L'APPLICATION DE LA LÉGISLATION DE L'ÉTAT DU SIÈGE

VERS UNE AFFILIATION PRÉALABLE

La proposition initiale de la Commission européenne prévoyait que le salarié détaché puisse être une personne recrutée à cette fin mais devait être, immédiatement avant son détachement, soumise à la législation sociale de l'État membre d'envoi. L'orientation générale adoptée sur la proposition de la Commission le 23 octobre dernier a, en tout état de cause, d'ores et déjà permis de retenir le principe d'une affiliation du salarié depuis au moins trois mois au régime de sécurité sociale dans l'État d'établissement de l'entreprise qui le détache. Il s'agit, de la sorte, de lutter contre les faux détachements et les « entreprises boîte aux lettres ».

Ce faisant, le Conseil reprend et améliore les termes de la décision A2 de la commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale en date du 12 juin 2009, qui précisait « à titre indicatif », que l'exigence formulée par les termes « juste avant le début de son activité salariée » peut être considérée comme remplie si le salarié est affilié depuis un mois au régime de sécurité sociale de l'État d'envoi. Il convient de rappeler que la même décision prévoit, en outre, qu'un délai de carence de deux mois s'impose entre deux détachements dans une même entreprise.

Il serait également nécessaire, comme l'avait demandé le Sénat dans sa résolution de juillet 2016, de vérifier qu'il ait exercé une activité au sein de cette entreprise et de cet État durant au moins trois mois. Il convient de relever que cette condition existe pour les travailleurs non salariés. Aux termes du règlement n° 987/2009, ceux-ci doivent avoir exercé leur activité pendant « un certain temps » avant de bénéficier des dispositions relatives au détachement. La décision A2 de la commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale du 12 juin 2009 précise que cette durée doit être d'au moins deux mois.

UN VERSEMENT DES COTISATIONS SOCIALES DANS LE PAYS D'ACCUEIL EST-IL ENVISAGEABLE ?

Le principe d'un alignement, en matière de détachement, du droit de la sécurité sociale sur le droit du travail peut apparaître séduisant en vue de limiter l'écart constaté entre le coût d'un travailleur local et celui d'un travailleur détaché. Reste que cette option implique une affiliation aux régimes des pays d'activités pour des périodes qui demeurent relativement courtes : 47 jours en moyenne en France, 98 au sein de l'Union européenne. De fait, une telle affiliation tend à multiplier les difficultés, qu'elles soient administratives, financières - les variations du taux de change avec les pays hors zone euro ne seront pas sans incidence -, mais aussi en termes de portabilité des droits, au moment de la reconstitution de carrière pour l'assurance-vieillesse par exemple.

Le Président de la République, dans son discours à la Sorbonne le 26 septembre 2017, a proposé une déclinaison de ce principe. Il envisageait, en effet, un alignement des cotisations sociales sur le niveau de celles perçues dans le pays d'accueil, sans pour autant remettre en cause le principe d'affiliation au régime de sécurité sociale du pays d'envoi. La collecte serait effectuée par le pays d'accueil sur la base des taux constatés en son sein. La différence entre le montant des cotisations perçues et celui rétrocédé aux États d'envoi serait affectée à un fonds de solidarité. Celui-ci pourrait aider les pays les moins riches pour les aider à converger socialement. Reste qu'aucune proposition en ce sens n'a été portée au Conseil par la France. L'absence a priori de consensus sur cette question au sein du Conseil fragilise toute concrétisation de ce projet. Les pays disposant d'avantages comparatifs en la matière n'entendront jamais accepter une telle évolution.

Plus modestement, il conviendrait sans doute de mettre en oeuvre une recommandation de la mission commune d'information du Sénat sur la commande publique. Dans son rapport publié en octobre 2015, elle envisageait le recouvrement direct, par les États d'accueil, des cotisations sociales aux fins de vérifier la réalité de l'affiliation au régime de sécurité sociale du pays d'envoi 35 ( * ) . Elle partait en effet du principe que la fraude aux cotisations sociales constituait souvent le prolongement direct de la fraude au droit du travail. Ce dispositif faciliterait, en outre, le contrôle du salaire versé au travailleur détaché.

L'ÉPINEUSE QUESTION DE LA PLURIACTIVITÉ

Dès lors qu'un travailleur est appelé à travailler de manière habituelle dans plus d'un État au cours d'une durée de 12 mois, soit simultanément, soit en alternance, sa situation au regard de la sécurité sociale ne relève plus des dispositions relatives au détachement. La pluriactivité est, en effet, encadrée par l'article 13 du règlement 883/2004, qui peut paraître beaucoup plus souple que le dispositif visant le détachement.

La législation européenne ne prévoit en effet :

- aucune limite de durée, contre 24 mois pour le détachement ;

- aucune condition relative au statut de l'employeur. Celui-ci n'est, ainsi, pas tenu d'avoir une activité substantielle dans l'État de résidence ;

- aucune définition précise de la pluriactivité, permettant de la distinguer réellement de celle de détachements successifs ou d'activités donnant lieu à soumission à la sécurité sociale de l'État d'activité.

Ces règles, ou plutôt cette absence de règle, favorisent le choix d'une législation de sécurité sociale moins coûteuse que dans l'État d'activité. Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, de constater une croissance importante du nombre de travailleurs « pluriactifs » en France : 620 185 formulaires attestant de la législation applicable (A1) pour « pluriactivité » ont ainsi été émis en 2016 contre 168 279 en 2010, soit un taux de croissance annuelle de 24 %. Le nombre de travailleurs concernés serait même supérieur, faute d'obligation de déclaration. On observe même un déport du statut de travailleur détaché vers celui de travailleur pluriactif. La proportion de formulaires européens A1 délivrés en cas de « pluriactivité » par rapport au nombre total de formulaires émis croît - 27 % en 2016 contre 13 % en 2010 - alors que la proportion de « détachements » dans un seul État membre décroît (71 % en 2016 contre 83 % en 2010). Il convient, en outre, d'observer que les formulaires pour « pluriactivité » sont délivrés pour des périodes trois fois plus longues qu'en cas de détachement dans un seul État.

La « pluriactivité » recouvre des situations très variées : des activités salariées et/ou non salariées, des activités très mobiles mais aussi des situations très proches de celles du détachement dans un seul État membre : il s'agit des détachements successifs d'une personne dans deux États au moins sur 12 mois.

Un renforcement des règles relatives au détachement dans un seul État ne pourra que favoriser un recours accru à la « pluriactivité » au cours des prochaines années, si rien n'est fait pour un renforcement similaire du cadre juridique de la « pluriactivité ».

Dans le cadre de la révision des règlements de coordination des régimes de sécurité sociale, les autorités françaises ont formulé des propositions en vue de renforcer le cadre juridique. Le renforcement des dispositions en matière de détachement pourrait, en effet, induire un recours encore plus accru au statut de travailleur pluriactif. Le Gouvernement a ainsi proposé la limitation de la durée de validité du formulaire en cas de pluriactivité à 2 ans, l'application de la législation de l'État du siège de l'employeur à l'exercice d'une activité substantielle dans celui-ci et, à défaut, l'application de la législation de l'État où le salarié exerce son activité de manière prépondérante. Il entend également revenir sur la primauté systématique du régime de sécurité sociale de l'État de l'activité salariée en cas d'exercice simultané d'une activité non salariée. Des pratiques artificielles d'optimisation sociale ont, en effet, été observées en la matière.

Pour l'heure, seule l'introduction d'une condition d'activité substantielle de l'employeur dans l'État a pu être abordée au Conseil. L'opposition d'un certain nombre d'États a néanmoins conduit au retrait de cette mesure.


* 35 Passer de la défiance à la confiance : pour une commande publique plus favorable aux PME. Rapport d'information n°82 (2015-2016) de M. Martial Bourquin au nom de la mission commune d'information sur la commande publique du Sénat, présidée par M. Philippe Bonnecarrère.

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