C. AMÉLIORER LA RÉPRESSION PÉNALE DES INFRACTIONS SEXUELLES COMMISES À L'ENCONTRE DES MINEURS

Selon la majorité des professionnels du droit entendus par le groupe de travail, l'arsenal répressif est complet et adapté. Comme le souligne le Défenseur des droits dans son avis, « nous avons ainsi aujourd'hui, en droit français, un cadre légal qui protège déjà les mineurs . » Il existe cependant des marges de progression pour clarifier des dispositions jugées parfois trop abondantes, peu lisibles et qui entraînent des incohérences dans les pratiques judiciaires.

1. Clarifier l'arsenal législatif afin de faciliter les poursuites en cas d'agressions sexuelles commises à l'encontre des mineurs
a) Le contexte d'une remise en cause de l'arsenal législatif

Il est d'ores et déjà possible de réprimer sévèrement les auteurs d'infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs , d'autant que la jurisprudence retient facilement la surprise ou la contrainte pour qualifier les faits d'agression sexuelle ou de viol concernant des mineurs.

Certaines décisions judiciaires récentes ont toutefois mis en exergue les réalités judiciaires. Ainsi, en octobre 2017, le parquet de Pontoise a choisi de poursuivre pour atteinte sexuelle, et non pour viol, un acte de pénétration sexuelle commis par un majeur à l'encontre d'une mineure de 11 ans ; l'affaire est en cours après le report de la date du procès. Au mois de novembre de la même année, la cour d'assises de la Seine-et-Marne a acquitté un majeur, âgé de 22 ans au moment des faits, accusé de viol à l'encontre d'une mineure alors âgée de 11 ans ; le parquet général a interjeté appel de cet arrêt.

Ces deux décisions ont connu un fort retentissement dans les médias, suscité une émotion légitime dans la société et déclenché une réflexion sur les possibilités d'évolutions législatives permettant de faciliter les poursuites criminelles pour viol.

Il convient de souligner que lorsque la preuve d'un viol ou d'une agression sexuelle n'est pas établie, le mis en cause est relaxé ou acquitté ; cela ne veut pas dire que la victime était consentante.

Extrait de l'audition par la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité
des chances entre les hommes et les femmes 89 ( * ) de Maître Carine Durrieu Diebolt, avocate au barreau de Paris, spécialisée dans la défense des victimes de violences sexuelles

« Il y a une carence d'information par rapport aux définitions. Se pose aussi la question du consentement : les victimes croient qu'il faut démontrer qu'elles n'étaient pas consentantes. Or en droit, la preuve négative est impossible. Il faut prouver la contrainte, la violence, la menace ou la surprise. Le procès est celui de l'agresseur au vu de ses agissements et non un procès pour la victime. Pourtant, dans l'affaire de Pontoise [pour laquelle Me Durrieu Diebolt représentait la victime] , la presse a davantage évoqué la victime à travers le défaut de consentement, que la contrainte morale et la surprise exercées par l'agresseur, axes sur lesquels j'ai plaidé. Cela a introduit de la confusion. Il faut faire un travail de pédagogie en amont sur les définitions et vulgariser le droit auprès des médias. »

Il convient de souligner à nouveau qu'il n'y a pas de vide juridique qui expliquerait l'impossibilité d'apporter une réponse pénale criminelle aux actes de nature sexuelle commis au préjudice d'un mineur. Au contraire, il s'agit de pratiques judicaires contra legem de « correctionnalisation ».

Devant le tribunal correctionnel, les magistrats du parquet considèrent n'éprouver aucune difficulté à établir « l'absence de consentement » d'un mineur, quel que soit son âge : la preuve d'une contrainte morale exercée par le majeur est très facilement établie.

Néanmoins, cette charge de la preuve est plus délicate à établir devant un jury populaire en cour d'assises. Lorsque les faits sont anciens, que la victime est absente au procès ou qu'elle apparaît conciliante avec le mis en cause, les magistrats constatent des réticences importantes du jury à condamner le mis en cause comme le démontre l'acquittement de novembre dernier. Dans ce contexte, la modification de la règle de droit n'apparaît pas nécessairement la plus efficace face à l'aléa du jury populaire ; il convient également de faire évoluer les représentations de la société quant au consentement.

b) Les possibilités d'évolutions législatives

Comment retenir plus facilement l'infraction criminelle de viol s'agissant des actes de nature sexuelle impliquant les mineurs ? Quelles améliorations législatives peuvent être envisagées afin de permettre, en pratique, une répression criminelle de ces comportements ?

Une des premières pistes envisagées pourrait être d'expliciter les notions de violence, de contrainte de menace et de surprise qui définissent, en droit, le viol et les agressions sexuelles.

En effet, l'actualité médiatique a démontré que ces notions étaient peu comprises par les victimes. Des dispositions interprétatives, à l'instar de celles de l'article 222-22-1 du code pénal, pourraient permettre d'inscrire dans la loi les développements jurisprudentiels autour de ces notions, conformément à la recommandation du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes 90 ( * ) . Il s'agirait d'expliciter le fait que :

- la violence peut être psychologique,

- la contrainte morale peut résulter de la seule autorité de droit ou de fait que l'auteur des faits a sur la victime, de l'état de vulnérabilité de cette dernière ou de la différence d'âge existant entre une victime mineure et l'auteur des faits ;

- la menace peut résulter des pressions ou des actes d'intimidation exercés par l'auteur des faits sur la victime, lui faisant craindre une atteinte à son intégrité physique ou à celle de ses proches, ou à ses biens, ou une atteinte grave à sa vie personnelle, professionnelle, sociale ou familiale ;

- la surprise prévue par le premier alinéa de l'article 222-22 du code pénal peut être constituée dès lors que l'auteur des faits a usé de manoeuvres destinées à surprendre le consentement de la victime ou a profité de l'impossibilité physique ou psychique de la victime à manifester son absence de consentement, notamment en raison de son jeune âge, y compris lorsque cette impossibilité résulte d'un comportement volontaire de celle-ci 91 ( * ) .

Une seconde piste réside dans l'instauration d'une « présomption de non-consentement », selon l'annonce du Gouvernement même si cette dernière n'était assortie d'aucune précision quant à sa traduction juridique, en fonction d'un seuil d'âge restant à déterminer.

c) Le cadre constitutionnel et conventionnel des présomptions de culpabilité

L'ensemble des avocats et des magistrats entendus par le groupe de travail, mais également le Défenseur des droits, ont soulevé les risques constitutionnels et conventionnels attachés à la création d'une présomption irréfragable de culpabilité pour viol en raison de l'âge de la victime. Concrètement, une présomption de culpabilité pour viol en cas d'acte sexuel avec un mineur en fonction de l'âge de ce dernier imposerait une qualification pour viol même si le mineur avait librement consenti à l'acte, voire l'avait recherché en mentant délibérément sur son âge.

Par-delà la question des seuls viols commis à l'encontre des mineurs, plusieurs associations ont réclamé un renversement de la charge de la preuve concernant les violences sexuelles : cela ne serait pas à l'accusation de prouver la véracité des faits mais à l'auteur de prouver son innocence.

En application du principe constitutionnel de présomption d'innocence, la charge de la preuve appartient toujours à l'accusation .

Principe directeur du procès pénal, la présomption d'innocence est un droit constitutionnel consacré par l'article 9 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées ».

La jurisprudence constitutionnelle 92 ( * ) accepte les présomptions de culpabilité ou de responsabilité, qui renversent partiellement la charge de la preuve, à la seule condition qu'elles ne revêtent pas de caractère irréfragable , que le respect des droits de la défense soit assuré , que les faits permettent d'induire raisonnablement la vraisemblance de l'imputabilité et qu'en outre, s'agissant de crimes et de délits, « la culpabilité ne saurait résulter de la seule imputabilité matérielle d'actes pénalement sanctionnés ».

Par ailleurs, la directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 portant renforcement de certains aspects de la présomption d'innocence et du droit d'assister à son procès dans le cadre des procédures pénales interdit les présomptions irréfragables .

Considérant 22
de la directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016

« La charge de la preuve pour établir la culpabilité des suspects et des personnes poursuivies repose sur l'accusation , et tout doute devrait profiter au suspect ou à la personne poursuivie. La présomption d'innocence serait violée si la charge de la preuve était transférée de l'accusation à la défense , sans préjudice des éventuels pouvoirs d'office du juge en matière de constatation des faits, ou de l'indépendance de la justice dans l'appréciation de la culpabilité du suspect ou de la personne poursuivie, ou du recours à des présomptions de fait ou de droit concernant la responsabilité pénale du suspect ou de la personne poursuivie. De telles présomptions devraient être enserrées dans des limites raisonnables , prenant en compte la gravité de l'enjeu et préservant les droits de la défense , et les moyens employés devraient être raisonnablement proportionnés au but légitime poursuivi. Ces présomptions devraient être réfragables et, en tout état de cause, ne devraient être utilisées que si les droits de la défense sont respectés. »

Si la Cour européenne des droits de l'homme a admis, sous certaines conditions dont elle contrôle concrètement l'application, l'existence de présomptions dans les droits internes, c'est sous réserve qu'elles soient compatibles avec la présomption d'innocence , c'est-à-dire qu'elles soient réfragables, et que la personne poursuivie puisse apporter la preuve contraire 93 ( * ) .

Enfin, votre rapporteur n'a pas choisi de proposer une présomption irréfragable en raison de son caractère préjudiciable pour les relations effectivement consenties, entre par exemple un mineur de 14 ans et un majeur de 18 ans.

d) Les difficultés inhérentes à l'instauration d'une présomption de « non-consentement »

Les annonces gouvernementales quant à la création d'une « présomption de non-consentement » a suscité des réactions très divisées chez les acteurs du monde judiciaire.

(1) Les arguments en défaveur de la création d'une présomption

Le Conseil national des barreaux et le barreau de Paris ne considèrent pas opportun d'instaurer une présomption de non-consentement, même simple, car ce n'est pas le consentement de la victime qui est en cause mais bien l'intention de l'auteur , sur lequel doit reposer la responsabilité de l'acte.

Selon le Défenseur des droits 94 ( * ) , « une réponse législative hâtive à l'actualité judiciaire récente, dans un contexte très émotionnel, serait à l'opposé de ce que les enjeux exigent ».

En matière d'infractions sexuelles, l'efficacité de la répression repose davantage sur le régime de la preuve que sur les éléments constitutifs de l'infraction.

(2) La difficulté de fixer un seuil universel de maturité sexuelle

Une présomption de culpabilité fondée sur l'âge de la victime présente l'avantage de la clarté. Néanmoins, elle pose incontestablement une double difficulté tenant à la détermination de l'âge pertinent et aux inévitables effets de seuil.

Afin d'afficher une volonté de protection la plus large possible, l'instauration d'une présomption de non-consentement en deçà de l'âge de 15 ans a été évoquée, notamment par le président de la République.

L'âge de 15 ans est d'ores et déjà un âge charnière pour la répression des infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs : ce seuil présenterait l'avantage de la cohérence.

La fixation de ce seuil d'âge à 15 ans , qui aurait pour nouveauté non pas la répression pénale systématique des actes sexuels (ce qui est déjà le cas) mais bien la qualification pénale systématique de ces actes en tant que viol, est apparue disproportionnée pour nombre de personnes entendues par le groupe de travail . En effet, la qualification criminelle de viol emporte un certain nombre de conséquences pour l'accusé , en ce qui concerne notamment le régime de garde à vue ou de détention provisoire.

Actuellement, des jeunes majeurs peuvent faire l'objet de plaintes avec constitution de partie civile de la part de la famille de mineurs pour des faits de nature sexuelle. Si, naturellement, ces faits doivent être réprimés conformément à la protection accordée aux mineurs de moins de 15 ans, sous la qualification délictuelle d'atteinte sexuelle (article 227-27 du code pénal), faut-il pour autant poursuivre pour viol ces personnes ?

La fixation d'un seuil d'âge à 13 ans permettant la répression systématique de tout comportement de nature sexuelle entre un mineur de 13 ans et un majeur sous la qualification pénale de viol présente d' autres difficultés .

L'âge de 13 ans n'est pas aussi central dans le dispositif répressif français que l'âge de 15 ans, même s'il est retenu pour permettre le prononcé des mesures de garde à vue, de détention provisoire, d''assignation à résidence avec surveillance électronique ou encore le prononcé des peines d'emprisonnements.

Un plus grand nombre d'acteurs du droit accepterait une présomption (simple) de culpabilité fondée sur l'âge de la victime inférieure à 13 ans : en effet, cette présomption exclurait de poursuites automatiques pour viol les cas, fréquemment rencontrés par les enquêteurs, de relations sexuelles entre des mineurs de 14-16 ans et des jeunes majeurs.

Néanmoins, comme l'a souligné le représentant de la chambre criminelle de la Cour de cassation entendu par votre rapporteur, l'introduction d'une « âge-seuil » risque d'être interprétée également par les juridictions comme une limite 95 ( * ) , par exemple pour l'application de la notion de contrainte morale : la création d'une telle présomption ferait ainsi courir le risque que les juridictions ne reconnaissent plus l'existence d'une contrainte morale pour les victimes mineures de plus de 13 ou 15 ans . L'instauration d'une présomption de non-consentement en deçà de 13 ans instaurerait une zone « grise » quant à la répression pénale de ces comportements qui pourraient inciter à se reposer exclusivement sur la qualification pénale d'atteinte sexuelle et donc mobiliser insuffisamment la qualification pénale de viol. Or telle n'est pas l'intention recherchée.

Enfin, il convient de ne pas nier le risque constitutionnel qui existe à maintenir une circonstance aggravante du viol fondé sur l'âge de la victime (mineure de 18 ans ou mineure de 15 ans) tout en faisant reposer l'élément constitutif de l'infraction sur l'âge de la victime. Dans la décision n° 2014-448 QPC du 6 février 2015, le Conseil constitutionnel précisait que « dès lors qu'il ne résulte pas de ces dispositions qu'un des éléments constitutifs du viol ou de l'agression sexuelle est, dans le même temps, une circonstance aggravante de ces infractions , ces dispositions ne méconnaissent pas le principe de légalité des délits ». Ce raisonnement semble en effet conditionné à l'exclusion de toute concordance nécessaire entre un élément constitutif et une circonstance aggravante.

La position du Défenseur des droits sur une présomption de non-consentement
liée à un seuil d'âge

« D'une manière générale, le Défenseur des droits, et la Défenseure des enfants avant lui, ne se sont jamais montrés très favorable à l'introduction de seuils d'âge dans la loi. Il convient d'être extrêmement prudent sur toute disposition qui introduirait une certaine automaticité dans l'application de la loi pénale. Il favorise de manière constante l'appréciation concrète du discernement du mineur. Par exemple, lorsque la question du seuil d'âge de responsabilité pénale a été soulevée dans le cadre de la réforme de l'ordonnance de 1945 relative à l'enfance délinquante envisagée par Madame TAUBIRA, le Défenseur des droits s'était prononcé en faveur de l'appréciation du discernement par le juge pour permettre une appréciation concrète de la situation, et non en faveur d'un âge en particulier.

« Pour autant, s'agissant de la présomption de non-consentement en matière d'infractions sexuelles, le Défenseur des droits émet à ce stade des réserves sur la fixation d'un seuil d'âge à 15 ans en-deça duquel le mineur serait présumé non-consentant, le considérant excessif. En effet, il conduirait à qualifier de viol, puni de 20 ans de réclusion criminelle, toute relation sexuelle entre un mineur de moins de 15 ans et un majeur, y compris un très jeune majeur, quelles que soient les circonstances, ce qui ne paraît pas tenir compte de l'évolution de notre société et des pratiques sexuelles chez les jeunes ».

Source : extrait de l'avis du Défenseur des droits n° 17-13 du 30 novembre 2017,
pour le groupe de travail de la commission des lois du Sénat
sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs 96 ( * ) .

Il résulte de ces débats qu'un seuil d'âge est un critère certes objectif mais également arbitraire qui ne prend pas en compte la diversité ni des maturités sexuelles des mineurs, ni de leurs capacités de discernement.

(3) Le risque d'une incohérence avec le régime de responsabilité pénale des mineurs auteurs

En l'état actuel du droit 97 ( * ) , la responsabilité pénale des mineurs est retenue en fonction de leur discernement et non de leur âge. En application de l'article 122-8 du code pénal, « les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils ont été reconnus coupables, dans les conditions fixées par une loi particulière qui détermine les mesures de protection, d'assistance, de surveillance et d'éducation ».

Selon la jurisprudence 98 ( * ) , le discernement est établi lorsque le mineur « a compris et voulu » un acte et qu'il a agi « avec intelligence et volonté ». Tous les mineurs capables de discernement sont ainsi pénalement responsables mais encourent des mesures différentes. À partir de 13 ans, ils peuvent être condamnés à une peine d'emprisonnement 99 ( * ) .

Il semblerait paradoxal et difficilement justifiable que des mineurs délinquants de 13 ans soient considérés comme suffisamment responsables et matures pour une peine d'emprisonnement alors que tout mineur du même âge se verrait dénier toute latitude en matière sexuelle.

L'âge du « consentement sexuel » en France et à l'étranger

En France, la majorité sexuelle est à 15 ans : en deçà, le mineur ne peut consentir librement à une relation sexuelle avec un adulte, qui est toujours réprimée, en application de l'article 227-25 du code pénal. La qualification de viol dépend de l'existence d'une contrainte, d'une menace, d'une violence ou d'une surprise.

En Espagne, toute relation sexuelle avec un mineur de 16 ans est également un délit puni d'une peine de deux à six ans d'emprisonnement (article 183 du code pénal) : il ne s'agit ni d'une qualification pour viol ni d'une qualification pour agression sexuelle 100 ( * ) . Les peines sont aggravées à cinq ou dix ans d'emprisonnement en cas de violence, d'intimidation, de force ou de menace.

En Belgique, tout attentat à la pudeur d'un mineur de moins de 16 ans est puni de cinq à dix ans d'emprisonnement. Tout acte de pénétration sexuelle commis sur la personne d'un mineur de 14 ans est réputé être un viol commis avec violence (article 375).

En Suisse, tout acte d'ordre sexuel commis sur un enfant de moins de 16 ans est puni d'une peine de cinq ans d'emprisonnement (article 187 du code pénal). L'acte n'est pas punissable si la différence d'âge entre les participants ne dépasse pas trois ans. Il peut ne pas être puni si l'auteur avait moins de 20 ans et qu'il était marié au mineur. Ce délit, qui fixe implicitement l'âge du consentement à 16 ans, n'est pas une qualification criminelle pour viol, qui repose sur l'usage de la menace ou de la violence.

En Angleterre, constitue un « statutory rape » tout acte de pénétration sexuelle commis à l'encontre d'un mineur de 13 ans : la peine encourue est la réclusion criminelle à perpétuité. Cette qualification criminelle ne fixe pas pour autant un âge de consentement sexuel, puisque, par définition, un « statutory rape » est un viol constitué à la seule raison de la minorité de la victime et est indifférente à son consentement.

En Italie, est considéré comme un « abus sexuel avec un mineur » tout acte sexuel commis à l'encontre d'un mineur de 14 ans ; ce délit est puni d'une peine de cinq à dix ans d'emprisonnement. Il n'y a pas d'infraction s'il existe une différence d'âge inférieure à trois ans entre l'auteur et la victime.

Les comparaisons apparaissent difficiles entre les systèmes juridiques : si certaines législations, comme celle de l'Angleterre, retiennent l'âge comme un élément constitutif de l'infraction de viol, d'autres disposent, à l'instar de la France, d'infractions sexuelles délictuelles spécifiques aux mineurs .

La Commission européenne considère comme l'âge du consentement (« age of sexual consent ») l'âge en deçà duquel tout rapport sexuel est réprimé : cet âge est fixé à 14 ans en Autriche, en Bulgarie, en Allemagne, en Estonie, en Hongrie et au Portugal, à 15 ans en France, en Croatie, en République tchèque, en Pologne, en Suède, en Slovénie et en Slovaquie, à 16 ans en Belgique, en Espagne, en Lituanie, en Lettonie, au Luxembourg, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. Chypre et l'Irlande fixent un âge du consentement sexuel à 17 ans tandis qu'il est à 18 ans à Malte. La Finlande, l'Italie et la Roumanie déterminent des âges du consentement différents en fonction de la nature de l'acte sexuel. En Grèce, l'âge du consentement hétérosexuel (15 ans) est différent de l'âge de consentement « homosexuel » (17 ans).

Le véritable enjeu réside davantage dans l'échelle des peines attachée aux infractions sexuelles retenues que dans l'âge de la majorité sexuelle.

e) Le choix d'une disposition à la fois souple et large

Consciente des avantages et des inconvénients d'une présomption de culpabilité pour viol fondée sur l'âge de la victime, votre rapporteur a souhaité proposer une clarification du droit existant permettant à la fois la protection la plus large possible des mineurs mais également l'application concrète de cette modification législative par les magistrats.

Constatant qu'il existe déjà une jurisprudence abondante concernant la contrainte morale des victimes de viols, notamment en raison de leur âge ou du lien qui les unissait à l'auteur du viol, votre rapporteur a estimé qu'une présomption de contrainte permettrait de faciliter les poursuites pour viol pour les faits concernant les mineurs : il s'agirait ainsi de clarifier le régime d'administration de la preuve.

Plusieurs critères pourraient fonder cette présomption de contrainte : l'âge de la victime, même si la détermination d'un âge risquerait d'affaiblir in fine la répression (voir précédemment), la particulière vulnérabilité d'un mineur résultant de son âge, qui permet de prendre en compte l'âge sans pour autant criminaliser trop largement certains comportements, la différence d'âge existant entre l'auteur et le mineur ou encore la capacité de discernement du mineur.

Afin de conserver une protection ad hoc des mineurs adaptée à leur discernement et à leur maturité, votre rapporteur propose d'instaurer, pour les faits de viol, une présomption simple de contrainte fondée sur l'incapacité de discernement 101 ( * ) du mineur ou la différence d'âge existant entre le mineur et l'auteur. Ces deux critères seraient appréciés par les juridictions.

Cette proposition présente l'avantage d'unifier le statut pénal de tous les mineurs , victimes et auteurs, en alignant la capacité sexuelle des mineurs sur leur régime de responsabilité pénale , qui dépendraient tous deux de leur capacité de discernement. Contrairement à une présomption de culpabilité de l'auteur fondée sur l'âge de 13 ou 15 ans du mineur victime, ce mécanisme juridique d'administration de la preuve pourrait s'appliquer à tout mineur, même âgé de 16 ans.

Au surplus, cette présomption de contrainte permettrait de retenir plus facilement la qualification criminelle de viol en cas de relation sexuelle entre un majeur et un mineur. Ainsi la contrainte morale se déduirait de la seule différence d'âge existant entre un mineur et un adulte. Cette différence serait appréciée in concreto : une différence d'âge de 15 ans comme de 5 ans peut être, dans certains cas, constitutive de contrainte morale.

Proposition n° 13. - Instaurer, pour les faits de viol, une présomption simple de contrainte fondée sur l'incapacité de discernement du mineur ou la différence d'âge entre le mineur et l'auteur.

2. Clarifier et adapter l'échelle des peines

Selon votre rapporteur, la répression pénale, et surtout symbolique, des infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs pourrait être améliorée par l'élargissement du champ d'application de la surqualification pénale d'inceste et la refonte du régime des circonstances aggravantes des agressions sexuelles.

a) Élargir la surqualification d'inceste aux faits commis entre majeurs

Comme développé précédemment 102 ( * ) , la surqualification pénale de l'inceste ne s'applique qu'aux agressions sexuelles et aux atteintes sexuelles commises à l'encontre d'un mineur par un majeur.

Nombre d'associations de victimes ont souligné la nécessité symbolique d'étendre cette surqualification aux majeurs. Selon Audrey Darsonville, professeur à l'université Lille 2, il n'existe aucun obstacle à l'extension ni aucune justification à la restriction de la surqualification pénale d'inceste applicable aux viols et aux agressions sexuelles.

En conséquence, votre rapporteur propose de supprimer les termes « d'un mineur » à l'article 222-31-1 du code pénal afin d'étendre le champ d'application de cette surqualification.

Proposition n° 14. - Élargir la surqualification d'inceste aux faits commis à l'encontre de majeurs.

b) Aggraver les peines encourues

Le code pénal prévoit plusieurs circonstances aggravantes permettant d'augmenter les peines encourues par les auteurs d'infractions sexuelles. Néanmoins, l'échelle des peines gagnerait à être clarifiée.

En premier lieu, les peines du délit « d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans » devraient être aggravées. En effet, c'est ce délit qui fixe l'âge du consentement sexuel. Si le seuil d'âge fixé par cette infraction apparaît dans la moyenne des pays européens, en revanche, les peines encourues apparaissent plus faibles qu'ailleurs.

Par ailleurs, il serait erroné de considérer que cette infraction s'applique à des mineurs consentants à un acte sexuel alors qu'elle est, en réalité, indifférente au consentement. Il conviendrait donc de clarifier l'écriture de l'article 227-25 du code pénal pour préciser que cette qualification est retenue « hors le cas de viol ou de toute autre agression sexuelle ».

Selon les représentants de la conférence nationale des procureurs de la République, le positionnement de l'infraction de l'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans, au sein de la section consacrée à la répression de la mise en péril des mineurs, manque de lisibilité : ils proposent de déplacer cet article, à l'article 222-31-1 (nouveau), dans la section consacrée aux agressions sexuelles. Pour d'autres magistrats, le positionnement apparaît cohérent.

En second lieu, c'est l'ensemble du régime des circonstances aggravantes qui doit être révisé.

Selon les représentants de la direction générale de la gendarmerie nationale entendus par le groupe de travail, le délit d'harcèlement sexuel défini à l'article 222-33 du code pénal pourrait faire l'objet d'une nouvelle circonstance aggravante qui serait constituée lorsque les faits sont commis à l'aide d'un réseau de communication électronique.

Selon la conférence nationale des procureurs de la République, il pourrait être souhaitable d'aggraver les peines encourues pour le viol en cas de réunion de deux circonstances aggravantes.

De même, le procureur de la République de Paris estime souhaitable de prévoir des circonstances aggravantes supplémentaires en cas de pluralité de victimes 103 ( * ) , pour prendre en compte les profils de délinquants sériels, et en cas de traumatisme sévère (par exemple en cas d'incapacité totale du travail d'une durée supérieure à 8 jours) imparfaitement pris en compte par la circonstance aggravante mentionnée à l'article 222-28 du code pénal d'agression sexuelle ayant « entraîné une blessure ou une lésion ».

Par ailleurs, la peine maximale pour une agression sexuelle aggravée pourrait être plus largement encourue en cas de concours de deux circonstances aggravantes : hors le cas d'une agression sexuelle imposée à un mineur de 15 ans, la peine maximale pour une agression sexuelle n'est possible qu'en cas de concours d'une circonstance aggravante mentionnée à l'article 222-30 du code pénal (par exemple l'usage ou la menace d'une arme) avec celle définie à l'article 222-29 du code pénal applicable aux agressions sexuelles « imposées à une personne dont la particulière vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse est apparente ou connue de son auteur ».

Le procureur de la République de Paris propose également d'envisager une circonstance aggravante permettant de criminaliser les agressions sexuelles commises sur un mineur de moins de 15 ans lorsque ces faits ont entraîné une ITT supérieure à 8 jours ou une pluralité de victimes. La peine encourue serait de 15 ans de réclusion criminelle. Le viol aggravé par la circonstance aggravante de la pluralité de victimes (mentionnée au 10° de l'article 222-24 du code pénal) pourrait être puni d'une peine de trente ans de réclusion criminelle, au lieu de vingt actuellement.

Ces propositions illustrent l'absence de clarté du régime des circonstances aggravantes applicables aux agressions sexuelles , notamment en raison de modifications législatives ponctuelles. Il conviendrait de refondre profondément le régime des circonstances aggravantes afin de retenir un dispositif plus souple .

Proposition n° 15. - Aggraver les peines encourues pour le délit d'atteinte sexuelle et refondre le régime des circonstances aggravantes des agressions sexuelles.

3. Pour un allongement responsable des délais de prescription de l'action publique des agressions sexuelles commises à l'encontre des mineurs

Si les délits et les crimes commis à l'encontre d'un mineur sont d'ores et déjà soumis à un régime de prescription dérogatoire, la question de leur allongement est régulièrement débattue.

a) Un débat légitime sur les délais de prescription de l'action publique en raison de la difficulté éprouvée par les victimes à dénoncer les agressions sexuelles

Il est parfois très difficile pour les victimes de trouver les ressources morales nécessaires pour dénoncer à la justice les personnes qui les ont agressées, en particulier quand l'auteur est une personne de l'entourage familial.

Il est également très complexe pour les mineurs les plus jeunes à comprendre la gravité des violences sexuelles subies.

Ce parcours psychique est souvent long et implique des phases de déni, de culpabilisation et de reconstruction.

En 2004, l'âge de 38 ans était considéré comme un âge de maturité permettant aux victimes d'être dans une période de leur vie où elles avaient pu avoir des enfants et se remémorer les faits à travers leur propre enfant, qui avait le même âge qu'elle au moment des faits subis. Néanmoins, en 2004, seulement 1 % des femmes donnaient naissance à leur premier enfant après 38 ans. Ce nombre a plus que doublé désormais.

Selon le rapport de la mission de consensus sur le délai de prescription applicable aux crimes sexuels commis sur les mineurs, le phénomène de l'amnésie traumatique, qui peut durer plusieurs mois, voire plusieurs années, constitue un obstacle à la dénonciation des faits . Considérant que le délai de prescription actuel ne permettait pas de tenir compte du caractère tardif de la révélation des faits, la mission proposait un allongement de la prescription des crimes sexuels de vingt à trente ans .

b) Les risques inhérents à un allongement des délais de prescription

Néanmoins, l'allongement des délais de prescription en raison des difficultés éprouvées par la victime à dénoncer, voire à se souvenir des faits ne va pas de soi.

Un tel allongement ne présenterait plus de cohérence avec l'échelle des peines : le délai de prescription pour un meurtre, pour lequel la peine encourue est la réclusion criminelle à perpétuité, est de vingt ans alors que le délai de prescription pour un viol commis à l'encontre d'un mineur, pour lequel la peine encourue est de vingt ans, serait de trente ans après la majorité de la victime.

Outre la charge supplémentaire que représente cet allongement de la prescription pour la justice, les risques d'erreurs judiciaires sont élevés en raison du dépérissement des preuves de culpabilité mais également d'innocence . Selon certains magistrats, un allongement de la prescription serait illusoire et contraire au principe du procès équitable.

Surtout, il n'est pas certain que l'allongement des délais de prescription soit synonyme d'un renforcement de la répression des infractions sexuelles.

En l'absence de preuves matérielles ou de témoignages concordants, trente à quarante ans après les faits, ne subsiste que la parole du plaignant contre celle du suspect. Or la seule parole de la victime, en cas de négation du mis en cause, conduit le parquet à classer la procédure afin d'éviter des relaxes probables.

Le Conseil national des barreaux et le barreau de Paris soulignent d'ailleurs le risque d'un effet « boomerang » pour les victimes : plus le temps passe, plus la mémoire de la partie plaignante sera questionnée par l'institution judiciaire et plus les incohérences seront soulevées. Or ces interrogations peuvent être très violemment ressenties par les victimes.

Comme le résume Mme Audrey Darsonville, professeur à l'université de Lille 2, « l'allongement de la prescription de l'action publique des crimes sexuels commis contre les mineurs n'est pas nécessairement une évolution souhaitable dans l'intérêt des victimes 104 ( * ) ».

La majorité des associations de défense des victimes sont pourtant favorables à l'allongement du délai de prescription, voire à l'imprescriptibilité, mais certaines d'entre elles mettent en garde contre le traumatisme d'un acquittement probable, voire d'un non-lieu et ne veulent pas donner de faux espoirs aux plaignants.

Tout en étant favorables à un allongement significatif de la prescription , voire à l'imprescriptibilité, les représentants de l'association « La parole libérée » ont également expliqué préférer un classement sans suite de la procédure plutôt qu'un non-lieu synonyme de négation de la parole de la victime après enquête. D'autres victimes ont également témoigné de la souffrance éprouvée par un classement sans suite, qui les prive d'une instruction permettant de recueillir leur parole.

La conférence nationale des procureurs de la République souligne le risque qui existe, avec l'allongement de la prescription, à transférer à la justice la responsabilité de devoir classer ou requérir un non-lieu, faute de preuve suffisante, ce qui fera naître de nouvelles frustrations pour les plaignants.

c) Le choix d'un allongement, à la fois symbolique et responsable, des délais de prescription de l'action publique

En raison de la portée symbolique d'une telle mesure pour les victimes, votre rapporteur a estimé souhaitable d'allonger les délais de prescription de l'action publique tout en l'assortissant d'un discours de vérité à l'égard des victimes.

Actuellement, il est d'ores et déjà très difficile de poursuivre et de sanctionner des infractions portées à la connaissance de la justice à la limite des 38 ans du plaignant.

À l'exception des procédures au cours desquelles les mis en cause avouent ou qu'il existe une pluralité de témoignages concordants de plaignants , ces affaires apparaissent faire l'objet fréquemment de décisions de classement ou de non-lieu. Il ne faudrait pas bercer les victimes de l'illusion d'un procès qui n'aura pas lieu.

Quant aux faits qui pourront être poursuivis, les risques de relaxe ou d'acquittement restent très élevés . Selon M. Rémy Heitz, directeur des affaires criminelles et des grâces, l'allongement des délais de prescription mis en oeuvre depuis 1989 ne se sont pas forcément traduits par une hausse des condamnations.

Le risque d'acquittement, de non-lieu ou de relaxe ne doit pas être occulté. Les victimes ne doivent pas lier le résultat d'un procès pénal qui concerne un auteur et la réalité d'un traumatisme vécu ; pour ces raisons, votre rapporteur propose également plusieurs recommandations visant à disjoindre la prise en charge des victimes du procès pénal 105 ( * ) .

De plus, dans les rares hypothèses de condamnations, les peines prononcées sont faibles eu égard au fait que les personnes condamnées sont généralement très âgées.

Sous ses réserves, votre rapporteur estime que l'allongement de vingt à trente ans du délai de prescription de l'action publique pour les faits de viol commis à l'encontre des mineurs est une exigence symbolique pour les victimes.

De plus, au regard des pratiques judiciaires de « correctionnalisation » ab initio, il apparaît souhaitable d'allonger de dix à vingt ans le délai de prescription de l'action publique pour certains délits commis à l'encontre des mineurs.

Proposition n° 16. - Allonger de dix ans les délais de prescription de l'action publique de certains délits et crimes sexuels commis à l'encontre des mineurs, tout en soulignant la nécessité de dénoncer les faits le plus tôt possible.

La prescription de l'action publique ne s'oppose plus à la révélation des faits

Soumise à un régime complexe et changeant, la prescription est un concept juridique mal compris par nombre de victimes et souvent source de malentendus.

Votre rapporteur tient à souligner que la révélation, même publique, de faits anciens est toujours possible pour la victime , en particulier depuis deux décisions du Conseil constitutionnel 106 ( * ) . Dans l'éventualité où la victime serait poursuivie pour diffamation, l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse prévoit qu'une personne poursuivie pour ces faits peut s'exonérer de toute responsabilité en établissant la preuve du fait diffamatoire 107 ( * ) .

Dans sa décision du 7 juin 2013, le Conseil constitutionnel a rappelé que les dispositions concernant l'amnistie, la prescription de l'action publique, la réhabilitation et la révision n'ont pas pour objet d'interdire qu'il soit fait référence à des événements « dont le rappel ou le commentaire s'inscrivent dans un débat public d'intérêt général . »

De même, une personne ne peut être condamnée pour dénonciation calomnieuse (article 226-10 du code pénal) que si la dénonciation concerne un fait que la personne poursuivie « sait totalement ou partiellement inexact ».

d) L'absence de disposition législative spécifique à l'amnésie traumatique

Plusieurs personnes entendues par le groupe de travail ont argumenté pour un recul de la prescription, soit par un allongement des délais, soit par la reconnaissance de l'amnésie traumatique comme « obstacle insurmontable ». 108 ( * )

Votre rapporteur n'a pas choisi de proposer une modification du régime de prescription qui dépendrait explicitement de l'existence d'une amnésie traumatique.

En effet, il n'est pas nécessaire de modifier les dispositions législatives relatives à la prescription de l'action publique pour permettre aux juridictions de suspendre la prescription en cas d'amnésie traumatique ou, plus largement, de troubles psycho-traumatiques affectant la mémoire des victimes.

La loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale a explicitement consacré, de manière autonome, l'adage civiliste « contra non valentem agere non currit praescriptio », selon lequel la prescription ne peut courir contre celui qui ne peut valablement agir 109 ( * ) . Ce principe se traduisait partiellement dans la jurisprudence de la Cour de cassation qui admettait depuis longtemps des obstacles de droit 110 ( * ) mais qui n'a admis l'existence d'un obstacle de fait qu'en 2014 111 ( * ) .

Désormais, en application de l'article 9-3 du code de procédure pénale, la prescription de l'action publique est suspendue par « tout obstacle de droit, prévu par la loi, ou tout obstacle de fait insurmontable et assimilable à la force majeure, qui rend impossible la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique ».

Les dispositions légales liées à l'obstacle insurmontable sont très récentes et ne semblent pas avoir donné lieu à des actions fondées sur ce principe. Néanmoins, comme le souligne Mme Audrey Darsonville, professeur à l'université de Lille 2 entendue par le groupe de travail 112 ( * ) , « L'amnésie de la victime, quand elle existe, pourrait à l'avenir être considérée comme un obstacle de fait entraînant la suspension de la prescription, ce qui permettrait des plaintes tardives même sans allongement du délai de prescription ».

Il n'apparaît pas nécessaire de compléter ces dispositions par des exemples plus ou moins abstraits d'obstacles insurmontables qui sont, par nature, liés à des circonstances particulières.

Enfin, au cours de ses auditions et de ses déplacements, votre rapporteur a pu constater l'absence de consensus scientifique sur « l'amnésie traumatique » ou sur la « mémoire traumatique ». Sans remettre en cause la légitimité des argumentations développées, le débat apparaît incontestablement très vif sur la question 113 ( * ) .

Selon les travaux de Mme Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l'association Mémoire traumatique et victimologie, l'amnésie traumatique est un trouble psycho-traumatique provoqué par un état de stress extrême et qui entraîne un état de dissociation. La mémoire de l'événement peut revenir à l'identique des années plus tard comme en a témoigné devant le groupe de travail, Mme Mié Kohiyama.

Il existe un consensus relatif sur les conséquences d'un stress aigu sur le système neurologique et, en conséquence, sur l'anormalité du processus de mémorisation des souvenirs traumatiques . Selon la majorité des chercheurs, ces souvenirs traumatiques, par exemple un viol, sont à la fois très fortement marqués chez les victimes et très difficilement accessibles. D'où des phénomènes de réminiscence sous forme de « flashs » de souvenirs associés à des faits traumatiques par un élément contextuel.

En revanche, l'existence d'une mémoire traumatique qui à la fois occulterait totalement le souvenir puis resurgirait à l'identique (comme un film), va à l'encontre des connaissances scientifiques actuelles sur le fonctionnement des mécanismes mémoriels et l'altération des souvenirs : en principe, les souvenirs sont « reconstruits », souvent par associations d'idées ou sous des influences extérieures (par exemple, des questions suggestives posées par un tiers).

Sans prendre position dans ce débat, votre rapporteur estime nécessaire d'encourager la diffusion des connaissances scientifiques sur les psycho-traumatismes et les mécanismes mémoriels consécutifs à un fait traumatique . Le développement de la recherche et le dialogue des chercheurs facilitera l'établissement d'un consensus médical sur la question mais également la formation des experts qui seront appelés à témoigner dans les procédures judiciaires.

Ces recherches pourraient mettre en évidence des liens de causalité entre des preuves neurologiques physiques (par exemple, une IRM démontrant une atrophie de l'hippocampe) et l'existence d'un grand traumatisme, sans qu'il ne soit possible de l'identifier. Si elles ne permettraient pas d'établir une preuve lors d'un procès pénal pour viol en l'absence d'imputation entre ce fait et l'infraction , ces recherches participeraient néanmoins d'une plus large prise en compte de cette dimension .

Proposition n° 17. - Diffuser les connaissances scientifiques sur les psycho-traumatismes afin de dégager un consensus médical facilitant leur prise en compte.

4. Renforcer les moyens et adapter l'organisation de la justice pour permettre de juger dans des conditions décentes et dans des délais raisonnables les infractions sexuelles

Les dysfonctionnements identifiés par votre rapporteur dans le traitement judiciaire des infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs ne sont pas spécifiques au traitement de ces infractions.

Au contraire, ils s'intègrent dans un diagnostic général de « saturation » de la chaine pénale et plus généralement d'asphyxie du monde judiciaire posé par la mission d'information sur le redressement de la justice 114 ( * ) de votre commission des lois. Les conclusions de ce rapport d'information appelait à la fois à une revalorisation notable et durable des crédits et des effectifs alloués au ministère de la justice et des évolutions de l'organisation et du fonctionnement de la justice.

a) Renforcer les moyens de la police et de la justice

Si la lutte contre les violences sexuelles, en particulier celles commises à l'encontre des mineurs, est affichée comme une priorité gouvernementale, cette priorité doit se traduire dans les moyens accordés à la justice . Force est de constater que ces moyens demeurent aujourd'hui très insuffisants.

(1) Renforcer les moyens d'investigation

L'élucidation des faits d'agressions sexuelles dénoncés aux autorités dépend fortement des capacités d'enquête des services répressifs, notamment en matière de police scientifique.

La question des moyens d'investigation est cruciale s'agissant de la « pédocriminalité » en ligne qui nécessite de recourir à des outils technologiques et de former les enquêteurs en conséquence. Les enquêteurs du groupe central des victimes mineures de l'Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP) apparaissent ainsi submergés d'affaires.

Nombre de procureurs ont également déploré l'insuffisance des moyens d'enquête affectés à ce contentieux, ce qui a pour conséquence d'allonger les délais de traitement de ces affaires mais également de nuire à leur qualité. Votre rapporteur a également pu constater que la brigade de protection des mineurs de la préfecture de police de Paris ne comptait que 79 fonctionnaires en 2017 (ils étaient 88 en 2012).

Un renforcement substantiel des moyens d'investigation des unités de police judiciaire, dans les gendarmeries et les commissariats, apparaît indispensable à l'amélioration de la qualité de ces procédures.

Proposition n° 18. - Renforcer les moyens d'investigation de la police judiciaire.

(2) Redresser le budget de la justice afin de juger plus vite et de juger mieux

Nombre de dysfonctionnements des procédures judiciaires relevés par les victimes pourraient être corrigés par une meilleure adaptation des juridictions mais surtout par une hausse des moyens budgétaires consacrés à la justice.

En premier lieu, les délais excessifs de traitement par la justice des infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs 115 ( * ) sont unanimement dénoncés par les victimes et l'ensemble des acteurs de la chaine judiciaire, des policiers aux avocats, en passant par les pédopsychiatres accompagnant les victimes. Ces délais semblent principalement imputables à l'inadéquation des moyens de la justice à ses missions et aux besoins des justiciables .

Votre rapporteur juge indispensable de renforcer de manière conséquente les moyens de la justice afin d'apporter une réponse pénale à ces actes le plus rapidement possible .

Ensuite, les moyens de la justice doivent également être renforcés afin d'éviter le recours à des procédures simplifiées, voire expéditives, de jugement de certaines infractions .

Une augmentation des moyens dédiés aux cours d'assises est indispensable afin qu'aucun crime de viol ne soit requalifié en agression sexuelle à raison du seul encombrement des cours d'assises .

Une hausse des moyens est également nécessaire pour faciliter l'audiencement des infractions sexuelles en matière correctionnelle . Même à Paris où il existe une chambre correctionnelle spécialisée pour les mineurs (la 15 ème chambre), certaines infractions sont encore jugées en comparution immédiate. Si les magistrats aimeraient traiter dignement ces affaires avec des audiences spécialisées, la masse des flux pénaux empêche, pour l'heure, une organisation adaptée à la spécificité de ces infractions.

Il convient d'éviter autant que possible les jugements en comparutions immédiates qui ne permettent que très rarement aux mis en cause de réaliser la gravité de leur comportement et sont contraires aux intérêts des victimes.

Afin que les juridictions puissent mettre en place des procédures d'enquête qui ne traumatisent pas les victimes (visio-conférence par exemple pour l'organisation des confrontations), il est également indispensable que toutes les juridictions soient équipées de matériels adaptés.

Enfin, un renforcement des moyens de la justice est également nécessaire afin de prendre en compte l'allongement des délais de prescription et l'augmentation probable du nombre de plaintes à raison des campagnes de sensibilisation .

Proposition n° 19. - Renforcer les moyens de la justice, en particulier des cours d'assises, pour permettre des délais de jugement raisonnables.

(3) Mieux accompagner les victimes au cours des procédures judiciaires

Si la place des victimes au sein du processus judiciaire est désormais bien établie, elles restent insuffisamment informées au regard de la complexité du système judiciaire.

Article 10-2 du code de procédure pénale

« Les officiers et les agents de police judiciaire informent par tout moyen les victimes de leur droit :

« 1° D'obtenir la réparation de leur préjudice, par l'indemnisation de celui-ci ou par tout autre moyen adapté, y compris, s'il y a lieu, une mesure de justice restaurative ;

« 2° De se constituer partie civile soit dans le cadre d'une mise en mouvement de l'action publique par le parquet, soit par la voie d'une citation directe de l'auteur des faits devant la juridiction compétente ou d'une plainte portée devant le juge d'instruction ;

« 3° D'être, si elles souhaitent se constituer partie civile, assistées d'un avocat qu'elles peuvent choisir ou qui, à leur demande, est désigné par le bâtonnier de l'ordre des avocats près la juridiction compétente, les frais étant à la charge des victimes sauf si elles remplissent les conditions d'accès à l'aide juridictionnelle ou si elles bénéficient d'une assurance de protection juridique ;

« 4° D'être aidées par un service relevant d'une ou de plusieurs collectivités publiques ou par une association conventionnée d'aide aux victimes ;

« 5° De saisir, le cas échéant, la commission d'indemnisation des victimes d'infraction, lorsqu'il s'agit d'une infraction mentionnée aux articles 706-3 ou 706-14 du présent code ;

« 6° D'être informées sur les mesures de protection dont elles peuvent bénéficier, notamment les ordonnances de protection prévues au titre XIV du livre Ier du code civil. Les victimes sont également informées des peines encourues par les auteurs des violences et des conditions d'exécution des éventuelles condamnations qui pourraient être prononcées ;

« 7° Pour les victimes qui ne comprennent pas la langue française, de bénéficier d'un interprète et d'une traduction des informations indispensables à l'exercice de leurs droits ;

« 8° D'être accompagnées chacune, à leur demande, à tous les stades de la procédure, par leur représentant légal et par la personne majeure de leur choix, sauf décision contraire motivée prise par l'autorité judiciaire compétente ;

« 9° De déclarer comme domicile l'adresse d'un tiers, sous réserve de l'accord exprès de celui-ci. »

Nombre de victimes ont souligné la difficulté du parcours judiciaire, une fois la plainte déposée, et témoigné d'un sentiment « d'abandon ». Un accompagnement systématique doit être assuré , dès le dépôt de la plainte, par une association d'aide aux victimes qui pourra expliquée aux plaignants les étapes de la procédure.

Cette orientation systématique vers une association d'aide aux victimes ne pourra avoir lieu sans renforcement substantiel des moyens dédiés aux bureaux d'aide aux victimes.

Si le principe d'un bureau d'aide aux victimes dans chaque tribunal de grande instance a été généralisé depuis 2012, le manque de moyens consacrés à ces bureaux gérés par les associations d'aide aux victimes ne permet pas une information et un accompagnement de toutes les victimes. Surtout, le financement de ces associations s'est progressivement réduit ces dernières années en raison de la baisse des dotations des collectivités territoriales.

Proposition n° 20. - Rendre obligatoire, lors d'une procédure judiciaire, l'accompagnement des victimes mineures d'infractions sexuelles par une association d'aide aux victimes.

Il convient également d'adapter la carte des unités médico-judiciaires et de généraliser les unités d'accueil pédiatriques.

En principe, une victime d'infractions sexuelles qui présentent des dommages corporels ou psychologiques n'a pas nécessairement à être examinée par un légiste. Néanmoins, l'ensemble des acteurs de la chaîne pénale considère que le recours à un médecin spécialisé en médecine légale est préférable en ce qu'il garantit une certaine technicité, des pratiques homogènes et une bonne prise en charge des victimes. Leur évaluation de l'incapacité totale de travail est également plus fiable et judiciairement probante. Dans les unités médico-judiciaires et surtout dans les unités d'accueil médico-judiciaires, est également organisé un dispositif de soutien complémentaire : aide psychologique, intervention des services sociaux, présence des associations d'aide aux victimes. Les unités d'accueil médico-judiciaires pédiatriques (UAMJ) permettent une prise en charge complète de l'enfant et permettent son audition dans les meilleures conditions possibles. Ces structures permettent le traitement des procédures judiciaires dans les conditions « les moins traumatisantes pour les victimes ».

Comme le relevait la mission interministérielle sur l'évaluation du schéma d'organisation de la médecine légale en 2013 116 ( * ) , « l'accueil des victimes d'infractions sexuelles est réalisé au sein des UMJ avec une méthodologie particulière alliant l'orientation aux fins d'examen clinique, la préservation des preuves et l'accueil plus global avec notamment le recours à un psychologue financé par l'Assurance maladie ou un personnel dédié financé par une association d'aide aux victimes ».

Aujourd'hui, un peu plus de la moitié des victimes nécessitant un examen médical ont été prises en charge dans une UMJ. Votre rapporteur estime souhaitable de garantir l'accès sur tout le territoire à ces structures ad hoc au sein des établissements de soins.

Proposition n° 21. - Adapter la carte des unités médico-judiciaires (UMJ) aux besoins en médecine légale des tribunaux de grande instance (TGI) et généraliser les unités d'accueil pédiatriques (UAMJ).

Tout médecin est susceptible d'examiner des victimes d'infractions pénales, particulièrement en matière de violences sexuelles ou de maltraitance d'enfants, afin d'évaluer l'incapacité totale de travail (ITT) résultant de l'infraction. Or seules quelques heures sont consacrées à la médecine légale en cinquième année de médecine.

La notion d'ITT est souvent mal comprise des victimes mais également des professionnels du corps médical. L'ITT permet d'évaluer les préjudices d'une victime en mesurant la durée de la gêne réelle et globale éprouvée pour effectuer des gestes de la vie courante et s'applique à tous, y compris aux jeunes enfants.

Si la Haute autorité de santé (HAS) a formulé plusieurs recommandations, elles sont insuffisamment connues, d'où des pratiques très diverses.

De plus, comme l'a souligné Maître Carine Durrieu Diebolt, avocate au barreau de Paris, spécialisée dans la défense des victimes de violences sexuelles entendue par la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, les traumatismes psychologiques subis par la victime sont parfois sous-évalués ou ignorés par les médecins.

La grande disparité constatée dans la fixation des ITT pourrait être en partie réduite par un renforcement de la formation initiale en matière de médecine légale.

Proposition n° 22. - Renforcer la formation en médecine légale des étudiants en médecine.

(4) Assurer le paiement dans des délais raisonnables des partenaires de la justice

Votre commission des lois dénonce régulièrement depuis plusieurs années la sous-budgétisation chronique des frais de justice . Ces difficultés budgétaires expliquent les retards importants avec lesquels le ministère de la justice paye ses partenaires (experts psychiatres, prestations d'analyse génétique), retards qui ont pour inconvénients de les démobiliser. Aujourd'hui, les magistrats alertent les pouvoirs publics sur la pénurie des experts pédopsychiatres pour les victimes et des experts psychiatriques pour les auteurs : l'absence de moyens et de valorisation de cette mission n'attire pas les experts. Or leur rôle est essentiel, a fortiori en matière criminelle.

Au cours de ses auditions et de ses déplacements, votre rapporteur a également pu constater les retards du ministère de la justice dans les versements des dotations forfaitaires 117 ( * ) aux unités médico-judiciaires, qui fragilisent la trésorerie des établissements de santé.

Lors de son déplacement au centre hospitalier intercommunal de Créteil (CHIC), qui assure la mission de service de public de consultations médico-judiciaires pour l'ensemble du département du Val-de-Marne, votre rapporteur a été sensibilisée à la situation budgétaire critique de l'établissement à raison de son activité de médecine légale. Les retards sont si importants qu'ils créent parfois un décalage supérieur à un an : en 2014, seulement 50 % de la subvention avait été versée au 31 décembre ; en 2015, seulement 33 % et en 2016, seulement 40 %. Au 31 décembre 2017, aucun versement concernant la subvention de 2,6 millions d'euros pour l'année 2017 n'avait été effectué. Or ces retards à percevoir la subvention « unité de consultation médico-judiciaire » (UCMJ), qui représentent environ 40 % du besoin de trésorerie de l'ensemble de l'établissement, ont pour conséquence d'allonger les délais de paiement des fournisseurs du centre hospitalier. Un versement de la subvention annuelle de fonctionnement par douzièmes tout au long de l'année permettrait un meilleur fonctionnement de la structure.

Les professionnels de l'unité d'accueil médico-judiciaire de Saint-Malo partagent également cette situation d'insécurité financière : chaque année, les dotations ne permettent pas de couvrir l'intégralité des coûts de fonctionnement de la structure.

Votre rapporteur considère nécessaire de pérenniser le financement de ces structures par le versement des dotations de fonctionnement dans des délais raisonnables, idéalement par douzièmes tout au long de l'année.

Proposition n° 23. - Garantir le financement, dans des délais raisonnables, des unités médico-judiciaires.

b) Adapter l'organisation et le fonctionnement de la justice judiciaire

La spécificité des infractions commises à l'encontre des mineurs, qu'il s'agisse de harcèlement ou d'infractions sexuelles, implique d'adapter l'organisation de la justice judiciaire.

Selon M. Jean-Michel Hayat, président du tribunal de grande instance de Paris, ces faits doivent nécessairement être traités par des magistrats spécialisés. À Paris, 5 juges d'instruction (sur 79) sont spécialisés dans les contentieux des mineurs, qu'ils soient auteurs ou victimes (2/3 des dossiers).

La spécialisation des juges d'instruction permet des procédures d'enquête qui prennent plus facilement en compte la spécificité de l'enfant.

La spécialisation de chambres correctionnelles dans le jugement des affaires concernant les mineurs ne peut cependant se concevoir que dans les très grandes juridictions : le nombre de postes vacants parmi les magistrats (environ 500) constitue un obstacle majeur à la spécialisation de ceux-ci.

Proposition n° 24. - Encourager la spécialisation des magistrats, voire la création de chambres spécialisées dans le jugement des infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs.

L'ensemble des professionnels du droit susceptibles d'être en contact avec des mineurs victimes d'infractions sexuelles doivent être formés à cette problématique.

Aujourd'hui, l'ensemble des auditeurs de justice sont formés à la problématique des violences sexuelles. De même, de nombreuses formations 118 ( * ) sont proposées aux magistrats tout au long de leur carrière. Ces formations restent néanmoins dispensées sur la base du volontariat, même en cas de prise de postes spécialisés.

Selon certains magistrats, la formation pourrait également être améliorée pour insister sur les conséquences psycho-traumatiques des infractions, leur effet sur la parole des victimes, les stéréotypes sociaux liés aux viols afin de permettre un recueil approprié des témoignages et des audiences qui, tout en recherchant la vérité, sont attentives au respect de la parole des plaignants.

Enfin, votre rapporteur a également été sensible à la nécessité de renforcer les obligations de formation continue des avocats, interlocuteurs privilégiés des victimes.

Proposition n° 25. - Renforcer les obligations de formation continue des avocats et des magistrats.

Au regard des témoignages entendus et reçus par votre rapporteur, il lui apparaît indispensable de fixer comme objectif aux acteurs judiciaires de justifier, de manière pédagogique et systématique, l'ensemble de leurs décisions.

Si les jugements sont motivés, nombre de décisions qui relèvent de l'administration judiciaire ne le sont pas. Au regard du constat établi par votre rapporteur de la violence ressentie par les victimes lorsqu'elles reçoivent les notifications, quand elles ont lieu, de classements sans suite, il apparaît souhaitable d'établir un guide des bonnes pratiques en matière d'information des victimes .

Dans la mesure du possible, chaque décision de classement sans suite devrait être notifiée, en personne, par un délégué du procureur ou une association d'aide aux victimes .

Dans un contexte de crise des moyens du ministère public, votre rapporteur a bien conscience du coût et des difficultés d'organisation que pourrait induire cette mesure. Néanmoins, les parquets devraient justifier leurs décisions auprès des victimes. Cet échange pourrait également permettre d'orienter les victimes vers un suivi psychologique.

Les ordonnances de non-lieu devraient également être expliquées de façon pédagogique à la victime, en particulier lorsqu'elle n'est pas accompagnée par un avocat.

Proposition n° 26. - Expliquer et justifier systématiquement auprès des victimes les décisions judiciaires.


* 89 Le compte rendu de l'audition est disponible à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20171211/femmes.html#toc3

* 90 Recommandation n° 7 de l'avis n° 2016-09-30-VIO-022 publié le 5 octobre 2016, « Pour une juste condamnation sociétale et judiciaire du viol et autres agressions sexuelles », Haut conseil à l'égalité entre les hommes et les femmes.

Le rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_avis_viol_2016_10_05.pdf

* 91 Cette hypothèse vise la consommation volontaire d'alcool, de médicaments ou de substances stupéfiantes qui entraînent une impossibilité de consentir à un acte sexuel.

* 92 Décision du Conseil constitutionnel n° 2009-580 DC du 10 juin 2009, loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, considérants n os 17 et 18 ;
décision du Conseil constitutionnel n° 2011-164 QPC du 16 septembre 2011, M. Antoine J

* 93 CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c/ France, requête n° 10519/83 ; CEDH, 25 septembre 1992, Pham Hoang c/ France, requête n° 13191/87.

* 94 Avis du Défenseur des droits n° 17-13 du 30 novembre 2017, pour le groupe de travail de la commission des lois du Sénat sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs.

Le document est consultable à l'adresse suivante :

https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/avis_17-13_du_defenseur_des_droits_sur_les_infractions_sexuelles.pdf

* 95 Actuellement, dans le code pénal ou dans la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation, il n'existe ni seuil, ni limite d'âge permettant de déduire la contrainte ou la surprise. Comme l'a souligné le représentant de la chambre criminelle de la Cour de cassation entendu par le groupe de travail, cette absence de limite d'âge permet une appréciation in concreto par les juridictions. L'introduction d'une notion d'âge « seuil » constituerait dans le même temps, de facto , également une limite.

* 96 Le document est consultable à l'adresse suivante :

https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/avis_17-13_du_defenseur_des_droits_sur_les_infractions_sexuelles.pdf

* 97 Commission de propositions de réforme de l'ordonnance du 2 février 1945 présidée par M. André Varinard, rapport remis à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, « Entre modifications raisonnables et innovations fondamentales : 70 propositions pour adapter la justice pénale des mineurs ».

* 98 Cour de cassation, chambre criminelle, 13 décembre 1956, arrêt Laboube.

* 99 Les mesures éducatives sont les seules mesures applicables aux moins de 10 ans. Entre 10 et 13 ans, les mineurs peuvent faire à la fois l'objet de mesures et de sanctions éducatives. À partir de 13 ans, ils peuvent faire l'objet, en sus, de peines d'emprisonnement.

* 100 Ces comportements sont réprimés par les articles 178 à 182 du code pénal et sont fondés sur la violence ou l'intimidation.

* 101 La possibilité de consentir à une relation sexuelle suppose la capacité de discernement, conçue comme la capacité à comprendre la nature des actes accomplis. En l'absence de discernement, l'existence de la contrainte se déduit de l'incapacité des mineurs à comprendre la nature de ces actes.

* 102 Voir page 34 .

* 103 Soit lorsque l'infraction est commise en concours avec une ou plusieurs autres agressions sexuelles commises sur d'autres victimes.

* 104 Audrey Darsonville, « Brèves remarques sur le projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles », AJ Pénal , décembre 2017, pages 532-534.

* 105 Voir page 102 .

* 106 Décisions n° 2011-131 QPC du 20 mai 2011 et n° 2013-319 QPC du 7 juin 2013.

* 107 Jusqu'à la censure du cinquième alinéa de l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881 par la décision n° 2011-131 QPC du 20 mai 2011, ledit article 35 posait une limite à ce moyen de défense qui était inapplicable « lorsque l'imputation se réfère à des faits qui remontent à plus de dix ans ». Une deuxième limite, constituée lorsque « l'imputation se réfère à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision, » a été censurée par la décision n° 2013-319 QPC du 7 juin 2013 en raison de l'absence de proportionnalité de cette interdiction, qui présentait un caractère général et absolu et visait même les « évènements dont le rappel ou le commentaire s'inscrivent dans un débat public général. »

* 108 Voir page 92 .

* 109 Traduit par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile , l'article 2234 du code civil prévoit que la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement relevant de la loi, de la convention ou de la force majeure.

* 110 Par exemple, il existe une suspension de la prescription le temps de l'immunité statutaire d'un parlementaire ou du président de la République.

* 111 Cour de cassation, Assemblée plénière, 7 novembre 2014, n° 14-83.739.

* 112 Audrey Darsonville, « Brèves remarques sur le projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles », AJ Pénal 2017, page 532.

* 113 « Faire entrer dans la loi l'amnésie traumatique serait dangereux », tribune publiée dans « Le Monde » du 22 novembre 2017, signée par un collectif de chercheurs en psychologie sociale et cognitive.
Steven Jay Lynn,
« The Trauma Model of Dissociation : Inconvient Truths and Stubborn Fictions. Comment on Dalenberg et al. (2012), publié dans le Psychological Bulletin, 2014, vol. 140, n° 3, 896-910.

* 114 Cinq ans pour sauver la justice ! Rapport d'information n° 495 (2016-2017) de M. Philippe Bas, président-rapporteur, Mme Esther Benbassa, MM. Jacques Bigot, François-Noël Buffet, Mme Cécile Cukierman, MM. Jacques Mézard et François Zocchetto, fait au nom de la commission des lois, par la mission d'information sur le redressement de la justice, déposé le 4 avril 2017. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/notice-rapport/2016/r16-495-notice.html

* 115 Sur le constat, voir page 56 .

* 116 Inspection générale des services judiciaires, inspection générale des finances, inspection générale des affaires sociales, inspection générale de l'administration, inspection générale de la police nationale, inspection générale de la gendarmerie nationale, « Rapport sur l'évaluation du schéma d'organisation de la médecine légale », décembre 2013.

* 117 Outre les prestations payées à l'acte sur mémoire, certains actes correspondant aux « frais de justice pénale » sont financés par des dotations forfaitaires versées à des structures publiques, comme pour les unités médico-judiciaires.

* 118 La formation sur les violences sexuelles traite notamment de l'enjeu du recueil de la parole des victimes, de la spécificité de l'inceste et du sujet de l'impact traumatique des violences sexuelles sur les victimes.

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