II. LES INFRACTIONS INTENTIONNELLES

A. LE DÉLIT DE FAVORITISME

1. Le débat

Les conditions de mise en oeuvre du délit de favoritisme sont un point important pour les élus locaux.

Le débat se concentre sur la caractérisation de l'intentionnalité. Lors de la table ronde réunie par la délégation le 5 avril dernier, la mise en oeuvre jurisprudentielle de l'article 432-14 du code pénal sur le délit de favoritisme a suscité une très forte critique de la part de Didier Rebut, professeur des universités à Paris II Panthéon-Assas : « Des délits comme celui de favoritisme sont devenus extrêmement objectifs », « La mise en oeuvre du délit de favoritisme par la Cour de cassation et les juges du fond est la plus formelle et la plus mécanique qui soit ». Il poursuit : « En matière de favoritisme notamment, on voit le foisonnement de la réglementation. Le délit sanctionne la violation de la réglementation en tant que telle. La jurisprudence a fait en sorte que le délit pénal soit en lui-même caractérisé. Là encore, le texte a été dénaturé : les positions sur l'avantage injustifié, l'élément intentionnel, ont été totalement balayées par la jurisprudence. L'élu a donc l'impression d'être dans une nasse : une infraction dont il ne maîtrise pas la mise en oeuvre lui tombe dessus. »

Dans un récent article consacré aux évolutions du risque pénal dans la gestion publique locale, Nathalie Laval-Mader, maître de Conférences à l'Université de Toulouse I - Capitole, a exprimé une appréciation plus que mitigée sur le traitement jurisprudentiel de ce délit : « La jurisprudence en a fait une infraction quasi matérielle, considérant qu'il n'est nullement besoin que l'auteur des faits ait agi dans le but de favoriser un candidat ; seule la conscience d'avoir enfreint la loi suffit. Or, considérant que "nul n'est censé ignorer la loi", le juge présume cette intention coupable de la seule qualité de l'auteur (élu ou fonctionnaire). En d'autres termes, dès lors que l'auteur est un élu ou agent, il est présumé avoir eu connaissance des textes. D'où la transformation insidieuse de ce délit intentionnel en délit quasi matériel, en méconnaissance des réalités dans les collectivités territoriales (problèmes de moyens juridiques et humains pour se prémunir contre le risque). »

En sens contraire, la DACG expose que si la Cour de cassation a développé une appréciation stricte de la preuve de l'élément intentionnel conformément à sa jurisprudence globale sur la preuve de l'intention, l'intention frauduleuse en matière de favoritisme n'en est pas pour autant présumée par le juge. Les juges du fond s'appuient en effet sur divers éléments de fait tels que la conclusion régulière d'autres marchés caractérisant la connaissance des procédures à appliquer (Cass. crim. 20 mai 2009 n°08-87.354), la réitération des faits, l'avertissement préalable de l'administration compétente (Cass. crim. 25 juin 2008 n° 07-88.373) pour retenir l'élément intentionnel.

La DCAG précise par ailleurs que sont exclues du champ de la répression les violations qui n'ont eu aucune conséquence sur l'attribution du marché public, avant de conclure que « l'introduction d'un dol spécial en matière de favoritisme rendrait la caractérisation de l'infraction extrêmement difficile et risquerait par conséquent de porter atteinte à l'efficacité de la répression nécessaire afin de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans la commande publique. Enfin, l'expérience montre que les enquêtes pénales initiées pour des faits de favoritisme constituent parfois la portée d'entrée à la révélation de faits plus graves encore, comme des délits de prise illégale d'intérêts, voire de corruption, que seule l'enquête pénale peut, avec les moyens coercitifs qu'elle autorise, permettre de révéler. Restreindre le champ du délit de favoritisme conduirait ainsi à une diminution des signalements adressés aux parquets, qui ne seraient plus en mesure de rechercher s'il existe des infractions sous-jacentes. » On notera simplement, à l'égard de ce dernier élément d'argumentation, qu'il apparaîtrait étrange de maintenir une conception extensive des éléments constitutifs du délit de favoritisme à la seule fin de se garder les moyens de débusquer éventuellement d'autres délits au cours de l'enquête. Au regard de ce que l'un des intervenants du colloque organisé au Sénat en mars 2006 sur la mise en oeuvre de la loi du 10 juillet 2000 appelait « la brutalité de la procédure pénale », cette justification n'est évidemment pas à retenir.

1. Pistes et propositions

En fonction de ce qui vient d'être dit, l'opportunité de modifier la législation sur le délit de favoritisme afin de mieux protéger les dépositaires de l'autorité publique et les personnes chargées d'une mission de service public contre une interprétation extensive de la condition relative à l'intentionnalité ne s'impose pas avec la plus entière évidence.

Il ne semble pas prudent de trancher prématurément par une initiative législative un débat dont les tenants et aboutissants ne sont pas suffisamment éclairés.

L'examen exhaustif de la jurisprudence proposé plus haut pour objectiver l'ampleur du risque pénal subi par les élus locaux permettra de mieux discerner la justification éventuelle d'une modification législative.

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