E. LES PROPOSITIONS DE LA DÉLÉGATION POUR RENFORCER LA PARITÉ DANS LA CONSTITUTION

Parallèlement à la modification adoptée par l'Assemblée nationale en juillet 2018, que la délégation préconise depuis la fin de 2016 et dont elle recommande le maintien par le Sénat, la délégation souhaite que la prochaine révision constitutionnelle soit l'occasion de modifier l'article premier de la Constitution de 1958 pour garantir l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales.

1. « Garantir », et non plus « favoriser », l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales

Depuis 1999, les termes du débat sur la parité ont changé. Celle-ci est désormais, comme cela a été dit plus haut, entrée dans les moeurs et le monde politique s'est davantage ouvert aux femmes.

En 1999, le verbe « favorise » a été retenu de préférence à d'autres termes : « établit », « assure », « garantit ». L'objectif était de préserver la faculté, pour le législateur, de prévoir des mesures de discrimination positive (ou de ne pas en prévoir) , et d'apprécier le niveau de contrainte dont il souhaiterait que ces mesures éventuelles soient assorties.

Ce faisant, le constituant a semble-t-il encouragé une certaine ambiguïté , puisque le verbe « favoriser » signifie tout autant « avantager » (ce qui justifierait des mesures de discrimination positive) que « aider », « protéger », soutenir » (sens qui validerait des dispositions moins contraignantes). Cela a été relevé au cours de l'échange de vues du 29 mars 2018.

Lors de son audition par la délégation, le 5 juillet 2018, Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur de Droit public à l'Université de Bordeaux, a estimé que cet alinéa pourrait être rédigé en préservant le verbe « favoriser », de manière à prévoir que « La loi favorise l'accès des femmes (et non plus « l'égal accès des hommes et des femmes ») aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales ».

Cette rédaction présente le mérite de la clarté, car elle pose clairement le principe selon lequel la parité vise précisément à lever les freins à l'accès des femmes aux mandats et fonctions électives .

À plusieurs reprises, la délégation aux droits des femmes du Sénat s'est interrogée sur la rédaction du second alinéa de l'article premier de la Constitution, regrettant qu'une formulation plus ambitieuse n'ait été adoptée ni en 1999, ni en 2008.

Lors de l'examen du rapport d'information adopté en avril 2013 en vue de l'examen du projet de loi relatif à l'élection des sénateurs 136 ( * ) , la délégation s'était prononcée en faveur de la recommandation suivante :

« Recommandation n° 5 . - La délégation recommande, à l'occasion d'une prochaine révision constitutionnelle, de substituer le verbe ? garantir ? au verbe ? favoriser ? dans le deuxième alinéa de l'article premier de la Constitution relatif à l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives ».

À l'occasion de l'échange de vues organisé le 29 mars 2018 dans la perspective de la révision constitutionnelle, la délégation s'est déclarée favorable à la même substitution.

Rien ne s'oppose en effet - sinon des considérations d'opportunité - à la formulation d'une obligation pour le législateur, en matière de parité, par l'emploi du verbe « garantir » :

- le préambule de 1946 dispose que « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme » ;

- l'article 4 de la Constitution prévoit que « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ».

Le constituant a donc déjà prévu des situations où il impose des obligations au législateur . Pourquoi ne pas soumettre ce dernier à la même exigence en matière d'égal accès aux mandats électifs et aux responsabilités ?

2. Une proposition de la délégation : adosser ses compétences à un second alinéa de l'article premier de la Constitution reformulé pour y faire figurer l'égalité entre femmes et hommes aux côtés de l'égal accès aux mandats et aux responsabilités

La délégation propose de reformuler le second alinéa de l'article premier de la Constitution , relatif à la parité , pour y incorporer également le principe d'égalité devant la loi des femmes et des hommes défini par le préambule de 1946 (alinéa 3) . Cette proposition serait indépendante de la modification défendue au premier alinéa de l'article premier, pour poser le principe de l'égalité devant la loi de tous les citoyens « sans distinction de sexe ».

Les avantages de cette formule consisteraient :

- à rassembler en un alinéa cohérent (le second alinéa de l'article premier) les dispositions concernant l'égalité entre femmes et hommes et la parité , qui lui est liée : ces principes ne se trouveraient donc plus répartis entre différents textes (le préambule de 1946 et le second alinéa de l'article premier) ;

- à reformuler le principe d'égalité entre femmes et hommes , qui figure à l'alinéa 3 du préambule de 1946, pour que les droits des femmes ne soient plus considérés comme un « rattrapage » de droits reconnus en premier aux hommes ;

- à adosser l'égalité femmes-hommes au principe de l'égal accès aux mandats et responsabilités , les deux notions se complétant et se renforçant.

Il se trouve que cette modification rendrait la Constitution française comparable à certaines dispositions de constitutions étrangères qui posent le principe de l'égalité entre femmes et hommes, tout en autorisant expressément, dans l'esprit de l'exemple canadien précédemment évoqué, des mesures destinées à compenser les inégalités qui empêchent l'égalité réelle :

- l'article 3 de la Constitution allemande (1) Tous les êtres humains sont égaux devant la loi. (2) Hommes et femmes sont égaux en droits. L'État promeut la réalisation effective de l'égalité en droits des femmes et des hommes et agit en vue de l' élimination des désavantages existants . ») ;

- l'article 7 de la Constitution autrichienne (« (1) Tous les citoyens de la fédération sont égaux devant la loi. Les privilèges tenant à la naissance, au sexe, à l'État, à la classe et à la religion sont exclus [...]. (2) La Fédération, les Länder et les communes souscrivent à une égalité de fait entre les femmes et les hommes . Des mesures visant à promouvoir l'égalité de fait entre les femmes et les hommes, en particulier en éliminant des inégalités effectivement existantes , sont admissibles. ») ;

- l'article 11 de la Constitution du Luxembourg 137 ( * ) [...] (2) Les femmes et les hommes sont égaux en droits et en devoirs. L'État veille à promouvoir activement l'élimination des entraves pouvant exister en matière d'égalité entre femmes et hommes. ») ;

- l'article 8 de la Constitution suisse 3. L'homme et la femme sont égaux devant la loi. La loi pourvoit à l'égalité de droit et de fait, en particulier dans les domaines de la famille, de la formation et du travail. L'homme et la femme ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale. ») ;

- l'article 6 de la Constitution finlandaise Tous les hommes sont égaux devant la loi. Nul ne peut sans raison valable faire l'objet d'une discrimination fondée sur le sexe, l'âge, l'origine, la langue, la religion, les convictions, les opinions, l'état de santé, un handicap ou tout autre motif lié à la personne. L'égalité des sexes est développée dans les activités sociales et dans la vie professionnelle , notamment dans la fixation des rémunérations et des autres conditions de travail , conformément à des dispositions plus précises fixées par la loi . ») ;

- l'article 16 de la Constitution suédoise , qui proscrit toute différence de traitement à raison du sexe , sauf si l'objectif est de promouvoir l'égalité entre femmes et hommes ou s'il s'agit d' obligations militaires ( « No act of law or other provision may imply the unfavourable treatment of a citizen on grounds of gender, unless the provision forms part of efforts to promote equality between men and women or relates to compulsory military service or other analogous official duties »).

Dans la logique proposée par la délégation :

- le premier alinéa de l'article premier 138 ( * ) traiterait des garanties fondamentales reconnues aux citoyens dans leur ensemble , sans distinction de sexe, d'origine ou de religion (le mot « race » ayant été supprimé par les députés) ;

- le second alinéa de cet article porterait sur les garanties reconnues en termes d' égalité entre femmes et hommes (égalité de droits ; égal accès aux mandats et aux responsabilités).

La délégation estime que cet alinéa pourrait être ainsi rédigé :

- « La loi garantit des droits égaux aux femmes et aux hommes. Elle assure (ou « organise ») l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales ».

Cette première formule évite la répétition du verbe « garantir ». Elle le réserve à l'intervention du législateur en matière d'égalité de droits, comme le fait déjà le troisième alinéa du préambule de 1946. Elle donne par ailleurs mandat au législateur pour « organiser » (ou « assurer ») la parité, ce qui supprime l'ambiguïté du verbe « favoriser » et clarifie la portée de l'intervention de la loi.

Quelle que soit la rédaction retenue à cet égard, cette proposition est importante car elle permet de conforter la délégation en appuyant ses compétences sur une disposition cohérente de la Constitution .

La délégation souhaite donc reformuler le second alinéa de l'article premier de la Constitution, pour y intégrer sous une forme adaptée à notre époque le principe d'égalité des hommes et des femmes devant la loi, défini par le préambule de 1946, pour que ce principe et l'objectif de parité figurent dans le même texte.

La délégation préconise que le second alinéa de l'article premier de la Constitution soit modifié, afin que :

- la loi « garantisse » des droits égaux aux femmes et aux hommes ;

- et que le principe de parité soit renforcé , de sorte que la loi « assure » l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives et mandats électoraux , ainsi qu'aux responsabilités professionnelle et sociales .

La délégation juge opportun que ses compétences s'appuient sur une disposition cohérente de la Constitution.

3. L'approfondissement de la responsabilité des partis et groupements politiques en matière de parité

La délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale a, à juste titre, recommandé, dans le rapport qu'elle a consacré au projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace 139 ( * ) , de modifier l'article 4 de la Constitution 140 ( * ) pour que les partis politiques soient appelés à « mettre en oeuvre » (et non plus simplement à « contribuer à la mise en oeuvre ») le principe d'égal accès aux mandats et fonctions électives.

La délégation adhère à cette formulation qui va dans le sens d'un renforcement de la responsabilité des partis politiques en matière de parité .

La délégation recommande donc que, à l'article 4, les partis politiques « mettent en oeuvre » l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions électives (au lieu de : « contribuent à la mise en oeuvre »).

Ces modifications de la Constitution de 1958 dans un sens renforçant l'importance de l'égalité entre hommes et femmes dans notre loi fondamentale contribueraient à légitimer l'action des délégations parlementaires aux droits des femmes, en leur permettant de s'adosser à une volonté explicite du constituant en faveur des droits des femmes.

Ce constat pose toutefois la question de l'avenir de structures parlementaires qui, depuis leur création en 1999, ont fait leurs preuves, et qui mériteraient probablement de disposer de moyens juridiques accrus pour remplir leurs missions.


* 136 Élection des sénatrices et des sénateurs : vers plus d'égalité ? , rapport d'information fait au nom de la délégation aux droits des femmes par Laurence Cohen, n° 533 (2012-2013).

* 137 http://data.legilux.public.lu/file/eli-etat-leg-recueil-constitution-20161020-fr-pdf.pdf

* 138 « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. »

* 139 Rapport d'information fait par Marie-Pierre Rixain au nom de la délégation aux droits des femmes, Assemblée nationale, n° 1095, XV e législature.

* 140 « Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie.

Ils contribuent à la mise en oeuvre du principe énoncé au second alinéa de l'article 1 er dans les conditions déterminées par la loi.

La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation. »

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