II. LE PROJET DE LOI RENFORÇANT LA LUTTE CONTRE LES VIOLENCES SEXUELLES ET SEXISTES

A. LES DISPOSITIONS INITIALES DU PROJET DE LOI

Dans sa version initialement déposée à l'Assemblée nationale, le projet de loi comportait cinq articles répartis en quatre thématiques :

- le renforcement de la protection des mineurs contre les violences sexuelles (titre premier, articles 1 er et 2) ;

- l'adaptation de la définition du délit de harcèlement au contexte spécifique du cyber-harcèlement (titre II, article 3) ;

- la création de l'infraction d' « outrage sexiste » (titre III, article 4) ;

- l'application de ces dispositions aux Outre-mer ( titre IV, article 5).

1. Le renforcement de la protection des mineurs contre les violences sexuelles
a) L'allongement de la prescription de l'action publique : trente années à compter de la majorité de la victime

L'article 1 er vise la prescription des crimes de nature sexuelle ou violente sur mineurs : il prévoit que l'action publique de ces crimes se prescrit par trente ans (au lieu de vingt) à compter de la majorité des victimes . L'âge maximal d'engagement de l'action publique passerait donc de trente-huit ans à quarante-huit ans révolus , comme le propose aussi le texte adopté par le Sénat le 27 mars 2018 sur proposition de nos collègues Philippe Bas et Marie Mercier.

La spécificité que constitue le point de départ du délai de prescription à la majorité des victimes est liée au fait que la victime mineure n'a pas la possibilité d'agir en justice et doit donc se faire représenter .

La modification de l'article 7 du code de procédure pénale prévue par le projet de loi s'inscrit dans la suite des travaux de la Mission de consensus sur le délai de prescription applicable aux crimes sexuels commis sur les mineur.e.s , mise en place par notre collègue Laurence Rossignol, co-rapporteure, alors ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes. Co-présidée par le magistrat Jacques Calmettes et par Flavie Flament, la Mission a rendu son rapport en avril 2017.

On rappelle que la Mission de consensus avait mis en évidence les troubles d'amnésie traumatique subis par la plupart des victimes de ces crimes, les empêchant de dénoncer les faits dans le délai de prescription . Ainsi que le souligne l'étude d'impact du projet de loi, les situations d'emprise ou de « conflits de loyauté en raison de liens entre l'auteur et la victime » peuvent aussi « entraîner une incapacité pour certains mineurs à se souvenir des faits dont ils sont victimes ».

S'appuyant sur le constat que le délai de prescription de vingt ans à compter de la majorité de la victime, applicable aux crimes commis sur mineurs depuis la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, ne permet pas à toutes les victimes de porter plainte, mais que l'imprescriptibilité paraissait difficilement envisageable pour des raisons juridiques 31 ( * ) , le rapport de la Mission de consensus proposait un allongement du délai de prescription de l'action publique à trente années révolues , avec un départ de ce délai à la majorité de la victime.

La mission estimait toutefois que ce délai ne devait pas exclure par principe l'imprescriptibilité pour ces crimes dont la gravité justifiait des mesures dérogatoires en matière de prescription .

L'objectif de l'article 1 er du projet de loi est donc à la fois :

- d' éviter l'impunité de ces crimes , dont la particulière gravité n'a pas à être soulignée ;

- et de donner aux victimes « le temps nécessaire à la dénonciation des faits » , comme l'indique l'exposé des motifs qui se réfère très explicitement au phénomène d'amnésie traumatique .

À cet égard, comme le souligne l'étude d'impact du projet de loi, cette disposition vise à prendre en compte « l'évolution des connaissances relatives aux mineurs victimes d'infractions sexuelles ou violentes » et la « spécificité des crimes sexuels commis à l'encontre des mineurs », « désormais mieux appréhendée d'un point de vue sociologique et scientifique ».

Dans cet esprit, Ernestine Ronai, co-présidente de la commission Violences de genre du Haut conseil à l'égalité (HCE), entendue par la délégation le 16 novembre 2017, a estimé que les progrès technologiques permettaient d'améliorer les techniques d'investigation , avec des conséquences positives sur l'interprétation des preuves . L'étude d'impact du projet de loi se réfère, sur ce point, à l'intérêt « tout particulier en matière criminelle et sexuelle » des preuves génétiques , « facteur important d'élucidation d'affaires anciennes ».

On relèvera par ailleurs que le délai de prescription de trente années existe déjà dans le code pénal, à l'égard des crimes de guerre, du crime de disparition forcée (article 221-12 du code pénal), des crimes à caractère terroriste (article 706-16 du code de procédure pénale) ou des crimes relatifs à la prolifération d'armes de destruction massive et leurs vecteurs (article 706-167 du code de procédure pénale).

b) Le renforcement de la répression des abus sexuels sur mineurs de quinze ans

L'article 2 du projet de loi tire les conséquences du débat suscité par des décisions de justice récentes mettant en cause le consentement supposé d'un mineur à une atteinte sexuelle commis par une personne majeure .

Ces dispositions portent sur des questions juridiques extrêmement complexes .

L'article 2 prévoit ainsi :

- de compléter l'article 222-22-1 du code pénal sur la « contrainte morale » exercée en cas d'agression sexuelle, pour prévoir que « Lorsque les faits sont commis sur la personne d'un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise peuvent résulter de l' abus de l'ignorance de la victime ne disposant pas de la maturité ou du discernement nécessaire pour consentir à ces actes ». Cette rédaction résulte de l'avis du Conseil d'État du 15 mars 2018, qui s'est inspiré de la formule retenue par le code pénal en matière d'« abus d'ignorance ou de faiblesse » (article 223-15-2) ;

- d'aggraver les peines prévues par l'article 227-26 relatif à l' atteinte sexuelle 32 ( * ) commise sur un mineur de quinze ans. En cas de pénétration par une personne majeure, les peines passeraient de cinq à dix ans d'emprisonnement et de 75 000 à 150 000 euros d'amende. Il s'agit, sur ce point également, de la formule suggérée par le Conseil d'État dans son avis précité ;

- à l'article 351 du code de procédure pénale , que le président de la cour d'assises pose systématiquement la question subsidiaire de la qualification de l'atteinte sexuelle , lorsqu'un accusé majeur est poursuivi pour viol sur mineur de quinze ans et que le viol n'est pas caractérisé. Cette mesure vise à « [éviter] tout acquittement », comme le précise l'étude d'impact annexée au projet de loi, et à garantir que l'accusé soit sanctionné sur la base de l'atteinte sexuelle , le cas échant aggravée pour pénétration. Cette disposition, elle aussi, tire les conséquences de l'avis précité du Conseil d'État.

2. La prise en compte des « raids numériques » dans la définition pénale du harcèlement

L'article 3 modifie les articles du code pénal définissant le harcèlement - sexuel à l'article 222-33 et moral à l'article 222-33-2-2 - pour l'étendre aux « propos ou comportements [...] imposés à une même victime de manière concertée par plusieurs personnes, alors même que chacune de ces personnes n'a pas agi de façon répétée ».

L'objectif est d'adapter la condition de la répétition , posée par la définition pénale du harcèlement, à des agissements qui, bien qu'uniques, ont en raison de leur concomitance - souvent concertée - les mêmes effets sur les victimes que des faits de harcèlement répétés :

- porter « atteinte à leur dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant » 33 ( * ) ,

- « créer à [leur] encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » 34 ( * ) ;

- causer une « dégradation de [leurs] conditions de vie par une altération de [leur] santé mentale » 35 ( * ) .

L'objectif est ainsi d'éviter, comme le souligne l'exposé des motifs, la « dilution de la responsabilité pénale des ?co-auteurs? d'un raid » : chacun d'entre eux étant l'auteur d'un seul message, il est difficile de leur imputer des faits de harcèlement qui impliquent, dans ce contexte, la répétition des faits.

Le projet de loi tire donc les conséquences de l'existence de « raids numériques » 36 ( * ) , par lesquels plusieurs internautes décident, de manière concertée , d'adresser à une personne des courriels offensants et menaçants. Le critère de concertation suppose, comme le relève l'étude d'impact, « une entente préalable entre ces personnes pour agir ( donc à la fois une préméditation et des échanges d'instruction ) ».

3. La création de l'« outrage sexiste »

La création de cette infraction s'appuie sur la prise de conscience du développement inacceptable de comportements insultants , qui sont aujourd'hui le quotidien de trop nombreuses femmes et qui affectent leur dignité.

L'étude d'impact du projet de loi se réfère à l'enquête Violences et rapports de genre (Virage) et à l'enquête Cadre de vie et sécurité (CVS) et à la fréquence des violences dont elles font état dans l'espace public et dans les transports en commun. Elle relève que le « phénomène du harcèlement dit "de rue" peut recouvrir des réalités très diverses , qu'il s'agisse de comportements verbaux (commentaires dégradants sur l'attitude vestimentaire ou l'apparence) ou d' attitudes non verbales (regards insistants, sifflements, poursuites dans la rue) ».

Ce document constate que le droit pénal réprime d'ores et déjà un large spectre de comportements et d'attitudes constitutifs de violences sexuelles ou sexistes, dont certains relèvent des faits dénoncés dans l'espace public ou les transports (l'injure, la provocation à la haine (publique ou non publique), la menace, l'exhibition sexuelle, le harcèlement sexuel, les atteintes sexuelles, le viol et les autres agressions sexuelles). Il n'en demeure pas moins que le « harcèlement de rue » se situe « d'une certaine façon dans une "zone grise" en ce qu'il constitue un comportement socialement réprouvé sans relever nécessairement du droit pénal ». L'état du droit ne permet donc pas, selon l'exposé des motifs, de sanctionner l'intégralité des agissements qu'il recouvre.

Face à ces situations malheureusement courantes, le projet de loi crée donc une nouvelle infraction, l'« outrage sexiste ».

Comme le précise l'exposé des motifs, la définition de l'outrage sexiste s'inspire de celle du harcèlement sexuel, à la différence près qu'elle n'exige pas la répétition des faits que suppose le harcèlement dit d'ambiance (« Le harcèlement sexuel est le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ») 37 ( * ) , contrairement au harcèlement assimilé au « chantage sexuel » 38 ( * ) , qui n'a pas à être répété.

L'article 4 du projet de loi insère dans le code pénal un article 611-2 qui définit l'outrage sexiste :

- il doit être « imposé » ;

- il consiste en propos ou comportements « à caractère sexuel » qui portent « atteinte à [la dignité des victimes] en raison de leur caractère dégradant ou humiliant » ou créent « à [leur] encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » ;

- il est puni de l'amende prévue pour les contraventions de 4 ème classe , assortie le cas échéant de peines complémentaires telles que l'obligation d'effectuer un stage .

À cet égard, diverses possibilités sont prévues par l'article 4 en fonction des circonstances :

- un stage de lutte contre le sexisme et de sensibilisation à l'égalité entre les femmes et les hommes ;

- un stage de citoyenneté ;

- un stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et sexistes ;

- un stage de sensibilisation à la lutte contre l'achat d'actes sexuels.

Le nouvel article du code pénal prévoit des circonstances aggravantes lorsque l'« outrage sexiste » est commis sur des personnes vulnérables, en réunion ou dans les transports.


* 31 Comme le rappelle l'étude d'impact du projet de loi, quatre pays prévoient l'imprescriptibilité en matière de crime sexuel sur mineurs : États-Unis - selon les États -, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suisse.

* 32 Article 227-25 du code pénal : « Le fait, par un majeur, d'exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d'un mineur de quinze ans est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende ».

* 33 Article 222-33 du code pénal (harcèlement sexuel).

* 34 Article 222-33 du code pénal (harcèlement sexuel).

* 35 Articles 222-33-2-1 (harcèlement conjugal) et 222-33-2-2 (harcèlement moral).

* 36 L'avis du Haut conseil à l'égalité intitulé En finir avec l'impunité des violences faites aux femmes en ligne : une urgence pour les victimes , document de référence en la matière, commente ces « opérations organisées de harcèlement sexiste et sexuel en ligne, autrement appelées ?raids?, qui sont monnaie courante pour les femmes qui défendent des idées féministes ».

* 37 Article 222-33, I, du code pénal.

* 38 Article 222-33, II, du code pénal.

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