PREMIÈRE PARTIE

LES OUTRE-MER DANS L'AUDIOVISUEL PUBLIC : DYNAMISME LOCAL ET INVISIBILITÉ NATIONALE

Évaluer la situation des outre-mer dans l'audiovisuel public nécessite de scruter le service public, d'une part, pour chaque territoire des différents bassins océaniques, d'autre part, au niveau national. Cette observation bidirectionnelle conduit d'emblée à un constat contrasté avec UN réseau de stations performantes qui font vivre un service public audiovisuel de proximité dans les territoires et des outre-mer largement absents des antennes nationales.

I. L'AUDIOVISUEL PUBLIC OUTRE-MER : DE LA « RADIODIFFUSION » À UN RÉSEAU DE MÉDIA GLOBAL

A. UN RÉSEAU QUI S'EST PROGRESSIVEMENT STRUCTURÉ ET INTÉGRÉ

1. Une structuration laborieuse du réseau : de l'émergence des radios locales à une intégration au sein d'entités nationales1 ( * )
a) À partir de 1929 : l'émergence des radios ultramarines

La première vague de naissance de sociétés audiovisuelles publiques outre-mer se forme autour des années 1930.

La Réunion est le premier territoire ultramarin à se doter d'une station de radio, « Radio Saint-Denis », en 1929. D'autres radios voient ensuite le jour : « Radio Club » à Saint-Pierre-et-Miquelon en 1930, « Radio Nouméa Amateur » en Nouvelle-Calédonie en juin 1937, « Radio Martinique » en octobre 1937, « Radio Guadeloupe » en Guadeloupe, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin en 1937. Ces premières radios sont suivies, après la Seconde Guerre mondiale, par « Radio Tahiti » en Polynésie française en 1949 et « Radio Cayenne » en Guyane en juin 1951.

À la fin de la première moitié du XX e siècle, sept radios couvrant neuf des onze territoires actuels sont donc créées ; ces stations ne sont cependant alors pas réunies dans une société commune .

b) 1954 - 1975 : une première structuration autonome jusqu'à l'intégration au sein de l'ORTF et l'arrivée de la télévision

Une première intégration de ces stations s'opère au début des années 1950. Le service de la Radiodiffusion de la France d'Outre-mer (RFOM) est ainsi créé par le décret du 14 septembre 1954 et placé sous la tutelle du ministère de la France d'outre-mer ; celui-ci regroupe toutes les radios d'outre-mer.

La RFOM est remplacée le 20 janvier 1955 par la Société de radiodiffusion de la France d'Outre-mer (Sorafom) , dont les missions dépassent en réalité les départements et territoires d'outre-mer puisque celle-ci a également vocation à coordonner des services de radiodiffusion africains. Si les stations ultramarines demeurent alors coordonnées par une même entité distincte des antennes nationales, celle-ci est cependant désormais placée sous l'autorité de la Société financière de radiodiffusion (Sofirad) qui gère les participations de l'État dans les stations de radiodiffusion et de télévision.

À la même période, une nouvelle station de radio apparaît dans un autre territoire : en février 1961, la Sorafom crée « Radio Comores » à Mayotte.

L' Office de coopération radiophonique (Ocora) succède à la Sorafom le 14 avril 1964 ; la nouvelle société conserve un périmètre dépassant l'outre-mer avec des missions en Afrique francophone. Comme la Sorafom avait été rattachée à la Sofirad, l'Ocora se voit placé sous la direction du nouvel Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF) créé quelques mois plus tard : le réseau ultramarin se rattache - provisoirement - à la société nationale de l'audiovisuel.

Les années 1960 voient l'émergence de chaînes de télévision locales avec la création par l'ORTF de ORTF Martinique en juillet 1964, puis ORTF Guadeloupe et ORTF Réunion en décembre de la même année. Les trois chaînes seront suivies par Télé Nouméa et Télé Tahiti en octobre 1965 dans le Pacifique, puis par ORTF Guyane et ORTF Saint-Pierre-et-Miquelon respectivement en janvier et avril 1967.

c) 1975 - 1982 : les outre-mer au sein de la télévision des régions : FR3 DOM-TOM

La structuration de l'audiovisuel ultramarin suit celle de l'audiovisuel national. Au démantèlement de l'ORTF en sept sociétés le 31 décembre 1974, trois sociétés nationales de programmes de télévision concurrentes sont créées le 6 janvier 1975. Les stations de radio et de télévision d'outre-mer existantes sont alors rattachées à la troisième chaîne de télévision, à vocation régionale, France Régions 3 (FR3) au sein d'une délégation appelée « FR3 DOM-TOM ».

Les chaînes de télévision locale suivent encore l'évolution institutionnelle et sont nommées du nom du lieu géographique de diffusion précédé de FR3.

Le déploiement de stations locales se poursuit dans un territoire qui n'en est encore pas pourvu avec le lancement par l'État, en avril 1979, de la radio « FR3 Wallis et Futuna » à Wallis-et-Futuna.

2. Un réseau unifié dans une entreprise distincte : RFO

Le réseau ultramarin évolue au début des années 1980, quittant le giron de France Régions 3 pour rejoindre une nouvelle société nationale de programme.

La Société de radiodiffusion et de télévision pour l'outre-mer , et communément appelée « RFO » , est créée par décret du 17 septembre 1982. Si la société est autonome, son capital n'est cependant pas détenu par l'État directement mais partagé, à 47,5 % par France Régions 3, à 40 % par l'État, et à 12,5 % par Radio France.

Les chaînes de télévision locales sont une nouvelle fois nommées du nom du lieu géographique de diffusion précédé de RFO.

Le réseau s'étend également par la mise en service, entre 1983 et 1988, d'un second canal de télévision en Martinique, en Guadeloupe, en Guyane, à La Réunion, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. Le premier canal est aussi lancé en 1986 dans les deux derniers territoires non encore pourvus, avec RFO Mayotte et RFO Wallis-et-Futuna.

En avril 1988, les chaînes d'outre-mer sont renommées RFO 1 et RFO 2.

L'AITV, une agence du réseau ultramarin au service de la France dans le monde

Dans la ligne de la mission extérieure qu'assuraient les précédentes entités structurant le réseau audiovisuel d'outre-mer, RFO crée en 1985 l'Agence Internationale d'Images de Télévision (AITV).

Ce service du réseau fournit des images d'actualité à l'ensemble des télévisions francophones du continent africain mais aussi à des chaînes latino-américaines, en espagnol, et des télévisions du Proche-Orient, en anglais.

L'agence a été supprimée en 2014 par France Télévisions.

Les années 1990 sont aussi une période de montée en puissance technologique avec la première liaison satellite par compression numérique entre Paris et la Nouvelle-Calédonie en 1994, qui réduit le temps de transmission des images vers les territoires.

En février 1997, le nouveau président de RFO, Jean-Marie Cavada, ambitionne d'offrir une meilleure « visibilité » aux programmes de la société en France métropolitaine, où vivent plus de 1,5 million de Français originaires des territoires ultramarins. C'est ainsi que le groupe lance le 25 mars 1998 « RFO Sat », une nouvelle chaîne de télévision consacrée à l'outre-mer et diffusée sur le câble et les bouquets satellite . La chaîne, qui ne diffuse au départ que quatre heures par jour, reprend les programmes des chaînes locales d'outre-mer. Elle déménage dans son nouveau siège situé à Malakoff , dans la banlieue parisienne.

La société de programme est rebaptisée le 15 septembre 1998, Réseau France Outre-mer , gardant le même acronyme RFO. À la suite de ce changement, RFO 2 devient Tempo, une chaîne culturelle et éducative dont les programmes sont issus de ceux du service public et aussi de TF1 jusqu'en 2003.

Au 1 er janvier 1999, les chaînes RFO 1 sont renommées « Télé Pays » - où Pays est remplacé par le nom du territoire - et, en février, les radios sont à leur tour renommées « Radio Pays ».

Les Îles du Nord, seules collectivités sans service public audiovisuel local

À la suite de leur changement de statut en 2007, les îles de Saint-Barthélemy et Saint-Martin sont aujourd'hui les deux seuls territoires ultramarins sans station locale de service public propre.

Entendue par la délégation 2 ( * ) , Nathalie Sonnac, présidente du groupe de travail « Télévisions locales » au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) appelait à mener une réflexion sur la création d'un service public audiovisuel dédié pour les deux collectivités de Saint-Martin et Saint-Barthélemy . Interpellée par le sénateur de Saint-Martin, Guillaume Arnell, la conseillère du CSA s'est estimée « particulièrement choquée de la situation de l'absence totale de service public, d'autant que IOTV a été totalement dévastée par l'ouragan Irma. L'antenne de France Télévisions n'a pas été réinstallée après cet épisode . »

Interrogée sur la présence de la station Guadeloupe La 1 ère sur ces deux territoires, la directrice régionale Sylvie Gengoul précisait 3 ( * ) qu'une équipe de la station était présente chaque semaine durant deux jours. La directrice reconnaissait 4 ( * ) cependant que les services de la station n'étaient « pas les mieux placés pour ce travail d'utilité sociale au quotidien et avaient ainsi décidé de nouer une relation coopérative avec la chaîne de télévision locale ».

3. L'intégration à France Télévisions : le rejet d'une greffe
a) Un rattachement à France Télévisions dans la logique d'unification des chaînes nationales

Lors de la réforme de l'audiovisuel de 2000, les chaînes autonomes nationales ont été regroupées sous une holding nouvelle, France Télévision. L'intégration de RFO fut à ce moment écartée, le réseau ultramarin étant dans une situation financière délicate 5 ( * ) .

La société de programme Réseau France Outre-mer (RFO) est finalement intégrée au nouveau groupe France Télévisions constitué à la suite de la loi du 9 juillet 2004 . Si RFO conserve son statut de société anonyme à conseil d'administration, sa présidence est celle de France Télévisions.

Au moment du déploiement de la TNT outre-mer, en 2010, les stations locales sont toutes renommées du nom du territoire suivi de « La 1 ère ». L'arrivée de l'ensemble des chaînes de France Télévisions dans les territoires conduit enfin à la suppression de la chaîne Tempo.

b) Un pôle outre-mer regroupant le réseau des stations et France Ô

L'actuel réseau « La 1 ère » 6 ( * ) réunissant les stations est aujourd'hui géré avec France Ô - à nouveau identifiée chaîne des outre-mer - au sein de ce qui constitue depuis 2015 le « pôle outre-mer » de France Télévisions, dont le siège demeure sur le site historique de Malakoff. L'établissement accueille également la radio numérique ( web radio ) créée en 2005.

Le pôle outre-mer de France Télévisions a à sa tête le directeur exécutif en charge de l'outre-mer, dont les attributions sont :

- fixer les orientations stratégiques et éditoriales du pôle ;

- piloter et coordonner l'activité du pôle - direction de l'information, direction de la communication, direction des moyens et du développement technique et direction des contenus de France Ô et des stations La 1 ère , directions supports et administratives - ;

- représenter le pôle au sein du comité exécutif du groupe France Télévisions.

Si la conception éditoriale revient aux stations, c'est le pôle outre-mer qui assure la diffusion des chaînes La 1 ère depuis Malakoff pour être acheminée jusqu'aux territoires.

c) Une intégration factice ?

Si l'entreprise Réseau France Outre-mer a fusionné en 2004 avec le groupe France Télévisions, l'ensemble des personnes entendues par la délégation ont pu faire état d'un cloisonnement très fort au sein du groupe . Le pôle outre-mer de France Télévisions semble ainsi être demeuré longtemps « à la marge », comme une entreprise distincte dont le rattachement ne serait finalement que juridique , sans intégration réelle au sein du groupe qu'il s'agisse des projets, des antennes ou des salariés. Cette séparation se trouve même, pour certains, matérialisée par le périphérique parisien : le siège de France Télévisions dans Paris intra-muros , le siège des installations outre-mer sur le site de Malakoff.

Les relations entre les chaînes nationales et le réseau ultramarin n'ont pas été historiquement et spontanément fructueuses. Lors du débat sur l'intégration reportée de RFO à France Télévision en 1999, le rapporteur écrivait 7 ( * ) que, « en attendant cette échéance, le système de relations conventionnelles avec France Télévision prévu dans le projet de loi paraît satisfaisant, à condition d'être pris au sérieux par les deux partenaires et par la tutelle, ce qui implique que la convention entre France Télévision et RFO ait un véritable contenu et comporte de véritables engagements ». Les doutes du rapporteur de l'époque paraissent aujourd'hui bien fondés : France Télévision et RFO n'avaient à l'époque pas su construire une relation de réelle collaboration de projets permettant une bonne intégration lors de la fusion.

Cette situation a nourri une logique de coexistence qui n'a pas favorisé des échanges effectifs et mutuellement enrichissants pour les programmes et pour la visibilité des outre-mer. La présidente de France Télévisions 8 ( * ) estimait ainsi devant la délégation que, « en réalité, la greffe, d'une certaine manière, n'a jamais vraiment été faite ». Delphine Ernotte-Cunci précisait même que l'« ostracisme que l'on peut légitimement ressentir à l'égard des sujets ultramarins comme des sujets régionaux est un peu la maladie endémique de cette maison ». Différents intervenants ont ainsi fait état, notamment dans les relations des chaînes nationales avec France Ô et les stations La 1 ère , d'un sentiment de mépris , particulièrement au sein des rédactions.


* 1 Les éléments historiques de structuration du réseau ultramarin dans cette partie sont issus notamment des réponses de France Télévisions au questionnaire des rapporteurs.

* 2 Audition du Conseil supérieur de l'audiovisuel du 17 janvier 2019.

* 3 Déplacement de la délégation au siège du pôle outre-mer de France Télévisions le 21 janvier 2019.

* 4 Table ronde des directeurs des stations La 1 ère du 12 mars 2019.

* 5 Le rapporteur de la commission des affaires culturelles du Sénat estime ainsi « que la question de l'intégration de RFO devra seulement être posée quand cette société aura restauré ses comptes, rationalisé sa gestion et mieux précisé sa vocation ». - Rapport n° 154 (1999-2000) de M. Jean-Paul Hugot, fait au nom de la commission des affaires culturelles, déposé le 22 décembre 1999.

* 6 Le réseau RFO avait auparavant pris en 2010 le nom de « Réseau Outre-mer Première ».

* 7 Rapport n° 154 (1999-2000) de M. Jean-Paul Hugot, fait au nom de la commission des affaires culturelles, déposé le 22 décembre 1999

* 8 Audition de Mme Delphine Ernotte-Cunci le 22 janvier 2019.

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