B. LA FRANCE EST AUJOURD'HUI CONFRONTÉE À UNE MENACE TERRORISTE DE NATURE ESSENTIELLEMENT ENDOGÈNE

Du fait de l'échec du projet califal porté par l'organisation État islamique et de l'amoindrissement corrélatif de ses capacités à projeter des opérations extérieures, les mouvances endogènes apparaissent désormais comme la principale source de menace terroriste contre le territoire national.

Les services de renseignement estiment que même si de plus en plus d'attentats sont déjoués, le niveau de la menace n'en est pas pour autant abaissé, dans la mesure où la volonté de frapper notre territoire reste intacte.

Dans ce contexte, la menace endogène reste particulièrement visible et redoutée en raison de la forte létalité associée aux séries d'attentats qui se sont succédé sur notre territoire. Celle spécifiquement liée aux individus de retour de la zone syro-irakienne, les returnees , apparaît cependant moins importante qu'il n'a pu l'être craint, et - au moins à court et moyen termes - largement sous le contrôle des pouvoirs publics. La recrudescence des attaques dites « inspirées » , qui font partie intégrante de la propagande de Daech , tend cependant à démontrer la permanence des phénomènes de radicalisation sur notre territoire.

1. La menace endogène a déjà fortement frappé notre territoire

• Si la France a déjà connu des vagues d'attentats par le passé, ceux commandités ou revendiqués par l'État islamique (EI) présentent un caractère inédit en raison de leur particulière létalité.

Depuis les attentats de janvier 2015 jusqu'aux attaques de Carcassonne et de Trèbes, survenues le 23 mars 2018, la France a fait l'objet de 14 attaques terroristes abouties et de 17 attentats échoués, qui ont causé 246 morts et plusieurs centaines de blessés. Les attentats ayant occasionné le plus grand nombre de victimes sont l'attaque contre Charlie Hebdo et l'Hyper Casher de la porte de Vincennes (17 morts), les attentats du 13 novembre 2015 (130 morts) et l'attentat de Nice du 14 juillet 2016 (86 morts).

Depuis 2015, 2 305 victimes blessées ont été recensées par le service de l'accès au droit et à la justice et de l'aide aux victimes du secrétariat général du ministère de la justice.

Les services de renseignement relèvent que les attaques commises en 2017 ont été d'une moindre intensité (3 morts et 6 blessés) qu'au cours des années précédentes (149 morts en 2015 et 89 morts en 2016).

À l'exception de l'attentat contre Charlie-Hebdo du 7 janvier 2015, ces attaques relevant de la mouvance islamiste sont imputables, comme commanditaire ou source d'inspiration, à l'EI.

Depuis 2014, 66 projets terroristes ont par ailleurs été déjoués après avoir été mis à jour dans le cadre de procédures judiciaires conduites par la juridiction parisienne spécialisée, dont 20 en 2017.

• Le caractère inédit des attentats revendiqués par l'EI tient également à leur caractère protéiforme . Tandis que certains attentats dits « de commando », exportés par l'EI sur notre territoire à l'image des attaques du 13 novembre 2015, apparaissent militairement et logistiquement très sophistiqués , d'autres résultent des passages à l'actes d'acteurs plus isolés recourant à des moyens d'action rudimentaires . Ces attentats inspirés ou « d'initiative », qui sont aujourd'hui les plus nombreux, ne présentent pas nécessairement de lien opérationnel très poussé avec une organisation terroriste ; leurs auteurs, souvent psychologiquement instables, peuvent cependant être destinataires de consignes de passage à l'acte ou être animés par les messages relayés par la propagande djihadiste.

En témoignent, par exemple, l'assassinat de deux policiers à Magnanville, le 13 juin 2016, l'attentat perpétré sur la Promenade des Anglais à Nice, le 14 juillet 2016, l'assassinat d'un prêtre à Saint-Étienne-du-Rouvray, le 26 juillet 2016, l'assassinat de deux jeunes femmes à la gare Saint-Charles de Marseille, le 1 er octobre 2017, et, enfin, les récents attentats de Trèbes et Carcassonne.

• La France se distingue parmi les pays européens par le fait que les attaques perpétrées ou déjouées sur son territoire ciblent régulièrement des représentants de l'autorité publique - qu'il s'agisse de policiers, de militaires ou encore de personnels pénitentiaires. Neuf des onze attentats aboutis ou échoués en 2017 ont ainsi visé des militaires ou des policiers.

Les actions terroristes recensées au cours des dernières années se concentrent principalement sur le territoire de Paris et de sa « petite couronne » : 9 des 11 attentats aboutis ou échoués en 2017 se sont produits sur cette zone.

2. Le cas des returnees : un traitement spécifique et complet qui réduit la menace

Même si les returnees ont, non sans raisons, focalisé l'attention, il semblerait qu'ils ne constituent pas la source principale de la menace du fait des mesures prises pour maîtriser ce phénomène.

a) D'un point de vue numérique, la menace liée aux returnees apparaît moins importante que redouté

Aucun phénomène de retour massif n'a été observé, alors que le contingent des candidats potentiels au retour tend à se réduire.

Votre commission d'enquête a pu constater que le phénomène des returnees est, d'un point de vue numérique, beaucoup moins important que le nombre des départs sur la zone irako-syrienne ne pouvait le faire redouter .

• Au 8 mars 2018, les services de renseignement recensaient 335 individus présents sur le territoire national après avoir effectué un séjour en zone syro-irakienne , dont 258 adultes : 186 hommes, 72 femmes et 77 mineurs.

• À ces retours volontaires s'ajoutent les cas des personnes rapatriées depuis l'étranger par les autorités publiques.

193 personnes ont fait l'objet d'un rapatriement organisé sur le territoire français dans le cadre du « protocole Cazeneuve » , c'est-à-dire de la procédure franco-turque de coordination et de sécurisation des retours de ressortissants ou résidents français interpellés en Turquie et impliqués dans les filières syro-irakiennes, mise en place en septembre 2014. 7 ressortissants français sont par ailleurs actuellement retenus dans les centres de rétention turcs.

Il faut ajouter à ces chiffres ceux des ressortissants ou résidents français rapatriés depuis la Turquie par les services judiciaires français. 53 personnes qui soit avaient séjourné en zone de conflit, soit avaient eu des velléités contrariées de départ ont ainsi été rapatriées en 2016 ; ce nombre est descendu à 22 en 2017.

• Le contingent des candidats au retour est par ailleurs mécaniquement réduit par le nombre des morts sur zone et celui des personnes détenues ou prisonnières sur place, qui s'ajoutent au tarissement des arrivées.

Au 6 mars 2018, les services estimaient à 300 le nombre d'individus français, ou résidant sur le territoire français, présumés décédés sur zone . En raison de la difficulté des services opérationnels à établir formellement la mort de djihadistes en zone de guerre, il est cependant probable que ce chiffre soit à reconsidérer à la hausse. Le nombre de Français morts en Irak et en Syrie a connu une forte croissance à compter de l'année 2015, en raison des combats menés par l'EI pour la reprise de villes stratégiques ou symboliques telles que Kobané, Sinjar ou Ramadi, et des campagnes de bombardements opérées par la coalition internationale et la Russie.

Par ailleurs, parmi les 727 ressortissants ou résidents toujours présents sur place, 49 sont détenus par les autorités locales (parmi lesquels 25 hommes et 24 femmes).

Reste le cas des djihadistes français et de leurs familles ayant été faits prisonniers par les forces kurdes, irakiennes et syriennes, et parmi lesquels on compte une majorité de femmes et d'enfants. Ces situations ont été illustrées dans les médias par la vidéo d'une ressortissante française, Émilie König, et de trois de ses enfants détenus par les Kurdes présents en Syrie. Cette ressortissante est soupçonnée d'avoir recruté, via les réseaux sociaux, de nombreuses femmes pour le compte de Daech . Une centaine de personnes se trouveraient actuellement dans cette situation.

Pour l'avenir, le scénario d'un retour massif des ressortissants français présents sur zone n'est pas privilégié par les services de renseignement.

• On observe une forte diminution du nombre d'individus revenant de la zone de combats sur le territoire français au cours dernières années : ils étaient 53 en 2015, 17 en 2016, et seulement 10 en 2017 .

Selon les services, cette décélération des retours s'explique notamment par la détérioration de la situation sécuritaire sur place, par le renforcement du contrôle exercé par l'organisation État islamique sur le territoire qu'elle occupe ainsi que sur ses combattants étrangers, par le renforcement des obstacles administratifs au retour, et plus généralement par le taux d'attrition de plus en plus élevé de l'organisation.

Le suivi des activités du contingent fiançais sur zone indique par ailleurs qu'une partie des individus présents sur place continuent de concevoir leur départ de France comme un projet définitif . Beaucoup d'entre eux excluent toute idée de retour en raison de l'hostilité prétendue de la France à l'égard des musulmans, ainsi qu'en raison des poursuites judiciaires auxquelles ils seraient exposés.

• Dans ce contexte, un retour massif des ressortissants français partis sur zone ne constitue pas le scénario privilégié par les services de renseignement.

Il est cependant probable qu'une partie du contingent tentera de regagner le territoire national au cours des prochaines années. Selon les services, un nombre croissant de volontaires présents sur zone fait ainsi entendre des velléités de retour, principalement en raison de l'effondrement du califat et de la désillusion née de la confrontation à la réalité du terrain. Un nombre croissant de veuves de combattants souhaite également revenir en France avec leurs enfants. Le retour progressif à la clandestinité de l'EI a dans le même temps significativement affaibli la capacité de contrôle de l'organisation sur ses membres.

• Cette limitation quantitative du phénomène des retours se traduit également par la faible représentation des returnees dans la population carcérale . Sur les 511 détenus pour des faits liés au terrorisme islamiste (dits « TIS » par l'administration pénitentiaire), qui ne représentent que 0,73 % de l'ensemble des détenus, on ne compte en effet que 140 returnees .

b) La mise en place d'un suivi systématique adapté à la dangerosité des returnees permet, à court et moyen terme, de garder cette menace sous contrôle

Les majeurs returnees , considérés comme porteurs d'un degré supplémentaire de dangerosité, sont systématiquement judiciarisés.

Des profils hétérogènes mais potentiellement dangereux

De l'avis de la plupart des personnes entendues par votre commission d'enquête, les profils des returnees ne sont aucunement homogènes . Tandis que certains peuvent être écoeurés et honteux par ce qu'ils ont vu ou par ce qu'on leur a imposé, d'autres sont animés du sentiment de revanche et prêts à poursuivre leur combat, sous toutes les formes, y compris par des actions de terreur et suicidaires.

Selon les services de renseignement, trois profils de returnees peuvent être distingués. Ceux, tout d'abord, qui ont été missionnés par l'EI pour commettre des attentats sur le territoire national ; ces individus tentent de revenir en Europe clandestinement, en empruntant des itinéraires complexes et en ayant recours à la fraude documentaire. Les déçus ou repentis, ensuite, qui, conscients du traitement judiciaire dont ils feront l'objet, minimisent leur implication et affirment ne plus adhérer à l'idéologie de l'EI. Leur cohabitation en détention avec d'autres djihadistes est néanmoins susceptible de les maintenir dans la sphère islamiste radicale. Le cas spécifique, enfin, des femmes et des mineurs.

Les services de renseignement soulignent cependant qu'il s'agit, dans la grande majorité des cas , d'individus aguerris et particulièrement dangereux, ayant le plus souvent entretenu des liens directs avec des figures du terrorisme djihadiste.

Bien que les returnees entendus par les services de police à leur retour en France indiquent très souvent ne pas avoir combattu et avoir été cantonnés à des tâches logistiques, administratives ou médicales, il est en effet probable que les hommes ont majoritairement suivi a minima un entraînement au combat, au maniement des armes ou encore à la conception d'explosifs à leur arrivée sur le théâtre syro-irakien. Nombre d'entre eux ont également participé aux combats ou à des exactions (lapidations, assassinats de prisonniers).

Par ailleurs, si certains djihadistes francophones ont cherché à fuir les zones de combats pour mettre leur famille à l'abri, cela ne signifie pas pour autant qu'ils aient définitivement abandonné leurs convictions ni tout projet terroriste à plus long terme. Selon Mme Myriam Benraad, certains des djihadistes ayant séjourné sur la zone irako-syrienne peuvent ainsi être considérés comme désengagés, sans être pour autant repentis ni « déradicalisés ».

En tout état de cause, les services de renseignement estiment que, du fait qu'ils ont effectué un séjour significatif dans une zone de djihad , les returnees sont porteurs d'un degré supplémentaire de dangerosité et entrent dans la catégorie des profils « endurcis ». Quels que soient leurs profils, ces individus sont susceptibles de constituer des relais de la menace en perpétrant eux-mêmes des actions violentes ou en encourageant d'autres individus à le faire.

Une politique de judiciarisation systématique des retours, étendue aux femmes en 2015

Cette particulière dangerosité potentielle explique que les returnees fassent l'objet, depuis 2014 et dès l'instant de leur arrivée sur le territoire national, d'une judiciarisation systématique . Les individus sont aussitôt placés en retenue ou en garde à vue afin de recueillir des éléments permettant de démontrer qu'ils ont rejoint une organisation terroriste, puis, le plus souvent, incarcérés. Selon les services de renseignement, seuls une trentaine d'individus, revenus en 2012 et 2013, n'ont pas fait l'objet de cette procédure, mais sont néanmoins suivis par les services.

La sortie de prison des returnees est ensuite anticipée par les services de renseignement, en liaison avec le bureau central du renseignement pénitentiaire (BRCP), chaque cas étant traité de manière spécifique en fonction de la situation propre des individus.

Depuis 2015, cette judiciarisation systématique des majeurs a été étendue aux femmes returnees .

Nombre d'entre elles tendent à minimiser leur implication dans les violences commises sur zone en se présentant comme des mères et des épouses cantonnées à des tâches domestiques, conformément à la doctrine officielle de l'EI. D'autres ont par ailleurs pu être victimes de violences, notamment lorsque leur mari est décédé au combat.

Il apparaît cependant que certaines d'entre elles ont été associées à des activités opérationnelles et formées au maniement des armes , notamment sous l'effet des revers essuyés par l'EI en 2017. Dans ce contexte, la participation des femmes au djihad a pu être légitimée par une adaptation des discours de propagande de l'organisation : le 8 février dernier, l'EI a ainsi diffusé une vidéo mettant en scène des femmes combattant sur zone ; les appels au passage à l'acte relayés par Rachid Kassim sur la messagerie Telegram visaient l'ensemble de ses contacts en France, y compris les femmes.

Quoiqu'elles puissent se présenter comme déçues de leur expérience sur le terrain, la radicalité et la dangerosité de certaines femmes returnees ne doit donc pas être sous-estimée . En ce sens, a notamment été porté à la connaissance de votre commission d'enquête le cas d'une femme porteuse d'un projet terroriste à son retour de Syrie sur le territoire français.

Votre commission d'enquête souligne par ailleurs que certains des projets d'attentats déjoués sur le territoire français impliquaient des femmes sympathisantes à la cause djihadiste, ce qui montre qu'un passage à l'acte féminin est toujours possible . En août 2014, une mineure contrariée par les mesures préventives l'empêchant de se rendre en Syrie a ainsi été interpellée alors qu'elle envisageait de commettre une action suicide dans le quartier juif de Lyon. En septembre 2016, l'affaire dite « des bonbonnes », en référence à la découverte d'un véhicule abandonné contenant des bonbonnes de gaz à proximité de la cathédrale Notre-Dame de Paris, a conduit à l'arrestation de trois jeunes femmes connues des services de renseignement dans le cadre du suivi des filières et porteuses de nouveaux projets terroristes sur le territoire.

Cette évaluation actualisée de la dangerosité des femmes regagnant le territoire national après un séjour sur la zone irako-syrienne justifie que la politique de judiciarisation systématique des returnees leur ait été rendue applicable . Depuis 2015, elles font ainsi systématiquement l'objet de la même prise en charge judiciaire que celle des hommes, c'est-à-dire d'une mise en examen suivie ou non d'une incarcération, sauf à démontrer l'existence d'un élément de contrainte.

Les enfants constituent un enjeu spécifique dont les termes peuvent se poser sous la forme de la question suivante : sont-ils des « bombes à retardement » ?

Les mineurs returnees sont des enfants pour la plupart très jeunes et présentant d'importantes fragilités psychologiques

Au 7 mars 2018, les services de renseignements recensaient 77 mineurs ayant séjourné en zone syro-irakienne . La majorité de ces mineurs (50, soit 65 % d'entre eux) sont âgés de moins de 7 ans ; 97 % ont moins de 10 ans. Un nombre important d'entre eux (14, soit 18 %) sont de très jeunes enfants ; âgés de 1 à 3 ans, ils sont nés sur la zone de combats. 26 enfants enfin sont âgés de 7 à 12 ans inclus (soit 34 % de l'ensemble), et 3 ont plus de treize ans.

Selon les indications transmises par les services judiciaires, une partie non négligeable des mineurs returnees présentent, à leur arrivée sur le territoire français, une altération de la perception du fonctionnement social ainsi qu' « un niveau de traumatisme et de fragilité psychologique qui invite à la plus grande précaution sur les conditions de leur prise en charge ».

La nécessité d'une prise en charge socio-psychologique de ces mineurs ne fait dès lors aucun doute et recueille le consensus. La question se pose cependant de la potentielle dangerosité de ces mineurs - qui sont souvent de très jeunes enfants -, singulièrement sur le temps long, et des mesures à mettre alors en oeuvre.

Un double suivi par les services de la PJJ et de l'ASE

La réponse immédiatement apportée par les pouvoirs publics a été, et est toujours, celle d'un suivi spécifique dans un cadre social , afin de préparer et d'assurer leur intégration au milieu ordinaire. A ainsi été mise en place et protocolisée une prise en charge spécifique des mineurs, adaptée à leur âge et à leur situation individuelle, et reposant sur l'action coordonnée de l'ensemble des partenaires judiciaires, sanitaires et sociaux 12 ( * ) .

Le principe d'un double suivi socio-judiciaire a ainsi été prévu par une instruction du Premier ministre du 23 février 2017, actualisée au 23 février 2018. Fondé sur les résultats d'une évaluation transdisciplinaire, ce suivi a vocation à couvrir les aspects à la fois psychologiques, sociaux et éducatifs. Les prises en charge mises en oeuvre dans ce cadre peuvent être différenciées, afin d'être finement adaptées aux problématiques détectées à l'issue de l'évaluation préliminaire.

L'ensemble des mineurs returnees font ainsi l'objet, dès leur arrivée sur le territoire français, d'une ordonnance de placement provisoire, avant d'être présentés à un juge des enfants aux fins de mise en place des mesures d'assistance éducative qui s'imposent. La grande majorité d'entre eux fait ensuite l'objet d'un placement provisoire dans un établissement relevant des services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), ou auprès d'un membre de la famille ou d'un tiers digne de confiance. Ils sont par ailleurs pris en charge dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance (ASE) qui règle notamment la question de leur hébergement.

Ils bénéficient également d'une prise en charge médico-psychologique systématique le plus précocement possible après leur arrivée sur le territoire national, afin d'éluder tout risque vital, de vérifier leur état de santé général et d'évaluer les besoins de soins.

Lorsqu'ils sont en âge d'être scolarisés, ces mineurs intègrent un établissement scolaire près de leur lieu d'accueil, soit rapidement après leur retour, soit après une phase de stabilisation au sein d'un accueil de jour de l'ASE. Le retour à un cadre de vie sécurisant et épanouissant, pour des enfants souvent très jeunes et confrontés à de multiples situations traumatisantes (avec notamment la séparation d'avec leur mère, une fois sur le sol français) constitue une étape décisive dans le processus de socialisation.

L'exposition précoce de ces mineurs à la propagande de l'EI pose des questions spécifiques en termes de suivi

Les mineurs returnees , le plus souvent très jeunes, n'ont pas choisi de se rendre sur la zone irako-syrienne : ils y sont nés ou y sont partis très tôt. À ce titre, ils doivent être moins considérés comme de potentiels suspects de radicalisation violente que comme des victimes des agissements de leurs parents.

À ce titre, si le suivi socio-judiciaire mis en place par les pouvoirs publics, de manière nécessairement quelque peu expérimentale, est jugé positif par la majorité des spécialistes entendus par votre commission d'enquête, la question se pose cependant de la prise en charge sociale et psychologique qui sera nécessaire au long cours . Il semble en effet à peu près certain que la situation de ces mineurs impliquera un suivi à long, voire à très long terme, ainsi qu'un ajustement continu des réponses apportées en fonction de l'évolution de leur profil social et psychologique.

Se pose par ailleurs la question du suivi de ces mineurs par les services de renseignement.

Une partie de ces enfants ont en effet baigné depuis leur plus jeune âge dans la propagande violente de l'EI, et ce d'autant plus qu'ils ont atteint l'âge d'être pris en charge par les organes d'éducation religieuse et paramilitaire de l'organisation ; dans ces cas de figure, l'endoctrinement est d'autant plus important qu'il a duré longtemps. Ils ont par ailleurs pu être exposés à des scènes de violence extrême, voire, pour certains d'entre eux, participer à des actes d'exécution ou à des combats. Les « faits d'armes » de très jeunes mineurs, s'exerçant par exemple à la décapitation de prisonniers, ont ainsi été diffusés à plusieurs reprises par des vidéos de propagande. Certains d'entre eux sont devenus, dès l'âge de 8 ou 9 ans, des « lionceaux du califat ».

Les services de renseignement estiment ainsi que la dangerosité susceptible d'être portée par un enfant revenu d'une zone de djihad à l'âge de 5 ans ne s'exprimera pas avant un délai de plusieurs années.

C'est pourquoi les mineurs returnees font également l'objet d'un suivi par les services de renseignement. Les services estiment en effet que leurs parcours et profils particuliers ne peuvent pas être ignorés par les services dans leur mission de prévention du terrorisme, et que, s'agissant des enfants âgés d'au moins neuf ans, l'enjeu est autant sécuritaire que social. Ce suivi doit permettre de détecter de potentiels comportements à risque et de pouvoir ainsi anticiper de possibles actions violentes.

Les services de renseignement ont à cet égard relevé que la dangerosité potentielle des mineurs, qu'ils soient ou non returnees , ne doit pas être minimisée . Plusieurs des tentatives d'actions violentes et de passages à l'acte inspirés par l'EI au cours du troisième trimestre 2016, qui ont depuis lors été judiciarisées, étaient le fait de jeunes majeurs et de mineurs âgés de 13 à 16 ans, qui faisaient déjà l'objet d'un ancrage au sein de la mouvance djihadiste. Depuis 2012, 71 mineurs ont par ailleurs été mis en examen pour association de malfaiteurs en vue d'une entreprise terroriste.

Il est par ailleurs à préciser que des poursuites pénales pourraient être engagées à l'égard des « mineurs combattants » dès lors que leur parcours et leur situation le justifieraient . Les mineurs returnees les plus âgés peuvent en effet faire l'objet d'auditions libres, voire de placements en retenue ou en garde à vue, à leur arrivée sur le territoire national. L'engagement de poursuites peut ensuite être envisagé à l'égard de ceux qui ont poursuivi un rôle actif dans le fonctionnement des organisations terroristes ou commis des exactions dont ils devraient répondre. L'administration pénitentiaire indique cependant qu'il n'y a pas, à ce jour, de mineur returnee incarcéré.

3. L'enracinement de la radicalisation et du salafisme dans notre pays

Votre commission d'enquête est très inquiète des témoignages qu'elle a entendus au cours de ses auditions et déplacements sur la propagation et la prégnance, en particulier dans certains quartiers, de la radicalisation et du salafisme. À n'en pas douter, ceux-ci contribuent à accroître la menace intérieure.

a) L'installation de la radicalisation sur le territoire français

Près de 20 000 individus sont signalés comme radicalisés.

L'installation des phénomènes de radicalisation sur notre territoire peut notamment être mesurée au travers de deux indicateurs : le nombre de profils radicalisés recensés au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) ainsi que le nombre de signalements reçus par les autorités publiques, notamment via le numéro vert mis en place par l'unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT).

• La source la plus fiable pour l'évaluation de l'ampleur de la menace endogène est celle du fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) , dont les données permettent de disposer d'une photographie de l'état de la radicalisation sur notre territoire. Il faut cependant garder à l'esprit, comme pour toute base de données, quelques réserves méthodologiques : cet outil peut ignorer des personnes passées entre les mailles du filet tout comme signaler des faux positifs ; il comporte sans doute des profils de personnes surveillées par ailleurs, ainsi que ceux d'individus dont le décès n'a pu être établi.

Au 28 février 2018, FSPRT recensait 19 725 signalements actifs , dont 4 000 relevant du « haut du spectre » . Près de 30 % des individus faisant l'objet d'une fiche active au FSPRT résident en Ile-de-France. Un peu plus de 3 000 d'entre eux sont de nationalité étrangère, parmi lesquels on recense 24 % d'Algériens, 21,5 % de Marocains, 16 % de Tunisiens, 11 % de Russes tchétchènes et 2,7 % de Turcs.

Ces 4 000 profils particulièrement dangereux, qui s'inscrivent dans une logique de pré-terrorisme, répondent à au moins l'un des critères suivants : ils ont manifesté une volonté étayée (c'est-à-dire recoupée et non simplement supposée) de départ vers une zone de djihad ; ils présentent un lien avéré avec un projet ou un réseau terroriste ; ils ont été signalés comme islamistes radicalisés et présentant un caractère de dangerosité.

• S'agissant des signalements opérés auprès du numéro vert de l'UCLAT, le nombre d'appels reçus a connu une nette décroissance dans le contexte de baisse du nombre d'attentats. Tandis que 25 000 appels ont été enregistrés en 2016, on n'en compte aujourd'hui que 11 000 à 12 000. Pour autant, les cas signalés par ce canal sont souvent importants .

Les services de renseignement soulignent par ailleurs que ce numéro souffre d'une certaine modestie médiatique, ce qui explique que le nombre de signalement reçus par les autorités émanent souvent directement des acteurs du territoire, fortement sensibilisés à ces questions, et notamment de l'éducation nationale.

Les velléitaires du djihad syrien alimentent la menace endogène.

La menace endogène est alimentée par des facteurs structurels qui n'ont pas disparu, parmi lesquels la force de la propagande de Daech et l'attraction que continue d'exercer cette organisation auprès de certains individus.

Les services de renseignement soulignent que le théâtre syrien conserve une forte attractivité pour les acteurs de la mouvance pro-djihadiste : sur les quatre projets terroristes portés par des acteurs isolés déjoués in fine par la DGSI en décembre 2017 et janvier 2018, trois émanaient de velléitaires du djihad syrien. L'un de ces individus avait enregistré une vidéo d'allégeance à Abou Bakr-Al-Baghdadi, chef de l'EI.

Certains individus, frustrés, conçoivent l'action terroriste comme une alternative à un projet entravé de départ pour la zone syro-irakienne. Ces « velléitaires », sensibles aux messages de propagande de l'EI, mais qui n'ont pas eu l'opportunité de rejoindre le théâtre syro-irakien, constituent une menace intérieure diffuse. Comme l'a dit l'une des personnes entendue par votre commission d'enquête, « les individus les plus dangereux sont les frustrés, les velléitaires, ceux qui ont été empêchés de se rendre en Syrie ou en Irak. Ceux-là nous en veulent toujours, et doublement, puisqu'ils n'ont pas même eu l'occasion d'être déçus ! ».

Mme Myriam Benraad a relevé dans le même sens qu' « on accorde en France une attention un peu excessive aux revenants, au détriment de ceux que j'appellerais les résidents. La France compte plusieurs milliers de radicalisés prêts à passer à l'acte car leurs convictions sont parfois plus solides que ceux qui sont effectivement partis sur zone et ont vécu le conflit dans leur chair. N'ayant pas fait l'expérience de la guerre, ces résidents restent activables à tout moment ».

b) Le débat subsiste autour des phénomènes de radicalisation

De nombreuses études 13 ( * ) ont récemment été conduites, notamment depuis les attentats commis en 2015, sur le profil des personnes dites « radicalisées ». Ces travaux ont souvent pris la forme de recherches-actions suscitées par les pouvoirs publics qui, face au phénomène nouveau que constituent les passages à l'acte djihadiste, ont fortement besoin d'expertise pour pouvoir adapter leurs décisions aux réalités du terrain.

Votre commission d'enquête ne prétend pas ici conduire un travail aussi fouillé que celui qui avait été effectué par la précédente commission d'enquête sénatoriale sur les réseaux djihadistes, dont les conclusions 14 ( * ) sur le « phénomène multidimensionnel » que constitue la radicalisation sont toujours très largement d'actualité, ou par le récent rapport de la commission des lois sur les politiques de déradicalisation 15 ( * ) . Elle ne prétend pas davantage apporter de solution définitive au débat désormais classique entre l'approche par une radicalisation de l'islam et celle par une islamisation de la radicalité ; elle souligne cependant que la plupart des spécialistes entendus au cours de ses travaux ont souligné le caractère également réducteur de ces deux visions.

Certains des éclairages produits au cours de ses travaux pourront cependant utilement contribuer au débat public et affiner la vision des vecteurs de la menace endogène que constituent les individus radicalisés.

La définition de la radicalisation fait toujours l'objet de vifs débats dans le champ des sciences sociales.

• Selon les travaux de référence conduits par M. Farhad Khosrokhavar 16 ( * ) , qui a fait partie des premiers chercheurs à investir ce champ d'études, le radicalisme suppose la conjonction de deux facteurs : une idéologie extrémiste, d'une part, et la « volonté implacable de sa mise en oeuvre », d'autre part.

M. Romain Sèze propose quant à lui la définition suivante du processus de radicalisation : celui-ci renvoie à l'adoption progressive et évolutive d'une pensée rigide, d'une vérité absolue et non négociable, qui structure la vision du monde des acteurs, lesquels usent de la violence pour la faire prévaloir .

Le rapport de recherche fait pour la mission Droit et justice indique en ce sens que l'approche de la radicalisation peut être fondée sur trois éléments : la dimension évolutive du phénomène de radicalisation, qui constitue un processus ; l'adoption d'une pensée sectaire ; l'usage de la violence armée.

• S'agissant plus précisément de la radicalité djihadiste , M. Pierre Conesa, ancien haut fonctionnaire du ministère de la défense et spécialiste des questions stratégiques internationales, propose une définition plus resserrée mettant l'accent sur ses spécificités par rapport aux autres formes de radicalité 17 ( * ) . De ce point de vue, la radicalisation djihadiste présenterait deux caractéristiques majeures :

- en premier lieu, la revendication d'une « identité politico-religieuse totalitaire » qui se traduirait par le rejet de toutes les autres pratiques musulmanes - ce qui explique que les victimes du radicalisme djihadiste soient en très grande majorité musulmanes - et par l'incitation à une ghettoïsation de la communauté française musulmane ;

- en second lieu, la légitimation de l'usage d'une violence présentée comme destinée à venger l'Oumma , ou communauté des musulmans, contre l'oppression occidentale, dans une sorte de « nouvelle idéologie tiers-mondiste ».

Il s'agit donc, selon lui, « d'une pratique totalitaire de l'islam qui cherche à imposer ses règles, à rejeter les formes républicaines et légitime au moins intellectuellement l'usage de la violence qu'il présente comme vengeresse ».

• Ainsi que l'a utilement rappelé M. Romain Sèze devant votre commission d'enquête, la notion de radicalisation ne renvoie cependant pas à un ensemble de critères mobilisables de manière systématique par les décideurs publics . Elle ne constitue pas, en effet, une catégorie du discours scientifique, mais un vocable de l'action publique . Contrairement à la notion objective de terrorisme, qui vise une catégorie d'infractions identifiées par notre corpus juridique et pénalement réprimée, elle ne recouvre pas une réalité homogène et identifiable de manière certaine .

L'emploi de cette notion, s'il est commode et nécessaire dans le champ des politiques de prévention, ne doit donc pas laisser penser qu'il existerait une catégorie de la population clairement identifiable comme radicalisée , à la manière de personnes qui seraient frappées par une pathologie médicale détectable au moyen d'un protocole clinique.

Pour les services de renseignement, s'agissant des éléments utilisés pour analyser la dangerosité d'un cas, il convient de préciser qu'aucune grille rationnelle ne saurait pleinement anticiper le passage à l'action violente d'un individu radicalisé. A priori séduisant, l'établissement d'un profil type des auteurs d'actions terroristes est hasardeux et se heurte à la diversité des parcours et des motivations des individus concernés .

LA DIVERSITÉ DES PARCOURS ET DES FACTEURS DE RADICALISATION :
ÉTAT DES RECHERCHES EN SCIENCES SOCIALES

Clé de lecture : Ce schéma propose un cadre d'appréhension des phénomènes de radicalisation en prenant en compte un certain nombre de variables autour de deux axes opposant les approches sociologiques et organisationnelles aux approches plus psychosociologiques (axe horizontal), ainsi que les réflexions en termes de causes structurelles, opposées à celles qui insistent sur les évolutions processuelles (axe vertical).

Source : Rapport de recherche sur les mécanismes de la radicalisation violente pour la mission de recherche Droit et Justice.

Ces précautions méthodologiques étant prises, votre commission d'enquête observe que, si les nombreuses enquêtes de terrain conduites au cours des dernières années n'ont pas mis en évidence de profils ou de parcours que l'on pourrait qualifier de typiques, certains types de parcours vers la radicalité apparaissent plus présents que d'autres.

Les personnes radicalisées présentent des profils et des parcours variés.

Certaines caractéristiques sociologiques se retrouvent chez de nombreux djihadistes, sans qu'il soit possible d'établir de correspondances systématiques.

• Les différents profilages effectués parmi les services de renseignements ont permis de mettre en avant un certain nombre de caractéristiques parmi les individus radicalisés. Il est intéressant de constater que la plupart d'entre elles ne sont pas présentes de manière extrêmement majoritaire.

Selon les services de renseignement, les individus de retour de la zone syro-irakienne sont majoritairement des jeunes Français d'origine maghrébine (70 % d'entre eux), des convertis (22 %), ainsi que des personnes issues des communautés du Nord-Caucase qui se sont réfugiées en France à la fin des années 1990.

Les individus détenus pour des faits de nature terroristes sont quant à eux majoritairement âgés de 18 à 30 ans, résidents en quartiers prioritaires de la politique de la ville, peu diplômés et issus de familles dysfonctionnelles ou monoparentales.

Une étude menée sur le profil des 200 premiers morts sur zone après être partis conclut que les deux tiers de ces individus sont Français ; un tiers vivait en région parisienne, les autres étant majoritairement partis du couloir rhodanien, du Nord de la France, du pourtour méditerranéen ainsi que les Alpes-Maritimes ; 98 % d'entre eux, vivaient en zone urbaine ou périurbaine, pour l'essentiel dans des villes pauvres ou endettées (notamment Lunel, Trappes, Roubaix, Saint-Denis et Stains) ; plus de la moitié sont connus des services de police, le plus souvent pour des actes de rébellion ou du petit trafic de cité ; ce sont des individus qui souffrent de fractures psychologiques, voire psychiatriques avec des failles parentales - une absence de père ou un père peu présent.

• Au regard des profils étudiés, le rapport de la mission de recherche Droit et justice précité met l'accent sur l'absence de lien systématique entre la radicalisation, d'une part, et, d'autre part, le caractère dysfonctionnel des contextes familiaux, l'inscription dans une trajectoire délinquante ou encore l'appartenance à des catégories de population issues de l'immigration ou socialement défavorisées.

Le rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur les filières djihadistes précité relevait à cet égard que, « si le facteur social permet de l'éclairer en partie, il n'épuise pas le phénomène. Outre la diversification des profils, la meilleure preuve en est sans doute que le phénomène, mondial, n'est pas spécifique à la société française. La plupart de nos partenaires européens sont également touchés, tout comme l'Australie et le Canada. En proportion de la population de leur pays d'origine, les djihadistes tunisiens sont les plus nombreux. Or, les problèmes économiques, sociaux ainsi que les rapports intercommunautaires y sont bien différents ».

Mme Myriam Benraad a également souligné devant votre commission d'enquête qu' « il n'y a pas de profil type des militants partis faire le djihad . [...] Ce sont des individus très différents, happés par un discours susceptible de séduire un large public ». Elle relève que les motivations de ceux qui ont rejoint la zone syro-irakienne sont très diverses. Elles peuvent tout d'abord être identitaires, avec une surdétermination de l'identité religieuse ; elles peuvent également relever de l'aventurisme, d'une aspiration pour l'utopie ou d'un positionnement antisystème. Selon la chercheuse, la rhétorique de l'EI s'est télescopée avec des questions qui travaillaient la société française depuis très longtemps, notamment sur les questions de justice sociale et de double standard géopolitique.

• Ces profils et ces motivations différents se reflètent dans la place et l'influence prises au sein des réseaux djihadistes. Les individus, imprégnés à des degrés divers par l'idéologie violente de ces mouvements, ont une dangerosité différente selon qu'ils sont idéologues prosélytes, leaders, suiveurs, ou encore vulnérables aux incitations aux passages à l'acte violents.

Certains traits récurrents des trajectoires de radicalisation peuvent néanmoins être dégagés.

Les études conduites par M. Romain Sèze 18 ( * ) ont permis de mettre en évidence certains « traits récurrents » dans les trajectoires individuelles vers le djihad , qui recoupent assez largement ceux mis en évidence dans le cadre des travaux de la précédente commission d'enquête sénatoriale.

Ces orientations issues de la recherche en sciences sociales sont en partie confirmées par les observations et les pratiques des acteurs opérationnels en charge de la lutte contre le terrorisme. Les services de renseignement indiquent en ce sens que l'analyse des profils d'auteurs d'actes violents tend à mettre en évidence certains éléments biographiques ou comportementaux qui pourraient constituer des « marqueurs récurrents » concourant à l'évaluation d'un profil radicalisé ; ainsi la « combinaison de certains marqueurs [peut-elle] laisser présager un basculement vers une action violente plus ou moins imminente », et justifie que l'on y porte une vigilance particulière.

La sous-direction anti-terroriste (SDAT) de la direction centrale de la police judiciaire a par ailleurs coordonné une étude conduite par un groupe de psychologues oeuvrant au sein de différents services de police, qui a permis de mettre en évidence deux faits stylisés : les individus engagés dans une démarche djihadiste sont mus par des motivations diverses ; leurs parcours personnels sont souvent chaotiques.

Sans prétendre à l'exhaustivité, votre commission d'enquête a souhaité relever certains de ces « traits récurrents », étant bien entendu précisé qu'aucun de ces traits ne peut être entendu comme explicatif et que ce (trop) rapide tour d'horizon ne peut bien évidemment être utilisé à l'appui d'une systématisation des marqueurs relevés.

Des situations de rupture familiale

L'étude des parcours de vie des djihadistes révèle souvent une rupture familiale , voire un placement en foyer d'accueil. La SDAT souligne que ce type de parcours constitue à l'évidence « une fragilité facilitant le passage à l'acte ».

Le manque d'autorité familiale, caractérisé par l'absence de père, est également récurrent. Selon l'étude du SDAT, la communauté djihadiste peut dans ce contexte apparaître comme une famille de substitution au sein de laquelle les individus fragiles peuvent se construire une nouvelle histoire personnelle structurée autour de la violence.

Identification à une minorité opprimée et sensibilité au contexte géopolitique

En troisième lieu, le cheminement vers la radicalité s'accompagne le plus souvent d'une « conscientisation politique » prenant la forme d'une identification à une minorité opprimée dont le sort apparaît comme justifiant la mobilisation, ou plutôt comme la rendant indispensable.

La plupart des djihadistes se présentent ainsi sous la posture de défenseur d'une cause - celle, le plus souvent, des populations musulmanes opprimées, où qu'elles se trouvent dans le monde. M. Romain Sèze relève que « [l'identification] à une communauté opprimée, et plus particulièrement à l'un de ses défenseurs, permet de retrouver une image valorisante de soi et une capacité d'agir ».

Cet aspect explique par ailleurs la très forte sensibilité au contexte international du développement du djihadisme ; votre précédente commission d'enquête relevait déjà, dans les parcours djihadistes, la « volonté de prendre une revanche sur ce qui est perçu comme une humiliation systématique de la communauté musulmane par les puissances occidentales ».

L'étude précitée du SDAT relève dans le même sens que de nombreux djihadistes français « sont habités par un sentiment d'injustice qui s'est progressivement mué en un ressentiment contre l'Occident colonial, et a donné naissance au besoin de lutter contre ce qui est perçu comme une forme d'oppression ». Dans ce contexte, le fait de mener une vie davantage tournée vers la religion permet également d'effacer des expériences ou des antécédents plus personnels et douloureux.

Selon M. Romain Sèze, l'expérience de la discrimination sociale ne serait cependant pas décisive dans le basculement vers la radicalité . Le chercheur relève ainsi que « rares sont ceux qui, en amont de leurs engagements, avaient fait, ou pour le moins ressenti, une expérience directe de la discrimination ». Cette expérience peut cependant être faite en aval de l'adoption d'une pratique rigoriste et prosélyte de l'islam, dans la mesure où ce rapport à la religion va bien souvent de pair avec l'adoption de marqueurs ostensibles de religiosité négativement perçus en France, notamment dans le contexte de crispation qui a suivi les attentats de 2015 et 2016.

L'ancrage antérieur dans un parcours délinquant

S'agissant de l'ancrage préliminaire dans un parcours délinquant, il semble qu'une évolution puisse être observée entre les « générations » successives d'individus proches des mouvances djihadistes.

Les autorités judiciaires ont ainsi souligné les auteurs de passages à l'acte violents sur le territoire national sont traditionnellement connus de leurs services pour des faits de petite et de moyenne délinquance , notamment pour des faits d'escroquerie ou de vols à main armée. Les services de renseignement soulignent dans le même sens qu'il existe une certaine « porosité » entre la délinquance de droit commun et le terrorisme, et que la surreprésentation des petits délinquants d'habitude parmi les terroristes est un phénomène connu et identifié depuis une vingtaine d'années.

Ces expériences ont contribué à la formation de certains individus radicalisés, en ce qu'elles nécessitent une première approche de méthodes (action souterraine et dissimulée, connaissance des techniques policières) dont font également usage les djihadistes. Plusieurs des filières salafistes démantelées étaient ainsi composées d'anciens délinquants le plus souvent passés par une incarcération, comme par exemple celles de Cannes-Torcy, de Strasbourg et de Toulouse. Plusieurs des attentats commis et des projets d'attentats déjoués ont par ailleurs mis en évidence des profils d'anciens délinquants devenus terroristes, tels que ceux de Mohamed Merah et d'Amedy Coulibaly.

Les services de renseignement soulignent par ailleurs que ce type de passage par la criminalité est légitimé par les organisations terroristes en tant qu'elle sert le djihad, par le biais du concept de ghanima , c'est-à-dire de butin de guerre.

Il apparaît cependant que cette porosité tende à devenir moins nette, voire à s'estomper. Les services de renseignement ont ainsi souligné que l'évolution des modes opératoires de la mouvance endogène, qui privilégie l'utilisation d'armes blanches ou de voitures béliers permettant de se passer de soutien logistique et de pas attirer l'attention des services de police, laisse apparaître de nouveaux profils d'individus radicalisés n'étant jamais passés par la délinquance.

Les autorités judiciaires ont par ailleurs souligné que la plupart des individus ayant rejoint la zone irako-syrienne n'étaient pas connus des services judiciaires et de police et n'avaient jamais fait l'objet d'une condamnation.

Le passage par l'incarcération

Le passage par l'incarcération constitue bien souvent une étape clé du basculement vers une radicalité plus forte et plus enracinée.

Le temps de la détention permet en effet aux individus jeunes, souvent encore largement novices à l'arrivée, de renforcer leur capital militant à la fois dans sa dimension culturelle (par la lecture et l'intellectualisation de leurs expériences) et dans sa dimension sociale (par la constitution d'un réseau dans le cadre de la prison). Au total, les séjours en prison contribuent à faire mûrir leur radicalité et à renforcer leur dangerosité.

S'agissant spécifiquement des returnees , les services de renseignement ont souligné devant votre commission d'enquête que, pour les profils de déçus, voire de repentis, la cohabitation en détention avec d'autres djihadistes sera susceptible de les maintenir dans la sphère islamiste radicale et, sur la durée, de faire du milieu carcéral un incubateur de la menace.

LES GRILLES D'INDICATEURS MISES EN PLACE PAR LES POUVOIRS PUBLICS POUR DÉTECTER DE POTENTIELLES TRAJECTOIRES DE RADICALISATION

Afin de repérer les potentielles situations de radicalisation et, le cas échéant, de pouvoir effectuer un suivi particulier ou un signalement, les pouvoirs publics (comme par exemple l'éducation nationale) ont recours au croisement de certains indicateurs.

L'analyse des situations repose sur une grille tirée des travaux du CIPDR et commune à tous les acteurs de la prévention de la radicalisation. Pour être suffisamment étayée, une suspicion de radicalisation doit se fonder sur un ensemble de signaux qui ne sauraient être pris isolément. Elle doit par ailleurs résulter d'un croisement de regards et de compétences.

Bien que parfois difficile à repérer, le processus de radicalisation se traduit le plus souvent par des changements de comportement et une rupture qui peut être rapide.

c) Un consensus se dégage cependant sur la non existence des « loups solitaires »

Les acteurs du renseignement comme les chercheurs en sciences sociales entendus par votre commission d'enquête s'accordent cependant sur un point : la figure du « loup solitaire », largement mise en avant par les médias lors des passages à l'acte par une personne seule, n'existe pas dans le champ des passages à l'acte djihadistes .

Ainsi que le soulignait déjà la précédente commission d'enquête sur ce sujet, « la plupart des passages à l'acte sur le territoire français se [font] dans le cadre de réseaux organisés à plus ou moins grande échelle, les terroristes bénéficiant le plus souvent d'un appui au moins logistique ». Le seul véritable « loup solitaire » ayant effectué un passage à l'acte terroriste est le Norvégien d'extrême-droite Anders Breivik.

• Les trajectoires de radicalisation djihadiste elles-mêmes sont le plus souvent, voire toujours enracinées dans un parcours de groupe .

Le chercheur Romain Sèze relève ainsi que, si l'apprentissage religieux des personnes radicalisées est souvent solitaire et autodidacte dans un premier temps, la découverte des idéologies djihadistes intervenant le plus souvent par le biais d'Internet, il se poursuit toujours au contact de pairs.

Le basculement se fait le plus souvent au contact de « personnes-clés » à l'influence forte, dont le rôle est double : outre qu'ils encouragent moralement le passage à l'acte, ils offrent également des ressources à cette fin. Les services de renseignement indiquent dans le même sens qu'un individu sur le point de passer à l'acte est fréquemment « aiguillonné » par un mentor , c'est-à-dire une personne de son environnement qui exerce une influence sur lui et le pousse à agir. Il s'agit le plus souvent d'un individu charismatique au sein de la mouvance radicale. Il peut cependant également s'agir de membres de l'entourage proche, et en particulier de la famille élargie. Les services de police relèvent sur ce point que le nombre de fratries - comme par exemple les frères Kouachi, Merah et Clain - impliquées dans des actions ou des projets terroristes est significatif.

• Ces personnes-clés, ou personnes-ressources, peuvent être rencontrées en plusieurs points du parcours vers la radicalisation.

L'expérience carcérale est désormais largement documentée comme un catalyseur des parcours de radicalisation , en ce qu'elle conduit à la fois à la rencontre d'individus prosélytes et à la mise en réseau de compétences criminelles diverses. Selon les services de renseignement, la fréquentation de détenus radicalisés diffusant un discours exploitant les crispations identitaires peut jouer un rôle décisif dans la décision d'un passage à l'acte.

Il apparaît par ailleurs que la prison participe non seulement de la rencontre, mais aussi de la constitution de nouvelles personnes-clés . Elle permet en effet aux jeunes incarcérés pour fait de terrorisme, souvent assez novices au moment de leur entrée en prison, de développer une approche réflexive de leurs premières expériences au sein de la mouvance radicale et de se constituer un réseau sur place. Selon l'expression de M. Romain Sèze, ils renforcent ainsi leur « capital militant ». Ce basculement est souvent renforcé par l'aura que leur confère, auprès de leurs codétenus, leur départ sur une zone d'opérations.

Les séjours effectués à l'étranger offrent également l'occasion d'une « socialisation militante ». Ces départs ne se font pas, le plus souvent, dans le but de rejoindre un réseau violent ; ils visent à effectuer la hijra , c'est-à-dire l'émigration d'une société « mécréante », qui ne permet pas une pratique saine de la religion, vers un pays d'islam - sur le modèle de l'Hégire du prophète Mahomet en 622. Selon M. Romain Sèze, ces séjours peuvent cependant être l'occasion d'une « sur-radicalisation » et du passage à la clandestinité au sein de réseaux terroristes internationaux. Les services de renseignement indiquent en ce sens que les frères d'armes croisés sur une terre de djihad peuvent exercer une forte influence sur le déclenchement des passages à l'acte.

• Selon les services de renseignement, une tendance à la création de cellules de la mouvance djihadiste est constatée depuis un an et demi. Ces cellules rassemblent des individus unis par les liens familiaux ou qui se sont rencontrés en milieu pénitentiaire. Sur les 56 actes perpétrés, déjoués ou échoués les plus récents, 23 ont ainsi été portés par ce type de petites cellules, organisées autour de deux ou trois personnes.

d) L'épineuse question du terreau salafiste

Le salafisme constitue l'un des nombreux courants qui traversent l'islam.

L'islam est traversé, comme l'ensemble des cultes, par une variété de sensibilités découlant du rapport aux sources scripturaire s 19 ( * ) , parmi lesquelles des approches fondamentalistes de la religion musulmane.

• Par fondamentalisme 20 ( * ) , on désigne au sens large les approches religieuses qui défendent une conception intransigeante de la religion, une mise en avant de l'autorité normative et de la tradition, et un rejet de l'autonomie individuelle qui puisse se passer de la norme divine. Selon le politologue et spécialiste de l'islam Olivier Roy 21 ( * ) , le fondamentalisme s'oppose ainsi à l'accomodationnisme, dans le cadre duquel des compromis sont possibles entre lois humaines et lois divines. À ses yeux, le fondamentalisme se caractérise par le rejet de la culture, donc du contexte pour s'internationaliser, et la quête de la pureté.

Le fondamentalisme islamique se caractérise par un littéralisme qui conduit à prendre au pied de la lettre la révélation coranique et les dits et faits du prophète, considérés comme authentiques. Il est le fruit d'une tradition ancienne de l'islam, codifiée par l'école juridique hanbalite (officielle aujourd'hui en Arabie Saoudite et au Qatar). Il est aujourd'hui génériquement appelé salafisme 22 ( * ) .

Mme Myriam Benraad a souligné devant votre commission d'enquête que le salafisme constitue une forme d'expression religieuse très moderne , voire hypermoderne en ce qu'il s'emploie à réinventer la tradition musulmane. Le port de la burqa n'a ainsi jamais été une tradition des sociétés musulmanes.

• Selon M. Pierre Conesa, le salafisme, né en Arabie Saoudite et largement encouragé par le wahhabisme saoudien pour contrer l'influence des Frères Musulmans, peut être défini comme un mouvement politico-religieux à tendance totalitaire qui se caractérise par l'interdiction de toute interprétation du Coran.

• On distingue généralement et schématiquement trois salafismes : une approche dite « savante », qui se consacre à l'étude des textes, aux pratiques rituelles et se méfie du politique ; une approche plus récente appelée néo-salafiste, qui accepte les interactions avec l'impur au nom du prosélytisme ; le djihadisme, qui place la violence au coeur de son message au nom de la défense d'une communauté perçue comme attaquée. Si la porosité entre salafisme « savant », néo-salafisme et djihadisme est avérée, tous les salafistes ne deviennent bien évidemment pas djihadistes.

Du point de vue du rapport à la radicalité, le positionnement du salafisme apparaît cependant ambigu. Si, selon M. Romain Sèze, l'appétence pour le djihad est le plus souvent mal vue dans les mosquées salafistes, majoritairement à tendance quiétiste - les jeunes tentés par le djihad y étant très vite qualifiés de mauvais musulmans et mis au ban -, certains prêcheurs salafistes développent des discours qui, sans directement légitimer la violence, favorisent néanmoins l'adhésion à une idéologie violente. Selon Mme Myriam Benraad, ces discours se caractérisent par leur approche à la fois dichotomique et victimaire du monde.

• Le salafisme s'est progressivement développé, à partir des années 1980, chez les jeunes Français de confession musulmane , attirés par une forme d'authenticité, d'universalisme et de pureté, à l'heure où l'islam des parents, imprégné de référence nationale (voire d'instrumentalisation) et parfois assimilé à du folklore, avait perdu en crédibilité. Cette quête a aussi été, pour de très nombreux délinquants, une forme de rédemption, l'occasion d'affirmer une nouvelle forme d'ascendant, voire de légitimation sociale.

Selon les services de renseignement, on assiste ainsi à un mouvement de fond de conversion à l'islam dans sa version fondamentaliste : les nouveaux convertis ont tendance à se convertir à une forme d'islam plus fondamentaliste que l'islam sunnite de rite malikite, traditionnellement professé en Afrique du Nord. Cette évolution s'analyse au moins autant comme un mouvement religieux que comme une recherche d'affirmation d'une identité musulmane pour des individus en plein désert affectif, économique ou sociologique.

Le salafisme en France représente aujourd'hui, selon les services de renseignement, environ 130 lieux de culte et entre 40 à 60 000 adeptes. 132 des 2 358 lieux de culte recensés sur le territoire (hors préfecture de police de Paris) relèveraient du salafisme. Le nombre des fidèles aurait connu une progression constante , passant de 5 000 en 2004 à 12 000 en 2010 et 40 000 aujourd'hui - ces chiffres ne constituant que des estimations, du fait de l'absence de statistiques religieuses en France.

LE MOUVEMENT SALAFISTE APPELLE À UNE RÉISLAMISATION DE LA SOCIÉTÉ

Le salafisme fait référence à la période des pieux ancêtres ( as salaf as salih ), c'est-à-dire à la génération qui a connu le prophète et les trois suivantes. Les salafistes se caractérisent par une volonté de retour aux modes de vie, aux moeurs mais aussi à la gouvernance de cette époque, considérée comme un modèle . Leurs pratiques prétendent donc au littéralisme par rapport au Coran et au mimétisme par rapport à la Sunna , compilation des actes et paroles attribués à Mahomet. À leurs yeux, si l'islam est aujourd'hui dominé, c'est que les musulmans se sont éloignés de la vraie foi. À ce titre, ils appellent à une réislamisation de la société, d'autant que la fin du monde serait proche.

Le salafisme se traduit par une obsession de la pureté . Les salafistes rejettent l'impur (refus de l'altérité confessionnelle ou convictionnelle), prônent une séparation très stricte des genres et revendiquent une affirmation identitaire, accompagnée d'un repli communautaire. La loi de Dieu est naturellement au-dessus de la loi des Hommes. Au nom de l'unicité de Dieu (t awhid ), de la lutte contre l'hérésie et l'hypocrisie, leurs principales cibles sont respectivement le soufisme, le chiisme, et les faux-musulmans ( takfir ).

Source : Éléments transmis par la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur.

S'il n'existe pas de correspondance systématique entre salafisme et djihadisme, la progression de l'influence salafiste ne laisse pas d'inquiéter.

L'imprégnation religieuse des individus radicalisés fait débat

L'ensemble des individus radicalisés ne sont pas issus de familles ou de cultures musulmanes. Un certain nombre d'entre eux sont venus ou revenus à l'islam de manière tardive : c'est le phénomène, déjà largement documenté, des convertis et des born again . Selon les services de renseignement, 22 % des returnees seraient ainsi des convertis ; l'administration pénitentiaire indique par ailleurs que les convertis représentent moins de 20 % des détenus pour association de malfaiteurs en vue de commettre un acte terroriste.

Selon M. Romain Sèze, ces parcours traduiraient un mouvement à la fois de rupture générationnelle et de responsabilisation, c'est-à-dire la recherche d'un cadre de vie normé à l'entrée dans l'âge adulte.

L'étude conduite par la SDAT pointe une distance entre la religiosité et le passage à l'acte terroriste . Parmi les djihadistes ayant fait l'objet de cette enquête, l'engagement religieux semble généralement superficiel et sélectif. Rares sont ainsi ceux qui ont fait un effort important d'apprentissage des textes et principes de la religion musulmane ; la plupart des individus suivis en ont généralement retenu les seuls éléments susceptibles de renforcer leur sentiment de persécution ou leurs motivations à agir. Le rapport de recherche de la mission Droit et justice précité insiste par ailleurs sur l'absence de lien entre le degré de piété et une possible radicalisation.

Selon les services de renseignement, la lecture de testaments de certains des combattants morts sur zone laisse apparaître que, si certains montrent une imprégnation religieuse très forte, d'autres sont mus par d'autres vecteurs, parmi lesquels la haine de l'institution.

Les parcours djihadistes se caractérisent pour la plupart par un passage par le salafisme

Les services de renseignement ont insisté à plusieurs reprises sur le fait que si tous les salafistes ne sont pas des terroristes, en revanche, peu de terroristes ne sont pas passés par le salafisme.

M. Pierre Conesa, dans son rapport précité, estime en ce sens que « la radicalisation djihadiste est d'abord salafiste ». Selon lui, le salafisme constitue le principal terreau des radicalités djihadistes.

Mme Myriam Benraad a par ailleurs souligné que, dans la mesure où le salafisme, qu'il débouche ou non sur une action violente, professe une rupture avec notre modèle de société, avec la communauté nationale et avec nos valeurs républicaines, le passage à l'acte violent des personnes séduites par le salafisme est beaucoup plus probable que celui des personnes qui n'y ont pas succombé.

4. Dans ce contexte, l'influence des organisations djihadistes reste dangereuse en France, selon des modalités largement inédites

Dans ce contexte, la menace est d'autant plus élevée que les organisations djihadistes agissant en France pratiquent un terrorisme dont les formes sont largement inédites.

Le phénomène de radicalisation terroriste n'est bien entendu pas propre au djihadisme. Des radicalités sont également observées, en dehors du domaine religieux, dans le champ politique et sur le plan social ( black blocks ). Avec le djihadisme, les forces de sécurité font cependant face à une menace largement nouvelle, qui diffère très largement de ce qui a pu être connu au travers du terrorisme d'État iranien ou palestinien, du terrorisme politique porté par les courants extrémistes, ou encore du terrorisme régionaliste, notamment basque et corse.

a) Un terrorisme fondé sur un absolutisme religieux

La dimension religieuse de la radicalité djihadiste la rend particulièrement difficile à combattre , dans la mesure où son enracinement théologique lui confère une forme d'absolutisation que l'on ne retrouve pas dans le militantisme politique, ainsi que des visées et des modes d'action singuliers et inédits . Les services de sécurité ont ainsi affaire à des individus particulièrement dangereux parce que fortement idéologisés.

Tandis que la radicalité de type politique vise à la réalisation d'un projet politique déterminé, et ouvre de ce fait la voie à de possibles négociations, la démarche djihadiste est maximaliste : fondée sur un discours millénariste, messianique et apocalyptique, elle tend à l'avènement d'une utopie. En d'autres termes, la mouvance djihadiste ne fait pas entendre une revendication à laquelle la France pourrait ou non se plier. Selon M. François-Bernard Huyghe, les djihadistes attendent ainsi la fin du monde, la conquête de la Terre et le salut de leurs âmes.  La temporalité de leur projet dépasse d'ailleurs le cadre de la vie des protagonistes : beaucoup d'entre eux reconnaissent en effet, ainsi que le rapporte M. Romain Sèze, qu'ils n'assisteront pas à la réalisation de la cause pour laquelle ils se sont engagés.

La propagande de l'État islamique s'est d'ailleurs appuyée sur ce terreau théologique pour scénariser son effondrement territorial , en développant l'idée, d'une part, qu'une coalition quasiment mondiale s'était acharnée pour détruire l'idéal califal, et, d'autre part, que les vrais croyants savent qu'une défaite apparente est la garantie d'une victoire plus grande.

Cette dimension du djihadisme explique en partie que ses partisans soient prêts à tuer à grande échelle, parfois de manière aveugle, et jusqu'à mourir eux-mêmes au terme d'un passage à l'acte isolé - là où les nationalismes politiques intègrent leur démarche dans le cadre d'objectifs fixés par la hiérarchie d'une organisation, et recourent à la violence de manière ciblée.

La visée millénariste du djihadisme explique par ailleurs la dimension d'activisme que présentent de nombreux profils djihadistes, ainsi que le caractère à la fois individualisé et déterritorialisé que présentent une grande partie des engagements dans le djihad. L'important est en effet de faire le djihad, indépendamment du cadre ou du théâtre d'opérations dans lequel il se déroule ; les parcours ne sont dès lors pas nécessairement prédéfinis en ce qu'il s'agirait de rejoindre un groupe en particulier, mais sont déterminés par les opportunités successivement rencontrées.

Au contraire de la radicalité nationaliste (corse ou basque, par exemple), le militantisme djihadiste ne s'inscrit donc que tardivement dans le cadre d'une organisation, celle-ci pouvant du reste être remplacée par une autre au gré de ses succès ou de ses défaites stratégiques ou militaires. C'est ainsi que les défaites militaires de Daech ont poussé certains de ses combattants à rejoindre les rangs d'Al-Qaïda.

b) La menace liée aux attentats inspirés est réelle

Un basculement stratégique s'est opéré.

Par opposition au terrorisme projeté ou soutenu, la revue stratégique de défense et de sécurité nationale a relevé la persistance, voire l'aggravation d'une menace d'attentats dits « inspirés » ou « d'initiative ». Militairement amoindri, Daech capitalise désormais sur son pouvoir d'inspiration auprès des mouvances radicales endogènes présentes dans les pays occidentaux : la revendication des passages à l'acte autonomes d'acteurs isolés constitue aujourd'hui son principal mode d'action.

Ces passages à l'acte spontanés ou semi-spontanés sont directement encouragés par la propagande de Daech . L'ancien porte-parole de l'organisation, Abou Mohammed Al-Adnani, a ainsi appelé, dans un enregistrement audiophonique diffusé en 2014, à utiliser tous les moyens possibles pour s'en prendre aux populations occidentales.

Le basculement vers cette forme de terrorisme se traduit dans le même temps par un plus grand laxisme dans la politique de revendication et de communication de l'EI autour des attentats commis en son nom . Ainsi que l'a souligné M. François-Bernard Huyghe, l'organisation s'est d'abord montrée très formaliste, et a longtemps refusé de revendiquer des attentats en l'absence d'allégeance formelle de leurs auteurs. Cette exigence apparaît aujourd'hui de moins en moins présente, ce qui témoigne de l'adoption d'une stratégie différente : ainsi l'agence de presse de l'EI a-t-elle revendiqué l'attaque de Dallas en 2016, alors même que rien n'est venu prouver que le tireur était vraiment djihadiste.

La rhétorique de Daech apparaît à cet égard particulièrement efficace. Dans le système théologique développé par l'organisation, la hijra -le fait de venir vivre sur une terre musulmane salafiste- et le djihad sont des obligations absolues ; ceux qui n'ont pas la possibilité matérielle de faire la hijra peuvent cependant compenser ce manque en prenant des initiatives, ce qui inclut des passages à l'acte à l'encontre des sociétés « mécréantes » 23 ( * ) . Ce système permet, tout en conservant une organisation très précise au niveau central, d'accueillir toutes les « bonnes volontés ».

Le mode d'action est inédit.

Cette menace nouvelle se caractérise à la fois par son caractère largement imprévisible, par une prédilection pour les cibles dites « molles » et par un mode opératoire rudimentaire.

Des passages à l'acte largement imprévisibles

La menace endogène est principalement portée par des acteurs isolés, inspirés par la propagande de l'EI et présentant des profils variés. Les services de renseignement se trouvent de plus en plus souvent confrontés à des profils difficilement détectables - individus isolés, auto-radicalisés ou agissant dans la plus grande clandestinité -, ce qui complique d'autant leur action de surveillance.

Au-delà des membres de la mouvance radicale endogène identifiés comme tels, les individus souffrant de troubles psychologiques ou psychiatriques représentent également l'une des premières sources de menace, leur passage à l'acte étant tout à fait imprévisible. De tels passages à l'acte ont notamment été observés à l'encontre des forces de sécurité intérieures et des militaires de la force Sentinelle.

• Une prédilection pour les cibles « molles »

Comme d'autres mouvements terroristes avant lui, Daech vise principalement des « cibles molles », c'est-à-dire des victimes innocentes déterminées au hasard.

Si les djihadistes inspirés ont bien souvent des cibles de prédilection, choisies sur des bases communautaires, confessionnelles ou symboliques - les dépositaires de l'autorité publique, et notamment les policiers et militaires, ont ainsi été visés à plusieurs reprises -, tout civil, perçu comme un « mécréant », est considéré comme une cible légitime.

Les attaques sont ainsi susceptibles de se produire en tout lieu du territoire national et notamment contre des lieux à forte fréquentation (centres commerciaux, transports publics, sites touristiques), des lieux de divertissement (stades, salles de concert, restaurants, cinémas) et des bâtiments publics (services publics, édifices religieux, locaux associatifs ou politiques, écoles et universités).

Les services de renseignement soulignent à ce titre que la menace visant les transports collectifs de personnes doit être considérée avec la plus grande attention, dans la mesure où elle est régulièrement relayée par la propagande djihadiste . Al-Qaïda a ainsi appelé à des attaques dans les transports ferroviaires aux États-Unis et en Europe, et notamment en France et en Espagne, dans le 17 e numéro de sa revue Inspire , daté du mois d'août 2017. Daech considère par ailleurs toujours le transport aérien comme une cible privilégiée.

• Des modes opératoires rudimentaires

À partir d'une analyse des attaques les plus récentes et d'un suivi fin de la propagande djihadiste, les services du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale ont identifié les principaux modes opératoires susceptibles d'être employés par les djihadistes « inspirés ».

Il apparaît en premier lieu que les modes opératoires sommaires, dont le caractère rudimentaire ne préjuge par ailleurs pas du nombre de victimes, sont les plus récurrents. Ces modi operandi simples et peu coûteux sont privilégiés en ce qu'ils permettent de se passer assez largement de soutien logistique et financier, et évitent ainsi d'appeler l'attention des services de police.

Six des onze attaques conduites au cours de l'année 2017 ont ainsi utilisé des armes blanches ou des armes rudimentaires telles que des marteaux ou des machettes. Le véhicule-bélier constitue également un mode d'action fréquent : deux attaques de ce type ont été commises sur le territoire français en 2017. Une attaque au camion-bélier a par ailleurs causé la mort de huit personnes à New-York, le 31 octobre 2017.

Le caractère endogène et isolé des passages à l'acte n'exclut cependant pas une certaine professionnalisation . Quatre des projets de passage à l'acte déjoués en 2017 reposaient sur l'utilisation d'engins explosifs improvisés, notamment à base de TATP ou de matières inflammables tels que des combustibles liquides ou des bouteilles de gaz. Les attentats manqués des métros de Londres, le 15 septembre 2017 et de New York, le 11 décembre 2017, démontrent que cette menace reste d'actualité.

Pour autant, dans la mesure où la propagande djihadiste continue d'encourager à des modes opératoires plus sophistiqués et nécessitant d'importants moyens humains et matériels, la menace d'un attentat complexe ne doit pas être sous-estimée.

L'utilisation d'armes à feu, voire d'armes de guerre comme par exemple les fusils d'assaut, reste toutefois difficile à mettre en oeuvre dans la mesure où elle nécessite un lien avec des réseaux criminels, ce qui peut faciliter l'arrestation des auteurs avant leur passage à l'acte.

Si les quatre modes d'action mentionnés ci-dessus ont été les plus fréquemment rencontrés au cours des attaques menées en 2017, d'autres modes opératoires pourraient émerger, non seulement en fonction des préconisations de la propagande, mais également de la progression des capacités techniques des partisans de Daech sur le territoire national.

La vigilance s'impose en particulier devant l'émergence possible d'un cyberterrorisme . Il est en effet envisageable qu'un groupe terroriste développe en propre des capacités d'attaque informatique ou acquière ces compétences auprès d'un groupe mafieux fonctionnant comme des mercenaires. Face à cette menace, la question se pose des garanties de protection offertes par les systèmes de sécurité des opérateurs d'importance vitale (énergie, télécoms, transports).

LE CYBERTERRORISME : UN RISQUE DÉSORMAIS PRIS EN CONSIDÉRATION

Il n'y aurait pas eu jusqu'à présent d'exemples de « cyber-terrorisme »

Certes, au lendemain des attentats de janvier 2015, plusieurs organes institutionnels et collectivités territoriales ont vu leur site Internet piraté, sans conséquences majeures toutefois.

Il a cependant été indiqué à votre commission d'enquête que le risque de terrorisme numérique n'est pas à exclure . En novembre 2016, outre de grandes entreprises, un virus informatique a paralysé un certain nombre d'hôpitaux britanniques. Les systèmes de gestion des analyses sanguines, l'accès au dossier des patients, ou encore le fichier de la banque du sang leur étaient inaccessibles. Et, il suffit au final de très peu de personnes compétentes, et de moyens financiers modestes, pour mener une attaque de grande ampleur. Or, selon les services de renseignement, on observe aujourd'hui une dérive chez certains groupes mafieux qui se spécialisent dans l'attaque informatique. Ces groupes pourraient se transformer en mercenaires et offrir leurs services au plus offrant.

À cela s'ajoute la très croissance exponentielle des objets connectés , ou encore le développement de smart cities se composant d'un agrégat de systèmes interconnectés. Actuellement, comme l'ont signalé les services, un « chef d'orchestre unique » pour l'ensemble de ces systèmes interconnectés et lui permettant d'avoir une vue d'ensemble sur la sécurité informatique n'existe pas toujours. Ainsi, la sécurité, lorsqu'elle est pensée, se fait au niveau de chaque système, laissant potentiellement des points faibles au niveau de l'interconnexion. Enfin, dans le modèle économique 2.0, le premier à lancer un nouveau concept a de grandes chances de devenir le leader du marché. Dès lors, dans cette course contre la mone, les questions de sécurité sont parfois reléguées au second plan .

Or, ce point est d'autant plus préoccupant que les compétences informatiques pour exploiter ces failles de sécurité existent. Mme Myriam Benraad a d'ailleurs qualifié certains djihadistes de « véritables geeks ».

• Un risque cependant persistant malgré les victoires militaires de la coalition

Daech - et certainement d'autres groupes terroristes - a démontré que ses membres ou sympathisants, avaient des compétences d'un certain niveau en matière informatique, au moment même où l'on constate une démocratisation des connaissances dans ce domaine . Ainsi, selon certains experts rencontrés par votre commission d'enquête, le développement d'une application de haut niveau de sécurité permettant d'échanger des messages chiffrés est à la portée d'un étudiant en licence d'informatique « un peu dégourdi » . En outre, les journaux de propagande de Daech contenaient des articles de bon niveau en matière de sécurité numérique.

Enfin, et malgré une prise de conscience et une volonté présumée d'agir, les moyens d'action des États, mais aussi des grands opérateurs de l'Internet restent limités. En effet, les outils de recherche classiques ne donnent accès qu'à 5 % des contenus du web, 90 % se trouvant dans le deep web et 5 % dans le dark web .

c) Les craintes liées à de possibles violences en réaction

Ainsi que l'ont souligné certains services de renseignement devant votre commission d'enquête, la focalisation sur la menace djihadiste ne doit pas laisser occulter la menace terroriste non islamiste, et notamment celle qui pourrait survenir en réaction aux attentats inspirés par l'EI .

Dans certains étrangers, et notamment au Québec ou à Londres, des mosquées ont ainsi été attaquées, prétendument en réponse au terrorisme djihadiste. Ce terrorisme peut venir de l'extrême-droite, par sentiment antimusulman, comme de l'extrême-gauche, dont plusieurs dizaines de militants, notamment issus de la mouvance anarcho-autonome, se sont rendus en Syrie pour combattre l'État islamique, et sont donc formés au maniement des armes.


* 12 Pour une présentation plus détaillée de ce dispositif, voir III-B-4 infra

* 13 Votre commission d'enquête a notamment pu bénéficier d'une présentation du rapport de recherche pour la mission de recherche Droit et justice, Saisir les mécanismes de la radicalisation violente : pour une analyse processuelle et biographique des engagements violents ; avril 2017.

* 14 Rapport (n° 388 ; 2013-2014) de M. Jean-Pierre Sueur fait au nom de la commission d'enquête sur les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes, Filières djihadistes : pour une réponse globale et sans faiblesse , avril 2015.

* 15 Rapport d'information (n° 633 ; 2016-2017) de Mmes Esther Benbassa et Catherine Troendlé, fait au nom de la commission des lois, Les politiques de « déradicalisation » en  France : changer de paradigme , avril 2017.

* 16 Farhad Khosrokhavar, Radicalisation , pages 89-91, Éditions de la Maison des sciences de l'homme, novembre 2014.

* 17 Pierre Conesa, Quelle politique de contre-radicalisation en France ?, Rapport fait pour la fondation d'aide aux victimes du terrorisme, décembre 2014.

* 18 Leur auteur précise que ses recherches « s'appuient sur une enquête exploratoire sur la base d'entretiens biographiques menés en détention auprès de personnes incarcérées pour faits de terrorisme (13 liés à l'islam, 7 nationalistes corses et basques), de quelques autres entretiens conduits ultérieurement, et de sources juridiques et policières ». Leur objet est « de reconstruire des itinéraires de radicalisation, de mieux comprendre la succession des choix, des séquences qui mènent à la violence ».

* 19 Pour l'islam, les sources scripturaires sont le Coran (le livre saint) et la Sunna (la tradition prophétique).

* 20 Le concept est né aux États-Unis dans le contexte du développement du protestantisme : des protestants y soutiennent une interprétation littérale de la Bible et le refus de toute médiation.

* 21 Olivier Roy, La sainte ignorance. Le temps de la religion sans culture , 2008.

* 22 Le mouvement prosélyte du tabligh peut également être considéré comme appartenant à la sensibilité fondamentaliste, par sa lecture littéraliste du Coran et son orthopraxie, même si ce courant se réclame d'une tradition soufie, dont les salafistes combattent, parfois les armes à la main, l'approche. Les fondamentalismes islamiques entretiennent des relations complexes, souvent conflictuelles pour le contrôle de territoires, communautés ou lieux de culte. Dans son discours officiel, le tabligh dit très nettement vouloir engager un combat contre le salafisme, présenté comme une école d'ignorance et se présente comme un rempart. Mais de nombreux jeunes découvrent l'islam via le tabligh avant de rejoindre la mouvance salafiste, voire des organisations radicales.

* 23 Il est ainsi distingué entre les soldats et les lions de l'islam - cette dernière qualification, plus prestigieuse, étant réservée aux combattants qui ont fait la hijra .

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