B. UNE « VICTOIRE À LA PYRRHUS » DE L'ACTUELLE COMMISSION, FAUTE DE CONCLUSION DES NÉGOCIATIONS AVANT MAI 2019 ?

1. La priorité essentielle pour la Commission européenne

Initialement, la Commission européenne a vu son projet de réforme accueilli avec un fort scepticisme 19 ( * ) aussi bien de la part des États membres, des représentants du monde agricole, des membres du Parlement européen, des parlementaires nationaux, du public universitaire que des groupes de réflexion (les « think tank » ).

Elle est pourtant parvenue à éviter que son projet ne soit substantiellement modifié durant le premier semestre de négociation de juillet à décembre 2018, pendant la présidence autrichienne à laquelle a succédé la présidence roumaine.

Ce paradoxe apparent s'explique par une conjonction de plusieurs facteurs : le souci par la Commission, qui détient le pouvoir de proposition, de défendre aussi ses propres priorités, le caractère très technique des discussions, la focalisation rapide de l'opinion publique sur l'ampleur des coupes budgétaires, enfin les préoccupations divergentes des « grands » États, comme des « petits » pays, ceux-ci étant d'ailleurs traditionnellement plus « suiveurs » à l'égard de la Commission.

Dans le prolongement des travaux de la présidence autrichienne, la nouvelle présidence roumaine a organisé, le 28 janvier 2019, une première réunion des ministres de l'Agriculture consacrée à la future PAC. À l'ordre du jour de cette réunion figurait, en priorité, le nouveau mode de mise en oeuvre proposé pour la PAC . Et, une nouvelle fois, les échanges de vues n'ont pas abouti à une « percée conclusive » sur ce point.

Le mécanisme envisagé avait d'ailleurs suscité, d'emblée, de vives interrogations. La Commission européenne s'était engagée à fournir des réponses aux questions posées par des illustrations concrètes des nouvelles procédures envisagées. À la connaissance de vos rapporteurs, ces assurances n'ont pas encore été pleinement fournies. Lors de la réunion des ministres de l'Agriculture du 19 novembre 2018, le dispositif envisagé avait d'ailleurs, à nouveau, fait l'objet de nombreuses critiques. Il conviendrait pourtant que les problèmes décrits précédemment en termes de complexité, de risque de distorsions de concurrence, ou de « renationalisation » de la PAC, soient résolus avant d'envisager un « saut dans l'inconnu ».

La résolution du Sénat du 6 juin 2018 « juge(ait) indispensable que la Commission européenne apporte rapidement des garanties effectives sur le nouveau mode de mise en oeuvre qu'elle envisage pour la PAC, au regard du très fort risque de création de distorsions de concurrence » et considérait que, « faute de disposer de ces informations, le schéma de simplification proposé par la Commission européenne ne serait qu'une pétition de principe ».

Au total, les réunions se succèdent, mais les États membres agissent isolément, sans remettre en cause l'économie générale du nouveau mode de mise en oeuvre de la PAC conçu par la Commission. Plus le temps passe, plus les grandes lignes du projet se trouvent mécaniquement confortées, ne serait-ce que par inertie .

Manifestement, aucun des acteurs du dossier ne semble méconnaître les problèmes en suspens. Pourtant, faute d'opposition clairement exprimée au-delà de simples réserves et des interrogations, ce nouveau schéma de mise en oeuvre pourrait s'imposer, en quelque sorte par défaut, à l'usure.

2. Faute de temps, un accord impossible avant les prochaines élections européennes

D'ores et déjà, la complexité technique du dossier de la future PAC conjuguée aux incertitudes pesant sur son financement aboutissent à un « dérapage » certain du calendrier prévisionnel d'élaboration de la réforme : il apparaît désormais impossible d'aboutir à un accord sur ces bases avant l'élection du prochain Parlement européen, le 26 mai 2019.

Pour mémoire, le lancement de l'ensemble du processus de réforme est antérieur à la publication, le 1 er juin 2018, des propositions législatives de la Commission européenne puisqu'il remonte au début de l'année 2017.

Présentation du calendrier initial
et des premières étapes du processus de réforme de la future PAC 2021-2027 :
un schéma idéal, désormais hors d'atteinte

• 29 novembre 2017 : « coup d'envoi » des négociations sur la future PAC, amorcées par la communication de la Commission européenne sur « l'avenir de l'alimentation et de l'agriculture ». Ce document prospectif avait été enrichi par une consultation publique, recueillant près de 350 000 participations de citoyens et agriculteurs ;

• de décembre 2017 à mai 2018 : réalisation d'une étude d'impact et élaboration des propositions législatives par la Commission européenne ;

• 10 mars 2018 : adoption, par le Conseil, des conclusions de la Présidence sur la future PAC, soutenues par 23 États membres ;

• 2 mai 2018 : publication de la proposition de la Commission européenne du Cadre Financier Pluriannuel (CFP) pour la période 2021-2027 ;

• 30 mai 2018 : adoption d'un rapport d'initiative du Parlement européen sur la future PAC ;

• 1 er juin 2018 : publication des propositions législatives de la Commission ;

• 18 juin 2018 : premier Conseil des ministres de l'Agriculture consacré à l'examen des propositions législatives de la Commission ;

• de juin à décembre 2018 : période prévue pour les négociations interinstitutionnelles ;

• printemps 2019 : objectif d'adoption d'un accord politique pour la prochaine PAC 2021-2027 par le Conseil et le Parlement européen.

Les propositions législatives de la Commission européenne seront examinées et amendées 20 ( * ) à la mi-février 2019 par la commission AGRI, avant que le Parlement européen ne se prononce, in fine , sur la base de la version ainsi modifiée des trois textes, en séance plénière. Le vote aura lieu à la majorité simple.

Parallèlement, le Conseil de l'Union européenne devrait se prononcer sur la proposition de la Commission en adoptant une orientation générale constituant une « position commune » à la majorité qualifiée (55 % des États représentant au moins 65 % de la population européenne).

Interviendrait ensuite la phase dite de « trilogue », à laquelle participeraient le rapporteur du Parlement européen, la présidence du Conseil de l'Union européenne et la Commission européenne. Lors de ces réunions, les trois institutions s'attacheraient à trouver un compromis sur la base des trois versions des projets de règlement : la proposition de la Commission, celle du Parlement et celle du Conseil.

Le compromis, qui serait trouvé à l'issue de cette phase dite de « trilogue », nécessiterait ensuite d'être adopté par le Conseil et par le Parlement européen.

À l'heure où ces lignes sont écrites, seul apparaît probable le vote de la commission AGRI, dans le courant du mois de février 2019, sur les projets de rapport ainsi que sur les amendements à adopter sur les trois projets de règlement de la Commission européenne. En revanche, la suite du calendrier semble très floue, au point de paraître compromise : il est désormais très improbable que l'actuel Parlement européen puisse se prononcer en séance plénière avant le terme de la présente législature, renvoyant cette question aux parlementaires élus le 26 mai 2019. Enfin, la « nouvelle » Commission européenne serait amenée, elle aussi, à reprendre en main le dossier dès qu'elle sera officiellement en fonction.

Ces retards étaient prévisibles. Dès le mois d'octobre 2018, une étude commandée par le Parlement européen, et destinée à alimenter la réflexion des membres de la commission AGRI, considérait que les calendriers prévisionnels d'élaboration de la réforme et du CFP ne seraient probablement pas respectés, l'un et l'autre. Nous y sommes 21 ( * ) .

En définitive, il est permis de penser rétrospectivement que l'objectif initial d'un accord avant les élections du 26 mai 2019 était trop ambitieux.


* 19 Voir, à titre d'illustration, l'entretien accordé par M. Michel Dantin au journal L'Opinion , dans son édition du 31 mai 2018, « Attention à ne pas signer à terme l'arrêt de mort de la PAC » .

* 20 Le projet de règlement sur les « plans stratégiques » a donné lieu, à lui seul, au dépôt de 5 400 amendements qui seront examinés par la commission AGRI, auxquels s'ajouteront 863 amendements pour le projet de règlement « horizontal » (Bulletin quotidien Europe du 30 janvier 2019).

* 21 Voir également l'article « Europe en crise, PAC indécise », publié par le journal l'Opinion du 3 janvier 2019.

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