B. LES INFRACTIONS INTENTIONNELLES

Le chapitre II du titre III du livre IV du code pénal énumère les atteintes à l'administration publique commises par des personnes exerçant une fonction publique, dont les élus locaux. Il en existe trois catégories : les abus d'autorité dirigés contre l'administration, qui recouvrent l'édiction de mesures destinées à faire échec à l'exécution de la loi ; les abus d'autorité dirigés contre des particuliers, tels que les atteintes à la liberté individuelle, les discriminations, les atteintes à l'inviolabilité du domicile ; les manquements au devoir de probité : concussion, corruption, trafic d'influence, prise illégale d'intérêts, délit de favoritisme, soustraction et détournement de biens. Le favoritisme et la prise illégale d'intérêts seront seuls traités ci-dessous : comme le remarquait le professeur Didier Rebut, lors de la table ronde du 5 avril 2018, à propos du risque pénal : « on entend ce discours [sur le risque pénal] à propos des délits non intentionnels, de la prise illégale d'intérêts, du favoritisme. Aucun élu ne parle de risque pénal en matière de corruption ou de trafic d'influence ».

Observons de façon liminaire que tous les « manquements au devoir de probité » ne s'accompagnent pas nécessairement d'un enrichissement personnel de la part de l'élu poursuivi. C'est le cas des infractions de favoritisme et de prise illégale d'intérêts, qui peuvent être caractérisées sans que l'élu ait recherché un intérêt personnel ou ait même eu conscience de frauder.

1. Le favoritisme

Aux termes de l'article 432-14 du code pénal ce délit consiste dans « le fait par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou investie d'un mandat électif public ou exerçant les fonctions de représentant, administrateur ou agent de l'État, des collectivités territoriales, des établissements publics, des sociétés d'économie mixte d'intérêt national chargées d'une mission de service public et des sociétés d'économie mixte locales ou par toute personne agissant pour le compte de l'une de celles susmentionnées de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics et les contrats de concession. »

Les personnes susceptibles d'être mises en cause sont notamment : la personne responsable du marché ou son représentant, les membres des commissions d'appel d'offres ou des commissions de travaux, les membres des services techniques d'une collectivité, les maîtres d'oeuvre.

L'élément matériel nécessaire à la caractérisation du délit réside dans l'intervention d'un acte irrégulier violant les dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics et les contrats de concession.

L'élément intentionnel, lui aussi nécessaire, résulte de l'accomplissement de cet acte en toute connaissance de cause.

C'est sur ce point que se concentre, on le verra par la suite, la critique de l'application jurisprudentielle de l'article 432-14 du code pénal.

2. La prise illégale d'intérêts

Définie par l'article 432-12 du code pénal, la prise illégale d'intérêts s'analyse, sous réserve d'un certain nombre de dérogations énumérées dans le même article, comme le fait, pour une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement.

Contrairement au délit de favoritisme, la prise illégale d'intérêts ne sanctionne pas la violation d'une réglementation. Elle peut découler de tout acte engageant une personne morale de droit public.

Par ailleurs, elle n'exige pas l'existence d'une intention frauduleuse : l'élément intentionnel est caractérisé dès lors que l'auteur a accompli sciemment l'élément matériel constitutif du délit (Cour de cassation, 27 novembre 2002, n°02-81581 ; 9 février 2011, n°10-82988 ; 23 février 2011, n°10-82880).

Ainsi que le rapport de la commission des Lois du Sénat sur la proposition de loi visant à réformer le champ des poursuites de la prise illégale d'intérêts des élus locaux, déposée par Bernard Saugey, l'avait montré en 2010, les éléments constitutifs du délit sont à la fois flous et interprétés de façon extensive par la jurisprudence.

Tout d'abord, la caractérisation du délit exige l'existence d'une tutelle exercée par la personne mise en cause. Les notions d'administration, de liquidation et de paiement couvrent des situations facilement identifiables. En revanche, la notion de surveillance est plus incertaine. Elle peut en effet être retenue à l'égard d'une personne non investie d'un pouvoir de décision autonome et personnel, ou partageant avec d'autres ses prérogatives, elle peut aussi se limiter à une simple association au processus de décision, telle qu'une participation à la préparation de décisions prises par d'autres ( cf . Cass. Crim., 14 juin 2000).

Par ailleurs, le délit est constitué indépendamment de ce que la personne mise en cause a ou non cherché à s'enrichir personnellement, ou a ou non été à la recherche d'un gain ou de tout autre avantage personnel. L'intérêt sanctionnable peut être matériel ou moral, direct ou indirect. Il n'est pas nécessairement en contradiction avec l'intérêt communal.

Aboutissement logique de la rigueur du juge pénal dans l'interprétation des éléments constitutifs du délit, un arrêt rendu le 22 octobre 2008 par la chambre criminelle de la Cour de cassation a suscité une forte incompréhension dans le monde des élus locaux. Tout en confirmant les décisions antérieures, il a encore élargi la notion d'intérêt quelconque, retenant cette qualification en ce qui concerne la présidence, par les élus concernés, d'associations municipales : « l'intérêt, matériel ou moral, direct ou indirect, pris par des élus municipaux en participant au vote des subventions bénéficiant aux associations qu'ils président entre dans les prévisions de l'article 432-12 du code pénal ; [...] il n'importe que ces élus n'en aient retiré un quelconque profit et que l'intérêt pris ou conservé ne soit pas en contradiction avec l'intérêt communal ».

Pour le juge, les élus « sont soumis à l'obligation de veiller à la parfaite neutralité des décisions d'attribution des subventions à ces associations ». En conséquence, « l'infraction est constituée même s'il n'en résulte ni profit pour les auteurs ni préjudice pour la collectivité », l'élément moral du délit résultant de ce que l'acte a été accompli sciemment.

La prise illégale d'intérêts n'exige donc pas pour sa constitution, une intention frauduleuse : l'intention coupable est caractérisée, dès lors que l'auteur de l'infraction a accompli sciemment l'acte constituant l'élément matériel du délit ( cf . Cass. Crim., 27 novembre 2002).

Notons que si les subventions accordées avec le concours d'élus à des associations que ceux-ci président représentent un cas type de mise en jeu de la responsabilité pénale des élus locaux pour prise illégale d'intérêts, la mise en oeuvre des pouvoirs des élus en matière d'urbanisme, d'embauche de personnel, de contrats de fournitures, travaux ou services, et toutes circonstances dans lesquelles leur impartialité pourrait être suspectée constituent un vaste réservoir de faits éventuellement générateurs de la responsabilité des élus locaux en application de l'article 432-12 du code pénal.

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