B. DES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION EUROPÉENNE MOINS AMBITIEUSES QUE PRÉVU

1. Un plafond de dépenses inférieur aux ambitions précédemment affichées

La Commission européenne a proposé le 2 mai dernier un budget pour la période 2021-2027 s'élevant à 1 135 milliards d'euros en crédits d'engagement 16 ( * ) (euros constants), ce qui correspond à 1,114 % du revenu national brut (RNB) de l'Union européenne à 27 États membres , contre 1 % actuellement. Compte tenu de l'inflation, la Commission européenne a précisé que ce niveau est comparable à la taille du budget actuel pour la période 2014-2020, avec la participation de 28 États membres. D'après les informations transmises par la direction du budget à votre rapporteur spécial, les propositions de la Commission européenne pourraient entraîner une hausse de la contribution de la France au budget de l'UE de l'ordre de 6 milliards d'euros sur la période 2021-2027 .

Ce plafond de dépenses est inférieur à ce qui avait été initialement envisagé par la Commission européenne. En effet, lors de la conférence sur l'avenir du budget de l'Union européenne post-2020 en janvier 2018, le commissaire Günther Oettinger avait affirmé la nécessité de relever le niveau du plafond de dépenses au-delà de 1 % du RNB des 27 États membres de l'Union européenne . À la suite de ces déclarations, le Parlement européen, soutenu par le Comité des régions, a adopté une résolution le 14 mars dernier en se prononçant en faveur d'une hausse du plafond de dépenses de l'Union européenne à hauteur de 1,3 % du RNB. Or, la Commission européenne a finalement proposé un cadre financier pluriannuel pour la période 2021-2027 d'un montant inférieur. De plus, ce plafond intègre désormais le Fonds européen pour le développement. En neutralisant l'élargissement du périmètre retenu, le plafond de dépenses s'établit à 1,08 % du RNB de l'Union européenne, soit une augmentation très modeste par rapport aux ambitions initiales .

Certes, le cabinet de la ministre chargée des affaires européennes, Nathalie Loiseau, tout comme les membres du cabinet du commissaire Günther Oëttinger, ont assuré à votre rapporteur spécial que ce niveau de dépenses pourrait encore évoluer à la hausse au cours des négociations à venir. Néanmoins, votre rapporteur spécial regrette que la Commission européenne ne se soit pas alignée sur les ambitions portées par le Parlement européen . Il est vrai que l'augmentation du plafond de dépenses de l'Union européenne entraînerait une hausse sensible de la contribution annuelle des États membres, à moins que de nouvelles ressources substantielles soient trouvées, notamment en matière de lutte contre l'évasion fiscale. Cette hausse semble envisageable pour votre rapporteur, compte tenu de l'amélioration de la conjoncture au sein de l'Union européenne, de la nécessité de préserver les dépenses en matière agricole et celles relevant de la politique de cohésion.

De plus, votre rapporteur spécial tient à souligner que l'ensemble des interlocuteurs rencontrés ont témoigné des difficultés à comparer les montants entre les deux programmations , étant données les divergences dans les modes de présentation. Le Parlement européen a d'ailleurs exprimé « sa surprise et son inquiétude » quant à ces imprécisions dans une résolution relative au cadre financier pluriannuel 2021-2027 et aux ressources propres, adoptée le 30 mai dernier. Le Comité des Régions, dont votre rapporteur spécial a rencontré un représentant à Bruxelles, a également dénoncé ce manque de clarté dans les annonces de la Commission européenne du 2 mai dernier. Votre rapporteur spécial estime que ce manque de transparence nuit à la bonne tenue d'un débat démocratique et participe, selon lui, à un climat de défiance à l'encontre des institutions de l'Union européenne .

2. Le financement de nouvelles priorités politiques...

Propositions de la Commission européenne pour le CFP 2021-2027

(crédits d'engagement, en millions d'euros)

Rubrique

2021

2022

2023

2024

2025

2026

2027

Marché unique, innovation et numérique

25 421

25 890

26 722

26 604

27 000

27 703

28 030

Cohésion et valeurs

54 593

58 636

61 897

63 741

65 645

69 362

68 537

Ressources naturelles et environnement

53 403

53 667

53 974

54 165

54 363

54 570

54 778

Migration et gestion des frontières

3 264

4 567

4 873

5 233

5 421

5 678

5 866

Sécurité et défense

3 347

3 495

3 514

3 695

4 040

4 386

5 039

Voisinage et le monde

15 669

16 054

16 563

17 219

18 047

19 096

20 355

Administration publique

11 024

11 383

11 819

12 235

12 532

12 949

13 343

Total

166 721

173 694

179 363

182 892

187 047

193 743

195 947

Source : Commission européenne

Dans la continuité du document de réflexion sur l'avenir des finances de l'Union européenne, publié par la Commission européenne en juin 2017, et conformément aux propos du président de la Commission Jean-Claude Juncker lors de son discours sur l'état de l'Union du 13 septembre 2017, les propositions pour le prochain cadre financier pluriannuel visent à accroître le financement de nouvelles priorités politiques . Par conséquent, les crédits dédiés à la défense et la sécurité devraient être augmentés pour s'établir à 27,5 milliards d'euros courants sur sept ans, dont 13 milliards d'euros environ seraient consacrés au fonds européen de défense qui aura pour objectif de soutenir la compétitivité de l'industrie de défense européenne. De plus, un effort budgétaire serait réalisé en faveur de la gestion des frontières extérieures dont les crédits seraient triplés pour atteindre 34,9 milliards d'euros contre 13 milliards d'euros au cours de la programmation précédente, et avec l'objectif de doter l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes d'un corps permanent de 10 000 agents opérationnels d'ici 2027. Le marché unique, le soutien à l'innovation et au numérique feront l'objet d'une même rubrique budgétaire, qui comprendra l'ensemble des programmes de recherche et les fonds associés. En matière de recherche, un nouveau programme intitulé « Horizon Europe » serait mis en place et doté de 97,6 milliards d'euros courants environ. Le budget consacré au numérique devrait passer de 35 milliards d'euros à 70 milliards d'euros.

Si le financement de ces nouvelles priorités politiques semble pertinent à votre rapporteur spécial, il regrette le manque de pédagogie de la Commission européenne sur les montants proposés . Lors de son déplacement à Bruxelles, il a interrogé les membres du cabinet du commissaire Günther Oettinger, sur les déterminants des enveloppes proposées, sans obtenir de réponse exhaustive. À titre d'exemple, l'objectif de porter à 10 000 le nombre d'agents de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, alors que la France estimait que 5 000 agents était un seuil satisfaisant, n'a pas été justifié. La Commission européenne a répondu à votre rapporteur spécial que ces montants avaient fait l'objet d'études d'impact, mais sans en détailler les conclusions.

Votre rapporteur spécial note que ces observations sont partagées par la Cour des comptes européenne. Dans un document d'information relatif au prochain cadre financier pluriannuel publié le 10 juillet 2018 17 ( * ) , la Cour des comptes européenne relève que les changements de priorités proposés entre les domaines de dépenses ne sont ni clairement expliqués, ni justifiés par la Commission européenne . La Cour des comptes européenne souligne en particulier que, si la Commission européenne a justifié ses réorientations budgétaires par la notion de « valeur ajoutée européenne », sa communication en date du 2 mai 2018 ne propose pas de réelle évaluation de la « valeur ajoutée européenne » de chaque programme. Pour rappel, la Commission européenne a défini la notion de « valeur ajoutée européenne » dans son document de réflexion sur l'avenir des finances de l'Union européenne, publié le 27 juin 2017. En application de cette notion, le financement européen de politiques publiques doit permettre de réaliser les objectifs fixés dans le traité sur l'Union européenne (TUE), être consacré à des biens publics de dimension européenne, et défendre les libertés fondamentales, le marché unique ou l'Union économique et monétaire (UEM) 18 ( * ) . Votre rapporteur spécial regrette que la définition de cette notion ne réponde pas à des critères budgétaires objectifs et quantifiés alors même qu'elle est invoquée par la Commission européenne, et certains États membres, pour justifier le choix de nouvelles priorités politiques.

La valeur ajoutée européenne et le financement au titre du budget de l'UE

Source : Document de réflexion sur l'avenir des finances de l'UE

Par ailleurs, votre rapporteur spécial regrette que l'effort budgétaire envers les nouvelles priorités politiques - défense, sécurité, jeunesse et innovation - conduise à une hiérarchisation des dépenses européennes au détriment de la politique agricole commune et de la politique de cohésion . D'après les annonces détaillées de la Commission européenne du 1 er juin 2018, les crédits alloués à la PAC seraient réduits de 12 % environ en euros constants (prix 2018), ce qui reviendrait à une réduction de 5 % environ en euros courants, mais en intégrant un taux d'inflation annuelle de 2 %. La Commission européenne a précisé que la réduction des crédits serait accompagnée de réformes globales de la PAC et de la politique de cohésion pour en accroître l'efficacité. Pour cette dernière, l'attribution des fonds sera réalisée sur la base de nouveaux indicateurs tels que le taux de chômage, l'impact des changements climatiques, le respect par les États membres des objectifs européens d'accueil et d'intégration des migrants, en plus de celui du produit intérieur brut (PIB) par habitant.

Votre rapporteur spécial estime que la défense ambitieuse d'une augmentation de la contribution des États membres au financement du budget de l'Union européenne aurait permis d'éviter l'effet de sélection budgétaire dans les orientations du prochain cadre financier pluriannuel. Il s'inscrit ainsi dans la continuité des résolutions adoptées par le Sénat en faveur d'une sanctuarisation des crédits de la PAC et de la politique de cohésion, respectivement les 6 juin et 2 juillet derniers.

3. ... qui pourraient se traduire par des réductions de crédits à destination des territoires les plus fragiles

La baisse annoncée de la politique de cohésion devrait se traduire principalement par une réduction de l'ordre de 45 % du fonds de cohésion dont les premiers bénéficiaires sont les États membres d'Europe centrale. La France devrait connaître une diminution d'environ 5,4 % des crédits au titre de la politique de cohésion. Si elle semble ainsi relativement préservée par rapport à ses partenaires européens, l'ensemble des régions françaises verraient leur taux de cofinancement européen diminuer dans le cadre de la prochaine programmation. Votre rapporteur spécial regrette cette évolution qui pourrait pénaliser les territoires et collectivités territoriales les plus fragiles dans le financement de projets locaux .

Concernant la politique agricole commune, le fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), qui finance le deuxième pilier, devrait connaître une réduction d'environ 13 % de ses crédits pour s'établir à 78,8 milliards d'euros environ pour la période 2021-2027 d'après la Commission européenne. Comme il l'a déjà souligné à l'occasion de l'examen de la loi de règlement et de sa participation aux travaux du groupe de suivi relatif à la politique de cohésion européenne, votre rapporteur spécial rappelle au Gouvernement le besoin de soutenir une meilleure prise en compte des territoires ruraux dans les négociations du prochain cadre financier pluriannuel , et il considère que les propositions de la Commission européenne n'intègrent pas suffisamment les besoins des territoires non métropolitains de l'Union européenne . Dans cette perspective, votre rapporteur salue l'orientation des travaux de la commission agriculture du Parlement européen qui a dénoncé à plusieurs reprises la baisse des crédits dédiés à la politique agricole commune. Dans son projet d'avis sur le rapport intermédiaire sur le cadre financier pluriannuel, le député européen Peter Jahr a souligné que « l'agriculture ne saurait subir de préjudice financier à la suite de décisions politiques telles que le retrait du Royaume-Uni de l'Union ou le financement de nouvelles politiques européennes », mais également que l'ampleur des coupes budgétaires opérées varie en fonction des paramètres de calcul utilisés par la Commission européenne.


* 16 En euros constants, calculé à partir de l'indice des prix de 2018. D'après la Commission européenne, en euros courants sur la période 2021-2027, le plafond de dépenses s'élèverait à 1 279 milliards d'euros en crédits d'engagement.

* 17 The Commission's proposal for the 2021-2027 Multiannual Financial Framework - Briefing Paper (disponible à ce jour uniquement en anglais)

* 18 Document sur l'avenir des finances de l'Union européenne, p. 11.

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