B. MAIS UN VIVIER DE TALENTS MENACÉ

1. Derrière les grands succès, une représentation des sportifs ultramarins dans le haut niveau en demi-teinte

Derrière les podiums et porte-drapeaux très visibles, la représentation des sportifs ultramarins dans le haut niveau français semble également remarquable. Ainsi, si l'on considère les listes ministérielles de sportifs, intégrant sportifs de haut niveau - catégories élite, sénior, relève et conversion -, collectifs nationaux et espoirs, les territoires ultramarins comptent 554 sportifs recensés en 2018 sur la liste du ministère des sports .

Sportifs inscrits sur listes ministérielles en 2018

Nombre de sportifs sur listes*

Ratio pour

10 000 habitants

Sportifs de haut niveau**

Ratio SHN pour 10 000 habitants

Saint-Pierre-et-Miquelon

2

3,32

0

0

Martinique

89

2,34

11

0,29

Guadeloupe et Îles du Nord

125

2,82

21

0,47

La Réunion

211

2,48

46

0,54

Mayotte

2

0,08

0

0

Guyane

38

1,46

2

0,08

Nouvelle-Calédonie

82

3,05

26

0,97

Polynésie française

4

0,14

2

0,07

Wallis-et-Futuna

1

0,82

1

0,82

Outre-mer

554

2,00

109

0,39

France entière

13 450

1,98

4 925

0,73

Source : Délégation sénatoriale aux outre-mer, d'après les chiffres du ministère des sports, base SHN

* : sont prises en compte ici l'ensemble des listes Élite, Senior, Relève, Reconversion, Espoir et Collectifs.

** : sont prises en compte ici les seules listes Élite, Senior, Relève, Reconversion.

Ce nombre, s'il est important, est à mettre en regard du nombre de sportifs sur les mêmes listes à l'échelle de la France entière, qui s'élève à 13 450. Les sportifs ultramarins représentent ainsi 4,1 % des sportifs inscrits sur les listes ministérielles , soit l'équivalent de la représentation démographique des territoires ultramarins dans la population nationale.

Cependant, en regardant à l'échelle des territoires, on peut observer de grandes disparités en termes de ratios par habitant. Alors qu'au niveau national on compte environ 1,98 sportif inscrits sur liste pour 10 000 habitants, cette moyenne est sensiblement inférieure en Guyane mais surtout extrêmement inférieure à Mayotte, Wallis-et-Futuna et en Polynésie française. La Guadeloupe, la Martinique, La Réunion, la Nouvelle-Calédonie et Saint-Pierre-et-Miquelon se démarquent en revanche en dépassant les moyennes nationales , et ce parfois très largement.

Surtout, une nuance importante est cependant à apporter à ce constat. En effet, on peut constater qu'en ne prenant en compte les seules listes de haut niveau (Élite, Senior, Relève et Reconversion), le ratio de sportifs s'effondre (0,39 sportif de haut niveau pour 10 000 habitants) par rapport à la moyenne nationale (0,73).

Aussi, si l'on s'intéresse à la répartition précise des sportifs selon les listes, que décrit le tableau ci-après, on peut relever une surreprésentation de sportifs inscrits sur liste « Espoir » . Aussi, si l'on produit un ratio de sportifs sur les quatre listes de haut niveau par rapport au nombre de sportifs en liste « Espoir », ce ratio est considérablement plus bas dans les territoires ultramarins (0,27) que sur la France entière (0,74). Il convient à ce titre de s'interroger : la déperdition constante entre les inscrits sur la liste « Espoir » et les sportifs répertoriés sur les quatre listes de haut niveau résulte-t-elle, du fait de l'absence d'encadrants et de structures adéquats, d'un gaspillage de talents en raison d'une impossibilité des sportifs d'accéder aux plus hauts niveaux ou bien est-elle la conséquence de départs de sportifs vers d'autres territoires mieux dotés en structures de haut niveau pour l'entraînement, au premier rang desquels figure l'hexagone ? L'absence de traçabilité ne permet pas d'apporter de réponse claire mais, dans les deux cas, la capacité des territoires à faire fructifier les talents est en cause.

Répartition des sportifs inscrits sur les différentes listes ministérielles en 2018

Élite

Senior

Relève

Reconversion

Espoir

Collectifs

SHN*

SHN/

espoirs

Saint-Pierre-et-Miquelon

0

0

0

0

1

1

0

0

Martinique

3

1

7

0

76

2

11

0,14

Guadeloupe

1

2

17

1

98

4

21

0,21

La Réunion

6

6

23

11

145

24

46

0,32

Mayotte

0

0

0

0

2

0

0

0

Guyane

0

0

2

0

31

5

2

0,06

Nouvelle-Calédonie

3

10

12

1

47

11

26

0,55

Polynésie française

0

0

2

0

2

0

2

1,00

Wallis-et-Futuna

0

1

0

0

0

0

1

0

Outre-mer

13

20

63

13

402

47

109

0,27

France entière

804

1239

2701

181

6677

1981

4925

0,74

Source : Délégation sénatoriale aux outre-mer, d'après les chiffres du ministère des sports, base SHN

* Le total « sportifs de haut niveau (SHN) » correspond à la somme des catégories élite, senior, relève et reconversion.

Il faut cependant nuancer les données disponibles sur la présence des sportifs ultramarins dans l'élite sportive nationale du fait d'un biais méthodologique difficilement réductible. Ainsi, sont ici comptés dans la liste nationale comme sportifs ultramarins les seuls sportifs rattachés à des clubs basés dans les territoires ultramarins . Un sportif né outre-mer, ayant grandi et s'étant formé outre-mer n'est plus identifiable comme tel lorsqu'il se rattache à un club hexagonal, ce qui est souvent le cas dans un parcours de haut niveau. De la même façon, un sportif originaire d'outre-mer mais ayant grandi en France et donc étant rattaché à un club hexagonal n'est pas identifiable comme ultramarin dans la liste.

Enfin, il faut signaler l'existence de listes territoriales de sportifs de haut niveau , en Nouvelle-Calédonie 61 ( * ) et en Polynésie française 62 ( * ) , dont les critères sont fixés par les délibérations de chacune des collectivités. Elles sont indépendantes des listes ministérielles mais ouvrent des droits ou suivis particuliers au niveau territorial pour les sportifs identifiés. La liste calédonienne « d'excellence territoriale » comprend trois catégories, performance, avenir et officiels techniques, quand la liste polynésienne en compte cinq : élite junior, excellence junior, élite senior, excellence sénior et reconversion.

2. Une perte de vitesse ?

Depuis plusieurs années, un sentiment de perte de niveau ou de moindre nombre de sportifs pouvant atteindre le sport de haut niveau se fait sentir dans les territoires ultramarins. Ghani Yalouz, directeur général de l'INSEP, évoquait 63 ( * ) ainsi « le problème de la banalisation de nos champions . Les outre-mer ont connu une génération de sportifs aux palmarès impressionnants comme Marie-José Pérec, Christine Arron ou Muriel Hurtis. Ces athlètes ont fait des carrières brillantes, ce qui a, paradoxalement, endormi notre vigilance pour repérer les jeunes talents ».

Marcelin Chingan, élu de la ville du Moule en Guadeloupe, alertait 64 ( * ) ainsi la délégation : « les performances risquent d'être compromises à l'avenir par le manque de moyens mis à disposition de la jeunesse. La perte de vitesse est d'ores et déjà perceptible dans le domaine de l'athlétisme ! »

Guy Ontanon 65 ( * ) , référent des territoires ultramarins de la Fédération française d'athlétisme, constatait d'ailleurs auprès de la délégation cette perte de vitesse dans sa discipline : « Nous avons constaté que depuis 10 ou 12 ans ces terres de champions étaient nettement moins pourvoyeuses de médailles au niveau international . Aux derniers Jeux olympiques et au dernier Championnat du monde, seuls trois représentants de la Martinique et de la Guadeloupe étaient présents dans les équipes de France. Il y a une quinzaine d'années, les outre-mer représentaient environ 50 % de l'effectif ». Face à ce constat, la Fédération française d'athlétisme a missionné l'entraîneur pour redynamiser la pratique de haut niveau de l'athlétisme outre-mer, et particulièrement aux Antilles, terres de prédilection de champions de ces disciplines, afin de « développer l'accueil des athlètes en situation de handicap, dans les outre-mer, relancer le haut niveau et lutter contre la baisse de représentativité des ultramarins. Il faut amener la formation sur les territoires, amener des équipes qui formeront les différents entraîneurs de Martinique, de Guadeloupe, de La Réunion ou de Nouvelle-Calédonie ». Guy Ontanon expliquait ainsi que la fédération menait, grâce à Ladji Doucouré, ancien champion du monde du 110 mètres haie, une opération du nom de Golden Blocks dont l'objectif est d'amener l'athlétisme au coeur des cités pour détecter les talents dans les outre-mer.

Dans la perspective des Jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024, une mission d'étude a été confiée à l'entraîneur Claude Onesta pour la haute performance sportive. Les rapporteures regrettent que les spécificités des territoires et sportifs ultramarins n'aient pas été prises en compte dans son rapport : la haute performance doit passer par les outre-mer.


* 61 Délibération n° 60 du 6 octobre 2011, modifiée le 30 décembre 2015.

* 62 Arrêté n° 23 CM du 14 janvier 2016 relatif au sport de haut niveau, arrêté n° 23 CM du 14 janvier 2016 relatif au sport de haut niveau, arrêté n° 135 PR du 24 janvier 2008 relatif au suivi médical des sportifs, arbitres et juges de haut niveau, arrêté n° 647 PR du 30 août 2016 modifié portant établissement de la liste des sportifs de haut niveau, délibération n° 99-176 APF du 14 octobre 1999 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives en Polynésie française et arrêté n° 23 CM du 14 janvier 2016 relatif aux critères de performance pour l'inscription sur la liste des sportifs de haut niveau.

* 63 Déplacement à l'INSEP du 2 février 2018.

* 64 Audition de l'Association nationale des élus en charge du sport (ANDES) du mardi 22 mai 2018.

* 65 Audition du mouvement sportif national du mercredi 23 mai 2018.

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