EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 20 février 2019, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a entendu une communication de MM. Nuihau Laurey et Georges Patient, rapporteurs spéciaux, sur le service militaire adapté.

M. Vincent Éblé , président . - Nous en venons à la présentation par Nuihau Laurey et Georges Patient, rapporteurs spéciaux des crédits de la mission « Outre-mer », des résultats du contrôle qu'ils ont réalisé sur le service militaire adapté.

M. Nuihau Laurey , rapporteur spécial . - Avec mon collègue Georges Patient, nous avons décidé de nous pencher sur un des principaux dispositifs financés par la mission « Outre-mer », le service militaire adapté ou SMA. Nous avons choisi de nous déplacer à Mayotte car ce territoire connaît la situation la plus difficile, notamment en termes de chômage des jeunes. C'est le territoire où la problématique de l'insertion socioprofessionnelle est la plus complexe. Le SMA est un outil militaire créé en 1961, placé sous la direction du ministère des outre-mer. Il a pour mission principale de faciliter l'insertion dans la vie active des jeunes adultes ultramarins volontaires en situation de marginalisation. À cet effet, il propose, sous statut de volontaire dans les armées et dans un cadre militaire, un parcours socioprofessionnel destiné à renforcer leur employabilité. La formation, d'une durée moyenne d'un an, s'articule autour d'une remise à niveau dans les savoirs de base, d'une éducation citoyenne, d'une formation aux premiers secours et d'une préformation professionnelle, avec un parcours sanctionné par un diplôme et, enfin, le passage du permis de conduire. C'est un dispositif original et efficace.

Le dispositif apparaît comme particulièrement performant, puisque le taux d'insertion (stagiaires en emploi ou en poursuite de formation) des volontaires stagiaires atteint des niveaux très satisfaisants, entre 74 et 77 % sur les sept dernières années, eu égard aux caractéristiques socio-économiques des outre-mer et des jeunes sélectionnés, sur lesquelles reviendra plus précisément Georges Patient. Certains territoires, comme Mayotte, dépassent même les 90 % d'insertion réussie. Les résultats montrent en outre une tendance à l'augmentation de la qualité de l'insertion révélée, dans la quasi-totalité des territoires, par la part croissante des emplois durables. Ainsi, la part des volontaires stagiaires bénéficiant d'un emploi durable (CDI ou CDD long) dans les six mois suivant la fin de leur formation au SMA a augmenté de près de 20 points entre 2013 et 2016, passant de 34 à 53 %.

L'efficacité du dispositif repose en partie sur sa grande capacité à s'adapter aux besoins locaux. Les cadres du SMA entretiennent de manière permanente des liens de travail sur le développement des filières et les compétences à acquérir, avec les employeurs locaux. Lors de notre déplacement à Mayotte, nous avons ainsi pu assister au Conseil de perfectionnement (CP), qui se tient annuellement au sein de chaque SMA, et permet d'adapter les différentes formations aux débouchés, et en constater l'efficacité.

Ce dispositif revêt aujourd'hui une importance particulière, car il a connu une importante montée en puissance ces dernières années, sous le nom de « SMA 6000 ». En 2009, alors que le département de la Guadeloupe traversait une crise sociale, le gouvernement a décidé de doubler les effectifs accueillis par le SMA, qui sont donc passés de 3 000 en 2010 à 6 000 en 2017.

Dans ce contexte, les crédits du SMA ont connu une augmentation de plus de 60 % depuis 2010, atteignant 222,42 millions d'euros en crédits de paiement (CP) en 2017. Le coût moyen d'une formation au SMA s'élève à 36 740 euros en 2017. Ce coût a subi, au cours des dernières années, une baisse importante, qui est en réalité davantage imputable à l'abaissement de la durée des formations concomitante à « SMA 6000 », qui a permis d'en diminuer le coût unitaire. En neutralisant l'effet de la diminution de la durée de la formation, son coût reste stable. La Cour des comptes, qui a adressé cette année, dans son rapport public annuel, un satisfecit au dispositif, relève que le coût annuel est proche du service militaire volontaire (SMV) et supérieur à celui de l'Établissement pour l'insertion dans l'emploi (EPIDE), aux emplois d'avenir ou à l'apprentissage. Cette comparaison nous semble toutefois devoir être nuancée notamment par l'existence de charges majorées en outre-mer, en matière de fonctionnement, de construction et de rémunération des effectifs d'encadrement, pouvant expliquer des surcoûts atteignant 50 % du montant des opérations et par l'implication du SMA dans la lutte contre les addictions et l'illettrisme.

Au total, notre rapport décrit un dispositif dont l'efficacité est établie et reconnue par l'ensemble des acteurs sur le terrain. D'importants défis restent toutefois à relever pour l'avenir.

Le principal enjeu porte sur le redéploiement des effectifs de volontaires du SMA en fonction des évolutions sociales et démographiques propres à chaque territoire. Jusque-là, la montée en puissance du SMA s'est faire de manière relativement homogène selon les territoire, en proportion des effectifs historiques. Nous estimons, à ce titre, que « SMA 6 000 » n'a pas suffisamment pris en compte les évolutions propres à chaque territoires. Le SMA connait ainsi des difficultés de recrutement dans les Antilles, en raison de l'épuisement des « viviers » de jeunes éligibles. Les taux de sélection y apparaissent ainsi proches du plancher, respectivement à 1,3 et 1,2 candidature par place en Guadeloupe et en Martinique. Dans les Antilles, la concurrence avec des dispositifs visant la même fin, bien que totalement distincts dans leurs modalités, comme la Garantie jeunes est également problématique et les classes des centres de formation des apprentis sont parfois loin d'être complètes.

Réciproquement, certains territoires, comme Mayotte, la Nouvelle Calédonie ou la Polynésie française connaissent une forte demande, se traduisant par des taux de sélectivité plus élevés.

Nous plaidons donc pour qu'une redéfinition stratégique de l'ampleur des promotions du SMA en fonction de l'évolution sociale et démographique de chaque territoire soit effectuée. Cette redéfinition pourrait utilement prévoir un redéploiement des effectifs de volontaires des zones « excédentaires » (par exemple, les départements des Antilles) vers des zones « déficitaires » (comme la Nouvelle-Calédonie, La Réunion ou Mayotte).

Nous proposons également des ajustements plus ciblés, visant à renforcer l'employabilité à long terme des jeunes volontaires du SMA. L'objectif « SMA 6000 » atteint, un nouvel horizon a été défini par la ministre des Outre-mer en février 2018, dénommé « SMA 2025 », lequel « vise à investir pour une employabilité durable au service des jeunes et des entreprises des outre-mer ». Dans ce cadre, nous proposons de revenir sur le raccourcissement des formations du SMA (les formations les plus longues étant celles connaissant le meilleur taux d'insertion) et de renforcer prioritairement le suivi des volontaires du SMA au-delà des 6 mois, et le différencier par type de formation et de débouché, afin de veiller à l'amélioration réelle de l'employabilité des stagiaires sur le long terme.

M. Georges Patient , rapporteur spécial . - Je m'associe pleinement aux observations de mon collègue Nuihau Laurey ; le SMA constitue indéniablement un dispositif pertinent, efficace et particulièrement utile au développement des outre-mer, même si des évolutions devront y être apportées dans les années avenir, s'agissant, notamment, du redimensionnement des unités au regard des besoins de chaque territoire d'outre-mer.

Le service militaire adapté inscrit son action dans un contexte particulier, marqué par un ensemble de difficultés socio-économiques qu'il me semble important de rappeler. Les outre-mer connaissent une situation économique et sociale très défavorable par rapport à la métropole. Cette situation est particulièrement sensible s'agissant des jeunes. Le taux de chômage des 15-24 ans est ainsi supérieur à 50 % dans les départements d'outre-mer et atteignait près de 58 % en Guadeloupe contre 23,7 % en métropole en 2016. Réciproquement, le taux d'emploi des 15-24 ans était en moyenne deux fois inférieur en outre-mer à celui de la métropole (28,4 %). Le niveau d'éducation constitue par ailleurs un problème endémique. En 2014, le taux d'illettrisme s'élevait à 19,2 % en moyenne dans les départements d'outre-mer, contre 3,5 % pour l'Hexagone.

Le SMA se distingue par son mode de recrutement « par le bas », qui vise à sélectionner les profils les plus éloignés de l'emploi. Le respect de ce principe se matérialise principalement par la forte proportion de non diplômés (personnes qui n'ont pas le brevet des collèges), qui représentent près d'un tiers des promotions, et des personnes en situation d'illettrisme, qui représentaient en 2016 37,8% des volontaires stagiaires accueillis.

Les bons chiffres de l'insertion qui vous ont été présentés par mon collègue Nuihau Laurey doivent être rapprochés de ce contexte particulièrement difficile. Il est clair qu'eu égard à l'environnement socio-économique dans lequel il intervient, le SMA est efficace et indispensable.

Comme l'a indiqué Nuihau Laurey, la comparaison avec les dispositifs similaires (service militaire volontaire, apprentissage, Epide) est rendue particulièrement complexe par la spécificité du SMA, qui accueille un public particulièrement éloigné de l'emploi et qui doit faire face à des charges majorées en raison des spécificités des outre-mer. Le coût du SMA doit être comparé au « coût social évité », c'est-à-dire le coût de la non-intervention. Ce dernier regroupe ainsi les aides en faveur des jeunes (aides sociales comme l'ALS-APL, la CMU, le RSA...), les aides à l'emploi (emplois d'avenir, contrats en alternance...) et les domaines dans lesquels le SMA permet de réduire les externalités négatives (lutte contre l'illettrisme, contre les addictions ou encore contre la délinquance). Au total, selon une évaluation demandée en 2014 par le ministère des outre-mer et réalisée par un cabinet de conseil, le fait d'investir fortement dans une année de SMA pour un jeune génère en fait une économie dès la cinquième année, chiffrée à 26,5 millions d'euros pour une cohorte de 6 000 bénéficiaires. Le SMA constitue donc incontestablement un « investissement » judicieux pour les pouvoirs publics.

Le SMA a connu une importante augmentation de ses financements depuis 2010, dans le cadre de « SMA 6 000 », de 60 %. L'évolution est toutefois contrastée en fonction des types de dépenses. Ainsi, depuis 2014, les dépenses de personnel sont restées quasiment stables (+ 2 %), tandis que les dépenses d'investissement ont connu une baisse de 41 %. Ces évolutions mettent en évidence un réel risque d'effet d'éviction des dépenses de fonctionnement et d'investissement lié à l'augmentation des effectifs, potentiellement préjudiciable à la qualité des formations dispensées par les unités. Un important besoin d'investissement subsiste en effet, qui concerne prioritairement la fonction hébergement. Un effort en la matière apparaît indispensable dans les prochaines années.

En plus d'une baisse de la part des dépenses d'investissement dans le budget du SMA, la mise en oeuvre de « SMA 6000 » a entrainé une importante mise sous tension des effectifs encadrants, qui rassemblent des cadres militaires provenant du ministère des Armées et des formateurs issus pour la plupart du monde civil. Le taux d'encadrement, qui s'élevait à 25 % en 2010, a connu une baisse de 10 points sur la période 2010-2017, et ne s'élevait plus qu'à 14,9 % en 2017. Ces quatre dernières années, cette baisse a concerné l'ensemble des unités, à l'exception de La Réunion, dont le taux d'encadrement est resté stable. De l'avis général, les taux d'encadrement du SMA ont aujourd'hui atteint un niveau plancher, susceptible de mettre en péril ses résultats et la sécurité de ses activités. Nous pensons qu'une hausse du nombre de personnels encadrants constitue un impératif absolu.

Enfin, il nous paraissait important d'évoquer la nature des relations qui pourront exister entre le SMA et le futur service national universel (SNU). Des différences importantes distinguent le futur SNU du SMA, tant dans son objet que ses modalités. Le SMA est un dispositif militaire d'insertion socioprofessionnelle, pour les jeunes éloignés de l'emploi, tandis que le SNU vise, selon le Gouvernement, à renforcer « la cohésion sociale et nationale, la prise de conscience des enjeux de la défense et de la sécurité nationale et l'affirmation des valeurs de solidarité ». Si nous pensons que le SMA, qui fonctionne bien, doit préserver sa spécificité, il apparait clairement que des synergies pourront utilement être trouvées (découverte du SMA en phase I du SNU, mutualisation des encadrants, etc.).

M. Victorin Lurel . - Je remercie les rapporteurs pour leur présentation, et me joins à leur observation quant à l'efficacité du SMA. Lorsque j'étais ministre, je l'ai beaucoup soutenu, même s'il faut rappeler que le plan « SMA 6000 » a été lancé sous le mandat de M. Nicolas Sarkozy. Ce dispositif est pertinent et efficace, mais il y a eu un débat sur cette efficacité. Le mode de calcul de l'insertion est en effet sujet à caution, car les taux semblent supérieurs à la réalité. Sur la présence territoriale du SMA, il y avait à l'époque un projet d'en installer un à Wallis-et-Futuna et à Saint-Martin. Une solution a été trouvée pour Saint-Martin, qui bénéficie d'un contingent de places au régiment de Guadeloupe ; qu'en est-il pour Wallis-et-Futuna ? Pouvez-vous également nous préciser comment se passe la montée en puissance du SMA de Mayotte ? Enfin, pouvez-vous nous indiquer si les aides aux collectivités sont toujours maintenues ?

M. Sébastien Meurant . - Les Epide connaissent le même type de problème d'épuisement des « viviers » que celui que vous évoquez pour le SMA. Certaines classes ne sont pas remplies. Comment expliquer ce phénomène ?

M. Vincent Éblé , président . - Je souhaitais interroger nos rapporteurs spéciaux sur la coordination entre le SMA et les autres dispositifs existant en outre-mer en faveur des jeunes, comme par exemple le service civique. Certains jeunes sont-ils réorientés d'un dispositif vers un autre, en fonction de leur profil ?.

M. Nuihau Laurey . - Concernant les modalités de calcul de l'insertion, c'est véritablement un sujet central car l'efficacité de ce dispositif est précisément fondée sur cet indicateur. Une analyse plus fine est présentée dans le rapport, notamment sur les recrutements longs (CDI et CDD de plus de 6 mois), dont la part a fortement augmenté ces dernières années. Il y a donc une solidification de cette insertion. En revanche, s'agissant du suivi des bénéficiaires, nous pensons qu'il est impératif d'aller au-delà des six mois, pour vérifier si les personnes sont bien orientées ou recrutées vers d'autres dispositifs. Je précise également que 25 % des jeunes sont également inscrits en poursuite de formation, et sont considérés comme « insérés » dans ce cas ; à ce stade, aucune information ne nous a été communiquée quant à l'ouverture d'un régiment à Wallis et Futuna, qui ne semble donc pas d'actualité.

M. Georges Patient . - Le rapport évoque la question de l'adaptation du SMA aux besoins des territoires. Dans certains territoires, parmi les jeunes qui seraient les plus susceptibles d'être ciblés, figurent des jeunes qui ne sont pas Français, mais qui sont d'ores et déjà résidents. En l'état, ces derniers ne peuvent être formés au SMA. Il faudrait peut-être que le SMA s'ouvre progressivement aux jeunes étrangers en voie de naturalisation.

La commission a donné acte aux rapporteurs spéciaux de leur communication et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

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