III. RENFORCER LA PROTECTION DES FRONTIÈRES EXTÉRIEURES

Le renforcement de la protection des frontières extérieures avait, logiquement, fait l'objet des propositions les plus nombreuses de la commission d'enquête, dans quatre domaines différents : les capacités de contrôle aux points de passage frontaliers, le devenir des hotspots , le recours aux systèmes automatisés de contrôle des personnes et les moyens budgétaires.

A. RENFORCER LES CAPACITÉS DE CONTRÔLE AUX POINTS DE PASSAGE FRONTALIERS

Afin de renforcer les capacités de contrôle aux points de passage frontaliers (PPF), la commission d'enquête avait formulé six propositions : doter les garde-frontières et garde-côtes de la réserve de réaction rapide déployés sous l'égide de Frontex des mêmes pouvoirs et capacités décisionnelles que leurs homologues nationaux, créer un véritable corps de garde-frontières et de garde-côtes européens habilités à effectuer les contrôles à la frontière extérieure de l'espace Schengen, mettre en place une régulation de l'implantation des PPF au niveau national, adapter la répartition des PPF entre la police aux frontières et les douanes aux évolutions du trafic, avec l'idée de transférer les PPF aériens de plus de 200 000 passagers par an à la police aux frontières, réviser la répartition des PPF à intervalles réguliers et fusionner les agents de contrôle aux frontières en un corps de garde-frontières unique.

La commission d'enquête a été suivie de façon inégale sur ces sujets, dont certains relèvent, il est vrai, du moyen, voire du long terme.

• La direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) du ministère de l'action et des comptes publics a indiqué qu'elle n'avait pas inscrit ses moyens en garde-côtes dans la réserve d'intervention rapide au regard des contraintes excessives que représenterait la mise à disposition permanente de Frontex d'un moyen lourd de type navire ou aéronef. Ses moyens aéronavals participent néanmoins à diverses opérations pilotées par Frontex en Méditerranée, au sud de la Sicile et de la Grèce. En revanche, les agents des douanes terrestres garde-frontières participent à cette réserve d'intervention rapide.

Actuellement, les agents déployés dans le cadre d'exercices menés pour tester la force d'intervention rapide continuent d'agir dans le respect des règles de l'État hôte sans disposer des mêmes pouvoirs que leurs homologues de celui-ci. Toutefois, Frontex mène une analyse juridique avec les administrations partenaires pour définir les conditions d'emploi des agents et des moyens lors de ses opérations.

La direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) du ministère de l'intérieur a indiqué, quant à elle, que les garde-frontières déployés dans le cadre des opérations conjointes ou de la réserve rapide disposent de pouvoirs limités : surveillance statique, patrouilles, consultation des bases de données européennes (système d'information Schengen, SIS, système d'information sur les visas, VIS, Eurodac), relevés d'empreintes, expertise des documents de voyage, vérifications approfondies des conditions d'entrée, recueil d'informations auprès des migrants, etc.

Une réflexion est toutefois en cours sur la délégation de prérogatives de puissance publique visant à renforcer l'efficacité et l'intégration de ces garde-frontières au niveau local. Ces pouvoirs délégués aux garde-frontières européens s'exerceraient sous l'autorité et le contrôle permanent de l'État hôte.

Ces nouvelles prérogatives pourraient concerner le compostage des documents de voyage des ressortissants des États tiers ou la consultation des bases internationales, notamment la base SLTD 15 ( * ) d'Interpol sur les documents volés, détournés, égarés et invalidés, mais la question sensible de l'accès aux bases de données nationales reste posée.

Selon la DCPAF, « il paraît difficile d'aller au-delà » car toute mesure administrative faisant grief telle que la notification d'une mesure de non-admission ou le placement en zone d'attente ne peut être prononcée que par des garde-frontières de l'État hôte. De la même manière, tout acte de procédure judiciaire telle que la notification d'une fiche de recherche, ne peut être établi que par des agents ou officiers de police judiciaire nationaux dûment habilités. Selon la DCPAF, « cette approche du contrôle et de la surveillance des frontières nécessite par ailleurs des modifications de la norme européenne et de la Constitution de la plupart des États membres ».

Votre collègue Jean-Yves Leconte considère qu'aller au-delà exigerait que les États acceptent et assument un transfert de souveraineté en matière de politiques de contrôle des frontières et d'immigration, et leur communautarisation. Celle-ci engendrerait alors le besoin d'une politique d'asile unifiée et une convergence des politiques d'immigration. Cette perspective n'apparait pas aujourd'hui comme assumée par les responsables politiques européens actuels.

• Sur la création d'un véritable corps de garde-frontières et de garde-côtes européens, vos rapporteurs rappellent que le Président de la République a pris position, dans son discours de la Sorbonne du 26 septembre 2017, pour la mise en place d'une police européenne des frontières . Le SGAE a indiqué que « des réflexions interministérielles ont débuté en lien avec cette proposition ».

Du reste, un renforcement en ce sens des capacités de Frontex , créée en 2004, était déjà engagé depuis l'entrée en vigueur de son nouveau règlement 16 ( * ) . Celui-ci a sensiblement élargi les compétences de Frontex, rebaptisée Agence européenne de gardes-frontières et garde-côtes, en vue d'une gestion intégrée des frontières extérieures : Frontex est appelée à établir une stratégie opérationnelle et technique, à superviser le contrôle effectif des frontières via l'évaluation de vulnérabilité correspondant à l'appréciation, fondée sur des critères objectifs, de la capacité et de l'état de préparation des États membres en matière de gestion des frontières extérieures.

Frontex joue également un rôle grandissant dans l'organisation d'opérations de retour de migrants en situation irrégulière , à la demande d'États membres ou pour mutualiser les retours. En 2017, l'agence a ainsi été à l'origine de 370 de ces opérations qui prennent le plus souvent la forme de vols aériens et qui ont concerné au total 14 000 personnes, soit environ 10 % des 150 000 retours relevés depuis le territoire de l'Union européenne, pour un coût de 60 millions d'euros, soit environ 20 % du budget de l'agence (plus de 4 285 euros par personne expulsée). Cette évolution devrait d'ailleurs s'accentuer. Le Conseil européen du 28 juin dernier a ainsi établi un lien entre le contrôle des frontières extérieures de l'Union européenne et les retours en considérant qu'il était « nécessaire d'accélérer sensiblement le retour effectif des migrants en situation irrégulière » et que, « à ces deux égards, le rôle d'appui joué par Frontex, notamment dans le cadre de la coopération avec les pays tiers, devrait être encore renforcé par une augmentation des ressources et un mandat consolidé ».

La constitution d'une réserve de réaction rapide (RRR) , effective depuis le 7 décembre 2016, vient compléter le dispositif opérationnel de Frontex et constitue une nouvelle étape vers une gestion plus intégrée des frontières extérieures de l'Union européenne .

Point de contact national de Frontex, la DCPAF a indiqué que, depuis sa création, Frontex organise des opérations conjointes aux frontières extérieures des États membres. Chaque année, elle élabore un programme de déploiement de garde-frontières et négocie avec chaque État membre sa contribution. Ces agents sont référencés en fonction de leur profil dans une base informatique gérée conjointement par Frontex et les États membres, qui représente à l'échelle européenne environ 5 000 agents bénéficiant de formations spécifiques dispensées par Frontex. Ainsi, la douane a participé à un exercice organisé par Frontex à la frontière entre la Bulgarie et la Turquie, en octobre 2017, ayant pour but de coordonner la participation de plusieurs administrations au sein de différents États membres pour une seule et même opération de surveillance des frontières terrestres.

Plus généralement, la Commission a présenté des propositions , le 12 septembre dernier, visant à renforcer le mandat et les prérogatives de Frontex . La déclaration franco-allemande de Meseberg, du 19 juin 2018, appelait ainsi à « l'amélioration de la protection des frontières extérieures de l'Europe grâce à un renforcement ambitieux de Frontex en termes de personnel et de mandat » et proposait, « au-delà du court terme », de « mettre en place une véritable police européenne aux frontières à partir de l'agence Frontex existante ». Le Conseil européen du 28 juin dernier est allé dans le même sens.

LES DERNIÈRES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION RELATIVES
AU CORPS EUROPÉEN DE GARDE-FRONTIÈRES ET DE GARDE-CÔTES

Le renforcement du mandat de Frontex avait conduit à la mise en place d'un corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, composé de contributions volontaires des États membres.

C'est ce corps européen que la Commission propose de renforcer.

Le corps européen de garde-frontières et de garde-côtes serait désormais permanent . Il rassemblerait du personnel de Frontex, ainsi que des garde-frontières et des experts en matière de retour détachés ou déployés par les États membres selon une clef de répartition déterminée en 2016 pour la réserve de réaction rapide. L'objectif est que ce corps compte 10 000 agents d'ici à 2020 . Les agents nationaux présents au titre de missions à court terme seraient progressivement remplacés par du personnel statutaire de l'agence et des agents détachés à long terme par les États membres. Les contributions nationales n'auraient pas de répercussions sur l'activité au sein des États membres grâce à la mise en place d'un mécanisme de soutien financier spécifique. La réserve de réaction rapide serait remplacée, et sa fonction assurée par le corps européen permanent.

Ce corps européen disposerait de pouvoirs étendus, en particulier celui d'effectuer des contrôles aux frontières et des tâches en matière de retour au même titre que le personnel des États membres . Ces missions impliquent des pouvoirs d'exécution : sous l'autorité et le contrôle de l'État membre d'accueil, aux frontières extérieures, ces agents pourraient effectuer des contrôles d'identité, autoriser ou refuser l'entrée aux PPF, apposer des cachets sur les documents de voyage, effectuer des patrouilles aux frontières et intercepter les personnes qui ont traversé la frontière de façon irrégulière.

Le corps européen n'assumerait pas la responsabilité de la protection des frontières extérieures de l'Union, qui resterait une prérogative des États membres . Toutes ses opérations seraient placées sous le contrôle et le commandement de l'État membre d'accueil.

Le corps européen de garde-frontières et de garde-côtes pourrait intervenir dans les cas suivants : à la demande d'un État membre, sur décision du directeur exécutif de l'agence et conformément au plan opérationnel convenu entre l'agence et l'État membre concerné ; en cas d'urgence : la décision de lancer une intervention d'urgence, en dehors d'une demande d'un État membre, serait prise uniquement en dernier recours, lorsque l'intérêt de l'Union l'exige (menace sur le fonctionnement de l'espace Schengen, absence de mesure de la part d'un État membre consécutive à une évaluation de vulnérabilité, défis spécifiques et disproportionnés aux frontières extérieures, par exemple). Dans ce cas, la Commission, et non le Conseil comme dans le règlement en vigueur, pourrait décider de confier à Frontex l'exécution des mesures opérationnelles appropriées.

Le corps européen pourrait également apporter une aide dans l'exécution des procédures de retour, notamment en préparant les décisions de retour ou en accompagnant les ressortissants de pays tiers qui font l'objet d'une procédure de retour forcé. Le soutien apporté aux États membres aux fins du retour des migrants en séjour irrégulier constitue l'une des priorités du corps européen. Les États membres conserveraient la responsabilité de l'adoption et de l'exécution des décisions de retour , mais Frontex pourrait proposer l'organisation de retours, financer des opérations conjointes et apporter un soutien à des départs volontaires de migrants. La Commission indique que, depuis janvier 2017, trois réserves en matière de retour, composées d'accompagnateurs, d'observateurs et de spécialistes des retours, ont été mises en place et sont disponibles pour intervenir dans les États membres, en particulier lorsqu'ils sont confrontés à une forte pression. En 2017, 14 884 personnes ont été renvoyées avec l'appui du corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, et 8 966 autres entre janvier et août 2018.

Outre l'organisation et le financement conjoints d'opérations de retour, Frontex serait aussi en mesure d'apporter son soutien à des procédures de retour dans les États membres, notamment par l'identification de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, l'obtention de documents de voyage et la préparation des décisions de retour pour les autorités nationales, la décision finale relative au retour demeurant de la compétence des États membres.

Frontex pourrait acquérir son propre équipement (navires, avions et véhicules), disponible à tout moment. Dans l'exercice de leurs missions, les membres du corps européen pourraient être autorisés à porter une arme de service , des munitions et équipements, sous réserve de l'autorisation du pays d'accueil et conformément à la législation nationale applicable . Les armes de service ne pourraient être utilisées qu'à titre exceptionnel et dans des conditions clairement définies (autodéfense et légitime défense).

Frontex serait autorisée, sous réserve de l'accord préalable du pays concerné, à lancer des opérations conjointes et à déployer du personnel en dehors de l'Union européenne . L'agence peut déjà lancer des opérations conjointes et déployer des agents dans les pays voisins de l'Union européenne sur le fondement d'un accord préalable - un accord de ce type a été conclu avec l'Albanie et d'autres sont en cours de négociation avec plusieurs pays des Balkans occidentaux. La proposition de la Commission donnerait la possibilité de conclure de tels accords également avec des pays non voisins de telle sorte que le corps européen puisse apporter sur le terrain une aide à la gestion des frontières et des migrations, y compris dans les pays d'origine et de transit. Cela permettrait aussi une assistance en matière de retour.

Selon votre collège Jean-Yves Leconte, il convient toutefois de veiller à ce que les accords conclus ne soient pas obtenus sur la base d'une négociation liée avec les négociations d'adhésion à l'Union européenne des pays concernés. Ce serait un chantage à l'adhésion De plus, Frontex ne saurait participer à l'organisation d'une privation de liberté hors du territoire de l'Union européenne. L'action de Frontex hors de l'Union européenne ne saurait s'inscrire en violation de la convention de Genève et de la CEDH.

Un cycle stratégique pluriannuel pour la gestion européenne intégrée des frontières serait mis en place afin de définir des objectifs communs et partagés et d'assurer la coordination des stratégies intégrées de gestion des frontières adoptées à l'échelon national et de l'Union européenne. Ce cycle s'appuierait sur une analyse des risques préparée par Frontex tous les deux ans et fournirait des orientations politiques pour les années à venir.

Par ailleurs, la proposition de la Commission vise à faire évoluer le système européen de surveillance des frontières (Eurosur) . Celui-ci constitue un cadre commun pour l'échange d'informations et la coopération entre les autorités chargées de la surveillance des frontières extérieures terrestres et maritimes de l'Union. Eurosur permet ainsi de signaler rapidement les incidents et les flux migratoires et fournit une analyse partagée des risques, ainsi qu'un mécanisme d'intervention à différents niveaux territoriaux. La Commission propose de transformer Eurosur en un véritable cadre de gouvernance dans son domaine de compétences . Son champ d'action serait élargi afin d'inclure les informations sur les contrôles aux PPF et la surveillance des frontières aériennes, ce qui donnerait plus de visibilité à l'Union européenne sur la situation dans les pays tiers.

• Pour la régulation de l'implantation des PPF au niveau national, la DGDDI s'est dite « favorable à la mise en place d'une procédure dédiée à l'attribution ou au refus du statut de point de passage frontalier à certains aéroports ou ports au regard des demandes des autorités locales avec recours à des critères objectifs ».

Néanmoins, au-delà de cette déclaration d'intention, vos rapporteurs n'ont pas été informés de la mise en place d'un dispositif spécifique de régulation par les autorités françaises.

• Sur l'adaptation de la répartition des PPF entre la police aux frontières et les douanes aux évolutions du trafic, certaines avancées peuvent être relevées.

Ainsi, pour ce qui concerne la douane, une première révision de la cartographie des PPF avait eu lieu en 2016 et conduit à la déqualification de 13 PPF sur 131 dont le trafic extra-Schengen était nul ou résiduel. La douane s'est dite « favorable à la reprise des négociations menées avec la police des frontières sur la révision de la cartographie des PPF afin d'envisager le transfert de certains au trafic important à la PAF ». La DCPAF et la DGDDI ont d'ailleurs prévu une réunion relative à la répartition des PPF aériens. La DCPAF est favorable à la reprise du PPF de Montpellier, sous la réserve d'un transfert des emplois budgétaires de la DGDDI correspondants.

• La DGDDI a indiqué être « favorable à l'instauration d'un cycle de réunions régulières sur la répartition des points de passage », mais, là aussi, aucune autre information plus précise n'a été fournie à vos rapporteurs.

• Enfin, sur la fusion des agents de contrôle aux frontières en un corps de garde-frontières unique, la DGDDI s`est montré réticente, estimant que « la conservation de plusieurs corps assurant cette mission (DCPAF, DGDDI) permet de tirer parti des compétences des deux administrations ». Selon elle, « il semble préférable de rester sur cette organisation en veillant à une bonne coordination au niveau central comme local ».


* 15 Stolen or Lost Travel Documents.

* 16 Règlement (UE) 2016/1624 du 14 septembre 2016 relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, modifiant le règlement (UE) 2016/399 et abrogeant le règlement (CE) n° 863/2007, le règlement (CE) n° 2007/2004 et la décision 2005/267/CE.

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