77 ( * ) , 35 % des viols commis sur mineurs sont signalés auprès des services de police par l'un des parents, 27 % sont dénoncés par la victime elle-même, 17 % par le personnel de l'éducation nationale, 14 % par des travailleurs sociaux ou les personnels des structures d'accueil des mineurs et 6 % par les professionnels de la santé. De manière marginale, les enquêtes portant sur des faits de production de contenus pédopornographiques peuvent permettre, en cas d'identification rapide de la victime mineure, de mettre fin à des viols.

Personnes ayant déclaré un fait de viol commis à l'encontre d'un mineur

Source : traitement ONDRP à partir des données de la brigade de protection des mineurs de Paris pour les viols commis en 2013 et 2014 déclarés aux autorités

Afin de permettre un plus grand taux de dénonciation des infractions sexuelles, il convient de sensibiliser les mineurs à la question des violences sexuelles et à l'interdit de l'inceste.

Pour pallier la carence de l'éducation nationale, des associations comme La Voix de l'Enfant interviennent dans les établissements pour sensibiliser les enfants à leurs droits. Cette sensibilisation par la question de la règle de droit est très efficace auprès de mineurs qui ne connaissent en réalité pas d'autre « loi » que celle de leurs parents.

Si les enfants doivent être sensibilisés à la possibilité de parler, les proches et les parents doivent être également formés à écouter leurs enfants. Pour cela, des campagnes nationales d'information et de sensibilisation sont indispensables.

Proposition n° 4. - Sensibiliser l'ensemble des classes d'âge, des enfants aux parents, à la question des violences sexuelles et à l'interdit de l'inceste.

Afin d'améliorer la protection des enfants, il est indispensable que les professionnels au contact des enfants, singulièrement les professionnels de santé , signalent dès que possible les signes de maltraitance d'un enfant, en vue de les transmettre à la cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP) ou au parquet compétent.

Votre rapporteur considère que l'hôpital, et plus généralement le monde de la santé, ont un rôle essentiel à jouer dans la détection des victimes de violences sexuelles . Lors de son déplacement au centre hospitalier intercommunal de Créteil (CHIC), le Dr Annie Soussy lui a indiqué que la plupart des victimes de violences sexuelles ne venaient pas consulter pour cette raison. La sensibilisation et la formation des professionnels des urgences, notamment pédiatriques, sont donc indispensables pour repérer les signaux faibles d'un traumatisme sexuel. Selon le Dr Soussy, nombre de victimes sont soulagées quand, consultant pour un trouble somatique a priori banal, on leur demande si elles ont déjà été victimes de violences. Dans la formation des professionnels de santé, la recherche de violences passées doit être aussi cruciale que la recherche des antécédents médicaux.

Néanmoins, l'absence de formation généralisée, en dépit des obligations légales, et d'outils formalisés permettant l'identification des situations de maltraitance constituent un obstacle à la mobilisation des professionnels de santé, et plus largement des professionnels au contact des enfants.

Les obligations légales de formation

Selon l'article 21 de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 78 ( * ) : « La formation initiale et continue des médecins, des personnels médicaux et paramédicaux, des travailleurs sociaux, des magistrats, des fonctionnaires et personnels de justice, des avocats, des personnels enseignants et d'éducation, des agents de l'état civil, des personnels d'animation sportive, culturelle et de loisirs, des personnels de la police nationale, des polices municipales et de la gendarmerie nationale, des personnels de préfecture chargés de la délivrance des titres de séjour, des personnels de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et des agents des services pénitentiaires comporte une formation sur les violences intrafamiliales, les violences faites aux femmes, sur les mécanismes d'emprise psychologique, ainsi que sur les modalités de leurs signalements aux autorités administratives et judiciaires . »

Selon l'article L. 542-1 du code de l'éducation : « Les médecins, l'ensemble des personnels médicaux et paramédicaux, les travailleurs sociaux, les magistrats, les personnels enseignants, les personnels d'animation sportive, culturelle et de loisirs et les personnels de la police nationale, des polices municipales et de la gendarmerie nationale reçoivent une formation initiale et continue, en partie commune aux différentes professions et institutions, dans le domaine de la protection de l'enfance en danger . Cette formation comporte un module pluridisciplinaire relatif aux infractions sexuelles à l'encontre des mineurs et leurs effets . »

Les autres freins identifiés semble l'absence de protocoles de réponses permettant d'aider les professionnels face à des situations très complexes et la faible sensibilisation de ceux-ci aux procédures de signalement permises par l'article 226-14 du code pénal.

Selon les recommandations du ministère de la justice, le signalement doit être écrit, précis et objectif. Il doit évaluer la situation de danger du mineur et surtout retranscrire exactement les paroles de l'enfant en reprenant les termes utilisés par ce dernier, en précisant également le contexte de révélation des faits.

Afin d'améliorer la formation des médecins au repérage des violences faites aux mineurs, le plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants (2017-2019) préconisait la mise en place de référents hospitaliers concernant les violences faites aux enfants . À ce jour, aucune circulaire de la direction générale de l'offre de soins n'a été publiée concernant la désignation de ces référents ou l'organisation de leur réseau.

Votre rapporteur renouvelle les recommandations de ce rapport quant au renforcement de la formation initiale et continue des professionnels de santé afin d'améliorer le repérage des troubles psychiques et la prise en charge du psycho-traumatisme chez l'enfant ou l'adolescent.

Les professionnels de santé agissant auprès des enfants handicapés, et notamment des enfants autistes, devraient être formés en priorité. En effet, les personnes autistes apparaissent particulièrement vulnérables en raison de leur handicap émotionnel. Selon une étude de victimation canadienne 79 ( * ) , les personnes souffrant d'un trouble autistique ont deux fois plus de risques que les autres d'être victimes d'une « sexual victimization 80 ( * ) » notamment en raison de leur faible éducation aux comportements sexuels par des tiers. Il apparaît que ces personnes sont davantage « sensibilisées » aux expériences sexuelles à travers des sources externes (télévision, Internet, etc. ). La formation de ces professionnels devrait être intégrée dans le cadre du 4 e plan « Autisme » actuellement en cours de concertation.

Proposition n° 5. - Former les professionnels au contact des enfants, en particulier les enfants handicapés, au repérage des signaux faibles associés aux violences sexuelles afin d'augmenter les signalements.

Tout particulier ou professionnel est soumis à une obligation de signalement des maltraitances infligées aux enfants 81 ( * ) . Or cette obligation est insuffisamment utilisée et souvent assimilée à de la délation.

Votre rapporteur estime nécessaire de rappeler non seulement l'utilité de l'obligation fixée par le code pénal de dénonciation des mauvais traitements infligés à un mineur mais également des possibilités de signalement des contenus en ligne.

Tout contenu choquant sur Internet, qu'il s'agisse d'images ou de représentations à caractère sexuel mettant en scène des mineurs ou encore de sollicitation sexuelle d'un mineur (« grooming »), peut être signalé sur la plate-forme officielle de signalement des contenus illicites de l'Internet (PHAROS 82 ( * ) ) : https://www.internet-signalement.gouv.fr . Les contenus transmis sur PHAROS qui tendent à caractériser l'existence d'une situation de danger par un mineur font l'objet d'une enquête.

Plus largement, tous les contenus illégaux liés à Internet peuvent être signalés, en vue de leur retrait, sur « Point de contact », plate-forme créée par l'association française des prestataires de l'Internet (AFPI) : http://www.pointdecontact.net/cliquez_signalez

Proposition n° 6. - Communiquer sur l'obligation de signalement des violences faites aux enfants.

L'infraction de non-dénonciation de privations, mauvais traitements ou d'atteintes sexuelles 83 ( * ) infligés à tout mineur (article 434-3 du code pénal) constitue un outil efficace afin de faciliter la dénonciation de ces violences le plus tôt possible.

Il est apparu à votre rapporteur que son régime de prescription pouvait être clarifié , en particulier concernant le point de départ qui fait courir le délai de prescription .

Ce point de départ dépend de la nature de l'infraction :

- s'il s'agit d'une infraction instantanée, le délai de prescription commence à courir au jour de la commission des faits ;

- s'il s'agit d'une infraction continue, le délai de prescription commence à courir à partir du jour où la situation illicite prend fin.

L'infraction de non-dénonciation, qui vise à faciliter la poursuite de certaines infractions dans la perspective d'une bonne administration de la justice, se caractérise, concernant les faits infligés à un mineur, par deux éléments : la connaissance d'un crime ou d'un délit qualifiant une privation, un mauvais traitement ou une atteinte sexuelle d'une part, et une abstention fautive, d'autre part. La faute cesse lorsque les autorités sont déjà informées, y compris par des tiers, des faits susceptibles d'être dénoncés 84 ( * ) .

Votre rapporteur considère que le caractère continu de l'infraction de non-dénonciation est indispensable à l'effectivité de cette incrimination.

Pourtant, dans une unique décision du 7 avril 2009 85 ( * ) , la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que le « délit de non-dénonciation d'atteintes sexuelles sur mineurs de quinze ans » était une infraction instantanée.

À l'inverse, la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation considère comme continues d'autres infractions qualifiées d'entraves à la saisine de la justice : ainsi, concernant le délit d'altération de preuves en vue de faire obstacle à la manifestation de la vérité, prévu à l'article 434-4 du code pénal, la chambre criminelle a considéré que « le point de départ de la prescription du délit d'altération de preuves en vue de faire obstacle à la manifestation de la vérité doit être fixé au jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique 86 ( * ) » ; la prescription court donc à compter du jour où cesse l'ignorance des procédés frauduleux dans laquelle a été tenue la partie lésée.

Tant sur le plan pratique que constitutionnel, aucun obstacle ne s'oppose à l'affirmation du caractère continu de l'infraction de non-dénonciation des privations, mauvais traitements ou atteintes sexuelles (qu'il s'agisse d'agressions sexuelles, voire de viols) subis par les mineurs. Afin de faciliter la répression de ces infractions et, surtout, d'encourager les témoins de ces violences à les signaler le plus tôt possible à la justice, votre rapporteur estime nécessaire d'affirmer le caractère continu de cette infraction et, en conséquence, reporter le point de départ du délai de prescription de ce délit au jour où la situation illicite prend fin, c'est-à-dire notamment lorsque les faits sont signalés aux autorités compétentes.

Proposition n° 7. - Affirmer le caractère continu de l'infraction de non-dénonciation des agressions et des atteintes sexuelles commises à l'encontre des mineurs afin de reporter le point de départ du délai de prescription.

2. Libérer la parole, faciliter les dépôts de plaintes et accompagner les victimes en amont de leurs démarches judiciaires
a) Accompagner la libération de la parole

En sus des campagnes de sensibilisation pour informer les mineurs des mesures de protection qui existent, votre rapporteur estime indispensable d'instaurer dans tous les lieux de vie partagés des enfants (à l'école ou à l'hôpital) des espaces de parole sanctuarisés permettant le signalement des violences sexuelles, notamment celles commises dans le cadre familial.

Des expériences passées de création de lieux physiques ont échoué en raison du stigmate qui s'y attachait. Il convient donc de ne pas créer un espace de parole spécifiquement identifié à la question des violences sexuelles, mais tout au long du parcours d'un enfant à l'école, dans les services de protection de l'enfance ou auprès des professionnels de santé, de systématiser des questions ouvertes et neutres permettant de déceler éventuellement des violences.

Proposition n° 8. - Instaurer des espaces de parole sanctuarisés à l'école, auprès des professionnels de santé et à certaines étapes de la vie d'un enfant, pour permettre le signalement d'événements intrafamiliaux.

De nombreux outils nationaux d'accompagnement et de soutien des victimes existent.

Les outils permettant l'écoute des victimes

Le numéro unique 08victimes (0141834208) est une plate-forme téléphonique qui s'adresse à toutes les victimes.

Le numéro vert 119 est le numéro national dédié à la prévention et à la protection des enfants en danger ou en risque de l'être. Il est géré par le service national d'accueil téléphonique de l'enfance en danger (SNATED).

Le 0800 200 000 (Net Ecoute) est une ligne d'écoute nationale pour les enfants confrontés à des problèmes dans leurs usages numériques (par exemple, cyber harcèlement ou revenge porn) .

Le 3919 est le numéro d'écoute nationale destiné à toutes les femmes victimes de violences.

Le 3977 permet de dénoncer la maltraitance subie par les personnes handicapées mais également les personnes âgées.

Ces numéros apparaissent insuffisamment connus des enfants et des adultes victimes. Pourtant, ces plates-formes téléphoniques apportent une aide précieuse aux victimes pour les soutenir et les accompagner dans leur démarche.

Une communication plus claire recensant et distinguant tous ces outils sur le site internet de la délégation interministérielle à l'aide aux victimes serait souhaitable.

Selon le plan interministériel de l'aide aux victimes de décembre 2017, le site internet Guide-victimes 87 ( * ) devrait être complété pour s'adresser à toutes les catégories de victimes.

Proposition n° 9. - Communiquer sur les outils nationaux d'aide aux victimes, notamment sur les plates-formes téléphoniques.

b) Communiquer sur les modalités simplifiées de dépôt de plainte

Votre rapporteur a constaté l'absence d'information des victimes sur les modalités simplifiées de dépôt de plainte : en effet, même s'il est conseillé, le dépôt de plainte en commissariat ou en gendarmerie n'est pas la seule voie. La victime peut également envoyer un courrier au procureur de la République. Ce dispositif, moins traumatisant, est suivi ensuite d'actes d'enquête diligentés par les forces de l'ordre.

Le Gouvernement a fait part de son intention d'étendre le système de pré-plainte en ligne , actuellement applicable aux atteintes aux biens , aux infractions sexuelles . La grande majorité des enquêteurs rencontrés par votre rapporteur lui ont fait part de leur perplexité face à ce dispositif qui leur paraît non transposable à ce contentieux , et même formellement déconseillé en cas d'infraction récente. Le fait de devoir répondre en ligne à certaines questions concernant l'infraction peut interférer avec le travail de l'enquêteur : or la technique d'audition du mineur victime est très particulière.

En revanche, votre rapporteur estime qu'un système de prise de rendez-vous en ligne, qui ne saurait être assimilé à une pré-plainte, pour déposer plainte serait particulièrement souhaitable pour les victimes d'infractions sexuelles anciennes : cela leur permettrait d'être reçues par des personnels formés et attentifs.

Enfin, il convient de communiquer via la plate-forme numérique de référence pour les victimes (par exemple guide-victimes) sur la possibilité de se rendre dans les unités médico-judiciaires (UMJ).

La grande majorité des victimes d'infractions sexuelles prises en charge dans les UMJ y sont dirigées par les enquêteurs. Néanmoins, il est également possible de s'y présenter sans réquisition, par exemple après indication des services médicaux d'urgence . Deux options sont envisageables : soit le personnel d'accueil accompagne la victime pour initier une procédure judiciaire et intervenir auprès des services d'enquête ; soit la victime ne souhaite pas, pour l'heure, la mise en oeuvre d'une procédure judiciaire, et un certificat médical et des informations sur le dispositif associatif peuvent alors lui être remis.

Dans certaines unités médico-judiciaires comme celles de Bondy (93) ou de Boulogne-sur-Mer (62), sont ouvertes des consultations sans réquisition , tous les jours sur rendez-vous ou immédiatement en cas de violences sexuelles récentes.

Selon Mme Fabienne Klein-Dominati, procureure de la République de Bobigny (93), ce dispositif ne présente que des avantages :

- même si le nombre de personnes accueillies est limité, il est symboliquement important que les victimes sachent qu'elles peuvent être reçues dans les mêmes conditions, qu'elles portent plainte ou non ;

- ce dispositif permet une meilleure préservation des preuves ;

- les professionnels de santé de Seine-Saint-Denis, qui se sentaient démunis face à ces situations, sont heureux de pouvoir orienter les victimes qui se présentent à eux.

Proposition n° 10. - Communiquer, notamment par l'instauration d'une plate-forme numérique de référence sur les violences sexuelles, sur les modalités et les différents lieux de signalement des violences sexuelles (unités de police ou de gendarmerie, courrier au procureur, unité médico-judiciaire).

c) Mieux accompagner les victimes dans leurs démarches judiciaires

Les auditions et les déplacements du groupe de travail ont mis en évidence une inégalité de traitement entre les victimes : si certaines bénéficient de dispositifs ad hoc , ceux-ci ne sont cependant pas généralisés. Il apparaît nécessaire de mobiliser des moyens pour garantir aux victimes un accès égal sur le territoire à ces structures.

En premier lieu, il convient de lutter contre des pratiques professionnelles des services enquêteurs qui ne correspondent ni à la lettre ni à l'esprit du code de procédure pénale.

En application de l'article 15-3 du code de procédure pénale, « la police judiciaire est tenue de recevoir les plaintes déposées par les victimes d'infractions à la loi pénale et de les transmettre, le cas échéant, au service ou à l'unité de police judiciaire territorialement compétent. »

L'institution de ce « guichet unique du dépôt de plainte » par la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes a posé une obligation pour la police judiciaire d'enregistrer une plainte par procès-verbal dès lors qu'une victime le désire, même si elle se trouve dans un service territorialement incompétent pour traiter sa plainte et sans qu'il soit nécessaire de rapporter un commencement d'élément de preuve.

Le refus d'enregistrer une plainte constitue un manquement déontologique aux obligations posées par le code de procédure pénale et à l'article 5 de la charte de l'accueil du public et des victimes.

Les agents ou officiers de police judiciaire ne disposent pas d'un pouvoir d'appréciation équivalent à celui du procureur de la République pour apprécier la caractérisation pénale d'un fait. En principe, les enquêteurs qui recueillent la parole des victimes doivent accorder un « crédit temporaire de bonne foi » : jusqu'à preuve contraire, une victime dit la vérité. Néanmoins, il est également du rôle des enquêteurs de relever des incohérences dans les récits des victimes et de demander des précisions de manière la plus neutre possible.

Il convient de garantir le droit de chaque victime de voir sa plainte enregistrée , en recourant au besoin à un dispositif de signalement de ces dysfonctionnements.

En second lieu, chaque victime doit avoir accès à des structures adaptées comme des salles « Mélanie », idéalement dans des unités d'accueil médico-judiciaires . Il n'y a souvent qu'une salle « Mélanie » par département.

Votre rapporteur insiste néanmoins sur l'importance de disposer de personnels formés et travaillant en partenariat pour assurer la réussite de ces dispositifs : le simple équipement de salles « Mélanie » ne suffit pas à créer un environnement favorable à l'audition de la victime. Il convient d'affirmer le droit de chaque victime de disposer d'un égal accès sur tout le territoire aux structures nécessaires permettant de recueillir la parole dans des conditions « bienveillantes »

Proposition n° 11. - Garantir à chaque victime le droit de voir sa plainte enregistrée et d'accéder, en tout point du territoire, à des structures adaptées.

Les carences de la prise en charge des victimes d'infractions sexuelles mettent davantage en lumière un défaut de formation des professionnels qu'un vide juridique.

Moins de 1 300 policiers sont formés spécifiquement aux modalités d'enquête inhérentes aux violences sexuelles. Or les troubles psycho-traumatiques comme la sidération, la confusion ou les troubles de la mémoire peuvent produire des réponses considérées comme « inappropriées » ou « inadaptées ». Les professionnels doivent être formés à la détection de ces troubles et à ne pas les considérer comme un signe de remise en cause de la crédibilité de la parole de la victime .

Maints enquêteurs rencontrés par votre rapporteur lui ont fait part de la difficulté d'accéder à ces formations, en nombre limitées chaque année.

Concernant la formation, votre rapporteur salue les travaux de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) qui a mis de nombreux kits 88 ( * ) à disposition des magistrats, des professionnels de santé et des enquêteurs. Le kit « Elisa » pour les violences sexuelles se compose ainsi d'un court-métrage, d'un livret d'accompagnement pour les professionnels de santé et des fiches réflexes pour les gendarmes et les policiers, les magistrats, les chirurgiens-dentistes et les infirmiers. Dans le cadre du 4 e plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, la MIPROF a produit des fiches réflexes sur l'audition des victimes de violences sexuelles.

Enfin, il convient de développer les emplois de psychologue dans les unités de police ou de gendarmerie.

Depuis 2003, un psychologue est présent au sein de la brigade de protection des mineurs de Paris et, depuis 2006, à la deuxième division de la police judiciaire de Paris pour les affaires de moeurs et dans le commissariat du XXe arrondissement. En 2017, 75 psychologues de la police nationale exerçaient sur le territoire national : 70 dans les directions départementales de la sécurité publique (DDSP), 5 au sein de la police judiciaire parisienne.

Toutes les personnes rencontrées sont unanimes sur la plus-value de ces professionnels dont la mission est partagée entre l'écoute et l'orientation des victimes, notamment après leur audition, le suivi des auteurs de violences dans le cadre de la politique de la prévention de la récidive, et la formation des policiers et gendarmes sur des thématiques qui dépassent les seules violences sexuelles (comment annoncer un décès, quels sont les mécanismes de l'emprise conjugale, etc. )

Les psychologues peuvent recevoir les victimes à plusieurs reprises afin de les orienter vers un centre médico-psychologique.

Proposition n° 12. - Former les enquêteurs à l'accueil des plaignants et généraliser la présence des psychologues et des assistantes sociales dans les unités de police ou de gendarmerie.


* 77 ONDRP, Grand angle n° 37 (janvier 2016), Les viols commis à Paris en 2013 et 2014 et enregistrés par les services de police.

* 78 Loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

* 79 SM Brown-Lavoie, « Sexual knowledge and victimization in adults with autism spectrum disorders » , in Journal of Autism and Developmental Disorders, septembre 2014, volume 44, n° 9.

* 80 Cette notion, plus large que les violences sexuelles, comprend les cas de viol et tentative de viol, d'agression sexuelle et de tentative d'agression sexuelle mais également tout contact sexué non désiré.

* 81 Voir page 38 .

* 82 Créée en 2005, la plate-forme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (PHAROS) permet le recueil de signalements, et non pas de dépôt de plainte.

* 83 Depuis la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant , l'article 434-3 du code pénal fait également explicitement référence aux agressions sexuelles, ce qui ne change rien à la qualification. Comme le précise la circulaire d'application du ministère de la justice du 7 avril 2016 (NOR : JUSD1609502C), cela « ne modifie pas le fond du droit, puisqu'une agression sexuelle est une atteinte sexuelle commise avec violence, comme le précise l'article 222-22 du code pénal. »

L'ajout des mots « atteintes sexuelles » par la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 constituait également une disposition interprétative sans portée normative puisque les atteintes sexuelles étaient appréhendées par la notion de « mauvais traitements ».

* 84 Cour de cassation, chambre criminelle, 13 octobre 1992, 1992.003307.

* 85 Cour de cassation, chambre criminelle, 7 avril 2009, bulletin criminel n° 66, Droit pénal 2009.

* 86 Cour de cassation, chambre criminelle, 17 décembre 2002, bulletin criminel n° 223, droit pénal 2003.

* 87 http://www.gouvernement.fr/guide-victimes

* 88 « Anna » pour les violences au sein du couple, « Tom et Léna » pour l'impact des violences au sein du couple sur les enfants, « Protection sur ordonnance », « Harcèlement sexiste et violences sexuelles dans les transports publics » et « Bilakoro » pour les mutilations sexuelles féminines.

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