C. DES RÉSULTATS SATISFAISANTS DANS L'ABSOLU, SANS ATTEINDRE DES OBJECTIFS NUMÉRIQUES TROP AMBITIEUX

Le programme « Habiter mieux » est destiné aux propriétaires occupants ou bailleurs, mais prioritairement ouvert aux propriétaires occupants qualifiés de « modestes » ou de « très modestes ». Il visait à l'origine la rénovation de 300 000 logements du parc privé entre 2010 et 2017, pour un gain énergétique escompté de 30 % en moyenne.

1. Un programme qui a rempli ses objectifs sociaux et environnementaux...

Votre rapporteur retient de l'enquête que le programme « Habiter mieux » enregistre globalement de bons résultats .

Il a permis en effet de remplir l'objectif social , en permettant d'aider les ménages modestes, et même principalement les ménages très modestes, à rénover leurs logements.

Tandis que le bénéfice du programme « Habiter mieux » était réservé aux ménages « très modestes » en 2012 et au premier semestre 2013, une réforme a élargi la catégorie « très modeste » et a ouvert droit à une aide pour les ménages « modestes » en juin 2013.

Cet élargissement des conditions d'éligibilité n'a pas altéré le caractère très social du programme. En effet, sur les 162 282 logements rénovés concernant des propriétaires occupants entre 2012 et 2016, 83 % appartenaient à des ménages « très modestes » et 17 % à des ménages « modestes ».

Il a également permis de réaliser un gain en consommation d'énergie de 41,9 % en 2015 et 43,2 % en 2016, supérieur à la cible globale de 30 %. Ces gains sont d'autant plus appréciables qu'ils se fondent sur des diagnostics effectués obligatoirement avant et après travaux et constituent donc des données fiables.

Ces gains ne sont toutefois pas mesurés sur le long terme : il est possible qu'ils soient remis en cause partiellement si les ménages, constatant la baisse de la facture d'énergie, soient moins économes dans l'utilisation des équipements (effet rebond).

De plus, la définition de l'objectif environnemental paraît aujourd'hui ambiguë. Alors que le programme « Habiter mieux » le définissait, aux termes de la convention État-Anah, comme une amélioration de la performance énergétique du logement, le gouvernement a présenté en novembre 2017 un plan de rénovation des « passoires thermiques », ce terme désignant environ 7 millions de logements dont le classement énergétique est F ou G.

La Cour fait remarquer à juste titre la nécessité de clarifier le ciblage du programme : s'agit-il toujours de réduire de 25 % la consommation d'énergie, quel que soit le niveau de départ, ou de chercher à faire passer l'ensemble des logements en classe E ?

2. ... mais qui ne pouvait atteindre la cible fixée en nombre de logements rénovés

S'agissant des objectifs numériques, 243 000 logements seulement ont été rénovés entre 2010 et 2017 , correspondant à seulement 80 % de l'objectif initialement fixé .

Il est apparu très vite que les objectifs ne pouvaient être tenus, ce qui a conduit l'État et l'Anah à revoir plusieurs fois le séquençage, sans remettre en cause l'objectif initial de 300 000. Ainsi 19 475 logements seulement ont-ils été rénovés de 2010 à 2012, contre un objectif initial de 135 000.

Au total, la meilleure année a été 2017, qui a connu la rénovation de 52 266 logements. Le taux de réalisation n'était toutefois cette année-là que de 52 % par rapport à une cible portée à 100 000 rénovations suite à l'augmentation de 500 à 696 millions d'euros de l'enveloppe financière au 31 décembre 2016. Comme l'indique la Cour, une telle cible était sans doute irréaliste par rapport aux moyens disponibles sur le terrain et aux délais inhérents à la territorialisation des enveloppes d'engagement.

L'exigence portée sur le critère social a pu, surtout au cours des premières années, contribuer à rendre plus difficile l'atteinte des objectifs numériques. Les ménages à très faibles ressources sont moins à même de s'engager dans des projets ambitieux de rénovation thermique que les ménages plus aisés. Le programme est ainsi pris dans la difficulté que connaît toute politique qui cherche à satisfaire deux objectifs à la fois. L'élargissement du public disponible à partir de 2013 aurait toutefois dû permettre de pallier cette difficulté dans une certaine mesure.

Pour l'avenir, le Gouvernement a donné au programme « Habiter mieux » un objectif de rénovation de 75 000 logements par an au cours du quinquennat, dont 10 000 issus de copropriétés fragiles. Lors de l'examen de la loi de finances pour 2018, tout en se félicitant du maintien du programme et des moyens qui lui étaient alloués, votre rapporteur s'était interrogé sur le réalisme d'un tel objectif.

Compte tenu de l'impossibilité pour l'Anah d'atteindre les objectifs passés en raison de la limitation de ses moyens, votre rapporteur maintient son interrogation et souligne qu'un objectif trop ambitieux peut être contre-productif.

Lors de la table ronde organisée par la commission des finances, la directrice générale de l'Anah a estimé que les ressources attribuées à l'Agence étaient, en 2018, en adéquation avec les objectifs du programme. Elle a également fait part des pistes d'amélioration étudiées par l'Agence, notamment la dématérialisation des procédures, qui devrait concerner l'ensemble des régions d'ici à la fin de l'année 2018. La dématérialisation devrait réduire le temps d'instruction de 50 % pour les 700 agents présents sur tout le territoire, mais cela ne concerne pas le temps de préparation des dossiers en amont.

Votre rapporteur prend acte de ces indications mais souligne que l'adaptation des ressources aux objectifs ne doit pas être réalisée par une baisse d'ambition sur la qualité des résultats . Or c'est ce qui risque d'être mis en oeuvre avec la séparation du programme « Habiter mieux » en deux niveaux.

3. La nécessité de maintenir l'ambition en termes de qualité des travaux

Désormais, l'Anah définit deux niveaux d'intervention distincts, que la directrice de l'Anah a présentés lors de la table ronde.

Le programme « Habiter mieux Sérénité » correspond au niveau d'intervention précédent, soit une prise en charge de 35 % ou 50 % de travaux importants en fonction des revenus des ménages.

En parallèle, l'Anah a mis en place le programme « Habiter mieux Agilité » qui permet de réaliser une partie seulement des travaux. Il s'adresse à des ménages en très grande difficulté ou dans une situation d'urgence.

Il apparaît donc clairement que l'objectif de rénovation de 75 000 logements par an comporte une partie d' « affichage ». La directrice de l'Anah a indiqué que 15 000 à 20 000 dossiers relèveraient du programme « Agilité », de sorte que la cible concernant véritablement le programme « Habiter mieux » précédent est de 55 000 à 60 000, soit une réalisation inférieure à 300 000 sur le quinquennat.

Si la création d'un programme allégé pour répondre à des situations d'urgence peut se comprendre, votre rapporteur souligne qu'il ne permettra pas à lui seul de répondre à l'objectif d'éradication des « passoires thermiques » , qui impose selon le gouvernement la rénovation de 500 000 logements par an 3 ( * ) .

De plus, votre rapporteur rejoint la Cour des comptes quant à la nécessité de garantir le maintien d'un diagnostic préalable efficace sur l'état du logement et les solutions à mettre en oeuvre. Cette approche est indispensable pour garantir la réalité des économies d'énergie effectuées ainsi que l'efficience du programme, même pour une procédure simplifiée.


* 3 Plan de rénovation énergétique des bâtiments, présenté le 27 avril 2018 par Nicolas Hulot, ministre d'État, ministre de la Transition écologique et solidaire, et Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires.

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