LA RÉVISION DES RÉGLEMENTS DE COORDINATION DES RÉGIMES DE SÉCURITÉ SOCIALE

La Commission européenne a présenté, en décembre 2016, une proposition de révision des règlements de coordination des régimes de sécurité sociale de 2004 et 2009 27 ( * ) .Le texte vise, notamment, à lutter contre la fraude au détachement en renforçant la procédure de délivrance, le format et le contenu du formulaire A1, qui atteste, dans le cadre du détachement, la législation en matière de sécurité sociale qui s'applique. Un vote sur l'ensemble du texte est attendu à la fin de l'année 2018.

S'agissant du volet Détachement de sa proposition, la Commission souhaite que les autorités nationales disposent des outils nécessaires pour vérifier le statut des travailleurs détachés au regard de la sécurité sociale. Elle établit des procédures plus claires en matière de coopération entre ces autorités afin de faire face aux pratiques potentiellement déloyales ou abusives.

Elle renforce ainsi les obligations incombant aux institutions qui délivrent le document portable A1 - qui atteste la législation en matière de sécurité sociale applicable au travailleur détaché - pour ce qui est de l'appréciation des informations pertinentes. La Commission souhaite, notamment, garantir l'exactitude des éléments qui sont consignés dans cette attestation.

Elle prévoit, en outre, des délais clairs pour les échanges d'informations entre les autorités nationales. La proposition vise ainsi à faciliter les échanges d'informations d'un pays à l'autre entre les institutions de sécurité sociale et les services de l'inspection du travail, les services de l'immigration ou de l'administration fiscale des États membres, afin de faire en sorte que toutes les obligations juridiques en matière d'emploi, de santé, de sécurité, d'immigration et de taxation soient respectées.

La proposition de la Commission européenne insiste enfin sur l'interdiction de remplacer un travailleur salarié ou non salarié détaché par un autre travailleur salarié ou non salarié détaché à l'issue d'un détachement dont la durée ne peut, par ailleurs, excéder 24 mois.

LE CERTIFICAT A1

L'ambition affichée par la Commission européenne de renforcer les obligations des États membres en ce qui concerne le certificat A1 mériterait d'être précisée. Les solutions pratiques envisagées depuis plusieurs années par les organisations professionnelles (numérisation, photographie du titulaire etc.) ne sont pas reprises dans le texte, qui renvoie à des actes délégués la nature des mesures à prendre en vue de mieux le sécuriser.

LA NÉCESSAIRE SÉCURISATION DU FORMULAIRE A1

La résolution adoptée par le Sénat en 2016 sur la révision de la proposition de la directive « détachement » de 1996 insistait également sur la nécessité de sécuriser ce formulaire, en y apposant par exemple une photo du détenteur. Le rapporteur de la commission Emploi et affaires sociales du Parlement européen, M. Guillaume Balas (France - S&D), plaide de son côté pour une numérisation des formulaires afin de s'assurer de leur caractère infalsifiable. Le texte de la Commission ne prévoit pas de telles mesures.

Le formulaire devrait par ailleurs intégrer un numéro de sécurité sociale européenne . La création d'un numéro de sécurité sociale européenne a été annoncée par la Commission européenne à l'occasion de la présentation du programme de travail pour 2018. Elle en a esquissé les contours dans sa communication sur la mise en oeuvre du socle européen des droits sociaux, présenté le 13 mars 2018 28 ( * ) . Ce numéro est envisagé comme un identificateur numérique permettant de rendre interopérables les systèmes existants. Le dispositif favoriserait notamment la portabilité transfrontière des droits. Il faciliterait une identification et une vérification en temps réel de la couverture et réduirait les risques d'erreur et de fraude liés à l'utilisation de documents papier. Un premier projet devait être présenté en même temps que la création de l'Autorité européenne du travail. La Commission a néanmoins souhaité différer son projet pour des raisons techniques portant sur son format physique (puce, carte ou clé), son mode de financement, et la question de la protection des données.

Au-delà du format du document, il s'agit également de renforcer les conditions de sa réception par les autorités de contrôle de l'État d'accueil. Ledit formulaire devrait ainsi être envoyé préalablement au détachement, même si la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne n'impose aucun délai pour la délivrance d'une attestation. Une forme de flexibilité doit cependant être laissée aux États concernant l'utilisation de ce formulaire. Cette souplesse est autorisée par la Cour. Elle a, en effet, estimé justifiée en 2014 la législation belge en matière de détachement qui impose à l'employeur de travailleurs détachés, dans le cadre d'une prestation de services, de déclarer préalablement ces travailleurs détachés à l'office belge de sécurité sociale, laissant une certaine souplesse aux États membres en la matière 29 ( * ) . La loi belge impose, en effet, aux destinataires d'une prestation de services effectuée par des travailleurs détachés non seulement de contrôler, avant le début de la prestation, si l'employeur des travailleurs détachés a procédé à cette déclaration auprès de l'office de sécurité sociale, mais aussi, le cas échéant, de collecter auprès desdits travailleurs, également avant tout début d'exécution de la prestation, leurs données d'identification ainsi que celles de leur employeur, et de les transmettre aux autorités compétentes. Les restrictions à la libre prestation de services sont de fait admises s'il existe une raison impérieuse d'intérêt général qui ne soit pas déjà sauvegardée, propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit, et que la mesure restrictive soit proportionnée.

LE RECOURS AUX ACTES DÉLÉGUÉS

Pour l'heure, le texte de la Commission européenne prévoit un recours aux actes d'exécution pour mettre en place une procédure-type assortie de délais pour la délivrance, le format, le contenu du document - le formulaire A1 - attestant la législation en matière de sécurité sociale qui s'applique. Les actes porteront également sur la détermination des situations dans lesquelles le document est délivré, ainsi que les éléments à vérifier avant la délivrance du document. Ils aborderont la question du retrait du document lorsque son exactitude et sa validité sont contestées par l'institution compétente de l'État membre d'emploi.

Conformément à l'article 291 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, l'acte d'exécution est défini par sa raison d'être, soit la nécessité de conditions uniformes d'exécution. Aux termes de l'article 291, la première responsabilité en matière d'application du droit de l'Union incombe aux États membres. Toutefois, dès lors que des conditions uniformes d'exécution sont nécessaires, la Commission doit exercer sa compétence exécutive. Il y a cependant lieu de s'interroger, dans le cas présent, sur une telle délégation de pouvoir à la Commission européenne, puisqu'elle concerne le renforcement de la lutte contre la fraude.

Il paraît au contraire indispensable que la réflexion sur le formulaire A1 fasse l'objet de débats approfondis au Conseil, et qu'une certaine marge de manoeuvre soit laissée aux États.

Il convient de rappeler à cet égard les travaux entourant la rédaction de la directive d'exécution de la directive de 1996 sur le détachement des travailleurs, adoptée en 2014. La rédaction initiale de l'article 9 prévoyait une codification de la jurisprudence communautaire en matière de contrôle. Il dressait ainsi une liste précise de mesures pouvant être imposées par l'État membre d'accueil à une entreprise étrangère qui détache des salariés sur son territoire : obligation de déclaration et de conservation, durant toute la durée du détachement, du contrat de travail, des fiches de paie, des relevés d'heures ou des preuves du paiement des salaires. Un correspondant chargé de négocier au nom de l'employeur avec les partenaires sociaux du pays d'accueil devrait pouvoir être désigné. Aucune autre disposition ne pouvait être imposée à une entreprise qui détache. Un certain nombre d'États membres, à l'instar de la France, de l'Allemagne, de la Belgique, de l'Espagne, de la Finlande ou des Pays-Bas, militaient pour une liste ouverte de contrôles. Il s'agissait d'être le plus réactif possible face à des mécanismes de fraude de plus en plus complexes. La rédaction définitive de l'article 9 répond en large partie à cette demande en reconnaissant le principe d'une liste ouverte. La Commission doit être informée de toute nouvelle mesure sans pour autant qu'il s'agisse d'un dispositif de pré-autorisation. Cette souplesse, requise en matière de droit du travail, doit trouver un prolongement en matière de droit de la sécurité sociale, ce que ne permet pas le projet de la Commission européenne.

Le Sénat a déjà transmis à la Commission ses réserves quant à la compatibilité du projet de règlement avec le principe de subsidiarité, en soulignant que les actes d'exécution ne seront pourtant pas soumis aux parlements nationaux au titre du contrôle du respect du principe de subsidiarité 30 ( * ) . Ces observations seront une nouvelle fois rappelées dans la proposition de résolution européenne annexée au présent rapport.

LA QUESTION DE L'OPPOSABILITÉ DU CERTIFICAT A1

Dans la proposition de résolution européenne qu'il avait adoptée en juillet 2016, le Sénat avait émis le souhait que les certificats A1 puissent être déqualifiés dès lors qu'il existe des doutes sérieux quant à la réalité du détachement. Pour l'heure, le droit européen dispose que le certificat établi par l'État d'envoi s'impose aux institutions des autres États membres aussi longtemps qu'il n'est pas retiré ou déclaré invalide par l'État membre où il a été établi. Ce raisonnement s'appuie sur le principe de confiance mutuelle, qui crée une présomption de régularité pour les autorités du pays d'accueil.

La question de l'opposabilité des certificats a été abordée par la Cour de justice de l'Union européenne suite à un renvoi préjudiciel de la Cour de cassation française. Celui-ci concernait une condamnation de 2011, confirmée en 2013, visant le croisiériste allemand A-Rosa Flussschiff . Celui-ci avait fait travailler, sur des navires postés sur le Rhône et la Saône, 91 employés sous contrat suisse 31 ( * ) . L'URSAFF a estimé, en 2007, que les deux bateaux avaient une activité « permanente et exclusive » en France, leurs salariés devant donc être affiliés à la sécurité sociale française. Les certificats A1 ont donc été suspendus et un redressement de 2 millions d'euros opéré. Dans un arrêt rendu le 27 avril 2017, la Cour estime cependant que ces certificats s'imposent dans l'ordre juridique interne de l'État membre dans lequel le travailleur salarié se rend pour effectuer un travail aussi longtemps qu'ils ne sont pas retirés ou déclarés invalides par le pays d'origine, confirmant un arrêt de 2006 32 ( * ) . Les juridictions françaises ne sont pas habilitées à vérifier des certificats délivrés par la Suisse, y compris dans le cas où les travailleurs concernés ne sont pas en réalité des travailleurs détachés. L'arrêt de la Cour se fonde sur le principe difficilement contestable de confiance mutuelle entre les États. Une pièce délivrée par l'un d'entre eux est donc réputée valide.

L'État d'accueil doit, en conséquence, utiliser la procédure existante pour contester la validité d'un certificat. Cette procédure se fonde sur le principe d'obligation de coopération loyale. Saisie par l'État membre d'accueil, l'institution de l'État membre d'envoi doit reconsidérer le bien-fondé de la délivrance du certificat et, le cas échant, le retirer. Faute d'accord entre les deux États membres, la commission administrative pour la sécurité sociale des travailleurs migrants peut être saisie aux fins de conciliation 33 ( * ) . En cas d'échec de celle-ci, une procédure en manquement visant l'État d'envoi peut être lancée auprès de la Cour de justice de l'Union européenne.

Dans l'affaire A-Rosa , cette procédure n'a pas été utilisée par les autorités françaises. Elle ne l'a pas été non plus dans deux affaires visant les compagnies aériennes Vueling et Ryanai r. La Cour de cassation française avait confirmé, en mars 2014, la condamnation pour travail dissimulé de la compagnie Vueling , en contestant notamment la validité des certificats de détachement qu'elle produisait. De son côté, le tribunal d'Aix-en-Provence avait condamné, en octobre 2013, la compagnie Ryanair pour infraction au droit social français, estimant que les salariés de sa base marseillaise ne pouvaient être recrutés sur la base de contrats de travail irlandais, rejetant ainsi les certificats de détachement. Les deux compagnies estiment que la France est pourtant tenue d'accepter les formulaires de détachement E 101/A1 et E 102 fournis par un autre État membre. Ces deux compagnies ont demandé à la Commission européenne d'ouvrir une procédure contre la France.

Reste que la procédure de conciliation peut apparaître lourde et longue au regard de détachements limités dans le temps, puisqu'ils ne peuvent, en l'état actuel du droit, dépasser deux ans. La Cour écarte cependant expressément, dans son arrêt, les réserves des autorités françaises quant à l'efficacité de la procédure et leur volonté de prévenir la concurrence déloyale et le dumping social. Ceci ne justifie pas la méconnaissance de la procédure et, a fortiori , la décision d'écarter un certificat délivré par l'institution compétente d'un autre État membre.

La jurisprudence a cependant déjà évolué au cours des dernières semaines. Dans une affaire opposant l'État belge à une société bulgare opérant dans le secteur de la construction, la Cour de justice de l'Union européenne a en effet indiqué, le 6 février dernier, que le certificat de détachement ne pouvait s'imposer à une juridiction de l'État membre d'accueil dès lors que celle-ci constate que ce document a été obtenu ou invoqué frauduleusement. La fraude doit cependant être établie dans le cadre d'une procédure contradictoire. Il appartient donc aux autorités de contrôle d'apporter la preuve de l'existence d'une fraude, en soulignant que les conditions au titre desquelles le certificat a été délivré ne sont pas satisfaites et que les intéressés ont intentionnellement dissimulé le fait que les conditions n'étaient pas remplies 34 ( * ) . L'État membre d'accueil peut, dans ces conditions, écarter un certificat si l'État d'envoi n'a pas procédé à leur annulation.

LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION EUROPÉENNE EN MATIÈRE D'ÉCHANGES D'INFORMATION

La proposition de la Commission européenne tend à renforcer les règles applicables en matière d'échange d'informations et de vérification du statut des travailleurs au regard de la sécurité sociale.

La procédure actuelle peut, en effet, apparaître inefficace car l'État d'envoi n'est pas obligé d'accepter l'ouverture de la procédure et il n'est pas obligé de se soumettre à une décision défavorable. Le texte de la Commission ne revient cependant pas sur le caractère optionnel de la procédure qui affaiblit le principe d'obligation de coopération loyale entre les États membres, énoncé à l'article 4 du Traité sur l'Union européenne.

La Commission insiste néanmoins sur le fait que les documents A1 ne sont valables que lorsqu'ils sont intégralement complétés. Elle prévoit cependant un délai de 25 jours pour réexaminer, à la demande d'un État d'accueil, les motifs et les informations contenues dans le document A1. Si l'État d'envoi conclut à l'absence de doutes sur la validité du document, il peut à nouveau demander des éclaircissements en adressant des éléments de preuve. L'État d'envoi dispose une nouvelle fois de 25 jours pour statuer. Le délai de consultation peut être ramené à 2 jours en cas d'urgence. La pratique actuelle, définie par la décision A1 de la Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale du 12 juin 2009, prévoit une première phase de dialogue de trois mois, renouvelable trois mois. Faute d'accord, une seconde période de dialogue d'une durée de six semaines peut ensuite s'ouvrir. Enfin, en l'absence d'accord à l'issue de cette seconde phase et au terme d'un délai d'un mois, une procédure de conciliation peut être ouverte auprès de la commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale. Celle-ci dispose alors de six mois pour concilier les points de vue. Une procédure de conciliation peut donc prendre plus d'un an sans aboutir.

Le rapporteur du Parlement européen suggère, à ce titre, que le délai pour la procédure de réexamen soit réduit de 25 à 15 jours. L'État d'envoi disposerait également de 5 jours pour rectifier un document A1 en cas d'incomplétude. Passé ce délai, en l'absence de réponse, l'institution de l'État requérant pourrait requalifier le détachement. De tels amendements vont dans le bon sens.


* 27 Proposition de règlement modifiant le règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale et le règlement (CE) n° 987/2009 fixant les modalités d'application du règlement (CE) n° 883/2004 (COM(2016) 815 final).

* 28 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen - Suivi de la mise en oeuvre du socle européen des droits sociaux (COM(2018) 130 final), 13 mars 2018.

* 29 Arrêt de la Cour du 3 décembre 2014, Edgard Jan De Clercq e.a.

* 30 Résolution européenne n° 102 (2016-2017) portant avis sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement modifiant le règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale et le règlement (CE) n° 987/2009 fixant les modalités d'application du règlement (CE) n° 883/2004 (COM(2016) 815 final), 8 mars 2017.

* 31 Les obligations européennes en matière de détachement s'imposent à la Suisse au titre de sa relation bilatérale avec l'Union européenne.

* 32 Arrêt de la Cour du 27 avril 2017, A-Rosa Flussschiff GmbH contre Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales d'Alsace (Urssaf), venant aux droits de l'Urssaf du Bas-Rhin, Sozialversicherungsanstalt des Kantons Graubünden.

* 33 Cette commission a été instituée par les articles 80 et 81 du règlement 1408/71 du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté. Elle a été modernisée par le règlement n° 987/2009. Elle est composée d'un représentant gouvernemental de chacun des États membres, assisté, le cas échéant, de conseillers techniques. Un représentant de la Commission européenne participe, avec voix consultative, aux sessions. Elle bénéficie de l'assistance technique du Bureau international du travail. Elle se réunit quatre fois par an.

* 34 Arrêt de la Cour du 6 février 2018, C-359/16 Ömer Altun e.a / Openbaar Ministerie.

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