III. VERS UN MEILLEUR ANCRAGE INSTITUTIONNEL DES DÉLÉGATIONS AUX DROITS DES FEMMMES ?

Lors de l'échange de vues sur la révision constitutionnelle, organisé au sein de la délégation le 29 mars 2018, s'est exprimé le souhait, largement partagé, de renforcer la visibilité de la délégation ainsi que son ancrage au sein de l'institution sénatoriale . Cette préoccupation ne peut qu'être encouragée par les exemples parlementaires étrangers développés ci-après, dont l'analyse montre que les délégations françaises aux droits des femmes gagneraient à participer dans de meilleures conditions aux débats législatifs dans leur domaine de compétences.

A. L'ORIGINALITÉ DES DÉLÉGATIONS FRANÇAISES AUX DROITS DES FEMMES PAR RAPPORT AUX STRUCTURES SIMILAIRES D'AUTRES PARLEMENTS EUROPÉENS

À la demande de la délégation, un questionnaire a été adressé aux assemblées parlementaires membres du CERDP (Centre européen de recherche et de documentation parlementaires) 141 ( * ) sur la structure qui, au sein de leurs assemblées, est compétente dans le domaine des droits des femmes et de l'égalité femmes-hommes.

La typologie réalisée à partir des 22 réponses reçues par le Sénat 142 ( * ) , qui émanent de pays membres du continent européen, du Canada et de la Turquie ainsi que de parlements internationaux (le Parlement européen et l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe), fait apparaître trois modèles d'organisation du travail parlementaire dans le domaine des droits des femmes .

Elle souligne l'originalité des délégations française et renforce l'intérêt d'une structure parlementaire dédiée, dotée de compétences réelles, se rapprochant de celles de commissions parlementaires.

1. Parlements où n'existe aucune structure spécifiquement dédiée aux droits des femmes

Dans ce contexte, les thématiques en lien avec l'égalité femmes-hommes sont traitées par d'autres commissions permanentes.

La commission chargée de la famille a été considérée comme la commission de référence en Pologne (commission de la famille et de la politique sociale), au Bundestag allemand (commission des affaires familiales, des personnes âgées, des femmes et de la jeunesse), dans les Pays-Bas , en Estonie et en Norvège (commission des affaires familiales et culturelles).

La commission chargée du travail a été parfois désignée comme structure compétente en matière de droits des femmes : ainsi la commission sur le marché du travail du Parlement suédois , car elle traite les questions concernant l'égalité salariale.

La commission compétente dans le domaine de la justice a également été chargée des questions relatives à l'égalité femmes-hommes, comme c'est le cas au Parlement irlandais avec la commission de la justice et de l'égalité ( Committee on Justice and Equality) .

Au Parlement finlandais , l'égalité femmes-hommes se partage entre la commission du travail et de l'égalité et la commission de la loi constitutionnelle.

On notera que l'absence de commission dédiée peut s'expliquer, notamment dans le contexte des pays nordiques, par une situation favorable à l'égalité femmes-hommes dans la société , en lien avec une éducation égalitaire, ce qui ne fait pas apparaître de nécessité spécifique pour porter cette thématique dans le contexte parlementaire.

Par ailleurs, lorsqu'il n'existe pas de commission spécifique dans un Parlement, certaines réponses adressées au secrétariat de la délégation mentionnent l'existence de réseaux parlementaires ou de groupes de travail dédiés à l'égalité entre les femmes et les hommes . Le rôle de ces instances n'est cependant pas conçu pour participer au débat législatif. On peut notamment citer à cet égard l'exemple du groupe de travail sur l'égalité des sexes au Parlement, sans compétence législative, au Riksdag suédois 143 ( * ) , ou encore le réseau des femmes parlementaires en Finlande, actif depuis 1991. On relèvera également l'existence, au sein du Parlement européen, d'un réseau dédié aux questions d'égalité des sexes ( Gender mainstreaming network ), composé d'un représentant par commission permanente.

2. Exemples de structures traitant les droits des femmes avec les autres formes de discrimination

Le d euxième type d'organisation est celui d'assemblées parlementaires qui comptent des structures dédiées, mais au sein desquelles les problématiques en lien avec les droits des femmes sont traitées avec la lutte contre les autres formes de discrimination .

C'est le cas de la commission sur l'égalité et la non-discrimination de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE), qui a le même statut que les autres commissions de l'APCE et qui, jusqu'en 2012, était spécialisée dans l'égalité des chances entre les femmes et les hommes. Malgré cette évolution, dans la pratique, une grande partie des travaux de cette commission porte toutefois sur les droits des femmes.

On peut également citer dans cette catégorie le Parlement tchèque , qui compte une commission aux affaires familiales, à l'égalité femme-homme et à l'émancipation des minorités nationales.

Dans un esprit comparable, une commission des femmes et de la jeunesse existe au Bundesrat allemand .

Enfin, on citera le cas du Parlement portugais , qui dispose d'une sous-commission pour l'égalité et la non-discrimination, structure qui ne traite pas spécifiquement de l'égalité femmes-hommes, et qui est intégrée à la commission des affaires constitutionnelles, des droits, des libertés et des garanties dont elle émane. On notera que cette sous-commission dispose de compétences spécifiques pour le contrôle de la mise en oeuvre des cinq plans stratégiques nationaux relatifs à des questions d'égalité et de non-discrimination 144 ( * ) , sous l'autorité de la commission dont elle dépend.

3. Organes dédiés aux questions d'égalité entre les femmes et les hommes

Il s'agit souvent d'une commission permanente , disposant des mêmes prérogatives que les autres commissions du Parlement .

Le Parlement européen compte ainsi une Commission des droits des femmes et de l'égalité des sexes , dont les sujets d'étude sont très proches de ceux récemment étudiés par la délégation (violences faites aux femmes, agricultrices, mutilations sexuelles féminines...).

De plus, la Chambre des communes britanniques a mis en place une Commission des femmes et de l'égalité ( women and equalities committee ), créée à l'origine, en 2015, à titre temporaire, et devenue une commission permanente en 2017 en vertu du règlement de la chambre des communes. Cette commission a les mêmes prérogatives que les autres commissions du Parlement britannique.

De même, le Parlement espagnol compte une commission permanente dédiée aux questions d'égalité entre les sexes, tant au Congrès des députés (Commission de l'égalité - Comision de Igualdad ) qu'au Sénat (Commission de l'égalité des sexes). On relèvera par ailleurs l'existence d'une commission non législative, au Congrès des députés, dont le champ d'étude porte spécifiquement sur la mise en oeuvre du Pacte national contre la violence de genre , comportant 200 mesures de lutte contre les violences faites aux femmes et qui devrait conduire à l'adoption de mesures législatives plus protectrices. Adopté en juillet 2017, cet accord a donné lieu à un vote du Parlement.

Le Parlement autrichien compte également, dans chacune de ses chambres, une commission permanente dédiée à l'égalité, qui a le même statut que les autres commissions.

La Chambre des députés canadienne a créé un Comité permanent de la condition féminine, tandis que les droits des femmes et l'égalité femmes-hommes sont traités par une commission et une sous-commission au périmètre plus vaste dans la seconde chambre du pays ( comité permanent des droits de la personne et le sous-comité sur la diversité du comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration ).

On notera également la création, en 2016, à la Chambre des députés canadienne, d'un comité spécial 145 ( * ) - temporaire - sur l'équité salariale.

La Chambre des députés roumaine compte une Commission pour l'égalité des chances entre les femmes et les hommes et autorise la double appartenance avec une autre commission. Cette commission, qui a le même statut que les autres commissions permanentes, est, entre autres missions, chargée de contrôler l'application des dispositions relatives à l'égalité des chances entre les femmes et les hommes dans les traités internationaux ratifiés par la Roumanie 146 ( * ) .

Enfin, le Parlement danois dispose d'une commission permanente dédiée à l'égalité des chances ( committee for equal opportunities ) depuis 2011 ; son périmètre d'intervention correspond à celui du ministère de l'égalité des chances ( Minister for Equal Opportunities ).

À la Grande Assemblée de Turquie , les droits des femmes relèvent de la Commission sur l'égalité des chances entre les femmes et les hommes ( Committee on Equality of Opportunity for Women and Men) , créée par une loi de 2009. On observe que l'appartenance à cette commission est ouverte en priorité aux femmes et aux spécialistes des droits humains. En outre, cette commission présente la spécificité de traiter les plaintes émises par les citoyens pour violation de l'égalité entre les femmes et les hommes ou pour une discrimination fondée sur le sexe 147 ( * ) .

De manière générale, les réponses au questionnaire de la délégation soulignent que les commissions amenées à traiter des questions d'égalité entre les hommes et les femmes et de droits des femmes sont majoritairement composées de femmes , le déséquilibre étant souvent très net. En outre, l'intitulé de ces commissions se réfère rarement aux « droits des femmes », mais beaucoup plus fréquemment à « l'égalité des chances » entre les femmes et les hommes.

On notera en conclusion que la France occupe une place originale dans cette typologie, avec une structure dédiée, dont il faut souligner l'intérêt, mais sans les compétences législatives associées à une commission .

De plus, force est de reconnaître que la notion de « délégation » , qui semble être une spécificité française , rend la nature de cette structure fort peu audible par nos homologues étrangers , dont les réponses adressées en langue anglaise se réfèrent aux termes de « committee » ou de « commission ».


* 141 Le Centre européen de recherche et de documentation parlementaires (CERDP), créé en juin 1977 à la demande des présidents des Assemblées parlementaires européennes , est un instrument de coopération parlementaire et d'échange d'informations. Il regroupe le Parlement européen , l' Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe , les chambres composant les parlements des États membres de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe ainsi que les pays ayant le statut d'observateur à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (Canada, Israël et Mexique).

* 142 Ces réponses ont été rédigées en anglais.

* 143 Riksdag Working Group for Gender Equality Issues.

* 144 National Plan on Gender equality, citizenship and non-discrimination ; National Plan for the prevention and combat of domestic violence and gender violence ; National Plan for the prevention and elimination of female genital mutilation ; National plan for the prevention and combat of human being trafficking ; Strategic Plan for gender promotion and women empowerment in the Community of the Portuguese-Speaking Countries (CPLP) .

* 145 Contrairement aux comités permanents, les comités spéciaux cessent d'exister au moment où ils présentent leur rapport final à la chambre.

* 146 “Monitoring of the application of the provisions on equal opportunities and treatment of women and men in the international documents raitified by Romania” (Source : Note CERDP envoyée par la Chambre des députés roumaine en réponse à la demande de la délégation).

* 147 “Another important function of the committee is to consider applications related with the claims on violation of the equality between women and men and discrimination based on gender” (Source : Note CERDP envoyée par la Grande Assemblée de Turquie en réponse à la demande de la délégation).

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