B. LES TRAVAUX DE LA COMMISSION DES LOIS DU SÉNAT

Au mois d'octobre 2017, la commission des lois du Sénat a créé en son sein un groupe de travail pluraliste 17 ( * ) sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs , afin d'établir « un état des lieux partagé et de mener une réflexion sereine et approfondie, dans un contexte marqué par plusieurs affaires judiciaires ayant eu un fort retentissement dans les médias et dans la société » 18 ( * ) .

Certaines des conclusions des travaux de ce groupe de travail ont trouvé une traduction législative dans le cadre d'une proposition de loi déposée le 12 février 2018 et adoptée par le Sénat le 27 mars 2018 ( cf. infra ).

1. Les conclusions du groupe de travail sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs

Pendant quatre mois, de novembre 2017 à février 2018, le groupe de travail a auditionné des experts du monde judiciaire, de la police, de la gendarmerie, des associations de victimes ainsi que des médecins et des psychologues . Il a rendu ses conclusions au mois de février 2018. La délégation a été associée aux auditions du groupe de travail.

Au terme de ses travaux, le groupe de travail a publié un rapport d'information 19 ( * ) assorti de 34 propositions (les principales sont reproduites dans l'encadré ci-après), qui visent à améliorer la prévention et la répression des infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, autour de quatre axes , dans le cadre d'une « stratégie globale et cohérente » :

- Premier axe : prévenir la commission des violences sexuelles à l'encontre des mineurs : le groupe de travail estime nécessaire de mieux connaître ces violences, leurs victimes et leurs auteurs et de sensibiliser les enfants , en intervenant auprès des parents, des professionnels de santé, à l'école et sur tous les supports, notamment Internet.

- Deuxième axe : favoriser l'expression et la prise en compte de la parole des victimes, le plus tôt possible : pour le groupe de travail, permettre le signalement des violences sexuelles à la justice doit être une priorité. Pour résorber le faible taux de dénonciation de ces violences, il faut encourager les tiers à les signaler , former les professionnels à leur détection, instaurer des structures facilitant la libération de la parole, améliorer l'accueil des plaintes et garantir un accompagnement des mineurs tout au long de la procédure.

- Troisième axe : améliorer la répression pénale des infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs : le groupe de travail constate que la réponse judiciaire n'apparaît aujourd'hui à la hauteur ni des attentes des victimes, ni des exigences de la société. Il appelle à un renforcement massif des moyens de la justice judiciaire , afin « de mettre un terme aux pratiques de qualification pénale des faits contournant la voie criminelle 20 ( * ) et d'assurer des délais de jugement raisonnables ». Il estime que peut être envisagée une nouvelle organisation des audiences, avec des chambres correctionnelles spécialisées . Il souligne la nécessité d'expliquer chaque décision judiciaire aux victimes . Enfin, il préconise d'aggraver les peines encourues pour certains délits, notamment celui d'atteinte sexuelle , et d'élargir la surqualification pénale d'inceste aux faits commis entre personnes majeures .

- Quatrième axe : disjoindre la prise en charge des victimes d'infractions sexuelles du procès pénal : selon le groupe de travail, il semble nécessaire de permettre une reconnaissance et un accompagnement des victimes, déconnectés du procès pénal . Il rappelle que le « procès est avant tout l'organisation judiciaire d'une réponse de la société pour sanctionner l'auteur d'une infraction, et non une réponse psychologique au traumatisme de la victime ». Or une réponse médicale, psychologique et sociétale doit aussi être apportée à ce traumatisme. Le groupe de travail estime donc que les victimes d'infractions sexuelles doivent être a ccompagnées dans leur processus de reconstruction , à travers, notamment, le développement de la justice restaurative 21 ( * ) mais aussi en favorisant la réparation des préjudices subis sur les plans médical et indemnitaire .

LES PRINCIPALES PROPOSITIONS DU GROUPE DE TRAVAIL DE LA COMMISSION DES LOIS SUR LES INFRACTIONS SEXUELLES COMMISES À L'ENCONTRE DES MINEURS

* Améliorer le recensement des violences sexuelles subies par les mineurs, notamment les plus fragiles, afin de les rendre visibles et de lever un tabou (proposition n° 1).

* Sensibiliser les parents et les hébergeurs de contenus sur Internet aux conséquences d'un accès précoce des enfants à la pornographie et mobiliser l'arsenal pénal afin de prévenir l'accès des mineurs aux sites pornographiques (proposition n° 2).

* Garantir les moyens d'assurer sur tout le territoire l'obligation légale d'éducation à la sexualité (proposition n° 3).

* Sensibiliser l'ensemble des classes d'âge, des enfants aux parents, à la question des violences sexuelles et à l'interdit de l'inceste (proposition n° 4).

* Instaurer, pour les faits de viol, une présomption simple de contrainte fondée sur l'incapacité de discernement du mineur ou la différence d'âge entre le mineur et l'auteur (proposition n° 13).

* Allonger de dix ans les délais de prescription de l'action publique des délits et des crimes sexuels commis à l'encontre des mineurs, tout en soulignant la nécessité de dénoncer les faits le plus tôt possible (proposition n° 16).

* Désacraliser le recours au procès pénal tout en reconnaissant le droit imprescriptible des victimes à être entendues par les services enquêteurs, indépendamment des règles relatives à la prescription de l'action publique (proposition n° 27).

Le groupe de travail n'a pas retenu l'idée avancée par le Gouvernement, dès le mois d'octobre 22 ( * ) , d'instituer une présomption de « non-consentement » des mineurs en fonction d'un seuil d'âge .

Il a privilégié une « solution simple et pragmatique permettant de réprimer plus efficacement les faits de viol commis à l'encontre de l'ensemble des mineurs » 23 ( * ) . Il propose ainsi d'instituer une présomption de contrainte pour qualifier de viol une relation sexuelle entre une personne majeure et un mineur dans deux hypothèses : l'existence d'une différence d'âge significative entre l'auteur majeur et le mineur ou l'incapacité de discernement du mineur .

De surcroît, la charge de la preuve serait inversée et reposerait désormais sur l'adulte mis en cause, puisque la contrainte morale et donc la qualification criminelle de viol seraient présumées dans ces situations 24 ( * ) .

Selon le groupe de travail, « cette présomption permettrait d'assurer une protection de tous les mineurs , quel que soit leur âge, sans appliquer nécessairement une qualification criminelle de viol pour une relation sexuelle entre un mineur de quinze ans et un majeur de dix-huit ans ».

En ce qui concerne les délais de prescription , le groupe de travail s'est prononcé en faveur d'un allongement de la prescription de l'action publique , au regard des difficultés rencontrées par les victimes pour dénoncer rapidement les faits. Il s'agit d'une mesure « symboliquement forte » pour les victimes. Pour autant, il estime qu'elle doit être accompagnée d'une politique active incitant à dénoncer les faits le plus tôt possible, en raison notamment du risque de dépérissement des preuves avec le temps.

2. La proposition de loi d'orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles

Les préconisations du groupe de travail ont été traduites dans une proposition de loi d'orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles , déposée par Marie Mercier et Philipe Bas le 12 février 2018 et adoptée par le Sénat le 27 mars 2018 25 ( * ) . Elle comporte six articles et une annexe , qui constitue un Rapport sur les orientations de la politique de protection des mineurs contre les violences sexuelles .

L'article 1 er approuve le rapport annexé , qui reprend les préconisations du rapport d'information, notamment s'agissant de la prévention des violences et de la question des moyens de la justice . Il constitue à cet égard une plus-value indéniable par rapport au texte présenté par le Gouvernement , qui se limite au volet répressif.

Les articles 2 à 6 procèdent à plusieurs modifications du code pénal et du code de procédure pénale , selon les propositions du groupe de travail :

- l' article 2 vise à allonger le délai de prescription de l'action publique pour les crimes et les délits d'agressions sexuelles commis à l'encontre des mineurs, qui passerait de vingt à trente ans, permettant donc aux victimes de déposer plainte jusqu'à l'âge de quarante-huit ans ;

- l' article 3 prévoit d'instaurer une présomption de contrainte pour qualifier de viol une relation sexuelle entre une personne majeure et un mineur en cas d' incapacité de discernement du mineur ou d'une différence d'âge significative entre l'auteur majeur et le mineur ;

- l' article 4 vise à étendre la surqualification pénale de l'inceste aux viols et agressions sexuelles commis à l'encontre des personnes majeures . Actuellement, cette surqualification prévue par l'article 222-31-1  du code pénal ne concerne que les faits commis à l'encontre des seuls mineurs. Cette inégalité entre majeurs et mineurs en matière d'inceste a été mise à jour au cours des auditions du groupe de travail ;

- l' article 5 tend à aggraver les peines encourues sur le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans 26 ( * ) et à clarifier la rédaction de ce délit . Les peines passeraient ainsi à sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende, contre cinq ans de prison et 75 000 euros d'amende aujourd'hui ;

- enfin, l'article 6 vise à affirmer le caractère continu de l'infraction de non-dénonciation des agressions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, afin de reporter le point de départ du délai de prescription au jour où la situation illicite prend fin . Selon l'exposé des motifs, « l'affirmation du caractère continu de l'infraction est indispensable pour assurer l'effectivité de cette incrimination qui oblige tout particulier à signaler les faits de privations, de mauvais traitements ou d'atteintes sexuelles infligés à un mineur ».

Cette proposition de loi a été discutée en séance publique et a doptée le 27 mars 2018 par le Séna t 27 ( * ) , puis transmise à l'Assemblée nationale le 28 mars 28 ( * ) .

Le texte adopté par le Sénat a été enrichi en séance de trois nouveaux articles (articles 2 bis , 6 bis et 7).

L'article 2 bis , introduit à l'initiative de notre collègue François-Noël Buffet (LR), vise à faciliter la prise en compte des troubles psycho-traumatiques, et notamment des amnésies post-traumatiques , dans le régime de prescription ; dans cet esprit, l'expertise médico-judiciaire pourrait être ordonnée à la demande des victimes pour permettre à la juridiction d'instruction ou de jugement de se prononcer sur l'existence d'un obstacle insurmontable suspendant la prescription 29 ( * ) .

L'article 6 bis , introduit à l'initiative de Laure Darcos, co-rapporteure, instaure des circonstances aggravantes aux peines encourues pour les délits prévus aux articles 223-6 30 ( * ) et 434-3 du code pénal (non-assistance à personne en danger et non dénonciation des agressions sexuelles sur les mineurs), si la victime est un mineur de quinze ans .

Enfin, l'article 7 a pour origine un amendement de Marie Mercier, rapporteure du texte, pour prévoir l'application de la proposition de loi dans les Outre-mer . Il actualise en ce sens les articles 711-1 du code pénal et 804 du code de procédure pénale.


* 17 Le groupe était composé de Marie Mercier (LR), rapporteur, Arnaud de Belenet (LaRem), Esther Benbassa (CRCE), Maryse Carrère (RDSE), Françoise Gatel (UC), Marie-Pierre de la Gontrie (SOCR) et Dany Wattebled (LI-RT).

* 18 Source : dossier de presse sur les conclusions du groupe de travail.

* 19 Protéger les mineurs victimes d'infractions sexuelles , rapport d'information de Marie Mercier fait au nom de la commission des lois, n° 289 (2017-2018).

* 20 C'est-à-dire la correctionnalisation.

* 21 Pratique complémentaire du traitement pénal de l'infraction, la justice restaurative consiste à faire dialoguer victimes et auteurs d'infractions, qu'il s'agisse des parties concernées par la même affaire ou non. Les mesures prises, selon des modalités diverses, visent toutes à rétablir le lien social et à prévenir au mieux la récidive (source : site Internet du ministère de la Justice).

* 22 La secrétaire d'État chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes a annoncé dans une interview au journal La Croix , en date du 15 octobre 2017, le dépôt d'un projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles qui comprendrait plusieurs mesures, dont l'instauration d'une « présomption de non-consentement » pour les enfants. De surcroît, dans son discours du 25 novembre 2017, le Président de la République a confirmé l'intention du Gouvernement de combler un « vide juridique » qui laisse des « ambiguïtés intolérables » dans le code pénal. Il a marqué son intention de « fixer une règle claire dans la loi, parce que nous ne pouvons admettre que la présomption de consentement s'applique de façon aussi floue lorsqu'advient une relation sexuelle entre un mineur et un adulte ». Selon lui, « Le juge doit toujours avoir une libre appréciation, mais c'est à la loi de lui donner des limites ». Enfin, il s'est prononcé à titre personnel pour un seuil d'âge de quinze ans.

* 23 Source : dossier de presse sur les conclusions du groupe de travail.

* 24 Pour respecter les principes posés par la Constitution de 1958 et la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CESDH), il s'agirait d'une présomption simple, ce qui signifie que l'accusé pourrait apporter la preuve contraire.

* 25 Sénat, texte n° 293, session ordinaire de 2017-2018, enregistré à la Présidence du Sénat le 12 février 2018.

* 26 L'exposé des motifs de la proposition de loi indique qu'il s'agit de rapprocher notre droit de celui de la plupart des autres pays européens.

* 27 Sénat, texte n° 84, session ordinaire de 2017-2018, 27 mars 2018.

* 28 Assemblée nationale, texte n° 818 enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 28 mars 2018.

* 29 Pour mémoire, depuis la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale, l'article 9-3 du code de procédure pénale dispose que la prescription peut être suspendue en cas d'obstacle de fait insurmontable.

* 30 L'article 223-6 du code pénal, relatif à la non-assistance à personne en danger, réprime le fait de s'abstenir volontairement d'empêcher la survenance d'un crime ou d'un délit ou de ne pas porter secours à une personne en péril. L'article 434-3 du code pénal vise à sanctionner toute personne qui, ayant eu connaissance de mauvais traitements, d'agressions ou atteintes sexuelles infligées à une personne vulnérable, n'en a pas informé les autorités judiciaires ou administratives.

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