D. LES FEUILLES DE ROUTE DOIVENT IMPÉRATIVEMENT SE TRADUIRE PAR DES MESURES RAPIDES ET CONCRÈTES ET FAIRE L'OBJET D'UN SUIVI RÉGULIER

1. Une démarche partenariale favorable à l'acculturation et à la mobilisation des parties prenantes

La qualité de l'air est un bien commun, et la pollution atmosphérique est l'affaire de tous . Elle nécessite donc une implication de l'ensemble des acteurs : État, collectivités territoriales, industriels, agriculteurs, associations, particuliers... Comme évoqué précédemment, ce phénomène étant multifactoriel, il est indispensable d'agir sur toutes les sources d'émissions, en conservant une cohérence globale.

Votre rapporteure a constaté lors des auditions que l'approche partenariale retenue pour l'élaboration des feuilles de route a été perçue positivement par les parties prenantes, en particulier les collectivités territoriales, pour lesquelles ce processus a été vécu comme plus ouvert et moins imposé que l'exercice des PPA, notamment en Île-de-France, où la rédaction de la feuille de route a été pilotée conjointement par la préfecture de région et le conseil régional.

L'élaboration des feuilles de route a mis en lumière une implication historiquement variable des collectivités territoriales en faveur de la qualité de l'air. L'existence préalable d'initiatives collectives en matière de qualité de l'air, via la planification locale ou la participation à des appels à projets, comme les « villes respirable en 5 ans » ou les « territoires à énergie positive pour la croissance verte » (TEPCV), a créé un terrain favorable pour que les élus locaux soient davantage force de propositions.

En mobilisant l'ensemble des acteurs, publics ou privés face à une véritable urgence sanitaire, les feuilles de route ont permis de construire un consensus , d'une part sur le constat et la nécessité d'agir, d'autre part sur les solutions à apporter collectivement. La solidarité territoriale résultant de cette concertation doit permettre une mise en oeuvre plus consensuelle des mesures.

Par ailleurs, si les feuilles de route comprennent peu de mesures nouvelles, elles ont permis de formaliser et de faire connaître des actions existantes ou projetées. Leur plus-value est également de faire connaître des initiatives en cours et de consacrer les responsabilités de chaque partie prenante pour améliorer la qualité de l'air.

Au-delà de l'obligation pour le Gouvernement de répondre à l'injonction prononcée par le Conseil d'État, cet exercice a donc joué un rôle d'impulsion en élargissant le cercle des parties prenantes, en établissant de nouvelles formes de coopération et en accélérant l'appropriation de ces enjeux.

2. Les mesures prises pour améliorer la qualité de l'air doivent faire l'objet d'un accompagnement pour en assurer l'acceptabilité et la pérennité

À l'occasion de l'élaboration des feuilles de route, l'information, la sensibilisation et l'accompagnement des populations ont été régulièrement présentés comme des éléments essentiels à la réussite des mesures prises. La connaissance des conséquences de la pollution de l'air et de la contribution que chacun peut avoir à l'amélioration de la qualité de l'air, reste inégalement partagée . Toutefois, dans les territoires confrontés à des pics de pollution, la sensibilité sociétale à la qualité de l'air est plus importante, comme dans la vallée de l'Arve.

Outre un effort général d'information et de sensibilisation à ces enjeux 55 ( * ) , les mesures visant à modifier le comportement de tout ou partie de la population doivent faire l'objet d'un accompagnement pour assurer leur acceptabilité, et, par conséquent, leur efficacité dans la durée. A contrario , les changements soudains et imposés suscitent l'incompréhension et des réactions de rejet et de résistance.

Selon la mesure envisagée, l'accompagnement peut prendre la forme de campagnes d'information, d'aides financières, ou d'une progressivité dans l'entrée en vigueur de la nouvelle réglementation. Il est par ailleurs indispensable de proposer des alternatives crédibles lorsqu'il s'agit de mettre fin à certaines pratiques ou habitudes.

Les expérimentations de zones à faibles émissions menées jusqu'à présent en France et en Europe montrent qu' une approche globale et intégrée de la mobilité est indispensable pour assurer l'efficacité et l'acceptabilité de telles mesures. Cela nécessite notamment le développement d'une offre suffisante de transports en commun, des aménagements favorables au report modal comme les parkings-relais, un accompagnement des professionnels impactés ou encore des aides financières pour l'achat de véhicules moins polluants 56 ( * ) .

Le même constat peut être fait pour modifier une pratique comme le brûlage des déchets verts. Y mettre un terme appelle à la fois une information accrue sur son interdiction et ses motifs, la mise en place de contrôles pour en assurer le respect, mais également le développement de solutions alternatives pour les particuliers, en organisant la collecte ou en favorisant la revalorisation sur place. À défaut, l'interdiction de l'incinération individuelle de ces déchets restera certainement sans effet.

Il est donc indispensable de préférer une logique d'accompagnement à une approche par la contrainte, pour que la population puisse adhérer pleinement au projet porté localement en faveur de la qualité de l'air.

3. Pour avoir des effets concrets sur la qualité de l'air, une entrée en vigueur rapide et un suivi rigoureux et régulier des feuilles de route est indispensable

Enfin d'avoir des effets rapides en termes de baisse des concentrations de polluants, les mesures prévues par les feuilles de route doivent être mises en place dans les meilleurs délais . Or, beaucoup de feuilles de route ne prévoient pas de manière explicite le calendrier de mise en place des mesures recensées, ce qui fait craindre une mise en application différée.

Le risque inhérent à ces feuilles de route , compte tenu de leur élaboration précipitée, de leur contenu hétérogène et de leur portée juridique incertaine est d'en faire un exercice ponctuel et formel, en réaction à un risque contentieux, et dépourvu de suites concrètes . Pour votre rapporteure l'élaboration de ces feuilles de route n'est pas la conclusion d'une procédure contentieuse mais une étape pour organiser et renforcer durablement la lutte contre la pollution atmosphérique .

À ce titre, un suivi rigoureux et régulier de chaque feuille de route, au niveau local mais également national , doit permettre de s'assurer que les engagements pris par les différentes parties prenantes se traduisent par des actions concrètes.

L'élaboration des feuilles de route a globalement privilégié le nombre à la sélectivité, conduisant ainsi à l'adoption de mesures hétérogènes et de portée inégale . Cette situation rend d'autant plus nécessaire un suivi pour prévenir un affaiblissement des actions prévues.

Un tel suivi est indispensable pour répondre véritablement à la décision du Conseil d'État, qui privilégie une obligation de résultat, au-delà d'une simple logique de moyens. À ce titre, on peut s'interroger sur l'adéquation pleine et entière de la réponse apportée par le Gouvernement au regard de cette exigence accrue, dès lors qu'il n'a pas été procédé à une estimation ex ante des gains potentiels de ces mesures, ni à une modélisation fine de la situation existante (cadastre des émissions par exemple). Faute d'objectifs clairement définis a priori , une évaluation objectivement fondée des feuilles de route sera complexe. Le suivi de leur mise en oeuvre devra permettre de résorber ce manque d'études préalables , pour mesurer dans le temps l'impact des mesures prises et les réorienter si elles s'avèrent inefficaces.

La question des moyens mobilisés pour la mise en oeuvre des feuilles de route reste par ailleurs entière . Le manque de précisions sur le coût et les conditions de financement des différentes mesures visées par les feuilles de route a été relevé à plusieurs reprises lors des auditions menées par votre rapporteur. Cette incertitude financière fragilise tout particulièrement la mise en oeuvre des actions en matière de réseaux de transport et d'aménagement, qui appellent des ressources significatives. Le volet financier des feuilles de route devra donc être précisé rapidement , pour que les mesures proposées soient suivies d'effet.

À cet égard, la limitation des crédits du fonds de financement de la transition écologique (FFTE) a déjà eu un impact sur l'appel à projets « villes respirables à 5 ans ». Pour la métropole de Lyon, l'État a proposé un accompagnement financier limité à l'étude pour la mise en oeuvre de la ZCR soit 124 000 euros, contre un million annoncé. Ce moindre engagement de l'État a occasionné des retards pour la création de cette zone.

Enfin , la dynamique créée par l'adoption de ces feuilles de route devra dépasser les risques de manquement au droit européen en vigueur. Sans préjuger de l'appréciation que la Commission européenne fera des mesures prises par le gouvernement français et des suites qui seront données aux procédures en cours, l'ambition des pouvoirs publics en matière de qualité de l'air doit à l'avenir être déterminée par des préoccupations sanitaires et non par la crainte de contentieux et d'amendes. Quand bien même notre pays parviendrait à respecter la législation européenne dans un délai raisonnable, ses exigences restent bien moindres que les recommandations de l'OMS. Il n'est d'ailleurs pas exclu qu'à terme, les valeurs fixées par le droit européen convergent vers celles de l'OMS.

De ce risque contentieux ponctuel doit donc naître une dynamique durable en faveur de la qualité de l'air, motivée avant toute chose par l'impératif d'une protection accrue de population . À défaut de prendre en temps utile toute la mesure de cette responsabilité morale, la carence des pouvoirs publics engagera peut-être demain leur responsabilité pénale.


* 55 Des informations simples et marquantes, comme l'importance de la pollution émise par les foyers ouverts, gagneraient à être partagées : en termes de particules, deux heures de combustion équivalent à 6 000 kilomètres parcourus par un véhicule ancien à motorisation diesel.

* 56 « Zones à circulation restreinte : pour une amélioration de la qualité de l'air », CGDD, octobre 2017.

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