LE COMPROMIS ADOPTÉ EN TRILOGUE

Les négociateurs du Conseil et du Parlement européen sont parvenus à un accord informel, le 28 février dernier, sur la révision de la directive relative au détachement des travailleurs. Cet accord doit désormais être approuvé par les deux institutions. Un premier vote est intervenu en ce sens le 29 mai au Parlement européen. Le Conseil devrait se prononcer le 21 juin. Un vote au COREPER du 11 avril 2018 a déjà approuvé les orientations du Trilogue : seules la Hongrie et la Pologne s'y sont opposées, la Croatie (confrontée à un problème de fuite de main-d'oeuvre), l'Irlande et le Royaume-Uni se sont abstenus.

Destiné à garantir le principe « À travail égal, salaire égal dans un même lieu », l'accord prévoit que la « rémunération » du pays d'accueil soit versée aux travailleurs détachés, à condition qu'elle soit plus élevée que dans le pays d'envoi. La notion de « taux de salaire minimal » est, de fait, écartée du dispositif. Cette rémunération intègre les allocations propres au détachement. Celles-ci demeurent, dans la plupart des États membres, exonérées des cotisations sociales.

Le texte rappelle la distinction entre allocations propres au détachement et remboursements de frais (logement, nourriture et transport notamment) occasionnés par le détachement. Ces remboursements ne font pas partie de la rémunération. Ils seront effectués selon les conditions du pays d'envoi, ce qui peut paraître inadapté compte tenu des différences de coût de la vie de part et d'autre de l'Union européenne. À l'initiative du Parlement européen, la mention de conditions dignes d'hébergement apparaît dans le texte. Cette demande était particulièrement soutenue par le Gouvernement français, qui n'avait pu le faire figurer dans le compromis du Conseil. Il convient enfin de rappeler que, d'après la Commission européenne, dans le cadre du nouveau dispositif, le coût salarial mensuel d'un ouvrier polonais dans le bâtiment détaché en France pourrait passer de 1 587 à 1 960 euros ; le coût d'un salarié français restant cependant plus élevé, compte tenu du différentiel de charges sociales (2 146 euros) 15 ( * ) .

Le texte reprend également le principe retenu par le Parlement européen d'une application au salarié détaché des conventions collectives non universelles, à savoir les accords collectifs sectoriels, régionaux et locaux, aux travailleurs détachés. Les conventions à portée restreinte (régionales ou établies au niveau de l'entreprise) n'étaient pas abordées dans le texte de la Commission. À l'initiative de la commission des affaires européennes, le Sénat avait demandé, en 2016, que les accords d'entreprises soient également visés 16 ( * ) . Ils n'ont pas été retenus dans l'accord qui va, néanmoins, plus loin que le compromis obtenu au Conseil le 23 octobre 2017.

La durée maximale de détachement est, quant à elle, établie à 12 mois avec possibilité de prolongation de 6 mois supplémentaires, soit la position adoptée par le Conseil, à l'initiative de la France. Pour bénéficier de la prolongation, l'entreprise devra adresser une « notification motivée » aux autorités compétentes de l'État membre d'accueil. La Commission prévoyait initialement de limiter la durée de détachement à 24 mois, soit la durée actuellement prévue par les règlements de coordination des régimes de sécurité sociale. La période de 18 mois n'est pas individualisée en cas de remplacement de travailleurs détachés effectuant la même tâche au même endroit. Cette réduction de la durée du détachement va incontestablement dans le bon sens, en particulier dans le cas des chantiers d'envergure. Il serait néanmoins opportun d'apprécier cette durée de 18 mois cumulée sur une période plus large, plus difficile à contourner. On constate en effet actuellement un contournement de la durée de 24 mois prévue par le règlement de 2004 sur la coordination des régimes de sécurité sociale 17 ( * ) . Les salariés détachés rentrent dans le pays d'envoi à l'issue de cette période, avant d'être de nouveau détachés un ou deux mois plus tard sans avoir réellement exercé d'activité sur le territoire du pays d'envoi. Il apparaît également indispensable que le droit européen de la sécurité sociale soit modifié afin de caler la durée du détachement prévue par celui-ci sur les nouvelles dispositions adoptées en matière de droit européen. Il s'agit ainsi d'éviter toute incertitude juridique, et donc possibilité de fraude. Au-delà de ces préconisations, il convient de rappeler que la moyenne d'un détachement en France atteint 47 jours.

S'agissant de la durée de transposition, l'accord prévoit une période de deux ans, ce qui constitue une réelle avancée compte tenu de la position initiale du Conseil. Celui-ci tablait sur une période pouvant aller jusqu'à quatre ans : les États devaient transposer le texte dans les trois ans qui suivent son adoption et disposaient ensuite d'un an pour le mettre en oeuvre.

Le Parlement européen avait, comme le Sénat avant lui, souhaité aller plus loin en ce qui concerne la base légale du texte. Il militait pour que soit fait référence à l'article 151 du Traité sur le fonctionnement l'Union européenne sur les objectifs sociaux de l'Union européenne, et non plus seulement à l'article 57 du même traité sur la libre prestation de services. Cette option n'a pas été retenue dans l'accord informel. Il est néanmoins fait référence à l'article 1 er du nouveau dispositif à la protection des conditions de travail et de santé des travailleurs détachés ainsi que de leurs droits fondamentaux.

Le texte devrait, en outre, garantir l'égalité de traitement entre travailleurs intérimaires locaux et travailleurs détachés par une société d'intérim d'un autre État membre. Aux termes du projet, douze États membres devront changer leur législation 18 ( * ) pour permettre que le principe du droit le plus favorable s'impose pour des intérimaires détachés auprès d'une entreprise liée par des conventions collectives d'application non générale. Le droit qui s'appliquera alors sera celui - s'il est plus favorable - concernant les travailleurs intérimaires locaux, et non celui des salariés d'une entreprise. Il convient de rappeler que le travail temporaire représente 23 % des déclarations de détachement en France. Le texte n'aborde pas, cependant, la question de la réalité de l'activité des agences d'intérim et le risque que celles-ci s'avèrent être de véritables « entreprises boîte aux lettres », sans activité dans le pays d'envoi.

Le texte prévoit enfin des contrôles plus soutenus et la mise en place d'un site officiel unique qui s'impose aux États membres. Il détaillera les éléments de rémunération. Comme indiqué dans le compromis du Conseil et initialement envisagé par la Commission européenne, l'accord renvoie à un texte spécial les modalités de mise en oeuvre des règles de détachement au secteur du transport routier.


* 15 Analyse d'impact concernant la révision de la directive sur le détachement de travailleurs - SWD(2016)52.

* 16 Résolution européenne n° 169 (2015-2016) sur la proposition de révision ciblée de la directive 96/71 CE relative au détachement des travailleurs, 1 er juillet 2016.

* 17 Article 12 du règlement n° 883/2004 du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale.

* 18 Autriche, Chypre, Croatie, Estonie, Finlande, Grèce Hongrie, Irlande, Lettonie, Portugal, Slovaquie et Slovénie.

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